Quoi de neuf ?

Entretien avec Carole Fleuret

October 26, 2020 Les cafés du CREFO Season 1 Episode 6
Quoi de neuf ?
Entretien avec Carole Fleuret
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Carole Fleuret, professeure titulaire à l'Université d'Ottawa.


Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Carole Fleuret, professeure titulaire à l'Université d'Ottawa. 

Carole [00:00:07] L'idée, c'est de développer l'identité citoyenne chez les élèves. Donc, c'est de sensibiliser ceux qui ne le sont pas à cette réalité. 

Joey [00:00:15] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:32] Bonjour et bienvenue! J'ai le grand honneur de recevoir aujourd'hui la professeure Carole Fleuret. Bonjour Carole!

Carole [00:00:42] Bonjour Emmanuelle!

Emmanuelle [00:00:44] Alors Carole tu es professeure titulaire à la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa. Tu es membre associée du laboratoire CNRS Praxiling et directrice de la collection Éducation aux Presses de l'Université d'Ottawa. 

Carole [00:00:57] Entre autres, oui. 

Emmanuelle [00:00:59] Ha! Ha! Ha! Ha! Entre autres. Alors, ton champ de recherche il se situe dans la didactique des langues secondes, qui sont des langues qui sont parlées dans l'environnement, dans la société et en particulier du français, parce que tu vis en Ontario et que en Ontario, le français est une langue dite minorisée ou une langue de la minorité officielle. Tu t'intéresses surtout à la didactique par le biais de l'écrit et donc sur le développement orthographique, ainsi que sur l'étude des composants sociocognitifs et culturels qui sont en jeu dans l'appropriation de l'écrit en langue seconde. Alors, je sais pas pour nos auditeurs, mais moi, quand j'entends orthographe ça me fait sauter en l'air, surtout avec le français. Mais te connaissant et connaissant ton travail, je sais qu'au contraire, l'orthographe, l'orthographe devient quelque chose de fascinant, de drôle, d'amusant, de ludique. Alors, pour étudier ce rapport à l'écrit et à l'écriture, tu t'intéresses à la littérature de jeunesse et je vais vous dire un secret. Carole, elle, adore raconter des histoires et honnêtement, elle est intarissable. Voilà Carole...merci d'avoir accepté mon invitation. Alors Carole, il parait que tu n'aimes pas les chats. 

Carole [00:02:21] J'aime pas les chats? Mais oui j'aime les chats. J'aime les chats et j'aime les chiens. J'ai eu les deux. Maintenant j'ai un chien.

Emmanuelle [00:02:28] Voilà c'est ça. Alors je faisais référence à un livre d'images que tu aimes beaucoup. Est-ce que tu veux nous expliquer un petit peu, parce que, étrangement, dans ce livre d'images, et bien il n'y a presque pas d'écrit. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu? 

Carole [00:02:44] Oui, parce que, comme tu l'as mentionné, je m'intéresse aux langues de l'environnement, donc aux langues des familles, des foyers. Et pour rejoindre l'habitus des élèves, donc le milieu, l'espèce de niche dans laquelle ils ont grandi, où ils vivent encore et bien la littérature de jeunesse, c'est un artefact et un médium extrêmement puissant parce que très souvent, par l'iconographie, on peut faire écho à l'élève et lui même se reconnaît à travers donc les illustrations, notamment des courtes phrases ou selon le type de livres que je prends. Et dans On n'aime pas les chats bien sûr, c'est une métaphore. C'est un livre en fait qui traite du racisme, de la discrimination et de la différence. Mais tout est métaphorique et les humains sont représentés par des chats. Et ce qui est très intéressant dans ce livre, justement, c'est que le support visuel en plus, la façon dont les illustrations sont faites...il y a une espèce de côté extrêmement brut dans le dessin, donc c'est très puriste en fait, il y a très peu...les illustrations sont pas chargées en peinture, en aquarelle ou quoi que ce soit. Donc, on va directement parler du sujet à travers justement l'illustration sur laquelle on travaille. Donc l'histoire, en fait, c'est ça. Ce sont des chats, alors c'est des chats qui n'aiment pas un tel autre parce qu'il sent pas bon, parce que, bref, tout ce qu'on peut trouver, tous les préjugés qu'on peut avoir à l'égard de gens qui sont différents de nous, de notre groupe. Donc l'histoire, grosso modo, c'est ça. Donc, on veut qu'il parte. Et puis finalement, il part. Et puis là finalement, les gens se retrouvent entre eux dans une espèce de groupe où tout le monde se ressemble. En fait, il n'y a pas de diversité, pas de richesse, pas d'échanges. L'on commence à trouver que le voisin d'à côté là bas, son cousin, il est comme si, puis son cousin il est comme ça. Puis que finalement, si je peux dire la morale de l'histoire, c'est que l'on a toujours besoin de trouver quelque chose qui est différent chez l'autre sous prétexte que finalement, nous on est dans le jugement, nous ce qu'on est, c'est très bien, mais le regard qu'on porte sur les autres est forcément teinté, encore une fois, de nos préjugés, donc on va trouver...je ne sais pas qu'il a les pieds trop grands qu'il a le nez trop petit, qu'il a les cheveux trop bouclés, qu'il a la peau trop foncée. Bon, bref, c'est très métaphorique. Mais c'est ça en fait l'histoire des chats. 

Emmanuelle [00:04:56] Alors on a commencé sur l'orthographe. Et maintenant, tu me parles de racisme. Tu m'expliques là?

Carole [00:05:04] Oui, c'est parce que la littérature de jeunesse, comme je disais, c'est un artefact de choix où on peut très bien travailler ce qu'on appelle la réception donc la lecture et la production, donc l'oralité et l'écriture. Donc, à travers des thèmes qui peuvent faire écho aux élèves, notamment en contexte ontarien, par exemple, où on a des élèves qui sont majoritairement ce qu'on appelle ici entre guillemets, des minorités visibles, et bien ce sont par exemple des élèves qui vivent déjà une double discrimination parce qu'ils sont minorisés dans un contexte minoritaire et la plupart du temps, ils le sont aussi à l'égard de leur langue parce qu'ils ne parlent pas le français comme on le parle ici. 

Emmanuelle [00:05:41] Alors, qu'est-ce que tu veux dire minorisés dans un contexte minoritaire? 

Carole [00:05:44] C'est que leur groupe, ils se sentent encore plus réduits dans leur appartenance parce que la majorité des élèves, ou en tout cas une grande partie des élèves qui se retrouvent avec eux au sein des classes ou des écoles, n'a par exemple pas la même couleur qu'eux ou le même type de cheveux, en tout cas entre guillemets des phénotypes, si on peut le dire ainsi, différents. Donc, ils sont...ils arrivent dans une société d'accueil qui, déjà, dans un contexte sociolinguistique très particulier, comme tu l'as souligné le français est minoritaire. Eux s'intègrent à cette société-là en ayant un parler différent, un accent différent, des traits physiques différents, une culture certainement différente. Donc, ça fait beaucoup de minorisation, tout ça. Et l'intérêt, quand on travaille avec ces élèves-là, c'est justement d'utiliser ce vecteur puissant qu'est la littérature de jeunesse parce que, à travers les histoires que l'on choisit, on peut complètement traiter de thèmes pour parler de tout, en fait. Donc, on peut complètement parler de discrimination à travers un album qui, de prime abord, parle de chats, mais qui, à différents degrés, va bien évidemment faire écho à l'élève au regard de son groupe, de ce qu'il est, de la société d'accueil, de la langue, etc. Etc. Quand on fait ça et qu'on travaille la compréhension des élèves pour les faire cheminer là-dessus, qu'ils soient minorisés ou pas au sein du groupe., parce que l'idée ce n'est pas simplement de mettre la focale sur le groupe qui est justement minorisé...l'idée, c'est de développer une identité citoyenne chez les élèves, donc c'est de sensibiliser ceux qui ne le sont pas à cette réalité. Donc, l'idée de l'artefact, c'est l'idée du livre de littérature jeunesse c'est une espèce de fil d'Ariane en fait qu'on va dérouler tout au long de la séance, où on va travailler avec les élèves l'oralité, donc leur demander de décrire dans leurs mots. Donc, on travaille l'oral, on travaille le choix des mots dans la langue de scolarisation. On va aussi faire écho à leurs habitus, donc à leur milieu. Bref, ils vont se reconnaître. On va faire entendre leur voix. Ça c'est la première chose et ce qu'on fait aussi beaucoup après, c'est que les mots qu'on a travaillés à l'oral, les mots nouveaux ou les mots qui étaient par exemple je ne sais pas en swahili qu'on va remettre en français, et bien, on va les travailler, on va aller travailler à l'oral aussi et on va ensuite les travailler à l'écrit. Alors, dans ce travail que l'on fait à l'écrit, l'idée, c'est de le faire de façon spontanée. Bien évidemment, il y a une démarche didactique qui est faite, mais souvent, je vais utiliser les orthographes approchées. Donc, c'est à dire qu'on demande, on autorise l'élève, comment dirais-je, à écrire les mots comme il les conçoit avec ses idées à lui, à un moment donné de son développement et de la compréhension du français et on regarde ça quand les mots sont écrits ou les phrases, on va valoriser ce qui est construit chez l'élève, ce qu'il a déjà acquis. Et puis, là où se situe l'erreur orthographique, et bien on va lui demander qu'il explique ses hypothèses, de quelle façon et pourquoi il l'a écrit ainsi. Donc, quand on fait ça, on travaille le métalangage. On va pouvoir expliquer à l'élève, on va lui demander ses hypothèses, donc il va développer aussi toutes ses habiletés métalinguistiques. Et puis, à l'intérieur de ça, on va regarder avec le groupe classe aussi s'il y a consensus, pourquoi les différentes écritures pour arriver à l'écriture dite normée, donc orthographique et tout ce travail qui est fait parallèlement en amont, en même temps et ensuite, et bien ça permet à l'élève d'acquérir une connaissance et d'intérioriser cette connaissance. Donc, le savoir qui était enseigné a été enseigné. Donc on est vraiment dans une transposition didactique. 

Emmanuelle [00:09:08] Tu as parlé de beaucoup de choses. Tu as parlé de faire écho à la vie des élèves. J'imagine que le but, c'est de les investir dans leur propre apprentissage, de créer cet espace d'investissement pour qu'ils puissent s'intéresser à l'objet, parce que c'est ce qu'on disait au début, quand on parle de l'orthographe, ça nous fait sauter en l'air. Mais quand on parle de sujets qui nous sont proches, comme la discrimination, comme le racisme, etc. Là, tout d'un coup, on est d'accord. Et ce qui est formidable Carole quand on parle avec toi, c'est que tu nous donnes tout de suite la recette. Moi, je suis prof et je me dis toujours bon je fais comment? Et quand on parle avec toi, tu nous dis tout de suite voilà comment faire. Maintenant je voudrais savoir mais comment est-ce que tu as été amenée à travailler là-dessus? D'où tu viens? Qu'est ce qui fait...comment comment ce livre On n'aime pas les chats...quelque part fait écho à la vie de Carole Fleuret? 

Carole [00:10:14] Bien moi, je suis originaire de la France, de Paris pour être plus précise et mon grand-père était, comment dirais-je, immigrant de l'ex-Yougoslavie, de la Macédoine plus particulièrement. Et bien évidemment, quand il est arrivé en France, il a vécu beaucoup de discrimination, beaucoup de racisme. En plus, on s'entend que le macédonien ou le serbo-croate c'est une langue qui est extrêmement éloignée des langues alphabétiques telles que le français et l'espagnol. Donc, ça a été difficile pour lui l'apprentissage du français et en plus, sur les chantiers, il ne travaillait qu'avec des immigrants. Et puis, il avait...il a développé son français à lui, qui n'était peut être pas celui qui était le plus syntaxiquement normal, dirons-nous. Mais c'était son français. Et puis bien nous à la maison, dans un cadre familial, dans un habitus et bien on le comprenait complètement. Et ça c'était la première des choses. Et un jour, j'ai quelqu'un qui m'a dit Il est gentil, ton grand-père, mais quand on parle, quand il parle, on le comprend pas bien et ça m'avait profondément blessée et ça m'a interpellée. Et je me suis dit... bien évidemment, avec le recul, je te dis ça dans d'autres mots, mais à l'époque, j'étais jeune. Et puis, c'est vrai que cela m'a profondément blessée. Et puis, j'avais des amis aussi au collège, donc l'équivalent du secondaire au Québec, qui étaient turcs ou arabophones ou peu importe. Et puis, je trouvais qu'il y avait une profonde injustice parce que elle travaillait bien évidemment très fort dans les cours, mais bon, on le sait avec Cummins, il nous l'a largement expliqué que ça prend cinq à sept ans avant que tout ce qui est cognitivo langagier soit mis en place et l'épreuve ne faisait absolument aucun cas des différences d'apprentissage dans la norme et dans l'évaluation. La justice est toujours quelque chose qui m'a profondément touchée, certainement justement en rapport avec l'histoire de mon grand-père. C'est quelque chose qui m'a toujours interpellée. Et puis moi, les langues, depuis c'est toujours...je me suis toujours intéressée aux locuteurs, aux biographies langagières, etc. Etc. Et j'ai aussi pas mal voyagé. En étant en Europe, en Europe c'était quand même facile de le faire. Et puis voilà. Puis après, je suis venue au Québec et je trouvais que c'était intéressant de voir les différences au niveau du statut des langues. Et même si en France, on parle d'État nation, je le sais parce qu'il n'y a qu'une seule et grande langue et même langue et belle langue, c'est le français. Même si les États, même si par exemple au Canada, ont dit autre chose. Mais sur le fond, on a exactement la même finalité. Alors bien évidemment, l'idée ce n'est pas de dire faut pas apprendre le français aux immigrants...loin de moi, cette idée-là, ça ne veut pas dire qu'il faut dévaloriser,  faut pas apprendre la langue. Cependant, ce que je dis, c'est que, au même titre qu'il faut apprendre la langue si on veut développer un sentiment d'appartenance chez les gens, si on veut, si on a envie qu'ils s'imprègnent de cette société, d'en faire partie, d'apprendre la langue, il faut pas qu'ils se sentent en danger pour le faire. Mais si on les minorise en parallèle à cela, eh bien, sachant ce que tu disais tout à l'heure, c'est qu'on n'a pas envie d'apprendre parce que l'affect ça ne fait pas écho à ce que l'on est. Ça ne fait pas écho à l'affect. Donc, ben l'élève il va apprendre pour apprendre, mais il n'aura pas envie d'apprendre en disant ben c'est chouette, ici, je peux être qui je suis. J'ai ma place. Elle me revient donc j'ai envie aussi de faire partie de cette société-là et donc c'est pour ça qu'à travers la littérature de jeunesse et puis tout ce que je peux toucher, l'idée c'est vraiment de développer une identité citoyenne chez les élèves. Ceux qui sont d'ici, qui sont natifs eh bien ça serait peut être important aussi qu'ils soient exposés et qu'ils comprennent peut-être davantage ce que leurs collègues ou leurs amis peuvent vivre. 

Emmanuelle [00:13:46] Mais tu vas plus loin que de... que l'idée de rejoindre l'élève dans son contexte, sa vie, son expérience. Tu parles aussi de créer un pont entre les langues. Et ça, je trouve ça très intéressant parce que tu fais écho à ce que j'appelle moi la pédagogie amie des langues. Alors d'autres, d'autres l'appellent la pédagogie translanguaging, mais moi je préfère amie des langues. Est-ce que tu peux élaborer un petit peu là-dessus? 

