Quoi de neuf ?

Entretien avec Marie-Paule Lory

September 21, 2020 Les cafés du CREFO Season 1 Episode 2
Quoi de neuf ?
Entretien avec Marie-Paule Lory
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Marie-Paule Lory, membre du CREFO et professeure adjointe à l'Université de Toronto.


Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Marie-Paule Lory, professeure adjointe à l'Université de Toronto. 

Marie-Paule [00:00:07] Comme une approche pédagogique qui permet de parler des langues des élèves et parler aussi des langues aux élèves. 

Joey [00:00:14] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:31] Bonjour, aujourd'hui, j'ai le grand honneur de recevoir le professeur Marie-Paule Lory. Bonjour Marie-Paule! Comment vas-tu aujourd'hui? 

Marie-Paule [00:00:39] Bonjour Emmanuelle. Ça va bien. Toi aussi? 

Emmanuelle [00:00:42] Ça va. Alors Marie-Paule, tu es professeure adjointe à l'Université de Toronto dans le Département des études de langues du campus de Mississauga. Tu es aussi rattachée au Département de curriculum, enseignement et apprentissage de l'Université de Toronto à OISE. Et bien sûr, tu es membre du CREFO et donc ma collègue directe. 

Marie-Paule [00:01:04] Exactement. 

Emmanuelle [00:01:06] Voilà! Ton domaine c'est la didactique des langues. Alors la didactique des langues, c'est tout un programme et tu vas nous en parler aujourd'hui. Tu as étudié les représentations sur les langues des élèves, à l'école élémentaire notamment, et en particulier de ces élèves qui ont plusieurs langues. Alors tu les appelles plurilingues. Tu vas nous parler de ça tout à l'heure. Et tu l'as intégré dans une pédagogie que tu appelles une pédagogie d'éveil aux langues, project que tu as mené à l'Université de Montréal et que tu es en train d'adapter pour le contexte franco-ontarien. Alors Marie-Paule, quand je lis ta biographie, ta biographie sur Internet, j'ai l'impression d'entendre une comptine pour jeunes enfants. ÉLODIL, EDiLiC, Éveil aux langues... je trouve que c'est très doux, c'est très doux. Donc est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ton parcours scientifique? Comment tu en es arrivée là parce qu'en fait, t'as pas du tout commencé là dedans. Et comment est-ce que ton propre parcours a pu influencer ta vocation, en fait. 

Marie-Paule [00:02:13] Ouh, très bonne question. J'y avais pas pensé. J'ai commencé par faire des études de commerce en France et qui m'ont conduit à un moment donné, à me rendre compte de la difficulté de rester dans un environnement monolingue. J'étais toujours en France en français, je faisais du marketing, j'avais pas encore une connaissance assez suffisante de l'anglais pour devenir meilleure, pour découvrir plus le monde. Et donc, j'ai décidé de reprendre, de partir d'abord un an à Toronto pour apprendre l'anglais. Et après de reprendre mes études car j'ai tellement aimé cette expérience que je voulais devenir enseignante de français langue seconde. Donc, c'est là où j'ai repris mes études à l'université René-Descartes à Paris, et j'ai fait un programme d'échange avec l'Université de Montréal. J'ai poursuivi ma formation dans le cadre d'un doctorat grâce à ma directrice de thèse, Françoise Armand, qui m'a d'abord donné un contrat de recherche pour travailler avec des élèves issus de l'immigration dans une école défavorisée de Montréal. Et c'est là où j'ai vraiment découvert ce qu'était la diversité linguistique et culturelle et comment on pouvait faire de cette diversité, finalement, des ressources essentielles dans l'apprentissage des élèves plutôt que de les voir comme un frein à leur développement. 

Emmanuelle [00:03:37] C'est intéressant parce que donc de la France à Toronto, à la France à Montréal, puis encore à Toronto. Une question qui nous taraude dans ce...dans notre centre, c'est quelle est la place de la francophonie dans ta vie. Quelle est la place, à ton avis, de la francophonie ou des francophonies dans l'éducation, notamment dans l'éducation franco-ontarienne? 

Marie-Paule [00:04:08] La francophonie a toujours été pour moi le...la langue qui m'a permis d'être scolarisée. Donc tout d'abord en France parce que c'était dans un environnement monolingue où, on le sait, en France, la langue française est quasiment la seule langue d'enseignement. Et donc, ayant une famille qui a pu me soutenir dans mes apprentissages, n'ayant pas eu de difficulté d'apprentissage, j'ai pu poursuivre ma scolarité sans vraiment de difficulté en français. Mes difficultés étaient plutôt avec mes langues secondes, l'espagnol, l'anglais, où j'avais plus de difficultés à apprendre ces langues là parce qu'étant dans un environnement très monolingue, j'en voyais peu la pertinence et j'ai pu les développer en allant ailleurs, en allant au Canada notamment, ou en voyageant où là, je voyais la pertinence d'apprendre d'autres langues. Ensuite, arrivée à Montréal, donc à l'Université de Montréal, université francophone. Donc, là encore une fois scolarisée en français, mes recherches se faisaient dans des écoles de langue française de par la loi 101 au Québec. Et là, j'étais encore avec le français, qui était la langue à chaque fois dominante. Et en arrivant en Ontario avec mes nouvelles fonctions, le français en Ontario n'est pas une langue dominante, mais c'est malgré tout une langue privilégiée parce que c'est la deuxième langue officielle du Canada. Donc, je trouve que j'ai encore une fois un statut de privilégiée grâce à la langue française dans les différents espaces dans lesquels j'ai pu évoluer. Donc, à chaque fois, le français a été pour moi une force dans mon parcours scolaire et professionnel. 

Emmanuelle [00:05:55] C'est amusant parce que, donc le français comme une force et en même temps un parcours qu'on pourrait qualifier d'un parcours d'éveil aux langues. C'est joli ça, l'idée de s'éveiller. J'aime ça moi est-ce que tu peux nous en parler un peu plus. 

Marie-Paule [00:06:09] Donc l'éveil aux langues, c'est un sujet de recherche qui est au cœur de ma thèse doctorale et que je poursuis aussi. C'est en fait une approche pédagogique qui permet aux élèves mais comme aux enseignants et à leurs parents et à tout autre éducateur de découvrir les langues. Souvent, j'essaie de le définir comme une approche pédagogique qui permet de parler des langues des élèves et parler aussi des langues aux élèves. Donc, on découvre les langues, que ce soit les siennes, que ce soit les autres et on s'éveille à cette diversité des langues, différences, aux similarités et où on apprend beaucoup plus sur sa propre langue et sur l'autre en s'éveillant. 

Emmanuelle [00:06:53] Donc, si je te comprends bien, c'est pas une question d'apprendre les langues, mais c'est une question d'apprendre sur les langues, 

Marie-Paule [00:07:00] Exactement. Sur les langues, sur ses propres langues, sur les autres langues. Par ce même format, on peut également parfois apprendre des langues, mais c'est pas l'objectif premier. L'objectif premier, c'est de pouvoir observer cette diversité, de réfléchir à cette diversité et de pouvoir la rendre plus accessible. On est dans un monde où tous les jours, on est face à la diversité. Parfois, on peut craindre cette diversité quand on entend une langue qu'on ne connaît pas. Comment on réagit? Est-ce qu'on se sent agressé? Est-ce qu'on se sent bien? Est-ce qu'il y a une certaine musicalité qui, affectivement, nous touche ou pas? Et être capable de se former à ces différences, de l'entendre, de mieux l'interpréter, de devenir curieux? Quand on entend ces différentes langues, quand on les voit, je crois que c'est ça qui pourrait nous permettre de vivre dans une société plus inclusive et plus équitable en fait. 

Emmanuelle [00:08:00] C'est amusant parce que je réalise puisque là, on suit votre parcours, on suit ton parcours pas à pas et d'éveil aux langues tu es passée au théâtre plurilingue. En fait tu es passée d'une réflexion sur les langues à un mode beaucoup plus expressif, beaucoup plus proactif en matière de langues. Est-ce que tu peux nous expliquer ça un peu. 

Marie-Paule [00:08:24] Donc en fait le théâtre plurilingue, c'est une pratique d'éveil aux langues. En termes de recherche on a ce que l'on appelle les approches plurielles des langues et des cultures et au sein de ces approches plurielles des langues et des cultures, il y a plusieurs types d'approches pédagogiques. On va retrouver, par exemple, la didactique intégrée des langues, on va retrouver l'éveil aux langues. Et dans toutes ces approches, on a aussi la littératie plurilingue et à chaque fois, il y a des approches qui naissent de jour en jour et l'idée, c'est qu'on se base sur le fait que la diversité linguistique et culturelle est un atout dans le développement des apprentissages et de l'être plus généralement. Et le théâtre pluralité Élodil donc ces pratiques théâtrales plurilingues auxquelles j'ai participé à Montréal dans le cadre d'un projet de recherche sous la direction de Cécile Rousseau et Françoise Armand, c'était clairement utiliser ces pratiques d'éveil aux langues, ces pratiques où les langues sont présentes dans des pratiques artistiques théâtrales pour permettre à des élèves de trouver d'autres options que les mots pour s'exprimer. Donc on travaillait avec des élèves qui avaient pu vivre certains traumas dans leur parcours puisqu'ils étaient issus de l'immigration et qu'ils étaient en grande difficulté scolaire. Ils étaient dans des classes spécialisées et on travaillait avec eux pour permettre l'expression dans la langue de leur choix. Et donc, ça, c'est une expression qu'on aime beaucoup utiliser dans la langue de son choix, parce que ce qu'on veut, c'est pouvoir parler, pouvoir s'exprimer, et au travers d'outils qui puissent être de la musique, des instruments de musique, le corps, des gestes on exprimait, on échangeait pour partager des histoires. Et donc on est dans des pratiques artistiques plurilingues. 

Emmanuelle [00:10:19] Est-ce que ça veut dire que tu as élargi finalement cette notion qu'on retrouve un petit peu chez des scientifiques comme Toohey, je sais pas si je prononce bien, de la langue à une expression beaucoup plus large de la communication? 

Marie-Paule [00:10:41] Oui, on va vraiment dans ce sens là, mais c'est plus une collaboration qui a permis d'élargir ça et c'est ce que je trouve intéressant dans nos projets de recherche, c'est que le théâtre pluralité Élodil, la manière dont il a été implanté, c'est grâce à une collaboration entre des didacticiens, des psychothérapeutes et des acteurs. Et c'est en travaillant ensemble qu'on est arrivé à créer ce projet de théâtre plurilingue dans les écoles pour aller travailler avec des élèves issus de l'immigration. 

Emmanuelle [00:11:16] Alors moi, quand je vais au théâtre, j'aime bien comprendre ce qui se passe sur scène. Est-ce que tu peux m'expliquer un petit peu le but d'une pièce qui soit représentée dans des langues que je ne comprendrais pas? Quelle raison j'aurais d'acheter un ticket? 

Marie-Paule [00:11:31] Alors, tout l'objet de ces pratiques artistiques théâtrales, c'est de ne pas avoir de représentation. C'est donc tout l'opposé, tu ne pourrais pas acheter un ticket pour aller voir ces pièces parce que c'est un espace que l'on veut clos, que l'on veut rassurant pour les élèves. Et dans cet espace, on a envie qu'ils se sentent en sécurité pour partager des histoires et souvent, très souvent, ce sont des histoires que l'on voit se ressembler. Donc, la langue du choix des élèves est utilisée et pour permettre l'intercompréhension, on permet également la traduction par les pairs, par les enseignants ou les acteurs qui sont présents dans la classe qui permet de finalement se comprendre les uns les autres. Parfois, une traduction est pas possible, donc on essaye de jouer, on paraphrase, on utilise des symboles et on utilise tous les moyens pour qu'on essaye de se comprendre les uns les autres. Ce qui est intéressant dans cette pratique, c'est que on arrive à donner du sens à la langue d'enseignement qui devient une langue dans laquelle on peut à la fois partager des émotions qui nous ont touchés, mais également une langue qui me permet de rejoindre les autres et de créer une communauté. Et donc, ça a été l'un des résultats de la recherche que l'on avait menée à Montréal, c'est que bien qu'on autorise aux autres langues, ça n'a surtout pas empêché le développement de la langue d'enseignement, donc, le français, en l'occurrence. Ça a permis de la renforcer et de donner un sentiment de plus grande confiance en soi chez les élèves dans leur prise de parole en français. Et ça dépassait d'ailleurs même les activités théâtrales, ça allait dans les cours de mathématiques, etc. en dehors de cet espace théâtre. 

Emmanuelle [00:13:19] C'est contagieux alors le plurilinguisme.

Marie-Paule [00:13:21] C'est clairement contagieux et passionnant je dirais. 

Emmanuelle [00:13:26] Moi je connais ton travail, donc je vais te poser une question un peu provocante. C'est bien joli ce que tu nous racontes, mais tu nous parles du milieu québécois dans lequel le français est la langue dominante et absolument...enfin, on va dire, au moins au niveau de la scolarité, pas ressentie comme une langue menacée. Qu'en est-il en Ontario? 

Marie-Paule [00:13:47] Encore une fois, excellente question, comme si tu n'y avais pas pensé avant. En Ontario, comme tu l'as dit, les enjeux sont différents et les écoles de langue française ont lutté fort pour avoir une place. Et c'est finalement qu'en 1998, si je me trompe pas, qu'on a les écoles de langue française qui sont devenues indépendantes à part entière et on a la division des langues françaises au ministère de l'Éducation. Donc, c'est un plus gros défi, mais en même temps, maintenant, ça va faire plus de 20 ans et les enseignants sont prêts à aller plus loin. J'ai eu l'occasion de faire plusieurs formations depuis mon arrivée en Ontario avec des enseignants, leur présenter le plurilinguisme et il y a une très, très grande ouverture à cette diversité linguistique et culturelle. Les enseignants le font très souvent aussi de manière intuitive, parce qu'ils se rendent compte que, quoiqu'il arrive, leurs élèves sont en constant contact avec la langue anglaise et de façon implicite, ils font des liens avec la langue anglaise ou d'autres langues, mais en donnant l'accent, bien entendu, sur le français, parce que ça reste une des missions prioritaires de l'école de langue française. Et on trouve d'autres moyens. Le Théâtre pluralité Élodil a été implanté dans certaines écoles de l'Ontario auprès d'élèves immigrants et ça a très bien marché. Et plus récemment, j'essaye de lancer un concours artistique plurilingue qui irait chercher également les élèves du régulier, qui est un concours autour des kamishibaï plurilingues. 

Emmanuelle [00:15:27] Oh la! Tu nous expliques? 

Marie-Paule [00:15:32] Kamishibaï, le mot est un mot d'origine japonaise qui veut dire théâtre de papier. Donc, c'est une petite boîte en bois qui est ouverte de deux côtés et qui permet de faire passer ce que l'on appelle des planches, donc des grandes feuilles de carton où on a d'un côté pour un public, des illustrations et au dos de ces planches, on a un texte qui raconte une histoire. Et donc, l'idée, c'est que on co-construise une histoire avec les élèves, une histoire plurilingue autour d'un sujet et donc on co-construit l'histoire, on illustre l'histoire et on la raconte à voix haute auprès d'un public. Donc on a lancé ce projet en Ontario il y a deux ans. On est dans la troisième édition du concours. Malheureusement, l'année dernière, bien qu'on ait eu beaucoup d'inscriptions presque 40 enseignants qui ont voulu participer, la pandémie Covid-19 a mis en question le concours. Donc on a préféré attendre et relancer au mois de septembre avec plusieurs instructions qui permettraient éventuellement aux enseignants de faire ce projet en ligne avec les élèves si jamais on devait rester à la maison un peu plus longtemps, 

Emmanuelle [00:16:54] Merveilleux donc on communiquera le lien vers le concours sur le site du CREFO bien entendu. Alors je voudrais revenir un petit peu à des...à quelque chose de plus théorique, c'est-à-dire qu'on est passé d'approche d'éveil aux langues à, je le vois bien, je l'entends bien quand tu parles, à des approches plurilingues. Et puis d'approches plurilingues on passe à des pratiques. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu ce changement d'approche d'éveil aux langues aux approches plurilingues. C'est quoi la différence? Est-ce que c'est la même chose? Est-ce qu'ils sont interchangeables? 

Marie-Paule [00:17:29] Les approches plurilingues ce serait peut-être l'ombrelle sous lequel on va retrouver plusieurs pratiques comme on aurait l'éveil aux langues, la didactique intégrée des langues, des pratiques de plurilittératie. Je l'utilise de façon interchangée mais aussi peut-être parce que dans nos pratiques, l'éveil aux langues aujourd'hui est beaucoup plus que de l'éveil. Quand on travaille avec les élèves autour de la diversité linguistique et culturelle, si au départ on est dans un éveil, une découverte, très rapidement, par l'engagement des élèves on se rend compte qu'on dépasse cet éveil et qu'on est dans un vrai travail de presque de linguistique appliquée. 

Emmanuelle [00:18:10] Est-ce que tu penses pas que ça vient du fait que l'éveil aux langues est finalement est né dans un pays monolingue, c'est à dire la France, et que de plus en plus, on se dirige vers des contextes beaucoup plus diversifiés tels que la région de Toronto, du Grand Toronto, etc. Il y a en beaucoup dans le monde.

Marie-Paule [00:18:28] On pourrait pas vraiment dire que l'éveil aux langues est né en France puisque, en fait, il est à l'origine né en Grande-Bretagne avec le courant de language awareness. Il a été après adopté et ça a permis en effet à des chercheurs français d'aller un peu plus loin et de le traduire par éveil aux langues, et c'est pour cela qu'on a toujours cette difficulté dans la traduction entre traduire éveil aux langues par Language Awarenes, puisqu'on va beaucoup plus loin qu'un éveil, ou alors awakening to languages. Donc on est toujours dans les....c'est difficile de pouvoir aller dans la traduction, mais oui, tu as raison dans le sens qu'aujourd'hui, même si la diversité était présente il y a quelques années, aujourd'hui elle est beaucoup plus...on peut en parler plus facilement et les gens sont plus réceptifs à la mettre en place dans les salles de classe. Et donc, comme les élèves sont aussi de plus en plus plurilingues, il faut qu'on adopte, qu'on adapte pardons nos approches et on ne peut plus rester sur un sur un simple éveil. On va beaucoup plus loin.

Emmanuelle [00:19:32] Finalement c'est intéressant parce qu'on se retrouve dans une situation où l'élève est plus savant que l'enseignant. 

Marie-Paule [00:19:39] Clairement. Et c'est une grande...et c'est une grande difficulté pour certains enseignants où on est dans...où on revisite nos rapports de pouvoir où on se dit « mais est-ce que les élèves ici qui parlent dans une autre langue parlent de moi en bien, en mal? Qu'est ce qui se passe? ». Et ne pas être capable de comprendre et donner du pouvoir aux enseignants pendant une période... aux élèves pardons donner du pouvoir aux élèves pendant une certaine période de la classe peut paraître déroutant, mais ça l'est finalement quand on n'a pas essayé ce type de pratique. Et à chaque fois que les enseignants ont mis en place ce type de pratiques plurilingues, où ils ont lâché les rênes pendant un instant où ils ont fait confiance à leurs élèves. Ils ont tous été convaincus des bénéfices d'une telle pratique. 

Emmanuelle [00:20:33] C'est bien gentil tout ça, mais tu parlais plus tôt de politique linguistique, de directives, est-ce qu'il y a des directives officielles qui permettent aux enseignants de mettre en place ces pratiques. Et encore une fois, non seulement dans le contexte franco-ontarien, mais surtout dans le contexte des écoles francophones en Ontario. 

Marie-Paule [00:20:54] De plus en plus, par exemple, si....il faut dire que les programmes cadres et les programmes PANA et ALF qui sont aujourd'hui en usage... 

Emmanuelle [00:21:04] Oh là, alors tu nous expliques là, pour nos auditeurs qui ne sont pas de là, pas d'ici. 

Marie-Paule [00:21:09] J'allais y venir. Donc, dans les écoles de langue française de l'Ontario, on va utiliser plusieurs programmes. Donc, au régulier, on a les programmes cadres, que ce soit en français, que ce soit en histoire, que ce soit en sciences et on a également pour les élèves issus de l'immigration, les programmes PANA et les programmes ALF pour l'apprentissage de la langue française. Tous ces programmes sont relativement anciens. Par exemple, les programmes pour les élèves issus de l'immigration datent de 2009 et le plus récent des programmes qui soient sortis actuellement dans le cadre des programmes cadre, c'est le programme du jardin d'enfants de l'école maternelle et du jardin d'enfants en 2016. Et dans ce programme, on a tout un espace qui évoque la nécessité des familles de conserver leur langue maternelle et de continuer à lire dans les langues d'origine des élèves. Donc, c'est un tournant que les directives officielles au ministère de l'Éducation est en train d'adopter. Et clairement, je pense que les prochains programmes, je suis vraiment très confiante dans le fait que les prochains programmes vont explicitement favoriser cette mise... cette mise en perspective des langues comme un atout pour les élèves et permettre des pratiques de Translanguaging donc, de passer d'une langue à l'autre et de s'appuyer sur toutes nos ressources pour mieux apprendre le français. Donc, ça ne l'est pas actuellement de façon très explicite dans les programmes parce qu'ils sont tous en reconstruction. Mais dans les prochains, je suis certaine qu'il y aura explicitement des éléments autour de cette diversité linguistique et culturelle. 

Emmanuelle [00:22:55] Qu'est-ce que tu penses, d'après toi est-ce que c'est...ce sont les directives du Ministère qui sont en avance par rapport aux formations initiale et continue des enseignants, ou est-ce que ce sont les formations initiale et continue des enseignants qui poussent le ministère à s'adapter? 

Marie-Paule [00:23:12] Je dirais que c'est les enseignants du terrain qui aujourd'hui poussent le ministère à s'adapter. Les résultats qui en ressortent puisque en tant que chercheur, on ne peut pas toujours agir au niveau ministériel pour faire changer les programmes de suite. Il faut qu'on en ait les preuves et ces preuves on les a en collaborant de façon très active avec des enseignants sur le terrain. On collabore, on fait des recherches action, on collecte des données, on compare, on écrit pour eux et avec eux. Et c'est à partir de ces résultats que le Ministère peut prouver la nécessité d'un changement de curriculum. Et donc une fois que ce changement a été réalisé, d'autres enseignants peuvent venir pour soutenir cette pratique donc il est certain que nos enseignants collaborateurs qui sont innovateurs aujourd'hui en faisant des pratiques plurilingues, permettent ce changement de curriculum et plus tard, l'adoption de ces pratiques de façon plus généralisée. Parce que c'est ce qu'on veut, on ne veut pas uniquement travailler avec certains enseignants qui veulent prendre des risques. 

Emmanuelle [00:24:21] C'est ça. Nous on voit que...en tout cas ça a beaucoup de succès. On voit très bien au CREFO puisque tes cours sont toujours très pleins. Alors Marie-Paule, je voudrais te poser une question. Quel est, peut-être un peu plus si tu veux prendre un peu de temps pour réfléchir, c'est d'accord quel est, ou quels sont les chercheurs qui t'ont le plus inspirée au niveau de ton orientation scientifique et est-ce que tu peux nous dire pourquoi? 

Marie-Paule [00:24:52] Clairement, je dirais ma directrice de thèse parce que sans elle, je n'aurais jamais fait de recherche. On s'est rencontrées dans un cours où elle avait fait un séminaire et elle m'a dit « Viens voir, je voudrais te faire faire partie d'un projet de recherche » et c'est grâce à elle que j'ai découvert ce qu'était la recherche. Je ne savais pas ce que c'était. Je voulais devenir enseignante de français langue seconde et elle m'a ouvert un tout autre univers. Et donc, oui, je pense que c'est grâce à Françoise. Françoise Armand a été un modèle scientifique incroyable, ainsi que Diane Dagenais, qui a beaucoup aussi travaillé sur les minorités linguistiques et l'éveil aux langues. Je pense qu'elles ont été mes deux idéaux de recherche pour faire avancer ma carrière 

Emmanuelle [00:25:42] Deux chercheuses québécoises, c'est ça? 

Marie-Paule [00:25:44] Françoise est à Montréal. Oui, les deux chercheuses québécoises. Et maintenant, Diane Dagenais, je pense qu'elle est dans l'Ouest canadien. 

Emmanuelle [00:25:54] D'accord. Merci. Comment est-ce que tu définirais la diversité dans ta vie et dans ton travail bien entendu, puisque le travail fait partie de ta vie.

Marie-Paule [00:26:06] C'est une question qui prend plus de temps. Je vis la grande majorité en français, aussi bien dans ma cellule familiale que dans ma vie professionnelle, puisque mes cours sont donnés en français. Mon travail se fait avec des enseignants de langue française donc bien que je vis dans un environnement anglophone, le français reste la langue qui est au coeur de ma vie. Même quand je vais, par exemple acheter du pain ou, comme une bonne Française, acheter une baguette, très souvent, on remarque mon accent et très souvent, on me dit Oh, vous parlez français! Et très souvent aussi, les gens essayent d'utiliser les quelques mots qu'ils connaissent en français, sentant qu'ils ont ici une possibilité de parler français. Donc, c'est intéressant. Et le français reste même en environnement anglophone aujourd'hui, la langue qui a une plus grande part dans ma vie, mais j'essaye, pour pratiquer d'autres langues, d'avoir mes divertissements en anglais. Donc, regarder la télévision, écouter des podcasts en anglais, mais j'écouterai quand même ceux du CREFO en français. 

Emmanuelle [00:27:27] On a l'impression à t'écouter que finalement, le français dans la ville, et en particulier dans la ville de Toronto, est une langue qui favorise la communication, l'intérêt, la cohésion. Je me trompe?

Marie-Paule [00:27:43] Je dirai davantage pour moi, dans mon expérience, qu'elle favorise la curiosité. Et aussi de se dire Oh, mais j'ai quelques mots, j'ai appris quelques mots que je me rappelle quand j'étais à l'école et là, j'ai eu l'occasion de pouvoir l'utiliser. Et beaucoup s'empêchent de parler français parce qu'ils sont dans une forme d'insécurité linguistique ou alors qu'ils ne pensent pas qu'ils ont des occasions pour parler français. Mais finalement, quand on ouvre cette porte, je trouve qu'il y a des représentations très positives autour de cette langue française en Ontario et beaucoup prennent la porte, essayent avec leurs quelques mots en français ou dans d'autres langues pour faire des rapprochements. Et c'est aussi peut-être une forme de déformation professionnelle que l'on a toi comme moi où on est des partisans du plurilinguisme, on est des personnes qui défendont cette diversité et je pense que ça se voit, ça devient partie de notre ADN aujourd'hui. 

Emmanuelle [00:28:41] Donc en fait tu définirais la diversité non pas comme un amalgame de langues ou de cultures, mais beaucoup plus un intérêt et une ouverture à l'autre. 

Marie-Paule [00:28:57] Les deux, je pense qu'on peut avoir les deux ou moi je n'ai pas l'occasion d'avoir cet amalgame en moi, car je n'ai pas forcément assez d'exposition à part en français et en anglais à un autre type de diversité. Mais j'ai une curiosité et j'ai une envie d'en savoir plus. Donc, peut-être que l'étape suivante sera de pouvoir être encore plus plurilingue, pluriculturelle. 

Emmanuelle [00:29:23] Je suis sûre que d'écouter cette interview, cet entretien a donné à beaucoup de nos auditeurs l'envie de te lire un peu plus. Si on devait lire un ou deux articles que tu as écrits, lesquels est-ce que tu nous recommanderais?

Marie-Paule [00:29:40] Donc un premier article de ma thèse qui parle plus spécifiquement des représentations sur les langues, donc à la fois de l'éveil aux langues et de comment on peut se construire des images des langues dans le cadre de pratiques plurilingues. Et donc, c'est un article que j'ai écrit en collaboration avec Françoise Armand qui parle des représentations sur les langues et de l'éveil aux langues. Et je suis sûre qu'on mettra le lien à la suite du podcast et un autre article va paraître dans un ouvrage qui est coordonné par Joël Thibault et Carole Fleuret et qui, spécifiquement, parle de comment on peut aller un peu plus loin en favorisant une collaboration linguistique et culturelle entre les différents acteurs éducatifs. Et que parler de diversité si on veut que ce soit une approche qui dure dans le temps, il faut que ça dépasse les murs de la salle de classe et qu'il faut que la direction d'école s'engage, que tout le personnel de l'école s'engage dans ce type de pratique. Tu le sais notamment avec l'école Amie des langues, puisque c'est exactement ce que tu fais et que les parents puissent en faire partie, que la communauté puisse en faire partie et que ça devienne un projet pour tous. Et donc on a écrit cet article avec Gail Prasad et on parle ici de la collaboration linguistique et culturelle dans le système scolaire. 

Emmanuelle [00:31:06] Gail Prasad que nous avons reçue la semaine dernière avec beaucoup de plaisir. Si... Merci, on mettra les liens à la suite, effectivement, sur le site du CREFO. Si tu pouvais rêver d'un système éducatif idéal, à quoi est-ce qu'il ressemblerait? 

Marie-Paule [00:31:24] L'éveil aux langues serait ou les pratiques plurilingues seraient infusés dans toutes les disciplines, à tous les niveaux, et on serait dans des pratiques où, à chaque fois, on partirait des ressources linguistiques et culturelles des élèves pour aller plus loin. Mais on partirait de l'élève, de ses ressources, de son déjà là, peu importe la langue, peu importe la culture, et on construirait à partir de ces ressources. Ce serait le plus beau des systèmes scolaires pour moi. 

Emmanuelle [00:31:58] Je voudrais bien faire le même rêve alors. Merci beaucoup, Marie-Paule. 

Marie-Paule [00:32:02] Merci à toi. 

Emmanuelle [00:32:02] Je pense que les auditeurs ont pu vraiment goûter à tout le travail extraordinaire que tu fais et pourront trouver beaucoup de ressources dans tous les liens que tu nous as proposés. Bonne journée à tous. 

Joey [00:32:20] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.