Quoi de neuf ?

Entretien avec Gail Prasad

September 09, 2020 Les cafés du CREFO Season 1 Episode 1
Quoi de neuf ?
Entretien avec Gail Prasad
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Gail Prasad, professeure adjointe à l'Université York.

Gail Prasad est professeure adjointe à la Faculté d'éducation de l'Université York à Toronto. Ses recherches portent sur les approches plurilingues de l'enseignement et de l'apprentissage dans des contextes multilingues, et plus largement sur le rôle des méthodologies de recherche créatives, visuelles et multimodales en linguistique appliquée. Elle a obtenu son doctorat à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario de l'Université de Toronto, dans le programme de Language and Literacies Education. Dans le cadre de sa recherche doctorale, elle a engagé des enfants d’écoles anglaises et françaises à Toronto, au Canada, ainsi qu'à Montpellier, en France, en tant que co-ethnographes de leurs pratiques langagières plurilingues à l'école et à la maison. En tant que Canadienne tri-culturelle et plurilingue et enseignante, Gail est engagée à aider les éducateurs à développer des pratiques plurilingues inclusives pour soutenir tous les apprenants. 

Site mentionné : Je suis plurilingue! https://www.iamplurilingual.com/ 

Joey [00:00:02] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Gail Prasad, professeure adjointe à l'Université York.

Emmanuelle [00:00:09] Ça existe une personne monolingue?

Gail [00:00:10] Maintenant, je crois pas...

Joey [00:00:13] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:30] Bonjour Emmanuelle Le Pichon, en direct du CREFO. J'ai le grand honneur aujourd'hui de recevoir le professeur Gail Prasad. Bonjour Gail Prasad!

Gail [00:00:41] Bonjour! Merci de m'invitée de te joindre. 

Emmanuelle [00:00:46] Merci. Vous êtes professeure adjointe à l'Université de York à la Faculté d'éducation. J'ai cherché sur Internet pour trouver des renseignements sur vous et ce que j'ai trouvé ça m'a beaucoup intriguée. J'ai trouvé un site qui s'appelle Bienvenue à je suis plurilingue. Ça m'a beaucoup plu. Un site qui, apparemment, a été développé pour accompagner votre thèse de doctorat sur le plurilinguisme des enfants dans les écoles anglaises et françaises. Et un site qui donne un aperçu de votre travail que vous appelez créatif, plurilingue et qui est en fait un travail dans lequel vous avez donné la parole aux élèves entre 2012 et 2014. Et c'est un travail qui est multi-site, c'est à dire que vous l'avez fait à Toronto, vous l'avez fait à Montpellier, en France et à Sète en France aussi. Alors, vous allez nous parler de ça tout à l'heure. J'ai aussi essayé d'en découvrir un peu plus sur vous et je suis tombée sur une page intéressante qui s'appelait votre prof. en dix questions. Alors ça, j'ai vraiment adoré, d'autant plus que les réponses à la Mondrian, d'autant plus que les réponses étaient vraiment très courtes. Combien de langues parlez-vous? Combien de sports pratiquez-vous? Combien de? Etc. Alors, je ne vais pas vous les répéter, mais je me suis dit que c'était une manière intéressante de se présenter. Gail encore une fois, bienvenue! Je ne suis pas sûre de bien prononcer votre prénom et je m'en excuse. Je pense que c'est quelque chose qui arrive souvent aux personnes plurilingues, multi-culturelles. Est-ce que vous voulez nous parler un peu de vous? 

Gail [00:02:37] Oui, bon merci encore de m'inviter de vous joindre. Je suis une ancienne étudiante à OISE au CREFO. J'ai commencé ma maîtrise en 2007, je crois et j'ai travaillé avec Normand Labrie qui m'a introduit à Diane Farmer qui a été l'ancienne directrice du CREFO et le CREFO a fait partie de ma trajectoire en tant que chercheure. Mais mes questions sur le plurilinguisme chez les enfants, ça a un lien avec ma biographie et mon parcours aussi. Je suis née à Toronto et mon père est Indien de l'Inde et ma mère est Japonaise, mais elle est née au Canada, alors on n'avait... j'avais une enfance très multiculturelle et entre mes parents, ils parlaient au moins sept langues. Mon père a passé de l'Inde en Allemagne avant d'arriver à Montréal et ma mère était née en Colombie-Britannique. Mais sa famille était mis en camp dans la Deuxième Guerre mondiale et après les Japonais, les Japonais-Canadiens n'avaient plus le droit de rester sur la Côte Ouest alors sa famille était déménagé au Québec. Et elle a appris le français aussi qu'elle parlait le japonais à la maison et ensuite l'anglais. Alors mon père, il est arrivé...quand il est arrivé à Montréal il a rencontré ma mère et il a dit j'ai déjà dû apprendre l'allemand et l'anglais. Je veux pas apprendre le français. Alors quand ils se sont mariés, ils ont déménagé à Toronto et c'est là que j'étais née. Mais quand mes parents nous ont inscrits à l'école, ma mère, comme elle parle français, elle aurait pu me mettre dans les écoles d'immersion ou de langue française, mais elle a été conseillée de me mettre dans les écoles anglaises parce qu'en tant que immigrant, ils ont dit que on aura du mal à maîtriser l'anglais. Et si ils veulent vraiment qu'on a du succès à l'école, ça serait mieux de nous élever en anglais. Alors, mes parents vraiment multilingues, ils avaient deux filles monolingues anglophones. Mais on avait...j'étais toujours entourée par des langues différentes, une partie de nos amis aussi, les amis à Toronto et j'ai appris le français à l'école mais dans le programme cadre. C'est-à-dire par la méthode drip...un petit bout tous les jours, entre la troisième année et jusqu'à l'école secondaire, mais j'avais toujours une grosse insécurité linguistique de parler en français parce qu'on n'a jamais parlé en français dans mon cours de français. Après mes études à l'université, j'ai pris un poste en tant que prof. d'anglais dans une école française. Et pendant 18 mois, j'ai pas osé d'intervenir dans des réunions de profs parce que j'avais peur de parler en français. Mais le proviseur de l'école a commencé à me mettre dans des comités parce que je n'ai jamais osé dire non dans les réunions. Alors du coup après 18 mois je dis mais tant pis je parle parce que je peux pas faire partie de plus de comités. Et après quelques années dans cette école, j'ai remarqué que les enfants sont en train d'apprendre plusieurs langues. On y enseignait l'anglais, le français, le chinois, l'italien et l'espagnol. Et j'avais des gamins de 4 et 5 ans qui arrivent même à lire dans plusieurs langues en même temps. Et j'ai posé la question mais pourquoi quand ces enfants dans cette école privée le plurilinguisme et le multilinguisme est vraiment un atout et...mais dans les écoles publiques on pensait des familles migrantes de laisser partir ou laisser de côté la langue familiale? Alors, je suis partie à faire une maîtrise sur le multilinguisme chez les enfants et c'est là que j'ai rencontré Normand et Jim Cummins et Diane Farmer. Et ça fait...je sais pas combien d'années maintenant...je veux pas compter.

Emmanuelle [00:08:22] C'est intéressant. Merci beaucoup, Gail. Quel parcours, quel parcours incroyable et ce qui est intéressant, je voudrais revenir sur deux choses que vous avez dites. La première, vous avez dites. Finalement, mes parents, qui étaient archi multilingues, ont élevé deux filles monolingues. Alors je voudrais vous poser une question un peu provocante ça existe une personne monolingue?

Gail [00:08:46] Maintenant, je crois pas. Mais c'est grâce à mes études et la recherche que j'ai faite sur le plurilinguisme et je crois que le paradigme du plurilinguisme nous aide à avoir tout le monde comme personne plurilingue. Mais je crois que dans les écoles, on est même dans un paradigme du monolinguisme. Et c'est à cause de ça qu'on classe certains enfants en difficulté du langage ou...

Emmanuelle [00:09:27] Un plurilinguisme qui serait bon pour les riches et mauvais pour les pauvres. 

Gail [00:09:31] Exactement. 

Emmanuelle [00:09:33] Je vous remercie encore d'avoir accepté notre invitation parce que vous m'avez dit « tu sais, pour moi, c'est pas facile parce que ça me met en insécurité linguistique ». Donc, vous parliez d'insécurité linguistique au début de l'entrevue, elle n'a pas disparu en français. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de ça? 

Gail [00:09:53] Je pense que ça dépend des contextes. Il y a des gens avec qui je parle en français parce que j'ai pris l'habitude de le faire, comme Marie-Paule au CREFO, et aussi toi et Diane Farmer. Et même Normand, je pense qu'il me pousse à parler en français. Mais finalement, ça a marché parce que je me rappelle quand je suis venue au CREFO la première fois, c'était pour rencontrer Diane Farmer pour un poste en tant qu'assistant de recherche. Et là, j'étais pas capable de faire une phrase en français et elle m'a parlé pendant une demi-heure en français. Elle a donné des choses à lire et je suis partie et j'ai dit, mais elle va jamais m'embaucher parce que je suis complètement nulle. Je n'arrive même pas à suivre toute la conversation et le lendemain, j'ai eu un message d'elle de dire très gentiment mais je suis ravie de te rencontrer et de t'embaucher en tant qu'assistante de recherche. Et je me rappelle j'ai répondu « mais vous savez que je ne parle pas vraiment la langue et que j'ai encore du mal à lire en français, mais je peux faire un effort, mais je suis vraiment inquiète ». Elle a dit « ah mais tant pis on va arriver » et là, ça fait plus que 15 ans. Mais j'ai quand même encore parfois des moments d'insécurité linguistique, surtout avec des francophones qui me connaissent pas. Alors l'idée qu'il y aura des gens qui écoutent ce podcast, qui ne me connaissent pas du tout et qui peuvent entendre toutes mes fautes en français là, ça me rend anxieuse. 

Emmanuelle [00:12:03] Gail Prasad, est-ce que vous ne pensez pas que finalement, l'insécurité linguistique, c'est le propre de tous les plurilingues? 

Gail [00:12:16] Oui, peut-être. 

Emmanuelle [00:12:20] Est-ce que ce n'est pas une preuve de professionnalisme, finalement. Le vrai plurilingue est forcément mis régulièrement en insécurité linguistique. 

Gail [00:12:28] Oui, et je pense que j'ai maintenant....j'arrive à parler, de faire partie des conversations, mais c'est le côté professionnel qui me rend anxieuse. Je suis une prof. dans le domaine des langues, la didactique des langues et du plurilinguisme et là, je sais que je ne parle pas comme une locuteur natif. Et c'est toujours cet...c'est quoi le mot? The ghost... 

Emmanuelle [00:13:07]  Ce fantôme! 

Gail [00:13:10] Oui, le fantôme du locuteur natif qui continue à nous harceler. Ou bien qu'on sait que tout le monde parle un dialecte personnel et que on s'appuie sur nos répertoires linguistiques communicatifs et que il y a pas une personne qui est capable de parler une langue parfaitement, même un locuteur natif parce que c'est toujours une variation. Alors je sais pas si ça va partir. Mais je sais que il y a aussi...j'ai des amis qui sont francophones et je les ai rencontrés en anglais. Et même aujourd'hui, j'ai du mal à leur parler en français et ça les embête, mais je sais pas... 

Emmanuelle [00:14:09] C'est intéressant parce que finalement, dans ce que vous avez dit, j'ai l'impression que la légitimité que vous avez pu acquérir en français vous est venue finalement de la rétroaction que vous avez reçue d'un certain nombre de personnes francophones dans votre vie. Est-ce que vous pouvez élaborer un petit peu là-dessus? 

Gail [00:14:33] Je pense qu'avec les gens avec qui j'ai travaillé au CREFO ou à Montpellier avec Nathalie Auger et Jérémi Sauvage et aussi dans les écoles en France que tout le monde sait que je suis anglophone et que je fais vraiment un effort de travailler en français. Ils étaient très gentils avec moi et j'ai pas la même impression que je suis jugée pour mon niveau en français. Par contre, il y a des moments, même au Canada, quand je parle en français, que je sais que je suis jugée et c'est ça qui me rend anxieuse. Je pense que dans les écoles, on est toujours dans un mode d'évaluation et c'est pour ça que je trouve ça difficile de faire une conférence en français dans un milieu éducatif parce que je sais que ils ont besoin d'enseigner la langue, de montrer un niveau très poussé et je veux pas...je veux pas baisser le niveau. Il faut dire que quand j'étais au lycée où j'étais prof d'anglais, j'avais la femme de la directrice...du directeur, le proviseur de l'école qui entrait dans ma salle de classe. J'avais les enfants en CP, c'est la première année et moi j'écris en anglais cursif parce que les enfants ont appris à un jeune âge à écrire en cursif. Et c'était à Noël et elle est entrée dans ma salle de classe et elle me dit mais il faut que tu arrêtes d'écrire en cursif parce que tu fais mal aux enfants. Parce que ton écriture n'est pas bonne et j'écris pas de la même façon que les Françaises en France. C'est sûr parce que j'ai appris à écrire ici au Canada. Mais c'était un jugement contre moi. Elle m'a donné un cahier de CP pour apprendre à bien écrire. Cadeau de Noël. Super! C'est des expériences comme ça qui me rendent mal à l'aise à m'exprimer en français, à l'écrit mais aussi à l'oral. Et je pense qu'on a toujours des expériences comme ça. Je suis sûre qu'elle n'a pas fait ça pour me blesser mais ça a eu un gros impact sur comment je me sentais dans cette école. 

Emmanuelle [00:17:27] C'est intéressant de voir dans votre parcours comment, finalement, le milieu éducatif vous poussait au silence, tandis que la rétroaction de certaines personnes, au contraire, vous a amenée à parler, à vous défendre, à vous exprimer dans cette langue. Ça montre combien ces situations, finalement, sont vulnérables et fragiles. Je me demandais est-ce que vous ne pensez pas que finalement, le défi de l'éducation aujourd'hui, c'est ça le défi de la diversité, c'est ça. C'est à dire apprendre à comprendre que notre rôle, c'est de renvoyer une image positive à ces enfants plurilingues puisque finalement, on l'a dit, le monolingue n'existe pas. 

Gail [00:18:22] Oui, je suis complètement d'accord avec toi que l'on doit dépasser l'image unidimensionnelle de l'enfant...un enfant anglophone, un enfant francophone. On est...on est pas capable d'être...de parler plusieurs langues en même temps, il me semble. Je me rappelle en 2009, il y avait eu un changement de politique ou un changement de définition inclusive du francophone en Ontario et là même que je fais un effort de vivre en français, que j'essaie de parler en français avec mon enfant, je veux le mettre dans le système francophone, moi je peux jamais être francophone en Ontario même par cette définition inclusive. Et je pense que c'est aussi ça, j'entre pas dans la catégorie officielle. Et on créé ces frontières pour protéger la langue peut-être, pour protéger la communauté, mais aussi ça crée des murs qu'on peut pas dépasser. Et je pense que dans les écoles en ce moment, dans un monde multilingue, avec beaucoup de diversité linguistique et culturelle, qu'on a besoin d'aider les enfants à collaborer entre eux même avec plein de langues différentes. Et c'est ça qui est au cours de mon travail en tant que chercheure et j'ai vraiment... Grâce à mon expérience au CREFO, j'avais la confiance de partir en France pendant un an pour travailler avec Nathalie Auger à l'Université Paul-Valéry. Et ça a complètement...mes expériences au CREFO et puis en France ont complètement changé ma perspective sur ma recherche et m'a poussée à penser autrement sur les enjeux linguistiques dans les écoles. Et j'ai vu que grâce à ces expériences qui étaient pas forcément faciles, que je suis capable de travailler dans ces contextes...ces contextes qui étaient différents linguistiquement, mais aussi culturellement. 

Emmanuelle [00:21:13] Est-ce que c'est de là qu'est né le concept que vous avez développé de collaboration linguistique et culturelle? Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu plus ce concept?

Gail [00:21:29] Dans mon travail de doctorat, j'avais travaillé dans les écoles anglaises aussi de langue française et des écoles d'immersion et une école privée. Et je suis partie avec une idée de Jim Cummins pour créer des Identity Texts, des albums ou des projets où les enfants s'investissent leur identité, leur langue et les cultures et que ces textes peuvent avoir la fonction de miroir qui reflète l'enfant dans un sens positif avec leur identité et quand j'étais en train de faire ces projets dans les écoles, j'ai dit mais en fait en ce moment dans le 21ème siècle, on a besoin d'aller plus loin que de refléter l'enfant d'une façon positive que d'imaginer plus de possibilités de voir que tout le monde est capable d'être plurilingue et qu'on a besoin de travailler ensemble, de se comprendre. Et alors j'ai dit mais pourquoi pas mettre les enfants en groupe avec des langues différentes pour qu'ils puissent comprendre les langues différentes, les cultures différentes mais en travaillant ensemble. Alors ils ont...j'ai regroupé les enfants dans des groupes différents et ils ont réalisé des projets qui sont accessibles sur le site Je suis plurilingue et c'était des projets de 6 à 12 semaines. Et pendant cette période, on a vu un changement de relations entre les enfants qui ont dit que moi je parle pas l'arabe, mais j'ai une fille dans mon groupe qui est capable de le parler et comme elle est dans mon groupe, j'ai bénéficié du fait que elle a apporté sa langue à notre groupe. Et là, ça a changé le climat dans la classe. Et j'ai vu que les enfants prennent beaucoup plus le risque de parler dans une langue qu'ils ne connaissaient pas très bien mais qu'ils veulent faire parce que ils ont un camarade qui leur montre comment faire. Alors c'était ma première expérience avec la créativité, avec la collaboration linguistique. Et puis, c'était pendant mes études du doctorat que j'ai rencontré le professeur Marie-Paule Lory qui fait partie du CREFO maintenant et au moment où on était en train de rédiger nos thèses, on a parlé assez souvent, on a dit qu'on est comme des jumelles, elle est le côté francophone et moi j'étais le côté anglophone. Et souvent on avait des idées et on était en train de chercher des mots. Et là, je pense que elle avait parlé de la cohabitation des langues. Et j'ait dit pour moi le mot cohabiter, ça évoque comme un quartier où on a des maisons à côté, mais qu'on vit pas ensemble vraiment et que peut-être, on doit créer des nouveaux maisons, des nouveaux bâtiments où on peut vraiment mélanger, de créer une nouvelle culture. Et c'est de là qu'on est arrivé vers ce concept de collaboration au lieu de cohabitation. 

Emmanuelle [00:25:24] D'accord, merci. Vous avez été pendant je crois quelques années à l'Université de Madison, aux Etats-Unis. Et puis vous avez été embauchée par l'Université de York. Donc, vous avez franchi récemment la frontière des Etats-Unis pour revenir vers le Canada. Quel est, d'après vous, la différence essentielle entre les systèmes éducatifs canadiens et américains? Comment est-ce que vous la qualifieriez? 

Gail [00:25:53] Bon c'est une énorme question. Les deux choses qui m'ont marquée le plus et c'est la puissance des tests...standardized testing. C'est juste que ça commence très jeune et très rapidement les enfants apprennent que c'est que vingt cinq pour cent des élèves qui sont des bons élèves et le reste ben à partir de 5 ans tu sais où tu es entre ta classe, entre l'école, entre l'État. Et je pense que on a...ils ont vraiment des difficultés à prendre des risques et je le vois même à l'université quand j'étais en train de former les enseignants. Personne ne prend de risque parce qu'ils ne veulent pas...parce qu'ils ne veulent pas échouer. Et pour moi l'apprentissage, il y a toujours un besoin de prendre des risques. Alors c'est une chose qui m'a vraiment marquée. Et l'autre côté, c'est l'enjeu du racisme qui est très fort et je ne veux pas dire que le racisme n'existe pas au Canada parce que je sais que c'est ici. J'ai vécu des expériences qui me disent que le racisme est vrai au Canada aussi. Mais aux États-Unis, c'est...c'est quand même le lands? Je sais pas comment... 

Emmanuelle [00:27:58] Le lieu peut-être? 

Gail [00:28:00] Oui, c'est...on ne peut pas entrer dans une discussion éducative sans passer par le racisme. Et c'est vraiment une perspective binaire. C'est-à-dire que t'es blanc ou t'es noir. Donc moi, quand je suis arrivée aux Etats-Unis, tout de suite, j'ai été invitée de faire partie d'un groupe de professeurs noirs. J'ai dit mais...mais je suis pas noire. Mais après mes quatre ans aux Etats-Unis, j'ai dit oui, je fais partie de ce groupe parce que j'ai vécu l'expérience d'être noire aux Etats-Unis. Et je pense que c'est vraiment difficile à dépasser cette perspective à cause d'une histoire de racisme aux Etats-Unis et je n'aime maintenant...je pense que le développement du  concept de Nelson Flores et Jonathan Rosa du raciolinguistique, je le comprends maintenant. Et au début quand j'étais au Canada et ce concept était né, j'ai pas compris les enjeux du racisme aux États-Unis qui a poussé le développement de ce concept. Alors je vois souvent qu'il y a des camps différents comme moi je suis pour le plurilinguisme ou moi je suis pour le translanguaging. Et en fait, je pense qu'on a besoin d'avoir une conversation entre nous de façon collaborative et pas nécessairement de créer ces divisions qui nous apportent une façon de réfléchir sur nos contextes, mais que finalement, dans les écoles, ça n'aide pas les enseignants à progresser avec les enfants. Donc c'est quand même la différence entre le plurilinguisme et le translanguaging c'est...c'est une conversation intramurale qui est très importante pour les académiques, pour les scientifiques. Mais pour un enseignant en salle de classe qui a des enfants de background très divers, je pense que ça ne sert pas d'entrer dans cette bataille. Ils ont besoin des outils pour aider les enfants.

Emmanuelle [00:31:05] Tout à fait. Gail Prasad, vous parlez à une convaincue qui se bat pour une école amie des langues. 

Gail [00:31:12] Exactement. 

Emmanuelle [00:31:14] On en arrive à une question que j'ai très envie de vous poser et je crois que je vais peut-être poser à toutes les personnes qui défileront derrière ce micro. Et qui est la question suivante : si vous pouviez rêver d'un système éducatif idéal, à quoi ressemblerait-il? 

Gail [00:31:32] C'est aussi une énorme question. Si on avait....je pense qu'on a tous rêvé d'une école idéale. Et pour moi, c'est une école où on peut travailler sur trois thèmes, de prendre conscience du pouvoir, un côté critique. Mais pour vraiment travailler sur les relations de pouvoir, je pense que ça prend la créativité pour durcir cette critique, pour arriver de ne pas seulement montrer comment les gens sont minoritisés, mais aussi comment on peut créer autre chose de façon créative. Et puis, pour faire ça, je pense qu'on a besoin de la collaboration. Et c'est ces trois choses là, la criticalité...c'est un mot français, je suis pas sûre, la critique, la créativité et la collaboration. Et c'était ça qu'on a travaillé dans mon projet aux Etats-Unis avec les écoles à Madison. On avait travaillé avec une école sur ces trois aspects et les choses qu'on a pu faire, la directrice et aussi les enseignants, c'était comme un rêve. Une petite école qui a...qui a osé prendre des risques et qui a laissé les enfants travailler avec leur créativité, des enjeux très difficiles au plan des langues différentes et des cultures. 

Emmanuelle [00:33:41] Ça fait plaisir d'entendre qu'il y a des directeurs ou des enseignants, des directrices courageux et courageuses et qui osent se lancer avec cette utopie, finalement, collaboratrice et plurilingue. Gail, vous parlez le français avec votre petit garçon?

Gail [00:34:05] Ha ha ha ha! Ça dépend avant que je suis partie aux Etats-Unis, j'ai fait....j'ai eu plus de succès à parler en français, on avait une nounou française aussi, alors... Et moi, j'étais à la maison parce que j'étais en train de faire ma thèse, alors c'était beaucoup plus facile. Quand on est partis aux États-Unis, il y avait une école de langue française et mon fils était dans une Preschool Lab et je pense que c'était la troisième semaine de l'école, il est rentré de l'école et il m'a dit « mais maman, il n'y a pas de garçons à Madison qui parlent français, alors je veux plus le parler » et j'avais mal au coeur mais j'ai dit ben c'est pas ma langue non plus donc c'est déjà un défi. J'ai essayé d'embaucher un garçon comme gardien, un babysitter qui est francophone  et avec qui il est arrivé un peu. Mais il a très facilement remarqué que c'est l'anglais qui est la langue dominante. Et comme son père ne parle pas le français et c'était lui qui était à la maison avec lui souvent, comme moi je travaillais, on avait beaucoup plus de l'anglais à la maison. Mais quand on a pris la décision de rentrer à Toronto, j'ai dit mais c'est le moment de reprendre le français. Et il a compris que comme on a des amis qui sont francophones, on a beaucoup plus de français autour de nous et il accepte qu'il doit parler en français. Petit à petit, ça devient partie de nos vies. Il a pas pu passer le test pour aller dans les écoles de langue française en Ontario. J'étais déçue, mais cette année, comme il est en quatrième année, il va commencer l'immersion et je fais un effort. 

Emmanuelle [00:36:35] Ha ha ha ha ha! Merci Gail. S'il y avait un article de vous que nous devions lire pour comprendre votre pensée. Lequel est-ce que vous nous recommanderiez? 

Gail [00:36:51] Bon, pour le moment, je vous conseillerais de lire l'article dans TESOL en 2019 qui parle de la collaboration linguistique et culturelle. Ça...ça parle vraiment de ce concept de collaboration. Mais j'ajoute aussi un article qui date de 2018 dans The International Journal of Bilingualism and Bilingual Education, qui parle des représentations du plurilinguisme des enfants en collage. Donc, moi, je travaille beaucoup avec les méthodes artistiques, comme j'ai dit que je veux travailler avec l'art critique à travers la créativité et ces articles montrent la créativité des enfants. Et c'est dans ces deux voies que je continue mon travail maintenant à Toronto. 

Emmanuelle [00:37:58] Gail, est-ce que vous aimez le café? 

Gail [00:38:00] J'adore le café. 

Emmanuelle [00:38:02] Alors vous allez nous rejoindre tous les quinze jours ou toutes les deux semaines, nous avons un café au CREFO auquel tous ceux qui sont désireux de converser avec nous peuvent se joindre. Donc, n'hésitez pas à contacter mes collaborateurs au CREFO et on sera heureuses que vous veniez nous retrouver. 

Gail [00:38:22] Merci. 

Emmanuelle [00:38:23] Je vous remercie beaucoup pour cet entretien. Je vous souhaite beaucoup de succès avec vos recherches et j'espère que nous aurons l'occasion de nous reparler et de parler en particulier de vos nouveaux projets, incluant la collaboration. Merci beaucoup Gail Prasad et à la prochaine! 

Gail [00:38:42] Merci Emmanuelle!

Joey [00:38:45] Saviez-vous que vous pouvez compléter une maîtrise en éducation à temps partiel à l'Université de Toronto entièrement en français? Pour avoir plus de détails, contactez-nous par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.