Carole [00:14:18] Oui, bien sûr...en cohérence un petit peu avec...avec, bien évidemment, ma posture épistémologique et ce que je fais, il me semble qu'inévitablement, ça convoque la famille. Donc, si on convoque la famille, on la légitime au sein de l'apprentissage. Et la chose qui me... que je trouve terriblement triste et c'est partout pareil, c'est qu'on ne va légitimer que ce qui vient de l'école, donc on légitime les savoirs scolaires et la littératie scolaire, mais à aucun moment on ne va légitimer ce qui vient de la maison à l'école. Et ça, je trouve que c'est d'une violence terrible. Parce que, par exemple, si je...on est encore beaucoup en Ontario, dans les écoles, on entend, de langue française, on entend beaucoup dire il faut parler français à la maison. Il faut que votre enfant apprenne le français. Moi, je veux bien, mais si on se transpose, si on se téléporte en Chine et puis qu'on dit...qu'on dit bon vous apprenez le mandarin à la maison, faut vous y mettre,  on va être complètement dépourvu parce que la langue de l'affect, la langue des frustrations, des joies et des expressions, des sentiments...faut qu'on la mette de côté pour parler la langue de l'autre. Mais la langue de l'autre, moi je la connais pas, ou si peu que je ne peux pas me reconnaître là-dedans. Souvent, les élèves...les élèves comme les parents...en plus, les conditions migratoires ne sont pas équivalentes pour tout le monde, faut pas l'oublier non plus. Et donc, on a des parents qui font entre guillemets de leur mieux parce qu'ils ont quitté leur pays pour du mieux, justement pour leurs enfants. Et là, faut qu'ils parlent le français, mais le français, ils en connaissent très peu, voire des bribes quelquefois. Et là, l'élève arrive à l'école, il parle un petit peu le français de la maison, mais là on lui dit non, ce n'est pas ça non plus. Moi, je trouve ça terriblement violent symboliquement de ne pas reconnaître les répertoires langagiers. Moi, je pense et je suis convaincue et je ne suis pas la seule, que c'est nécessaire et capital si on se dit ouvert à l'inclusion, à la diversité, à la vraie reconnaissance de la diversité au sein des écoles francophones. Eh bien, ça veut dire aussi légitimer les langues des familles, donc légitimer autant ce qui vient de la maison que ce qui vient de l'école et élaborer des ponts, ça peut être, par exemple, avec la littérature de jeunesse. Demander à un parent de venir lire une histoire ou ramener un livre à la maison, puis demander aux parents dans leur langue de l'écrire ou de le dire oralement, il y a plein de façons de faire. 

Emmanuelle [00:16:37] Alors tu parles de deux choses, en fait il me semble. Tu parles de légitimité ou délégitimisation de la famille et donc l'enjeu de la légitimité, c'est de redonner place à la famille, aux parents, aux frères et soeurs, à la communauté, dans l'éducation de leurs enfants, puisque finalement, ce sont eux les premiers éducateurs de leurs enfants, n'est-ce pas? Ça, c'est la première chose. La deuxième chose dont tu parles, ce sont les liens intergénérationnels. C'était intéressant quand tu dis en fait, les élèves, eux, ils se reconnaissent dans la langue de l'école, mais pas les parents. Et donc, en fait, le fait de légitimiser la langue des parents par le biais des élèves dans un contexte scolaire permet finalement à moindre coût de légitimiser les parents non seulement aux yeux de l'école, non seulement aux yeux de leurs enfants, mais aussi dans leurs propres yeux. Alors ma question c'est, on attend quoi? 

Carole [00:17:40] Mais ça, c'est une bonne question. Mais l'idée, c'est vraiment qu'il y a un maillage. Il faut un arrimage. De toute façon, mais on attend quoi? En fait, il y a plein plein de variables qui rentrent en ligne de compte. La première, c'est, comment dirais-je, ce danger permanent de l'assimilation du français au regard des autres langues. Donc, on veut rester. On veut rester précautionneux à l'égard du français parce que c'est vrai que ça a été un gros combat, notamment en Ontario, pour les Franco-Ontariens, pour pouvoir avoir cette pérennité du fait français. Aujourd'hui, il faut l'entretenir. Ça, c'est une réalité. Mais ce regard qui est extrêmement ethnocentré quelque part, fait que ça laisse peu de place aux autres langues au sein de l'école et au sein de la classe. Et c'est là où je pense qu'il y a un vrai travail de déconstruction à faire sur le plan des préjugés et des représentations. Le deuxième aspect c'est que on se dit inclusif quand on regarde tous les programmes et tout ce qu'on peut faire en disant qu'on accepte la diversité. Mais la diversité, on ne l'accepte pas vraiment, on la saupoudre en fait, cette inclusion, cette reconnaissance. On la saupoudre parce que on va faire l'histoire des Noirs. Mais on fait quoi les autres mois de l'année? Je ne sais pas. On va faire la journée de l'art africain, mais on fait quoi les 364 autres jours? Tu comprends? Ce que je veux dire, c'est qu'on est. L'idée est noble. L'idée est noble parce que ça part d'un sentiment qui est on va reconnaître les gens qui viennent d'ailleurs, mais quand on fait ça, on ne fait que réifier les cultures et encore plus accentuer les différences. 

Emmanuelle [00:19:13] C'est ça en fait on parle des autres sans les inclure dans la communauté. 

Carole [00:19:16] C'est ça, il y a eux puis il y a nous. Donc on fait le repas multi-ethnique ça on aime bien aussi. On fait le folklore... comme je disais la Journée de l'art africain, on fait ce genre de choses. Mais ce dont je parle, c'est même pas un travail, c'est une reconnaissance de qui sont les élèves de la classe et plus largement de la population scolaire en étant... en ayant une francophonie qui soit véritablement plurielle et pas simplement de façon sporadique ou juste comme ça, par des espèces de touches qui sont mises. Le troisième aspect, c'est la formation des maîtres qui, à mes yeux, est extrêmement lacunaire parce que le Ministère a fait une modification du programme sur deux ans. Il y avait des choix. Il voulait des stages plus longs, ce qui est normal. Il voulait aussi quelque chose qui soit relatif à la santé, au bien-être, par rapport à l'obésité, très tôt chez les élèves de maternelle et il y a un cours sur la diversité mais il est optionnel. Pourquoi l'est-il? Tu comprends. Donc, je pense qu'il y a des choix politiques, vraiment qu'il faut questionner, mais le veut-on vraiment. Ça, c'est ma vraie première question. Et puis, bien évidemment, si on descend l'organigramme après au niveau des conseils scolaires, qu'est-ce qu'on peut mettre en place pour que ça change? Donc, il faut que le discours change parce que plein d'enseignants nous disent on n'est pas formés pour travailler avec ces enfants-là, mais faut qu'ils parlent français. Il faut toujours parler français, etc. Etc. Donc, il y a vraiment toute une représentation. Il faudrait tenter de mettre en place des structures qui soient à la fois rassurantes en disant l'idée, ce n'est pas d'oublier le français. Bien évidemment qu'il est capital, le français, mais c'est de mettre les autres langues sur le même pied d'égalité. 

Emmanuelle [00:21:01] Alors comment tu peux, comment tu peux convaincre, enfin convaincre...trouver des arguments pour un arrière petit-enfant de Franco-Ontarien qui s'est battu pour la survie du français, qui a obtenu très tard, c'est-à-dire à la fin des années 90, des conseils scolaires pour pouvoir enseigner en langue française. Enfin je veux dire, ça a vraiment été une lutte de longue haleine pour laquelle j'ai énormément d'admiration. Comment tu peux leur dire on introduit d'autres langues, mais on ne met pas en danger la langue pour laquelle on s'est battu à tout crin. 

Carole [00:21:42] Oui, bien sûr. Bien sûr que c'est un énorme travail. Et puis ce passé douloureux. Moi, j'en parle aux étudiants parce que je pense que c'est capital. Et puis, je pense qu'il faut en avoir conscience. Mais encore une fois, le travail à faire je crois de fond, c'est vraiment déconstruire ces représentations qu'on a...à savoir si on autorise d'autres langues dans la salle de classe, je vais perdre le français. L'idée, c'est pas que tous les profs parlent toutes les langues du monde, même si ça serait très chouette, c'est impossible. L'idée, c'est d'autoriser l'élève à utiliser sa langue, si ça peut l'aider à faire des transferts, des allers-retours cognitifs pour mieux appréhender le français. L'idée, c'est vraiment de dire voilà, je suis dans une nouvelle société, dans une nouvelle structure d'accueil, dans un nouveau pays, avec une nouvelle langue. Si j'ai envie d'appartenir à ce groupe et envie de parler leur langue, il faut que j'y soit autorisé. Mais ça veut dire que ce n'est pas au détriment de la mienne ni de qui je suis, ni de mon groupe. Et je pense qu'il est là, ce vrai travail. Et ça va être difficile pour la bonne et simple raison que, comme tu le mentionnais très justement, il y a cette peur et cette frilosité et cette douleur qui est aussi passée de génération en génération chez les Franco-Ontariens. Je pense que c'est important de s'en rappeler parce que le passé raconte une histoire et il n'est pas question de mettre de côté, d'éradiquer cette histoire. L'idée, c'est de dire OK, ça, on l'a eu. Maintenant, on en est là. On a aussi une immigration en Ontario très francophone. Comment est-ce qu'on peut arrimer les deux? Je suis convaincue qu'il y a moyen de pouvoir faire un maillage entre les différents français parlés surtout que, entre parenthèses, en Ontario, la majorité, par exemple des francophones qui arrivent viennent d'Afrique du Nord, donc ancienne colonie française, ou viennent d'Afrique, ancienne colonie belge et française, donc dans tous les cas du côté francophone je parle, ce sont des locuteurs du français. Donc c'est tout..c'est comment dire. C'est tout bénef, comme on dit chez nous. Non mais c'est vrai, j'veux dire t'as tout à gagner de donner encore plus envie aux gens d'intégrer le français dans leur nouvelle société si eux mêmes ne se sentent pas mis en danger. Alors oui, il y a un vrai travail de déconstruction à faire sur les représentations, il faut essayer de limiter...il faudrait y aller de façon comment dirais-je, très, très, très graduelle, pour montrer qu'il n'y a pas de menace. Que l'idée ce n'est pas l'une au détriment de l'autre....l'idée, c'est d'arrimer les différentes langues. Si on a... aujourd'hui la francophonie, il faut la repenser. Donc, l'idée ici c'est pas de dire c'est une langue au détriment d'une autre, c'est de créer un maillage, de montrer à quel point les francophones d'Afrique, peu importe d'où ils sont en Afrique et de l'Ontario arriment leurs connaissances plurielles de la francophonie. Ça ne fera que les rendre plus forts. Donc, c'est ça qu'il faut expliquer aux gens. Et pour faire cela, et bien ça va effectivement être un travail de fond, ne serait-ce que d'essayer de réduire cette anxiété, cette espèce de, comme tu disais, de peur viscérale de perdre la langue. C'est une réalité. Mais est-ce que c'est les immigrants qui vont leur faire perdre la langue? Je suis pas convaincue de ça, 

Emmanuelle [00:24:56] Alors Carole, je vais te dire un secret. Quand j'habitais la Hollande et que mes enfants étaient petits, un jour je suis allée à l'école et l'institutrice que j'aimais beaucoup par ailleurs, est venue me trouver et m'a demandé d'un air très ennuyé, de ne plus parler le français dans la cour de l'école avec mes enfants. Alors, elle parlait à la mauvaise personne. Je crois qu'elle s'en rendait pas compte à l'époque, mais quelque chose qui m'a beaucoup marqué...j'ai été prise d'une colère épouvantable, à tel point que je suis rentrée chez moi, je ne l'ai pas montré, je suis restée de glace et j'ai demandé aussi pourquoi. Et en fait, j'ai appris que l'école avait demandé à des parents qui...arabophones, de ne plus parler l'arabe entre eux. Et l'idée, c'était que si ils parlaient l'arabe entre eux, ils n'allaient pas socialiser avec les autres parents. Et les parents, bien évidemment, on dit oui ben si on arrête, pourquoi Emmanuelle, elle, a le droit de parler le français. Donc ils étaient venus vers moi pour me demander d'arrêter le français. Alors non seulement ça n'a pas marché, mais en plus, je suis allée voir les parents en question que j'ai soutenus dans leur combat. Mais ce que je veux dire, c'est que si j'ai quand même pu rétablir, établir une relation sympathique avec ces parents, la relation avec l'école ne s'est jamais rétablie, ni pour eux, ni pour moi. Donc, je pense qu'on ne se rend pas compte dans l'autre sens. On se rend pas compte de ce qu'on fait quand on donne des conseils aux gens sur les langues. Moi, je parle souvent d'un lien génétique avec les langues. 

Carole [00:26:46] Oui et puis, comme je te dis on légitime ce qui vient de l'école, mais on légitime jamais ce qui vient de la maison et l'idiome par lequel les pratiques discursives depuis que les enfants viennent au monde, c'est bien la langue de.. la langue de la maison et du jour au lendemain, c'est pour ça que je te parle toujours de violence symbolique. Du jour au lendemain, on leur dit : tu n'existes plus, tu ne parles plus ta langue, tu dois apprendre telle langue et te façonner de telle façon. Et ça, je trouve que c'est terrible et je comprends, encore une fois, je comprends dans quelles perspectives, qu'est ce qui est visé comme finalité. Je le comprends, mais dans la forme, c'est terrible, c'est violent, c'est abominable, comment c'est violent. Et...et on a pas le droit de faire ça...quoi je veux dire..on a juste pas le droit. Et le pire, c'est qu'on va évaluer les enfants de la même façon, etc. Avec tout ce que ça implique derrière. Donc, ils vont louper des matières. On va leur donner un plan d'intervention, donc un autre stigmate. On leur colle une étiquette. Alors qu'en fait la majorité du temps, ils ne sont pas en difficulté ces élèves-là, ils sont en train d'apprendre. On leur enseigne une langue dans laquelle ils apprennent est-ce qu'on peut deux minutes leur laisser apprendre la langue avant de juger qu'ils sont en difficulté? 

Emmanuelle [00:28:01] Alors j'aime beaucoup la démarche que tu nous as indiquée... des orthographes approchées, qui est de dire à l'élève : bon bah, voilà le mot, tu l'as entendu, écris-le comme tu veux. Est-ce que tu vas jusqu'à demander à l'élève de l'écrire dans sa langue? 

Carole [00:28:18] Bien sûr, l'idée c'est que... selon bien évidemment le type de livres que j'utilise, des fois je vais prendre des plurilingues, des fois, ça va être des clins d'oeil juste à la culture. Mais là, l'enfant, tout de suite, ça évoque. Avec Nathalie Auger, par exemple, dans une recherche, on travaillait autour d'un livre qui s'appelait Le magasin de mon père donc c'était au Maroc, Mohamed était le fils d'un tapissier. Il voulait lui apprendre à dire bonjour dans plusieurs langues, mais lui, il voulait juste aller jouer avec son tapis. Finalement, il va au souk..il y a un trou dans le tapis. Il y a un coq qui lui ressemble. Et là, il se met à apprendre à dire cocorico dans toutes les langues. Bref, grosso modo, c'est ça l'histoire. 

Emmanuelle [00:28:56] Je vous avais dit que Carole raconte très très bien les histoires... 

Carole [00:29:00] Je mets en contexte. 

Carole [00:29:02] Et dans cette histoire, c'est très drôle parce que...on voit, on est vraiment dans ce qu'on peut trouver dans les cultures, notamment le père qui sert du thé et on voit vraiment la petite fille, elle dit Ah oui, et puis là, elle cherche en français le mot « thé », mais elle l'a pas et elle va dire oh « atay ». Donc, là on sait que c'est le thé. Donc, quand elle dit, ça, on l'entend on l'écrit. Et puis elle l'écrit comme elle pense. Donc, l'idée c'est pas de dire tu fais n'importe quoi. L'idée, c'est de...on part de ce qu'elle a acquis en termes de connaissances. Puis, par exemple, je ne sais pas. Chez les arabophones, quelque chose qu'on remarque souvent, c'est les nasales. Comme c'est une langue, comme c'est une langue à consonnes. Je vais essayer de ne pas jargoner, comme c'est une langue à consonnes, souvent les voyelles. Il y a très peu. Il y a trois voyelles en arabe, donc, et nous on a beaucoup de -an-on quand on se pince le nez...toutes ces voyelles là sont ce qu'on appelle nasales. Et souvent, chez les élèves arabophones, ce qu'on se rend compte c'est que comme ces voyelles là ne sont pas construites dans la langue maternelle, il doit bien évidemment, comme dans toutes les langues comme pour tous les émigrants, développer un répertoire phonologique dans la langue seconde. Et donc, pour ces enfants-là, le -an, le -on c'est difficile à discriminer parce qu'ils l'entendent pas encore. Donc très souvent, ils vont écrire « éléphont » ou ils vont écrire « sorise » aussi, même si c'est pas nasal ils vont écrire « sorise ». Donc l'idée, c'est de les laisser faire comme ils pensent et après de revenir dire est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu as mis cette lettre là ou bla-bla. Puis là, ils font des hypothèses, ils expliquent. Donc l'idée, c'est que je confirme, je valide ou comment dirais-je je confirme ou pas, si tu veux, j'infirme ou je confirme j'suis arrivée à l'hypothèse. Et puis après, je dis est-ce que par exemple tu connais d'autres façons de faire ce son-là ou est-ce que tu connais toi-même d'autres mots qui ont le même blablabla? Et là ah oui, et donc, on le fait...puis on fait un consensus en groupe. Et puis voilà. Et c'est comme ça en fait qu'on va solliciter l'affect, autoriser les transferts d'une langue à l'autre, valoriser la langue puisqu'il a le droit de s'appuyer dessus. Et la finalité, c'est quoi? C'est qu'on a passé l'objet langagier, à savoir discriminer le -an du -on, par exemple. 

Emmanuelle [00:31:04] Ah, c'est intéressant ce que tu dis. Et je voudrais revenir à la formation des enseignants. On voit quelque chose qui se développe de plus en plus. Qui est l'idée des profils d'apprenants en fonction des langues qu'ils ont acquises. Je me demandais si, par exemple, je suis tombée récemment sur ce type de profil qui dit par exemple que le romani ou le roma, le rom, c'est une langue indo-européenne, d'abord ce n'est pas une langue, c'en est plusieurs, mais voilà qui descend des langues indo-aryennes de l'Ouest, etc. C'est une structure qui est proche du gujarati. Et puis ensuite, on explique le système d'écriture. Et puis, on ajoute quels sont les dialectes qui découlent de ces langues. Et puis, on parle aussi de la prononciation, de la grammaire et des éventuelles difficultés que ces élèves pourraient rencontrer en apprenant nos langues. Ça pourrait être l'anglais ou le français dans le cas du Canada. Est-ce que tu es pour ce type de profil de développement dans la formation des enseignants? Je vais dire pourquoi je te dis ça. Parce que je trouve que encore une fois, c'est intéressant. C'est vrai. Mais est-ce qu'on enferme pas l'élève dans un format, un stigmate, celui dont on veut échapper? 

Carole [00:32:27] Oui, complètement. Je trouve qu'il faut faire attention avec les profils, il y a toujours une dangerosité derrière cela, dans la mesure où après, on a une espèce de pensée extrêmement rigide, on fait des... oh, il est ça, il est ça toc, toc toc. Il est ainsi, oh ben je vais faire ça et puis ça va fonctionner. C'est un petit peu plus complexe que ça, surtout que on a des élèves, notamment les réfugiés, qui passent par différents camps, par différents pays qui, entre temps, ont appris qu'on a déjà une biographie langagière en ayant des bases dans une autre langue, etc. Toute façon, tout ce qui touche les langues, les cultures, les individus c'est jamais blanc ou noir. C'est souvent extrêmement gris et même dans le gris, on a encore des nuances à n'en plus finir. Donc, ça peut être intéressant. En fait, ce que je crois des profils, c'est que ça dépend de la façon dont c'est exploité. Quand on forme les enseignants, si, comme tu le dis, on enferme des élèves dans une boite, on fait une espèce...une sorte d'analyse contrastive entre la langue qu'ils doivent apprendre et puis l'autre. Là, c'est dangereux parce qu'effectivement, il y a les parcours migratoires et les langues qui ont été apprises entretemps. Et encore là, on peut aussi...il y a des variations dans les accents...il y a des variations dans les intonations. Donc, ce n'est pas si blanc ou noir que cela. Ce que... c'est intéressant, dans le sens où ça peut au moins sensibiliser les profs aux langues, aux populations potentielles qu'ils peuvent avoir dans leur salle de classe mais ce n'est pas suffisant, bien évidemment, ce n'est pas suffisant parce que si on ne se contente que de ça ben après le prof il se dit « Bon, ben, c'est comme ça oh ben tiens, je vais faire une activité comme ça, puis ça va être parfait ». Non, parce qu'encore une fois, on travaille avec de la matière humaine, des enfants qui ont leur histoire, qui ont leur vécu, qui ont leur histoire scolaire aussi, quelquefois elle a été interrompue à cause de la guerre, des évènements géopolitiques. Bref, il y a plein de variables à prendre en jeu. On ne peut pas séparer. On ne peut pas simplement mettre la langue comme un objet d'apprentissage en faisant fi du contexte familial, social, migratoire. Tout ce qui vient avec en fait. Y'a pas de langue sans culture, il n'y a pas de culture sans langue. La culture première, c'est la famille, c'est l'habitus. On ne peut pas mettre ça de côté pour simplement prendre la langue comme la seule variable à considérer. En disant bah je veux faire ça et ça, et puis ça va marcher. 

Emmanuelle [00:34:45] J'aime ça, j'aime ça. C'est un peu plus compliqué. Et la culture première, c'est la famille. Merci Carole. Si on devait lire un ou deux articles que tu as écrit, lesquels est-ce que tu nous recommanderais? 

Carole [00:35:00] Le premier que je proposerais, c'est justement un qui va en fait contextualiser tout ce que j'ai pu dire autour de la littérature de jeunesse. Je l'ai écrit avec ma collègue Cécile Sabatier. Il s'intitule La littérature de jeunesse en contextes pluriels. Perspectives interculturelles, enjeux didactiques et pratiques pédagogiques. Il est dans un numéro spécial qui est sorti dans Recherches et applications, le français dans le monde qu'a été justement dirigé par Chiara en Suisse, 

Carole [00:35:29] et le deuxième...

Emmanuelle [00:35:31] Il y a plein de X c'est poétique... 

Carole [00:35:35] Et le second c'est un qui est sorti aux Cahiers du CCERBAL en 2019 que j'ai écrit avec ma collègue Nathalie Auger, qui s'appelle Translanguaging, recours aux langues et aux cultures de la classe autour de la littérature de jeunesse pour des publics allophones d'Ottawa Canada et de Montpellier France. Opportunités et défis pour la classe. Ils sont en ligne tous les deux et ça reprend vraiment... celui avec Nathalie, en fait, est intéressant parce qu'on a. ..c'est un petit peu ce que j'expliquais au niveau des dissonances. Donc on a des profs parce que l'article tourne autour d'une expérience en salle de classe en France. Donc, la prof est formée pour les élèves allophones, etc. Et puis elle dit Oui, oui, oui, moi, les langues des élèves en salle de classe, c'est important. Mais au bout d'un moment, elle trouve qu'ils parlent trop albanais quand même, que ça serait bien, qu'ils parlent davantage français. Donc, vous voyez qu'on soit en contexte minoritaire ou majoritaire, cette espèce de spectre de langue, de langue ultime dans l'enceinte scolaire, c'est toujours la langue du pays. Donc, bien sûr que c'est beaucoup plus exacerbé en contexte minoritaire, pour toutes les raisons qu'on a expliqué tout à l'heure et qui sont légitimes. Mais même dans un pays comme la France, où s'il n'y a pas de plurilinguisme, là, je me demande où il y en a compte tenu du nombre d'immigrants et de cultures et de groupes ethno linguistiques. Mais malgré tout, ça demeure. Donc je pense que c'est un vrai travail de fond, mais c'est un travail qui va prendre des décennies, voire plus. Peut-être même parce que c'est tellement intériorisé par les politiques, les technocrates qui font les programmes, la façon dont on forme les profs, qu'on parte tout en haut de l'organigramme jusqu'en bas, on ne fait qu'abreuver de français, de normes, etc. Donc ça laisse peu de place au rêve. 

Emmanuelle [00:37:20] Alors je vous avais dit que Carole était une conteuse extraordinaire. Je pense que c'est très clair. Carole, juste pour terminer en une phrase, qu'est-ce qui te fait rêver? Qu'est-ce qui te fait rêver? 

Carole [00:37:37] Moi, maintenant, ou ce que j'aimerais? 

Emmanuelle [00:37:39] Comme tu veux.

Carole [00:37:41] Mais écoute, il y a plein de choses qui m'allument, c'est pas une chose en particulier, ça prendrait plus de 40 minutes. Je dirais que mon voeu oui, mon vœu pieux, mon voeu au niveau éducationnel, ça serait justement une reconnaissance unanime des populations scolaires et de leurs langues dans les salles de classe. Qu'on arrive à faire tomber ces barrières. De voir le français comme la seule lingua franca qu'on est capable de parler dans les établissements scolaires alors que...encore une fois, je trouve qu'il y a une telle violence symbolique qui est irradiée sur les élèves à cause de ce fait français. Ouais, ça serait alors ça. Ça serait vraiment un voeu pieux qu'on aborde, qu'on aborde l'élève autrement. Pas simplement dire qu'il est actif dans ses apprentissages, mais qu'on le prenne pour un être à part entière avec ce qu'il a à dire, ce qu'il a à nous apprendre, au même titre qu'on apprend de lui, au même titre qu'on lui apprend des choses et qu'il ait sa place à part entière. Pas simplement qu'il soit un numéro de casier ou un numéro de matricule pour des examens ou pour... qu'il ait sa place. Ça, ça serait vraiment un voeu très pieux. 

Emmanuelle [00:38:55] Merci Carole. J'ai rien à ajouter. Alors merci encore. 

Carole [00:38:57] Merci. C'était un vrai plaisir de m'avoir invitée. 

Emmanuelle [00:39:00] J'adore terminer avec la formule franco-ontarienne qui est « au plaisir ». 

Joey [00:39:06] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca