Quoi de neuf ?

Gouvernance, antiracisme et inclusion

January 11, 2024 Les cafés du CREFO Season 5 Episode 1
Quoi de neuf ?
Gouvernance, antiracisme et inclusion
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Amal Madibbo, membre du CREFO, rencontre, Roda Muse, sous-ministre au ministère des Affaires francophones de l’Ontario. 

Roda Muse est sous-ministre au ministère des Affaires francophones de l’Ontario. 

Elle a été secrétaire générale de la Commission canadienne pour l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). La Commission canadienne pour l’UNESCO sert de pont entre les Canadiens et le travail vital de l’UNESCO, y compris le déploiement et la coordination des programmes et des réseaux de l’UNESCO au Canada. 

Avant de se joindre à la Commission canadienne pour l'UNESCO, Roda a été fonctionnaire au gouvernement fédéral où elle a occupé divers postes de responsabilité à Innovation, Science et Industrie, Condition féminine Canada et Patrimoine canadien. 

Parmi ses nombreuses réalisations, on peut citer le partenariat qu’elle a établi au début des années 2000 avec la ville d’Ottawa, la fonction publique fédérale et le Centre d’intégration, de formation et de développement économique pour soutenir l’intégration des professionnels issus des minorités visibles dans la fonction publique fédérale.

En 2003, Mme Roda a cofondé la Fondation Acacia, un organisme de bienfaisance qui vise à favoriser l’excellence chez les jeunes francophones des minorités visibles par le biais de l’éducation et du mentorat. Elle a également été la première BIPOC élue comme conseillère scolaire dans le système francophone d’Ottawa, et a joué d’autres rôles au sein de conseils d’administration de diverses organisations. Roda a été membre du conseil d’administration de l’hôpital Montfort et du consortium ACEPO du Centre Jules-Léger.

Roda est titulaire d’une maîtrise en administration publique avec une concentration en gestion internationale de l’École nationale d’administration publique (ENAP). Elle a également obtenu une maîtrise en éducation avec une concentration en enseignement du français langue étrangère à l’Université Paul Valéry Montpellier en France. Elle est également titulaire d’une licence de lettres avec une concentration en langues modernes de l’Université de Picardie - Amiens en France.

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Amal Madibbo, membre du CREFO, rencontre Roda Muse, sous-ministre des Affaires francophones au gouvernement de l'Ontario. 

Roda [00:00:08] Comment ces curriculums-là comprenaient des éléments de la culture afro-descendante, des peuples noirs. Et ça aussi, c'est très, très, très important parce que c'est à l'éducation qu'on retrouve justement cette notion d'appartenance, de fierté et de reconnaissance. 

Joey [00:00:28] Bienvenue à Quoi de neuf? 

Amal [00:00:43] Bonjour tout le monde! Ici Amal Madibbo et il me fait un grand plaisir de vous accueillir dans le cadre de ce podcast du CREFO, le Centre de recherches en éducation francophone à OISE de l'Université de Toronto. Aujourd'hui, nous avons le plaisir et nous sommes honorés de recevoir madame Roda Muse, qui est sous-ministre au ministère des Affaires francophones de l'Ontario au Canada. Entre autres, madame la sous-ministre a également été la secrétaire générale de la Commission canadienne pour l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, donc l'UNESCO. Et même avant de se joindre à la commission de l'UNESCO, madame Roda Muse a été haute fonctionnaire pendant plus de 20 ans. Entre autres, elle a été fonctionnaire au ministère Innovation, Sciences et Développement économique Canada, où elle a supervisé l'élaboration de conseils et de recommandations en matière de politique nationale et stratégique sur les langues officielles, l'innovation et le développement économique. Madame Muse a également été directrice régionale pour l'Ontario à la Condition féminine Canada ainsi que vice-présidente du Conseil scolaire à Ottawa. Donc, est-ce que ça s'appelle de l'Est, Ottawa Est? 

Roda [00:02:22] Conseil des écoles publiques de l'Est de l'Ontario. 

Amal [00:02:25] Ah d'accord. Et j'en passe. Madame la sous-ministre, merci beaucoup d'avoir le temps de nous joindre au podcast du CREFO. Moi, je viens de souligner quelques-unes de vos expertises professionnelles et donc j'aimerais vous inviter à y ajouter, si vous voulez bien, donc des aspects de votre profil professionnel, éducationnel et aussi personnel. 

Roda [00:02:53] Bonjour tout le monde. Merci Amal de me recevoir à ce podcast. En fait, je retourne à mes amours premières, c'est-à-dire la francophonie. Quand j'ai commencé ma carrière dans la fonction publique fédérale du Canada, j'avais commencé au programme d'appui des langues officielles au ministère du Patrimoine canadien. Et c'est là que nous nous sommes rencontrées il y a pratiquement un quart de siècle, je pense. 

Amal [00:03:21] Oui. 

Roda [00:03:21] J'ai beaucoup milité dans la francophonie, surtout au niveau du bénévolat. J'ai milité au sein de la Table féministe francophone de concertation provinciale de l'Ontario. C'était très important pour nous, à l'époque, de faire valoir l'équité et puis aussi la parité. Nous étions une des organisations provinciales qui se battait pour qu'on reconnaisse aussi les communautés. À l'époque, on disait les communautés raciales et ethnoculturelles, donc les communautés racialisées comme on le dit de nos jours. J'ai touché à peu près à tout dans le milieu communautaire. J'ai travaillé sur l'alphabétisation, j'ai enseigné au collège, j'ai fait partie de plusieurs conseils d'administration, dont celui de la cité collégiale, celui de Montfort. Donc, je suis chez moi ici, au ministère des Affaires francophones comme sous-ministre. Et puis, je suis aussi la sherpa du gouvernement de l'Ontario auprès de l'OIF, l'Organisation internationale de la Francophonie, l'Ontario étant un membre observateur de l'OIF. 

Amal [00:04:32] Formidable. Et au niveau des vos études? 

Roda [00:04:36] Oui. J'avais fait une licence en lettres modernes à l'Université Paul Valéry, puis par la suite, j'ai fait une maîtrise dans l'enseignement du français langue étrangère. J'ai repris ici des études en faisant une maîtrise en administration publique, option management international à l'ENAP, l'École nationale d'administration publique. 

Amal [00:05:00] D'accord. Merci beaucoup, madame la sous-ministre. Une question liée à la commission de l'UNESCO, en quoi consistait ton rôle comme directrice de manière générale et de manière précise. Comme vous étiez la directrice générale pendant la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine en fait, est-ce que vous avez pu vous pencher sur des aspects de la décennie de manière spécifique? 

Roda [00:05:31] Oui, j'étais secrétaire générale à la Commission canadienne pour l'UNESCO. Ce qui est intéressant à l'UNESCO, c'est que c'est la seule, parmi les agences spécialisées des Nations Unies, à avoir cette spécificité qui est qu'elle dispose de commissions qui sont dans les États membres. Donc je pense, quelque 193 commissions nationales. Ces commissions ont pour mandat de mettre en œuvre les priorités, initiatives, programmes de l'UNESCO et aussi ces commissions portent la voix de leurs peuples au niveau international. On travaillait sur cinq secteurs dont les sciences naturelles, les sciences humaines et sociales, l'éducation, la culture, la communication et l'information. Quand on regarde la Décennie des peuples d'ascendance africaine, pour nous, c'était un enjeu transversal, c'est-à-dire on le retrouvait à travers nos cinq secteurs. Nous ne voulions pas aborder les questions de racisme, les questions liées à la décennie, les questions liées aux femmes, les questions liées aux peuples autochtones comme des éléments dans un secteur particulier. Pour nous, c'était des enjeux transversaux auxquels il fallait répondre. Et pour ce qui est de la décennie, vous savez que les Nations Unies ont mis de l'avant un programme d'activités qui comporte trois piliers, c'est-à-dire la reconnaissance, la justice et le développement. Au niveau de cette décennie-là, nous étions plus concentrés dans la reconnaissance parce que pour nous, ce qui était important, c'est que, avant d'aller vers les autres enjeux, il fallait reconnaître l'existence, les contributions et les apports de ces communautés. Un exemple dont j'aimerais vous parler, c'est celui par exemple... l'UNESCO dispose d'un programme « Mémoire du monde » qui met en valeur les documents qui sont les plus significatifs du patrimoine humain. Et puis c'est vraiment en sauvegardant la mémoire du monde, c'est vraiment donner accès à des histoires artistiques et culturelles, économiques, géographiques, identitaires, linguistiques. Donc un peu brasser tout ça. Et le Canada a mis en place un registre de la Mémoire du monde du Canada. Et ce qui est intéressant, c'est que la Commission canadienne pour l'UNESCO vraiment encourage les candidats à soumettre des collections documentaires. Et à ce titre-là, on en a eu pas mal. On a pu, par exemple, placer toutes les archives concernant Viola Desmond, que vous connaissez bien, là-dedans. On en a eu d'autres aussi qui sont reliées aux peuples d'ascendance africaine. Donc c'était très important pour nous de donner cet aspect-là. Je sais aussi... je ne suis pas retournée parler à mes collègues, mais je sais que l'autre élément sur lequel travaillaient mes collègues quand j'ai quitté, c'était vraiment de faire reconnaître Africville comme un site du patrimoine mondial. Donc, ça, c'est important, cette reconnaissance-là. L'autre élément sur lequel nous nous sommes penchés, et qui est un des piliers aussi, le pilier Éducation de la Commission canadienne pour l'UNESCO, c'était de voir si, par exemple, comment et de quelles façons, et si les curriculums à travers les provinces, les curriculums en éducation, comment ces curriculums-là comprenaient des éléments de la culture afro-descendante, des peuples noirs. Et ça aussi c'est très, très important parce que c'est à l'éducation qu'on retrouve justement cette notion d'appartenance, de fierté et de reconnaissance. Si nos curriculums n'incluent pas des éléments des cultures noires alors qu'au Canada le multiculturalisme est quand même très, très important, on a une société très diversifiée, ça pose problème. Donc on a été examiner et donné des recommandations au ministère de l'Éducation et vous le savez très bien, le ministère de l'Éducation est une juridiction provinciale, c'est-à-dire que chaque province a son propre ministre de l'Éducation, son curriculum, ses façons de faire. Donc c'est assez complexe. 

Amal [00:10:18] Donc un travail vraiment crucial aux échelles nationale et internationale, et ainsi que dans son moment historique, comme vous l'expliquez très bien, comme au niveau des mémoires, l'héritage culturel, historique et contemporain qui nous permettra en fait de nous préparer pour l'avenir, un avenir inclusif et propice. Et pour ce qui est de votre leadership en tant que sous-ministre, qu'est-ce que vous faites? 

Roda [00:10:52] Ah là, c'est autre chose! Donc, je travaille pour le gouvernement de l'Ontario et puis le ministère des Affaires francophones, vraiment, est le ministère qui administre la Loi sur les services en français. Et puis mon ministère est le premier conseiller du gouvernement en matière d'affaires francophones et de services en français. Donc, pour nous, ce qui est important, c'est que le Franco-Ontarien reçoive des services gouvernementaux en français afin qu'il puisse participer à la vie sociale, économique et politique de la province. Et une des idées derrière, c'est que cette communauté franco-ontarienne doit garder son patrimoine linguistique et culturel, avoir le moyen de le garder. Donc que fait le ministère de façon pratico-pratique? C'est que le ministère dirige la mise en œuvre de cette loi-là qui comprend l'offre active. Qu'est-ce que c'est que l'offre active? Par exemple, vous vous présentez à un comptoir pour un service, vous voulez renouveler par exemple, donc je prends un exemple comme ça, votre permis de conduire. Ce comptoir-là, s'il est dans une région désignée, doit avoir un signe, par exemple visuel, qui vous dit que vous avez accès à des services en français. Quand l'agent vous aborde, il doit vous donner le choix en vous accueillant par un « hello, bonjour » par exemple. Donc ce qui est important, c'est qu'il faut aller de l'avant pour faire savoir que ces services-là existent. Donc ça, c'est un élément. Nous fournissons aussi des conseils d'experts aux ministères du gouvernement provincial et aussi aux organismes qui sont réglementés pour que ces institutions puissent offrir, non seulement des services qui sont accessibles aux Franco-Ontariens, mais aussi qui sont de qualité. Et de ce fait-là, on s'assure que les programmes et les politiques que ces institutions mettent de l'avant répondent vraiment aux besoins des francophones d'après la loi. Aussi, nous formulons des recommandations pour désigner de nouvelles régions et de nouveaux organismes. C'est-à-dire nous les désignons comme organismes qui doivent être en conformité avec la loi. Et ça demande un certain pourcentage de la population. Et nous coordonnons aussi la mise en œuvre des services en français dans ces nouvelles régions qui sont nouvellement désignées. Nous faisons la promotion des affaires francophones au sein du gouvernement. Nous travaillons beaucoup. Notre travail est vraiment transversal. On travaille beaucoup avec le ministère dans le cadre d'initiatives qui sont liées à des politiques ou à des programmes, et tout ceci dans le but de renforcer la communauté francophone. Et on met y compris le développement économique francophone. On collabore aussi avec d'autres administrations pour promouvoir, par exemple Patrimoine canadien au fédéral ou l'immigration, pour promouvoir la communauté franco-ontarienne et pour aussi rehausser l'image de la province, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. Donc nous avons des collaborations, par exemple avec le Nouveau-Brunswick, avec d'autres partenaires comme le Québec et aussi avec l'OIF. Donc c'est beaucoup de travail, on touche pratiquement à tout. Donc on travaille avec le ministère de la Santé, de la Justice, du Développement économique et j'en passe. Donc, on est très présents au sein du gouvernement de l'Ontario. 

Amal [00:14:39] Oui. Est-ce que vous vous penchez sur l'éducation francophone en Ontario d'une façon ou d'une autre? 

Roda [00:14:45] Absolument. On a des rencontres régulières. On est à la table, par exemple... Quand on parle d'éducation en Ontario, nous avons de la maternelle à la 12ᵉ année, c'est le ministère de l'Éducation. Et puis les postsecondaires, que ça soit les collèges et les universités, c'est le ministère des Collèges et des Universités. Donc, ce sont les deux ministères avec lesquels on travaille le plus. On a des rencontres régulières, on fait presque tout ensemble je peux dire, tout ce qui a trait à la francophonie, à l'éducation francophone. 

Amal [00:15:19] Oui, donc vous gérez comme ça ou vous vous occupez également donc de l'éducation francophone en Ontario... 

Roda [00:15:28] En collaborant, oui. 

Amal [00:15:29] Collaborant, d'accord. Et donc comme ça, vous connaissez le domaine de l'éducation francophone très bien de par votre travail actuel comme sous-ministre et votre travail et expertise comme vice-présidente de conseil scolaire. En plus, vous étiez récemment conférencière invitée au ministère de l'Éducation où vous avez misé sur le racisme et l'antiracisme. Donc, quel est votre commentaire le plus saillant sur l'éducation francophone scolaire ou aux études supérieures en Ontario? 

Roda [00:16:11] Je suis vraiment fière de savoir que nos élèves, au niveau du primaire et du secondaire, ont le meilleur score dans la province quand il s'agit de l'éducation francophone. C'est pour vous dire qu'il y a des investissements. Toutefois, les communautés continuent à réclamer plus d'écoles parce que ce n'est pas toujours facile. Il y a des grandes distances, il y a des régions qui aimeraient avoir leurs enfants dans des écoles francophones mais qui ne peuvent pas justement à cause de ces distances-là. Mais il y a eu des bons investissements et c'est payant. On s'en rend compte avec les résultats qui existent. Mais toujours est-il qu'il y a, au niveau des écoles, il y a toujours un plus gros besoin pour les écoles. Récemment, on parlait dans un article de 110 000 élèves en Ontario et des ayants droit qui n'ont pas accès à.…qui auraient pu être dans des écoles francophones mais qui ne sont pas dans des écoles francophones. Et tout ça, à cause de la distance je pense. Mais je suis très fière des investissements du ministère de l'Éducation et surtout du travail des conseils scolaires francophones. C'est vraiment une réussite. 

Amal [00:17:27] De ce fait, madame la sous-ministre, vous faites des contributions très significatives à plusieurs niveaux, y compris la francophonie. Donc, qu'est-ce que la francophonie, selon vous? Et là, je fais référence à la francophonie internationale et aussi à la francophonie canadienne de manière générale et ontarienne de façon particulière. 

Roda [00:17:55] C'est une famille. C'est une famille... Il y a tellement de potentiel, de possibilités et c'est très... je trouve qu'il y a de la place. On sait que la majorité des populations francophones se trouvent en Afrique. Et c'est maintenant qu'on voit cet intérêt pour l'Afrique ici, par exemple, en Ontario, tout simplement parce que de plus en plus d'immigrants arrivent de l'Afrique. Nos institutions se maintiennent, entre autres, grâce à l'apport et aux contributions des immigrants qui viennent de l'Afrique et d'ailleurs. Et cette francophonie, elle n'est pas uniforme, elle est multiforme. Elle est multiculturelle. Et je pense que cette francophonie, il y a des investissements à faire là-dedans. Il y a de la promotion aussi à faire. Et c'est une francophonie aussi qui prend sa place dans divers domaines et on le voit. C'est sûr que le Québec nous dépasse parce que la population est majoritairement francophone. Mais je vois de plus en plus les efforts qui se font en Ontario, la visibilité. Je vais vous donner un exemple de la francophonie qui réussit. Par exemple, quand vous regardez le Centre francophone de Toronto qui a réussi à se positionner pour être le premier point d'accueil pour toute personne qui arrive au Canada à l'aéroport Pearson. C'est quand même fantastique parce que d'habitude, ce sont des institutions anglophones qui font ce travail-là. Alors que là, maintenant, on a une institution francophone qui a su percer. Donc, c'est cette persévérance, cette force, cette volonté de pousser au-delà du possible que je vois dans la francophonie. 

Amal [00:19:50] D'accord. Donc vos perspectives attirent notre attention sur plusieurs aspects sociaux très importants. Je mets l'accent sur deux. Justement, ce que vous venez de mentionner, donc sur la place et l'espace qu'occupe l'Afrique au sein de la francophonie internationale. Comment est-ce que vous envisagez les rapports, que ce soit au niveau du développement ou d'autres échelles, entre l'Afrique francophone et le Canada? 

Roda [00:20:23] Moi, je trouve que le Canada gagnerait à être très connecté avec l'Afrique, parce que l'Afrique a une population très jeune, très dynamique. Je vais vous donner un exemple. En 2016, quand je suis allée à Nairobi et à Kigali, j'ai vu que tout le monde payait avec son téléphone. Et c'est la même chose, vous savez toutes ces questions de remittances... je n'ai jamais su le mot en français. Je ne sais pas il a l'air très... Donc, quand on envoie par exemple de l'argent et je le fais, même en Somalie, par exemple, qui est un pays quand même qui a été ravagé par la guerre, tout le monde paie par le téléphone. Donc c'est l'ingéniosité. C'est-à-dire, ces pays-là ont fait ce qu'on appelle du leapfrogging. Ils ont fait un bond, ils ont contourné carrément toutes les étapes souvent requises pour arriver à un point en technologie. Et c'est là... c'est ce potentiel qui est là, cette capacité à s'adapter, à affronter l'adversité, qui est très, très importante. Et on sait qu'il y a énormément de ressources. Mais moi, les ressources que je vois, c'est le potentiel, le capital humain qui est formidable, qui est là-bas, toutes les idées qui se brassent. Et au Canada, on ne s'en rend pas compte parce que nous avons toujours regardé vers le Sud, c'est à dire vers nos voisins, les États-Unis. Mais c'est un potentiel à ne pas rater et d'autres l'ont compris et sont en train d'exploiter ce potentiel-là. Moi, ce que j'encouragerais, c'est que les Africains soient très conscients de la force qu'ils représentent. C'est une force extraordinaire. Et c'est une... et il faut savoir négocier quand on veut faire affaire. 

Amal [00:22:34] Tout à fait. Et c'est pareil au Soudan aussi parce que les gens là-bas au Soudan, les gens payent tout, tout, tout à partir de leur portable. Ils reçoivent aussi de l'argent de partout, également à partir de leur portable. Dans le cas du Soudan, en effet, comme vous le dites très bien, comme dans d'autres pays africains, mais dans le cas du Soudan, ce genre d'initiatives est en fait créé par des jeunes. Donc, comme vous le dites, l'Afrique représente une force, un potentiel et une opportunité à ne pas manquer. 

Roda [00:23:14] Ça foisonne d'idées, ça foisonne. 

Amal [00:23:16] Oui, exactement. Ou de créativité, de création, oui. Le deuxième aspect est lié au mouvement Black Lives Matter qui est, en effet, justement associé à votre travail, votre expertise de plusieurs et maintes façons. Qu'est-ce que ce mouvement a représenté pour vous et qu'est-ce que ça continue également de représenter pour vous? 

Roda [00:23:46] C'est un mouvement qui est très, très important pour les communautés noires. C'est un mouvement qui a permis la mobilisation. Ces genres de pression sont très importantes. C'est un mouvement qui a fait de la pression, qui a fait de la mobilisation et c'est toujours très, très important d'avoir ces genres d'organisations qui essaient de mettre en lumière des injustices. Donc dans le passé, je pense que ça a influencé toutes les prises de position des différents gouvernements au niveau du Canada qui ont réalisé ces enjeux-là. Et à l'époque, c'était très important de reconnaître d'abord, de former les employés par exemple dans les institutions gouvernementales sur ces enjeux-là. Il y a eu beaucoup de revendications. Il y a eu la reconnaissance des injustices. Le travail n'est pas terminé, le travail se poursuit. Je ne suis pas au fait récemment de ce que fait en ce moment le Black Lives Matter, mais il a donné des petits. C'est-à-dire qu'il y a eu tout un mouvement après le décès de George Floyd et la mobilisation qui a été faite par Black Lives Matter. Toute une mobilisation se poursuit et à divers niveaux. Et on le voit, ça donne des petits. Récemment, on voyait le gouvernement du Canada qui faisait sa revue et qui voyait comme ajout à la Loi sur l'équité en matière d'emploi, le groupe que constituent les Noirs, entre autres. Donc, c'est important, je trouve, d'avoir des groupes de pression quand même, parce que ce sont des groupes souvent qui vont se mobiliser sur des enjeux. 

Amal [00:25:51] Comment est-ce que vous vous identifiez? 

Roda [00:25:54] Moi, j'ai une identité multiple. Je suis noire, africaine, franco-ontarienne, francophone, musulmane, femme, mère de trois garçons, de trois hommes adultes. De trois hommes. Pas trois hommes adultes, mais de trois hommes. Donc j'ai une identité multiple. Je suis une musulmane aussi, comme je vous l'ai dit. Et puis c'est... on est dans une période assez particulière, où les identités s'entrechoquent, se rejoignent et ainsi de suite. Donc je trouve que c'est important. Je suis très en paix avec mes différentes identités et je trouve que c'est une richesse parce que ça me donne une connexion sur beaucoup de monde. Je suis très... comment dirais-je, j'ai un support social qui est tellement diversifié, c'est incroyable! Et j'ai cette richesse-là que j'aime. Et chaque identité vient avec des références culturelles, avec des savoirs, avec... comment dirais-je, des forces. Et ça, j'aime... j'aime exploiter tout ça. 

Amal [00:27:14] C'est très bon ce que vous venez de dire, que vous êtes en paix avec qui vous êtes, avec vos identités. C'est vraiment beau. Et donc, vos voyages en Afrique, est-ce qu'ils sont liés à votre identité ou à la pratique de votre identité? 

Roda [00:27:34] Vous savez l'Afrique, pendant longtemps, à cause du legs colonial, était très cloisonnée, c'est-à-dire les pays ne s'ouvraient pas les uns sur les autres. Donc moi, je me vois comme... l'Afrique, pour moi c'est... je ne vais pas m'identifier juste à un pays. Je suis d'origine djiboutienne et d'ethnicité somalienne, mais par exemple quand j'y suis allée, quand j'y suis retournée, je suis retournée à Djibouti. Plus tard, j'ai été au Kenya, j'ai été au Rwanda. Là je pars demain et je pars au Kenya. Donc pour moi l'Afrique, ça nous appartient à tous en tant que gens d'origine africaine. Je ne veux pas de cloisonnement. Il faut s'ouvrir et je sais que le Kenya maintenant a aboli les visas pour les ressortissants africains. Et ça, c'est très beau. Je pense que l'Afrique aussi, pendant longtemps on a parlé de fuite des cerveaux, brain drain. Mais je pense que le brain gain est important aussi. Et au niveau du Rwanda, on a vu ça, le brain gain fait avancer le pays, parce qu'il y a des dispositions qui sont prises pour l'accueil de la diaspora, pour reconnaître la diaspora, pour les accueillir, pour bénéficier du transfert de savoirs avec lesquels ils viennent. Donc je pense que c'est important ces va-et-vient. 

Amal [00:29:19] Oui, formidable. Donc bien sûr, vous êtes Canadienne et puis une Canadienne dont le travail très important et l'expertise fait le Canada ce qui il est, donc le Canada. Mais est-ce que ça veut dire que ce que vous venez de mentionner, que vous avez émigré au Canada? 

Roda [00:29:43] Oui, je suis venue ici il y a une trentaine d'années et parmi mes trois fils, un avait quatre ans et les deux autres sont nés au Canada. Donc ce sont des bébés Montfort comme on aime les appeler. Monfort c'est le seul hôpital francophone, c'est un hôpital dont le mandat est provincial en fait. Et c'est très intéressant parce que j'ai été aussi sur le conseil d'administration de Montfort. Donc, c'est très intéressant. 

Amal [00:30:23] Et je sais que vous étiez en France. Est-ce que vous avez... donc, c'était une longue visite ou juste une visite, ou vous y avez vécu en fait? 

Roda [00:30:32] J'ai fait mes études seulement, j'ai fait mes études seulement en France. Donc c'est les liens entre Djibouti et la France. Djibouti a été une colonie française jusqu'en 1977. Donc les liens perdurent jusqu'à maintenant. Et donc c'était dans ce contexte-là que j'ai fait mes études en France. 

Amal [00:30:54] Donc, de fait en fait, vous confirmez la réussite à la fois de projets migratoires et de projets canadiens. Et maintenant donc, vous êtes canadienne à part entière, vous faites partie intégrante de la société d'accueil qui est la société canadienne et dans ce cas, vous-même, vous accueillez et aussi vous inspirez de nouvelles générations. De ce fait donc, j'aimerais vous demander quels sont vos souhaits pour l'avenir de manière générale et pour la francophonie de manière spécifique? 

Roda [00:31:36] Je pense qu'il faut aborder la francophonie, je parle de notre francophonie ontarienne, avec beaucoup de fierté. Il ne faut pas se gêner, il ne faut pas avoir peur. Je sais que quand j'ai travaillé, par exemple au gouvernement fédéral, on a la possibilité de travailler dans les deux langues officielles. Et bien des gens que je connais, qui sont franco-ontariens, avaient littéralement peur de parler leur langue. Il n'y a rien qui vous interdit de vivre et de parler votre langue. Et la beauté de la chose, c'est qu'il y avait quand même une proximité, par exemple. À l'époque, ce que je disais, c'est qu'en général, nous, les fonctionnaires de l'époque, au fédéral, on utilisait aussi des institutions franco-ontariennes, nos enfants allaient dans les écoles et dans les conseils scolaires francophones. Nous nous soignons à l'hôpital Montfort. Nous bénéficions de, comment dirais-je, de toutes ces institutions qui offraient mille et un service. Donc, c'est cette fierté-là, cette proximité que je trouve très, très importante qu'il faut maintenir. Ce que je dirais à la francophonie ontarienne, elle est très diversifiée, et pour les nouveaux arrivants « prenez votre place, il y a toujours de la place pour vous. Il ne faut pas avoir peur, ce que vous apportez est plus important que ce que vous allez obtenir. Donc vos contributions sont très attendues. N'hésitez pas, mettez-les à la disposition de, comment dirais-je, de tout endroit qui va vous accueillir, que ce soit le milieu de travail ou la communauté ». 

Amal [00:33:31] Madame la sous-ministre, madame Roda Muse, vous étiez nommée une des dix francophones les plus influents au Canada. Et en plus, les médias vous décrivent comme la force tranquille franco-ontarienne ainsi que la voix des futures générations. On peut dire que les futures générations incluent vos propres enfants. Vous avez dit que vous avez trois fils, d'autres enfants, nos étudiants et nos communautés que vous appuyez et inspirez beaucoup. Merci de vos contributions au Canada et à l'ensemble de notre monde. 

Roda [00:34:15] C'est moi qui vous remercie. Merci pour cet accueil. C'était très intéressant de converser avec vous. Merci Amal.

Amal [00:34:22] Pareillement. 

Joey [00:34:24] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca