Quoi de neuf ?

Plurilinguisme et formation professionnelle : comment ça marche ?

August 03, 2023 Les cafés du CREFO Season 4 Episode 3
Quoi de neuf ?
Plurilinguisme et formation professionnelle : comment ça marche ?
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Audrey Bertin, conseillère pédagogique  et responsable du développement professionnel pour le réseau de la mission laïque française en Espagne.

Audrey Bertin est conseillère pédagogique et responsable du développement professionnel pour le réseau de la Mission laïque française en Espagne. Madame Bertin accompagne les enseignants du 1e et 2nd degré sur l’ensemble des réseaux tels que les États-Unis, le Maroc et la Côte d’Ivoire. Les enjeux d’accompagnement portent entre autres sur le plurilinguisme. Audrey Bertin a été enseignante, directrice d’école puis conseillère pédagogique à l’inspection académique du Gers en France. Elle a aussi été directrice d’école et conseillère pédagogique au Maroc.

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Audrey Bertin, conseillère pédagogique et responsable du développement professionnel pour le réseau de la Mission laïque française en Espagne. 

Audrey [00:00:11] Réfléchir ensemble pour justement penser des espaces où les élèves pourraient investiguer les langues, en langues et être valorisés par rapport à ce qu'ils portent déjà. 

Joey [00:00:23] Bienvenue à Quoi de neuf! 

Emmanuelle [00:00:41] Bonjour à tous et à toutes et merci d'être fidèle à notre rendez-vous des podcasts du CREFO, Quoi de neuf. Alors, quoi de neuf aujourd'hui? Eh bien aujourd'hui, j'ai le grand honneur de recevoir Audrey Bertin. Alors, bonjour Audrey! 

Audrey [00:00:55] Bonjour Emmanuelle! Ravie d'être avec vous. 

Emmanuelle [00:00:58] Tu nous rejoins de l'Espagne. Quelle ville exactement? 

Audrey [00:01:02] Je suis à Murcie, dans le sud de l'Espagne, en Andalousie. 

Emmanuelle [00:01:06] Quelle chance! Tu nous donnes envie de vacances. Alors, Audrey Bertin, elle est conseillère pédagogique et responsable du développement professionnel pour le réseau de la Mission laïque française en Espagne. Tu nous expliqueras tout à l'heure ce que ça signifie. Alors tu accompagnes les enseignants du premier et du second degré sur l'ensemble des réseaux tels que les États-Unis, le Maroc et la Côte d'Ivoire. Tes enjeux d'accompagnement portent bien entendu, entre autres, sur le plurilinguisme et c'est pour ça que je t'ai invitée aujourd'hui. Alors Audrey, tu as été d'abord, je crois, enseignante puis directrice d'école, puis conseillère pédagogique, d'abord à l'inspection académique du Gers en France et puis au Maroc. Et maintenant tu te retrouves en Espagne. Alors Audrey, merci beaucoup d'avoir accepté mon invitation. Mais d'abord, je voudrais te poser la question que je pose à tous mes interlocuteurs qui est ton histoire de migration. Elle est compliquée, c'est des mosaïques qui racontent finalement tes passions, ta passion pour l'enseignement et puis je crois aussi pour les langues. Peut-être aussi les cultures, tiens. Alors, est-ce que tu peux nous parler un peu de toi, de ton enfance, comment tu as grandi, d'où ça vient tout ça et comment tu es arrivée en Espagne. 

Audrey [00:02:25] Eh bien merci beaucoup déjà pour ton invitation. Alors, moi d'où je viens, je viens du pays de la chocolatine. Je viens de Toulouse, donc j'ai grandi dans un petit village à côté de Toulouse et ma première émigration a été dans le Gers où j'ai pu, en effet, rencontrer mon mari, devenir enseignante puis conseillère pédagogique. Et puis un jour, je me suis dit « tiens, allez, on prend nos valises et on va voir ce qui se fait ailleurs ». Voilà, la curiosité et la passion de mon métier m'ont amenée à taper à la porte de la Mission laïque française. Et donc ma première mission, en effet, a été à Laâyoune, dans les provinces du Sud, au Maroc, où, pendant trois ans, j'ai découvert justement le plurilinguisme grâce à la langue arabe. Puis ensuite, on m'a confié la mission pour le Réseau Maroc de conseillère pédagogique où là j'avais en charge le pilotage pédagogique de dix établissements. Et en effet, une de mes priorités était la question du plurilinguisme. J'ai appris beaucoup grâce aux collègues que j'ai pu rencontrer, les collègues de culture marocaine, de culture anglaise, de culture française, de cultures, j'ai envie de dire, multiples. Et puis j'ai grandi là-bas et ensuite la Mission laïque française m'a proposé le poste de conseillère pédagogique pour le réseau Europe. Et donc je suis basée en Espagne où j'ai la charge de dix établissements. 

Emmanuelle [00:03:53] Alors tu as oublié de dire, je crois, que l'enseignement c'est une passion commune parce que ton mari, il est directeur d'école. 

Audrey [00:03:59] Exactement. Oui, oui, c'est une passion commune mais on essaye quelquefois quand même de parler autre chose que du travail. Mais oui, on est tous les deux enseignants et ce qui nous anime justement, c'est, j'ai envie de dire, avant tout le bien-être de nos élèves et ensuite leur réussite. 

Emmanuelle [00:04:16] Alors Audrey, tu étais enseignante de quoi au départ? 

Audrey [00:04:18] Moi, j'ai été professeure des écoles dans une école dans le Gers, Marciac, qui est connu internationalement pour son festival de jazz. Et puis ensuite, j'ai été dans un petit village à côté, à Monlezun, où là j'avais vraiment la chance d'être dans une classe unique de maternelle. Et voilà où là, je me posais la question de c'est peut-être intéressant de pouvoir initier d'autres langues auprès de nos élèves. Et donc là, dans ma classe unique de maternelle, on faisait de l'occitan et on faisait de l'espagnol. Donc déjà, il y a quelques années, je me disais ouvrir les élèves très jeunes aux langues, ça me paraissait intéressant. 

Emmanuelle [00:04:59] Alors, je voulais juste parler de ton petit clin d'œil au début. Moi, je viens du pays du pain au chocolat, pas de la chocolatine. Pour ceux qui nous écoutent, en France, il y a une guéguerre, une guerre des termes entre le pain au chocolat et la chocolatine. Alors voilà, on est chacune dans un camp différent. Alors moi je me suis...bah, j'ai ma petite idée quand même, mais je me suis toujours posé la question qu'est-ce qu'elle fait, la conseillère pédagogique? 

Audrey [00:05:29] Alors, les missions de conseillère pédagogique justement, depuis que je suis en mission avec la Mission laïque française, a beaucoup évolué parce qu’évidemment, une conseillère pédagogique elle fait du conseil pédagogique, elle va dans les classes. J'adore l'expression « mettre les mains dans le cambouis ». J'aime beaucoup être en contact avec les enseignants et leurs élèves. Mais aujourd'hui, cette mission a beaucoup évolué. Elle est aussi sur des missions d'accompagnement au-delà de la formation, et c'est là peut-être, où on pourrait éclairer notamment ce qu'on entend par formation et développement professionnel d'où quelque part, ma mission de conseillère pédagogique qui a évolué aussi vers des responsabilités en termes de développement professionnel. Alors c'est vrai que la formation, c'est plutôt connoté comme étant quelque chose de à court terme, de one shot. On a beau vivre un merveilleux moment avec son formateur ou sa formatrice, on sait que si les choses vues, les éléments vus en formation ne sont pas réinvestis tout de suite, au bout d'une semaine, la courbe de l'oubli est là et donc il en reste à peine 10 %. Donc aujourd'hui on parlera davantage de développement professionnel où là on vise davantage l'engagement des enseignants, mais des personnels aussi non enseignants, puisque ma mission aussi est de pouvoir proposer des éléments d'accompagnement pour des personnels non enseignants. Et cette dimension de développement professionnel aussi amène à penser développement professionnel au sein d'une communauté d'apprenants. Il y a vraiment cette dimension collective de groupe restreint autour de réflexion commune qui est vraiment essentielle. Pour moi, cette dimension de développement professionnel, j'ai pu l'approfondir grâce à un master il y a deux ans et en fait, on s'aperçoit que d'être formateur, souvent on utilise maintenant le mot accompagnateur, c'est être conscient de la présence qu'on doit avoir auprès de nos apprenants, que ce soit une présence pédagogique, cognitive. Et puis, celle qui me m'affectionne particulièrement, c'est la présence socio-émotionnelle. L'idée, c'est vraiment de pouvoir mettre en place des moyens, des espaces où justement les enseignants, on leur apporte du soutien et où on les aide à s'autoréguler, justement pour rester engagés dans leur développement professionnel. On sait également qu’être engagé dans son développement professionnel amène à adopter une posture réflexive, adopter cette posture réflexive, c'est-à-dire qu'on va amener, mettre des espaces d'investigation où les professeurs vont pouvoir mettre en place ce qu'ils ont vu en salle de formation. Et donc c'est ainsi qu'ils vont pouvoir se lancer dans une démarche expérientielle. Et souvent, je me plais à dire que c'est un peu compliqué de se voir pédaler. Donc en fait, l'idée de pouvoir mettre les enseignants en petits collectifs, c'est se donner une merveilleuse opportunité de pouvoir faire miroir à son collègue et, du coup de pouvoir adopter une posture réflexive. Voilà ce que l'on cherche et vraiment, c'est une de mes priorités, ce que je cherche vraiment à développer chez les collègues avec qui j'ai la chance de travailler, c'est justement qu'ils puissent ressentir un sentiment d'efficacité à la fois personnelle et collective. Et puis également un sentiment de satisfaction et de compétence parce qu'une fois qu'on a tous ces éléments-là, et ben ça génère de la motivation et puis du coup, on a des enseignants qui restent engagés dans leur développement professionnel. 

Emmanuelle [00:09:05] Alors, on peut peut-être faire un tout petit retour en arrière pour essayer de comprendre c'est quoi la Mission laïque française. 

Audrey [00:09:12] Alors, la Mission laïque française c'est une association qui est présente dans le monde entier, association à but non lucratif et qui a des établissements en Europe, sur le continent américain, en Côte d'Ivoire, au Maroc, au Liban. Voilà, qui donne l'opportunité aux élèves d'ici et d'ailleurs de pouvoir bénéficier d'un enseignement en contexte plurilingue. Aujourd'hui, la plupart de nos établissements sont dotés du « i » lycée français international. 

Emmanuelle [00:09:47] D'accord. Est-ce que ça veut dire qu'ils passent le bac international? 

Audrey [00:09:51] Alors ils passent... Oui, dans certains établissements, c'est un bac international. Ici, en Espagne, on a des élèves qui passent le bachibac donc avec des disciplines en espagnol. On a des élèves qui passent le baccalauréat comme ils l'auraient passé en France. Il y a aussi les sections européennes. Voilà, il y a tout un éventail et en fonction du contexte, les établissements ouvrent différentes opportunités. 

Emmanuelle [00:10:17] D'accord. Alors, je pense que quand on parle de plurilinguisme, on parle forcément des élèves. Alors, qui sont les élèves que vous accueillez dans vos écoles? Alors ça peut...j'imagine que les élèves en Espagne ne sont pas les mêmes qu'au Maroc? Ou est-ce que je me trompe? 

Audrey [00:10:33] Alors non, ce ne sont pas les mêmes. Mais il y a quand même un point commun, c'est que la plupart de nos élèves, en majorité, sont des élèves ici hispanophones, c'est-à-dire qu'on a très peu, on a environ 15 à 20 % maximum d'élèves francophones. Et de la même façon au Maroc, on a essentiellement des familles arabophones. 

Emmanuelle [00:10:53] Ok, donc, quelle est la part finalement, parce que l'enseignement que vous dispensez, c'est un enseignement en français et dans la langue, enfin dans la langue officielle du pays, c'est ça? 

Audrey [00:11:07] Oui. Alors la devise de la mission laïque française, c'est trois langues de culture. Alors, c'est vrai que notre ancien directeur général se plaisait à dire « on se demande quelle est la langue qui n'a pas de culture ». Mais en tout cas, dans nos établissements, il y a le français, il y a l'anglais comme incontournable et puis la langue du pays qui nous accueille. 

Emmanuelle [00:11:28] D'accord, ça c'est très intéressant. Alors si on parle de ce plurilinguisme, de langue du pays qui vous accueille, on parle forcément de plurilittératie. Excuse-moi du jargon, mais c'est-à-dire écrire...alors littératie, ce n'est pas forcément, d'ailleurs on le comprend au sens beaucoup plus large maintenant, c'est une compréhension du monde qui passe par la pluralité, c'est-à-dire ce regard culturel et langagier qui nous vient des langues et des cultures qu'on a pu fréquenter. Donc quand on parle de plurilittératie on veut souvent donner l'occasion aux élèves, quelles que soient leur langue et leur culture, de se développer académiquement si possible dans ces langues, en plus des langues de l'école. Alors je me demandais comment ça fonctionne dans vos écoles?

Audrey [00:12:25] Alors c'est une très bonne question. Je te remercie, Emmanuelle, pour l'avoir posée et je crois qu'on a vécu cette jolie histoire qui n'est pas terminée jusqu'à maintenant parce que justement, on va dire que c'est peu présent dans nos écoles, voire même dans certaines écoles, quasi inexistant. Donc c'est pour ça que je me suis tournée vers toi parce qu’aujourd'hui, j'ai envie de dire, il est urgent de construire des ponts entre les langues, des ponts entre les cultures, car dans nos établissements, on a de plus en plus d'élèves multilingues. Et donc il est intéressant et plus qu'urgent, on va dire, de pouvoir donner un espace à toutes ces langues, à toutes ces cultures, de façon à accueillir. Rappelons quand même que nous sommes une école inclusive, donc on ne pourrait pas penser autrement. 

Emmanuelle [00:13:18] Oui, alors on s'est... peut-être qu'on peut donner un petit peu d'histoire à nos auditeurs, on s'est rencontrées au Maroc parce que je donnais un atelier dans lequel j'ai présenté aussi le livre que nous avons écrit Nathalie Auger et moi qui, justement, reprend ce titre Construire des ponts entre les langues et les cultures et tu m'as abordée, tu m'as dit il faut que tu viennes, il faut que tu travailles avec moi, il faut que tu viennes en Espagne, c'est génial, etc. Ce que j'ai évidemment tout de suite accepté parce que pour embrigader les gens tu es très très forte! Et on a commencé ce trajet ensemble que je n'ai jamais regretté. Alors est-ce que tu peux me donner un exemple de plurilinguisme de certains de ces élèves qui ne correspondrait pas à hispanophone ou francophone. Parce qu'en fait c'est ça que tu veux dire, c'est-à-dire un élève qui n'est pas représenté par les langues de l'école. Est-ce que tu peux nous donner un ou deux exemples qui te viennent en tête? 

Audrey [00:14:20] Alors en effet, on a des élèves ici, à Murcie notamment, qui ne parlaient en arrivant à l'école ni le français ni l'espagnol. On a des élèves qui parlent la langue arabe et on a également un élève qui parle russe et qui, en début d'année ne parlait pas un seul mot des langues de l'école. Et quand aujourd'hui, je me plais à aller dans ces classes, on voit des élèves épanouis et comme on dit par chez moi, le sourire accroché aux oreilles. 

Emmanuelle [00:14:55] Ça fait plaisir d'entendre ça. Donc cette année, on a monté ensemble une petite formation. On s'est réunies une fois par mois avec les enseignants de quatre écoles. Est-ce que tu peux nous en parler un peu? Qu'est-ce qui t'a motivée à le faire? Et puis comment ça s'est passé? 

Audrey [00:15:10] Alors, ce qui m'a motivée... Donc moi, je suis en poste en Espagne, c'est ma deuxième année. Donc l'année dernière, en septembre 2021, j'ai pris ma valise et je suis allée dans toutes les écoles pour justement m'inspirer et m'approprier le contexte puisque le contexte en Espagne n'est pas le même que le contexte au Maroc. Et puis j'ai fait des premiers constats qui pour moi justement étaient... Il fallait réagir assez rapidement. Le premier constat c'était que beaucoup de professeurs me disaient « eh bien oui, oui Audrey, c'est un prof, une langue. Donc moi, je suis prof de langue française, donc on ne parle pas espagnol, on ne parle pas anglais dans ma classe ». Premier constat qui est assez violent puisqu'on peut imaginer que des élèves hispanophones qui arrivent dans cette classe et qui ne parlent pas un mot français, voilà, ça peut être quand même... là, je pense que c'est un modèle d'insécurité linguistique. Et puis ces professeurs-là pensaient ne pas avoir le droit non plus d'accéder à d'autres langues. Donc on peut dire qu'il y avait aussi une insécurité pour les enseignants qui sont toujours dans ce sentiment de culpabilité et de peur de mal faire alors qu'on a des enseignants qui vraiment sont investis et qui œuvrent pour la réussite de leurs élèves. Donc voilà, je me suis dit il faut absolument qu'on puisse mener une réflexion sur le réseau, qu'on puisse ensuite écrire aussi un document cadre. Alors, je sais que le mot « cadre » tu n'aimes pas trop Emmanuelle, alors je t'ai volé le thème « la planification des langues ». Donc une des finalités de notre beau parcours, ça serait de pouvoir justement écrire ce document pour penser un espace où les élèves seraient bien, les élèves seraient heureux, leurs professeurs aussi, où ils seraient valorisés. Parce qu'un de mes wow, peut-être je le dirais tout à l'heure, c'est justement d'entendre les élèves dire « ben ouais en fait j'ai des superpouvoirs. Et toi, tu vois, Audrey, tu les as pas ». Oui, en effet, parce que moi, je suis l'exemple même d'une somme de monolinguismes. Voilà, donc j'envie ces merveilleux élèves et donc voilà. Faire une action, réfléchir ensemble pour justement penser des espaces où les élèves pourraient investiguer les langues, en langues et être valorisés par rapport à ce qu'ils portent déjà et puis valorisés par rapport à leurs progrès. Alors voilà, je suis partie de ces constats. 

Emmanuelle [00:17:48] C'est intéressant parce que, en fait, dans notre jargon, on parle d'approche monoglossique. Ça veut dire que ce n'était pas une approche monolingue, c'était vraiment une approche multilingue puisqu'ils ont un enseignement en français, en espagnol ou au Maroc, en arabe et en français. Mais finalement, il n'y avait pas ce dont tu parlais tout a l'heure, de pont entre les langues. Donc c'est vraiment une approche où chaque langue est séparée. Et finalement ce que tu nous dis, c'est que ce n'était pas simplement les élèves qu'elle insécurisait, mais aussi les profs qui voyaient soit une absence de résultats, soit une frustration, soit etc. Donc finalement cette espèce de cercle vicieux dont on n'arrive pas à sortir et il est super important d'avoir un élément extérieur qui vienne changer ça pour pouvoir les aider. Et c'est vrai que j'ai entendu ça pas mal. Par exemple l'année dernière, un enseignant qui nous disait « moi, quand je fais du plurilinguisme, je ferme la porte de ma classe pour être sûr que les collègues ne m'entendent pas », parce qu'il avait peur d'être dans une situation où finalement, il ne respectait pas les règles. Il y a une espèce d'idéologie par rapport à ce qui est permis, ce qu'ils ont le droit de faire et puis aussi une absence de connaissance des droits tout simplement de l'enfant et pas simplement des théories socioculturelles, etc. qui nous ont appris que finalement l'enfant apprenait ou n'importe qui apprenait à partir de ce qu'il savait déjà et ces langues sont un élément extrêmement important. Je crois que c'est Jim Cummins qui dit que dans ces approches monoglossiques finalement, on force les enfants à laisser leur langue et leur culture à la porte de la classe et c'est vraiment ce qu'on a essayé de changer ensemble. Alors, est-ce que tu peux décrire un petit peu la formation, même si moi je sais comment ça s'est passé, mais ça m'intéresse de l'entendre de ta part, peut-être dans sa chronologie. Et puis qu'est-ce qui a été, à ton avis, les résultats et puis peut-être comment toi tu as changé aussi, qu'est-ce que ça a provoqué en toi, voilà parce que ça nous change. On les a appelées les labs, nos écoles. Est-ce que peut-être tu peux expliquer pourquoi? 

Audrey [00:19:53] Oui. Alors pour moi, il était important de travailler cette question du plurilinguisme. Et puis sur le comment avoir l'opportunité de pouvoir mettre en place une recherche collaborative avec une experte universitaire comme toi, c'était vraiment offrir une opportunité, je pense unique aux enseignants et à moi. J'avoue que personnellement, de manière égoïste, j'en suis ravie. 

Emmanuelle [00:20:18] Et à moi, parce que tu sais, Jim dit toujours, Jim Cummins dit toujours les enseignants sont des générateurs de connaissances, mais sans eux, nous, on ne peut rien, nous les chercheurs, on ne peut rien. Donc on doit travailler ensemble, on ne peut pas travailler en isolation. 

Audrey [00:20:31] Complètement. Donc l'idée, c'était de pouvoir engager les enseignants sur la thématique du plurilinguisme. Une fois qu'on s'était dit ça on ne s'était pas dit grand-chose donc il était important pour moi de pouvoir amener les collègues... Alors oui, on connaît l'importance de la dimension collective, donc en fait déjà s'engager dans cette recherche collaborative ce que j'ai souhaité au départ, et c'était une condition non négociable, c'est que des petits groupes d'enseignants du même établissement puissent s'investir du mois d'octobre jusqu'au mois de juin. Donc, ils sont mes quatre groupes d'enseignants et comme c'est une recherche, les enseignants sont des enseignants chercheurs, on a nommé ces groupes d'enseignants, des labs de recherche. Donc on avait quatre laboratoires : le lab de Reus, le lab de Murcie, le lab de Palma de Majorque et le lab de Séville. 

Emmanuelle [00:21:30] Oui et est-ce qu'on peut dire aussi que les directeurs nous ont rejoints? 

Audrey [00:21:33] Alors là aussi, c'était une deuxième condition non négociable. C'est que les directeurs d'école comme les chefs d'établissement sont aussi des pilotes pédagogiques. Donc, pour moi, il était essentiel que le pilote pédagogique de l'établissement soit à bord de cette expérience et puis qu'il prenne conscience aussi des enjeux et de l'investissement des collègues de façon aussi j'avoue d'un point de vue organisationnel, de pouvoir mettre en place peut-être du temps parce que tout ceci allait quand même demander beaucoup d'investissement de la part des collègues. Donc c'est pour ces deux raisons que les directeurs d'école étaient conviés à faire partie de ces laboratoires de recherche. Donc l'idée, c'était de se rencontrer une fois par mois. Je pense que la difficulté, ça a été la mise en questionnement, puisque le plurilinguisme c'est une thématique et donc il a été important pour nous, Emmanuelle et moi, de demander aux profs quelles sont vos questions, qu'est-ce que vous aimeriez, mais des vraies questions auxquelles vous n'avez pas de réponses. Et à partir de ces questions en fait, on les a amenés à problématiser, c'est-à-dire à choisir une problématique. Ça a été vraiment le gros du travail et au regard de cette problématique, ils ont défini leurs objectifs et puis ensuite des modalités de mise en œuvre. Une fois qu'ils avaient défini leurs objectifs, ils sont partis. Et ce qui a été assez extraordinaire, Emmanuelle, c'est qu'ils ont investigué. Alors c'est vrai que depuis que je fréquente Emmanuelle, j'utilise beaucoup le mot investiguer. J'adore et ça me parle beaucoup parce que quand on parle de développement professionnel, on doit proposer aux enseignants des champs d'investigation. Donc en fait, ils ont investigué et j'ai envie de dire sur quatre champs différents. C'est à dire qu'on a le lab de Murcie qui a investigué le champ de la pédagogie. Ils ont vraiment monté des projets pédagogiques innovants les uns les plus que les autres. Et c'est vrai que voilà, on a eu des choses assez extraordinaires, peut-être qu'on en parlera un peu plus tard. On a ensuite Séville, qui a investigué le champ de la didactique. Voilà, eux, ils se sont vraiment intéressés, notamment les collègues de CP, à la phonologie et ils ont créé un outil didactique, un truc assez extraordinaire qui va être intéressant pour leur établissement et pour le réseau. Puis ensuite, on a l'établissement, le laboratoire de Reus qui, eux, ont investigué plutôt on va dire, tu te rappelles ils ont fait un merveilleux arbre langagier où on avait des points de toutes les couleurs, chaque point de couleur représentait une langue et donc ils ont mis en avant les forces de leurs élèves. Et à partir de ces forces-là en fait, ils ont investigué le champ on va dire socio-émotionnel. Voilà, les élèves sont en capacité de dire aujourd'hui moi je peux en catalan dire ceci, faire cela. 

Emmanuelle [00:24:39] Oui alors on a de magnifiques documents. On a des fleurs des langues magnifiques faites par les enfants où ils disent je peux, tout ce que je peux faire dans ces différentes langues, ces différentes couleurs. On a des drapeaux. Enfin, on est dans un échange radiophonique, mais j'aurais tellement aimé pouvoir montrer un peu plus ce qu'ils ont partagé avec nous, des textes, etc. avec des langues qui s'entremêlent. C'est vraiment très joli. 

Audrey [00:25:07] C'est très joli et vraiment ça a donné beaucoup de joie et on le voit, Emmanuelle, lors des visio, les enseignants ont vraiment été fiers, souriants, c'est dynamique. C'était vraiment extraordinaire. Et puis on a le laboratoire de Palma qui a investigué, on va dire, le champ du bien-être. Ils ont mis en œuvre un questionnaire destiné aux professeurs, justement pour amener les enseignants à prendre conscience de leur prise en compte des langues dans leur enseignement. Donc là aussi, c'est très intéressant et en fait, on se rend compte qu'on a quatre dimensions différentes et à la fois très complémentaires pour penser justement une école inclusive. Donc voilà, c'était... je pense que ça donne vraiment des résultats très positifs, très enthousiasmants et qui vont rassurer les élèves, les parents, les professeurs. 

Emmanuelle [00:26:07] Oui. Alors t'as pas parlé de tous les courts métrages qu'ils ont développés, donc on parlait tout à l'heure de plurilittératie. C'est vraiment quelque chose qu'on a vu apparaître dans leurs travaux. Dire qu'à partir du moment où on donne un espace d'investissement à ces enseignants, alors ils deviennent incroyables de créativité. Et c'est vraiment ce qu'on a vu dans ce qu'ils ont pu partager avec nous. Alors, il y autre chose dont tu n'as pas parlé c'est, parce que tu sais dans le réseau Amie des langues que j'ai créé, l'une des choses sur laquelle on insiste, c'est l'idée d'école en tant que lieu de rencontre, de communauté qui change tout le temps parce que forcément les gens changent tout le temps. Alors donc, dans ces rencontres, on pense souvent, tu sais, les enseignants ils disent souvent ma classe. Mais en fait, non, ce n'est pas leur classe, c'est la classe des élèves qui viennent chaque année et puis par extension de leurs parents, et puis de la dame qui fait le ménage et puis voilà, il y a toute une communauté, en fait. On aime bien le mot communauté en anglais de personnes qui travaillent autour de ce lieu de rencontre et qui chacun d'entre eux apporte sa pierre. Et moi, étant maman de quatre enfants, je pense que nos auditeurs le savent maintenant, je réfléchis depuis toujours à cette idée de partenariat avec les parents parce que moi j'avais l'habitude de me dire que j'étais une très mauvaise mère à l'école parce que je participais très peu aux activités. Mais maintenant que je regarde en arrière, je me dis que c'est peut-être les enseignants qui ne m'ont pas non plus donné un espace d'investissement qui me permettait de m'épanouir moi aussi dans cette classe. Est-ce que tu veux bien nous parler un peu de ça, de ce partenariat avec les parents parce qu'on a eu des choses assez extraordinaires qui se sont mises en place. 

Audrey [00:28:06] Alors oui, justement, j'en parlais encore tout à l'heure avec une collègue. Comment dire, prendre en considération toutes les langues de nos élèves ça ne peut pas se faire sans les familles, ça on est d'accord. Et en fait, l'idée... Ce qui s'est passé dans les écoles, c'est que comme toutes les langues ont été accueillies, déjà l'élève... alors l'exemple ici à Murcie, par rapport à l'élève qui parle russe, on a un élève aussi qui parle le farsi à Séville. Quand on parle de projet, ce n'est pas le projet du prof. Et là où le gros du travail de l'enseignant, c'est de pouvoir permettre à chaque élève d'adhérer au projet et d'en faire sien. Donc là où je pense que on peut se dire que le projet a réussi, c'est quand justement l'élève devient le pont entre l'école et la famille. Et en fait, quand les élèves ont eu... alors un exemple de projet ici, on est dans une société où c'est vrai, je trouve qu'on ne se dit pas assez « merci », on ne se dit pas assez, « je t'aime » et il y a eu un énorme projet ici pour se dire je t'aime. Et donc il y a eu des panneaux d'affichage qui ont fleuri un peu partout dans l'établissement et il y a eu des « je t'aime » dans je ne sais pas combien de langues. Donc en fait, les élèves qui ont adhéré à ce projet, qui vraiment ont porté ce projet, ont questionné leurs parents, ont questionné même leurs grands-parents pour justement apporter des éléments par rapport à la langue de la maison en classe. Et il n’a pas été rare aussi que des parents rentrent dans l'école et puis prennent connaissance de ce tableau et à leur tour puissent venir compléter, amender, enrichir le projet d'une expression. L'autre exemple qui nous a marqué, je crois à toutes les deux, c'est cette maman à Séville en classe de CP. Donc les enseignants parlent français et espagnol, en fait on travaille sur la phonologie à partir d'un outil qui s'appelle Borel-Maisonny, donc on utilise en fait des gestes pour pouvoir accompagner un son. Et donc cet outil qui existe en français, les élèves avec leur professeur l'ont complété par rapport à des sons espagnols qui n'existent pas en français. Et donc la beauté du projet, c'est que l'élève a parlé de ces gestes à la maison et la maman est venue proposer son intervention en classe pour faire découvrir la langue persane aux élèves. Et donc elle a créé, elle aussi à son tour, alors il y avait des sons qui n'existaient pas dans sa langue, donc elle l'a dit. Il y avait des sons similaires, donc elle les a montrés, elle a permis aux élèves de les répéter aussi. Et puis elle les a amenés aussi doucettement à faire un pont avec la culture et notamment, tu te rappelles Emmanuelle, avec les Rois mages. Donc c'était... je crois que ce sont deux exemples merveilleux, mais il doit y en avoir plein dans les classes où lorsqu'on arrive justement à valoriser les langues de nos élèves, en fait l'élève devient porteur du projet. Et donc, quand on parle d'alliances éducatives, je pense que les langues sont un levier essentiel pour justement renforcer l'alliance éducative. 

Emmanuelle [00:31:31] Oui, elle avait fait un travail extraordinaire cette maman, parce que je crois pas que, peut-être que tous nos auditeurs ne savent pas que les Rois mages, c'est quelque chose de très important en Espagne parce que dans la tradition populaire, ce sont eux qui apportent les cadeaux, n'est-ce pas? C'est pas à Noël, c'est aux Rois mages. Et donc, elle a repris cette tradition espagnole que les enfants connaissent bien puisqu'ils y sont scolarisés en Espagne, qu'ils soient espagnols ou non d'ailleurs, et elle a pris l'idée de ce roi mage, je crois que c'est Gaspar qui est censé être Iranien. 

Audrey [00:32:06] Oui, c'est ça. 

Emmanuelle [00:32:08] Un roi iranien et donc elle a dit mais est-ce que vous saviez que celui-là vient d'Iran? Donc elle leur a montré sur la carte, elle a montré le trajet qu'il avait fait et donc elle a fait exactement ce que chacun d'entre nous devrait faire, c'est-à-dire apporter du nouveau sur ce qui est déjà familier et en plus sur quelque chose qu'ils adorent, c'est-à-dire toutes les fêtes autour de cette tradition des Rois mages extraordinaires. Et puis finalement, moi, quand j'ai entendu présenter, je me disais mais c'est incroyable parce que le coding, c'est dans le programme scolaire. Les enfants doivent apprendre à coder et à décoder. Et c'est ce qu'ils ont fait avec ces caractères arabes en passant d'une langue à l'autre, même si elle nous a dit, enfin elle a dit à la maîtresse qu'il y avait un peu de frustration par rapport au fait que les enfants ne comprenaient pas immédiatement le signe etc. La maîtresse en avait plein les yeux, plein les oreilles et elle nous a dit, le petit garçon aussi, sa maman aussi, les enfants de la classe aussi. Enfin, une expérience extraordinaire et qui m'a vraiment frappée. Alors tu parlais de l'investissement des élèves et en fait, c'est vrai que toutes ces formes de littératie, donc visuelles, orales, textuelles, littéraires, qu'on a vu jaillir de ce projet, pas mal ont été mises en place par des élèves qui n'étaient pas des élèves des classes des enseignants avec lesquels on travaillait, avec qui on travaillait, qui venaient d'autres classes et qui, par exemple.... Donc les enseignants leur ont demandé de faire un petit reportage, un film, un montage. Donc en créant des liens, même au-delà de leur classe. C'est incroyable, est-ce que tu veux nous en parler un peu. 

Audrey [00:33:51] Oui, alors c'est vrai que pour valoriser ce joli projet, cette jolie aventure de cette année, on s'est lancés dans un documentaire et on a eu l'idée de pouvoir faire ce documentaire avec des élèves. On trouvait intéressant de pouvoir valoriser tout ce qui avait été créé, tous les progrès des élèves et des enseignants par des élèves. Donc que chaque établissement en fait, on est allé taper auprès d'élèves de lycée et donc on a eu vraiment des documentaires très différents. Mais, ce qui a été extraordinaire, moi, j'ai eu la chance de travailler avec quatre élèves de Murcie de seconde et en fait, quand on donne les clés du camion aux élèves, eh bien ils ont une créativité assez extraordinaire. Et eux-mêmes, portant plusieurs langues, ont tout de suite compris l'enjeu de ce documentaire et ils ont eu des idées extraordinaires et auxquelles nous n'avions même pas pensé. Voilà donc c'est vrai que pour nous, varier aussi les formes, que ce soit écrites, visuelles, audio, c'est aussi permettre à nos élèves de développer leur créativité, de faire des ponts et en fait, on s'aperçoit qu'on devient ambitieux pour nos élèves parce que du coup on développe des habiletés de haut niveau. Et puis, le deuxième élément, c'est que aussi on devient explicite, on met en avant nos ambitions. Il faut que nous soyons ambitieux pour nos élèves. Nous le sommes et il faut le montrer. Donc en fait, on montre ce que l'on fait, on est beaucoup plus visible, on montre les apprentissages des élèves. Du coup, on communique nos méthodes d'enseignement et c'est là notre plus-value. Vraiment, je crois qu'un des résultats accomplis de cette recherche collaborative, c'est qu'on est tous d'accord pour dire aujourd'hui que le plurilinguisme est une compétence. Et donc à ce titre, elle relève d'un enseignement apprentissage explicite où les élèves doivent valoriser leurs progrès. Voilà. Et l'autre élément très fort, c'est qu'on a des élèves, au début, quand je rentrais dans les classes, je dis mais tu sais que t'as de superpouvoirs et là, on me regardait comme ça, avec des yeux tout ronds. Et aujourd'hui, les élèves me disent « oui, oui, moi je sais que j'ai des superpouvoirs pouvoirs parce que je parle quatre langues ». Donc je crois que nos objectifs sont atteints. 

Emmanuelle [00:36:34] Oui, alors c'est rigolo parce qu'au début de ce podcast, tu nous as décrit ce que c'était que le métier de conseillère pédagogique. Mais en fait, maintenant, à la fin du podcast, on se rend compte que c'est beaucoup plus que cela. Mais j'aime beaucoup cette idée de leadership distribué à toute la communauté. Donc on voit qu'on a commencé en se focalisant sur les enseignants. Et puis on a ajouté les directeurs, les directrices. Et puis maintenant on ajoute les élèves, on a ajouté les parents puis maintenant on ajoute les élèves. Donc on a presque un tour complet. Je pense qu'il nous manque, ce qu'on appelle ici le « staff », qu'on pourrait aussi ajouter. Je me disais si c'était à refaire aujourd'hui, Audrey, qu'est-ce que tu ferais différemment? Qu'est-ce que... Voilà qu'est-ce que tu changerais dans notre approche, dans ce qu'on a fait ensemble? 

Audrey [00:37:31] Alors voilà la question piège. Qu'est-ce que je changerais? Peut-être que moi, au départ, j'ai pas été assez ambitieuse justement, parce que je crois que nos enseignants sont allés beaucoup plus loin que ce qu'on avait pensé. Donc en fait, leur faire confiance, ça je leur ai toujours fait confiance, mais peut-être être plus ambitieuse. Après, un projet tel que celui-là dans une recherche, en fait on a des objectifs mais j'ai envie de dire le périmètre est ouvert et justement, quand on investit ce champ, c'est super parce que les enseignants ont poussé justement les limites et quelque part, je pense qu'ils se sont appropriés complètement leur projet. Donc qu'est-ce que je ferais différemment? Eh bien, pas grand-chose mais j'ai envie de dire peut-être que, au départ, j'aurais peut-être été plus ambitieuse. Je sais pas parce que je tape un peu en touche. Et toi Emmanuelle, que ferais-tu différemment? 

Emmanuelle [00:38:50] Je pense que je recommencerais à travailler avec toi parce que ça m'a fait un immense plaisir. Les auditeurs ne le savent pas mais il y a eu quelques petites larmes parce qu'il y a eu des moments très émouvants. Je ne vais pas forcément les partager parce que j'ai pas demandé la permission avant. Mais c'est vrai qu'on a eu des moments... quand on parle des langues, finalement les gens ne se rendent pas compte qu'on touche à des parties très intimes de la personne à partir du moment où on accepte de s'ouvrir à ça. Mais aussi, on a eu beaucoup de fous rires, tous ensemble, et c'était vraiment un bon moment. J'ai envie de te demander est-ce que tu peux nous partager un ou deux souvenirs mémorables, quelque chose que tu retiendras. 

Audrey [00:39:36] Alors, quand je réfléchis à cette question, les premiers souvenirs qui me viennent mémorables, c'est des souvenirs avec des enseignantes qui m'ont fait confiance et que j'ai vues très émues, voire même, comme tu le dis, la langue ça touche l'identité, ça touche sa culture. Et donc on a eu des témoignages très forts où des enseignantes nous ont... rien que d'en parler, vous ne le voyez pas, mais j'ai la chair de poule... où les enseignantes... Voilà, il y en a une qui nous a confié qu'en fait, on lui a changé quand même son prénom, parce que justement ça ne faisait pas assez.... voilà. Donc c'est beaucoup d'émotion quand on fait vivre aux enseignants la biographie langagière, dans un premier temps certains ou certaines procrastinent, ne veulent pas y aller parce que justement, il y a des moments forts, difficiles, qui sont liés justement à la langue et à sa culture. Et donc c'est un outil maintenant qui est vraiment dans ma mallette de pédagogue et chaque fois que je fais vivre cette biographie langagière, il n'est pas rare de voir quelques larmes. Alors mon but c'est évidemment pas de faire pleurer les enseignants. Mais on voit bien que l'émotion est là, voilà. Donc un premier souvenir mémorable, voilà c'est par rapport à des témoignages de collègues de laboratoire avec qui on a travaillé cette année, qui ont lié vraiment avec elle. Et je trouve que c'est assez extraordinaire parce qu’être enseignant, on n'est pas détaché de qui on est, la personne. Donc faire ce travail sur le plurilinguisme, c'est aussi être en accord avec soi. Et donc je pense qu'on devrait tous passer par cette réflexion. Et puis ensuite, voilà le bonheur que j'ai de rencontrer des élèves qui vraiment sont heureux. Quand je rencontre des élèves qui ne parlaient pas les langues de l'école et qui aujourd'hui me disent « oh, je parle quatre langues », je crois ça c'est vraiment un wow. 

Emmanuelle [00:42:03] Ouais ouais ouais, c'est magnifique. Est-ce qu'il y a des personnes que tu voudrais particulièrement remercier, ou peut-être des gens qui ont particulièrement influencé ton parcours? Ou voilà, comme tu veux. 

Audrey [00:42:17] Mais je te remercie de me donner cette belle opportunité parce que si je suis ici aujourd'hui, c'est essentiellement grâce à trois personnes parce que ça va faire bientôt dix ans que je suis à la Mission laïque française. Monsieur Deberre, donc notre ancien directeur général et puis mon directeur de la pédagogie Michel Bur et Julie Higounet qui vraiment m'ont permis de trouver mon identité professionnelle, de m'affirmer. Ils m'ont vraiment, j'aime bien l'expression, j'ai des expressions un peu phares « mettre les mains dans le cambouis », « donner les clés du camion », bon je sais, c'est pas très pédago tout ça, mais en tout cas, ce sont des personnes à qui j'ai un grand merci parce qu'ils m'ont laissé un champ d'investigation et aujourd'hui je sais la professionnelle que je veux être, la professionnelle que je suis et cette appétence pour mon travail, pour ma profession, ils l'ont nourrie et vraiment ils m'ont ouvert des portes assez extraordinaires. Donc je dis un grand merci, en particulier à Michel, à Julie également à Monsieur de Berre. 

Emmanuelle [00:43:32] Ah, c'est merveilleux. Alors Audrey, tu nous as parlé de plurilinguisme, d'investigation, de pédagogie, de champs d'investigation, j'ai bien aimé ça, d'identité. Tu nous as parlé de ta passion pour l'enseignement qui t'anime et on le sent dans ta voix, on le voit dans ton visage. Merci infiniment et on se revoit bientôt. Tu sais comment on dit ici? On dit au plaisir pour dire au revoir. 

Audrey [00:44:03] Eh bien au plaisir et un grand merci Emmanuelle. C'est une année vraiment, passée à tes côtés, merveilleuse. J'ai appris énormément. Et puis la bonne nouvelle, c'est que ce n'est pas terminé. 

Emmanuelle [00:44:16] C'est ça. Mais ça, ce sera au prochain numéro. Au revoir tout le monde!

Audrey [00:44:21] Au revoir. 

Joey [00:44:23] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca