Quoi de neuf ?

Entretien avec Diane Gérin-Lajoie

November 02, 2020 Les cafés du CREFO Season 1 Episode 7
Quoi de neuf ?
Entretien avec Diane Gérin-Lajoie
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Diane Gérin-Lajoie, membre du CREFO et professeure émérite à l'Université de Toronto.

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Diane Gérin-Lajoie, professeur émérite à l'Université de Toronto. 

Diane [00:00:07] Oui, c'est important que les enfants parlent en français et reconnaissent l'importance de la langue française et de la communauté de langue française. 

Joey [00:00:19] Bienvenue à Quoi de neuf! 

Emmanuelle [00:00:36] Bonjour et bienvenue au café CREFO. Quelle joie de recevoir ma collègue la professeur Diane Gérin-Lajoie aujourd'hui. Bonjour Diane!

Diane [00:00:45] Bonjour Emmanuelle! 

Emmanuelle [00:00:46] Diane, tu es professeure émérite en sociologie critique de l'éducation. Tu es rattachée au département de Curriculum, Teaching and Learning d'OISE à l'Université de Toronto. Tu as pris ta retraite récemment, mais tu continues ta recherche étant toujours rattachée au CREFO dans les domaines de l'éducation des minorités raciales, ethniques et linguistiques. En tant que chercheure, tu t'intéresses particulièrement au rôle de l'école dans la production et la reproduction de l'identité et à l'enseignement en milieu minoritaire. Pour toi et là, je te cite,        « l'école en milieu minoritaire est un contexte social que tu étudies dans son ensemble en lien avec la communauté » fin de citation. Diane, tu m'as précédée, toi aussi, en tant que directrice du CREFO pendant de nombreuses années. Tu as écrit de nombreux livres. Je peux en citer quelques-uns : Youth, Language and Identity. Educators Discourses on Student Diversity in Canada. Le rapport à l'identité des jeunes des écoles de langue anglaise au Québec. Parcours identitaires de jeunes francophones en milieu minoritaire. Et la raison pour laquelle je cite ces titres, c'est qu'ils disent bien ton engagement inlassable pour le Canada et pour cette langue, le français que tu aimes. Et cet engagement t'a value d'être nommée en 2020 et nous en sommes très fiers, membre de la Société royale du Canada à l'Académie des sciences sociales. Quel honneur pour toi et pour nous? N'est-ce-pas? 

Diane [00:02:22] Oh oui, ça c'est quelque chose qui est vraiment chère à mon coeur. C'est vraiment un honneur...c'est difficile à expliquer finalement parce que je ne m'attendais pas à ça. Et simplement de présenter ma candidature, c'était déjà là quelque chose de... qui était vraiment..en tout cas qui valait beaucoup pour moi. Puis d'avoir été élue comme membre...pour moi c'est vraiment un grand honneur. 

Emmanuelle [00:03:00] C'est intéressant parce que justement, j'allais parler d'identité et quand on parle d'identité, on parle de reconnaissance, bien sûr, mais on parle aussi de racines. Moi, je suis une migrante, une déracinée. J'ai vécu longtemps en dehors de la France. En fait, aussi longtemps en dehors de la France qu'en France et une des questions les plus difficiles à répondre quand on me la pose c'est d'où viens tu. Alors je veux de la poser cette fois à mon tour, Diane, d'où viens tu? 

Diane [00:03:27] Bon, moi, je suis née au Québec, je suis Québécoise. Je suis née dans la région de la Mauricie qui est finalement entre Montréal et Québec. Et j'ai vécu aussi à Montréal une dizaine d'années avant de venir faire mes études de doctorat justement à OISE. Et d'où je viens finalement, est toujours très présent dans la façon dont je conçois la vie politique, la vie sociale, les pratiques sociales dont je suis témoin, même si ça fait plus longtemps finalement que je vis à Toronto. J'ai vécu à Sudbury. J'ai vécu à Toronto et à Sudbury pour un retour vers Toronto et je dois dire que sur le plan de l'identité, je me perçois toujours comme étant Québécoise, bien que je défends les droits de la communauté franco-ontarienne, je travaille dans ce contexte-là. Mais moi, je me suis toujours dit, pour avoir grandi au Québec au moment où il y avait quand même une crise politique importante et des changements importants. Je me suis dit que de me nommer Franco-Ontarienne c'était pas pour moi la meilleure chose à faire, même si ça fait longtemps que j'habite ici parce que moi, j'ai pas participé aux luttes, aux luttes des franco-ontariens dans le domaine scolaire, dans le domaine de la reconnaissance au niveau du gouvernement, des trucs comme ça. Donc...mais je suis très près par contre des causes franco-ontariennes.

Emmanuelle [00:05:26] Tu penses que de se dire Franco-Ontarienne, ça se mérite? 

Diane [00:05:33] C'est... là maintenant on a une définition inclusive. C'est quoi un franco-ontarien? C'est basé sur la langue, c'est basé sur la langue d'usage. Il y a quand même des...encore je pense, des divergences d'opinions sur cette définition là. Souvent, les gens ont dit bon ben les franco-ontariens ce sont vraiment les gens qui ont leur racine...sont de l'Ontario français. Par contre, de plus en plus de gens, surtout avec l'augmentation du nombre des migrants et des migrantes  francophones en Ontario, puis surtout dans la région de Toronto et d'Ottawa, cette définition-là de francophone de souche, c'est vraiment exclusif, ça exclut toute cette nouvelle population là qui vient se joindre au rang de la francophonie ontarienne. Donc je pense que c'est bien à propos d'avoir cette définition inclusive de c'est quoi un franco-ontarien, une franco-ontarienne. Mais moi, personnellement, la façon dont je conçois mon identité, ça demeure encore une identité québécoise. 

Emmanuelle [00:07:02] Diane, merci. Je suis fascinée par les noms de famille canadiens francophones parce qu'il y a toute une chanson. Je te l'ai déjà dit, j'ai eu l'occasion de te le dire et j'adore le tien, en particulier le côté Lajoie, j'aurais adoré m'appeler Lajoie. Je crois que j'aurais aussi eu beaucoup moins de problèmes d'orthographe...de mal orthographié, etc. Et je me souviens aussi d'une de mes étudiantes qui s'appelait Beauregard. C'est tellement joli, c'est tellement chantant. Donc j'aurais aimé m'appeler Lajoie. Mais ce qui est certain, c'est que ton nom, t'ancre dans une terre géographique, n'est-ce pas? Dans un espace géographique. Est-ce que ça fait partie de ta légitimité en tant que francophone, franco-canadienne? 

Diane [00:07:49] Pas vraiment dans le sens que, mon nom j'y tiens puis je trouve que c'est un beau nom, puis j'aime bien mon nom. Les Gérin-Lajoie, au départ, était installés dans une petite région de Québec qui s'appelle Yamachiche. Mais j'ai pas eu le coup de coeur pour Yamachiche pour autant. Donc, j'ai peut-être mal compris ta question. C'est certain que mon appartenance demeure au Québec. Je ne mes sens pas nécessairement...je n'entrerai pas dans les discussions politiques. Je ne me définirais pas nécessairement comme une Canadienne-Française pour toutes sortes de raisons. Donc, je pense que je réponds pas à ta question. 

Emmanuelle [00:08:40] Si tu réponds très bien à ma question, alors finalement j'essaye de comprendre qui tu es. Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! 

Diane [00:08:51] Bon, ben c'est moi. C'est aussi simple que ça avec je sais pas. Je pense pas qu'on puisse définir quelqu'un nécessairement uniquement à partir de son nom ou sa région, la région où cette personne est née. Je pense que c'est à travers les pratiques sociales puis à travers justement les rapports de pouvoir parce que les pratiques sociales sont toujours fondées sur des rapports de pouvoir. C'est ça finalement qui définit qui on est donc t'as toujours le regard des autres sur toi mais qui vient influencer la façon dont tu te perçois comme un individu, comme individu. Je pense que c'est plus...dans les... si, par exemple, on s'arrête au concept de l'identité. Moi, l'identité, c'est vraiment un processus qui est toujours en changement, qui est toujours en mouvance. C'est pas quelque chose qui demeure, c'est pas quelque chose que tu as au moment où tu viens au monde puis qui change pas jamais. Souvent, en milieu majoritaire, les gens vont prendre cette définition là parce ils ont pas à se questionner sur leur rapport à l'identité. Parce qu'ils sont.. ils font partie de la majorité. Mais je pense que quand tu étudies où tu essaies d'analyser ce concept là puis quand on tient compte justement de l'influence du milieu sur sa façon de se percevoir, c'est certain que l'identité est pas nécessairement...puis je parle plutôt de l'identité par rapport à la langue, par rapport à la culture, par rapport à l'ethnie aussi. Je ne parle pas nécessairement d'autres formes parce qu'on sait bien qu'on a tous et toutes plusieurs identités, que ce soit l'orientation sexuelle, que ce soit la capacité physique ou pas. Mais c'est ce que je veux dire, c'est que... 

Emmanuelle [00:11:03] C'est vrai Diane, c'est vrai. Mais cela dit, le nom est vraiment un marqueur d'identité. Quand tu t'appelles, si tu t'appelles Gérin-Lajoie ou si tu t'appelles Vorstman ou si tu t'appelles Le Pichon, on va te situer quelque part. À tel point que c'est souvent utilisé comme un mode, un motif de discrimination, par exemple, à l'emploi.

Diane [00:11:27] Oui, c'est certain. 

Emmanuelle [00:11:27] Le nom va faire que tu vas être employé, oui ou non. Donc, et c'est ce que tu disais dans certains milieux, on n'a pas besoin de se poser la question parce que justement, on a le nom qui correspond à l'emploi. 

Diane [00:11:38] Ouais. Oui, pour le nom, oui, je suis d'accord avec toi. Souvent, les noms vont donner une idée de qui est la personne sans nécessairement connaître la personne. Puis je peux parler de l'accent tant qu'à ça...Mais je pense que....je ne crois pas fondamentalement que ce soit ton nom qui te définisse comme personne, c'est ça que je veux dire. Parce que ton nom c'est dans les yeux de l'autre, la façon dont les autres te perçoient. Mais c'est certain que quand on parle de l'identité linguistique, l'identité culturelle, l'identité ethnique, ce sont des processus qui se...qui se développent, dépendant de la situation dans laquelle on se trouve et aussi comme moi, par exemple, quand j'étais au Québec, je me suis considérée majoritaire comme faisant partie du groupe majoritaire parce que au Québec, 90 % en tout cas à l'époque, 90 % de la population était francophone. Donc je faisais partie de la majorité. C'est certain que si tu regardes le Québec par rapport au Canada, j'étais une minorité, mais moi, je me suis jamais sentie une minorité parce que j'habitais le Québec. Puis vraiment pour moi, le Québec, c'était l'endroit auquel j'appartenais. Quand je suis arrivée à Toronto, ça a été un peu comme si je changeais de pays parce que je changeais de langue et je changeais d'environnement social. Et je suis devenue finalement membre de la minorité francophone. Mais au départ, ça s'est pas posé comme comme question parce qu'à l'époque, quand je suis venue faire mon doctorat, j'étais toute seule. Et j'ai pas...je vivais en anglais avec difficulté, mais ça demeurait que j'étais dans un milieu anglophone. Je me suis pas posé la question, est-ce que je pourrais vivre en français 24 heures par jour? Je ne me suis même pas posé la question, comme souvent les anglophones au Québec se la posent par rapport au... par rapport au français, s'ils peuvent vivre en anglais 24 heures par jour. Donc quand je suis arrivée, c'est vraiment au moment où j'ai eu ma fille que j'ai commencé à me poser des questions par rapport à ce rapport à l'identité là, à savoir...

Emmanuelle [00:14:21] J'ai eu la même chose.

Diane [00:14:22] Mon mari, mon mari, et le père de Mélanie notre fille est américain, parlait pratiquement uniquement l'anglais et il a appris le français au fur et à mesure avec moi. Mais c'est à ce moment-là, quand Mélanie est née où je me suis demandée bon qu'est-ce qu'on fait; elle va aller à l'école de langue...pour moi, il n'était pas question qu'elle ne parle pas du tout français. Et ma mère à l'époque ne parle pas anglais. Quand je lui ai dit que j'étais enceinte la réponse qu'elle m'a fait, la réaction qu'elle a eue ça a été de dire « Oh ben bon dieu, je ne pourrai jamais lui parler à cet enfant-là ». Et moi, je n'avais jamais pensé que Mélanie pouvait ne pas parler en français. Donc c'est là qu'on a décidé, Steve et moi, que Mélanie irait à l'école de langue française, parce que on choisissait l'école de la minorité dans le contexte où on habitait et on a toujours été, ça a été vraiment au niveau de la famille. Au début, ça a été... ça a été dans les deux langues et de plus en plus quand on est tous les trois ensemble, c'est toujours en français ou à peu près. 

Emmanuelle [00:15:31] C'est intéressant. Donc tu as reconnu, à partir de ce moment là, bien avant que tu fasses tes recherches là-dessus, que l'école avait une responsabilité importante en ce qui concernait la socialisation des élèves, n'est-ce-pas? 

Diane [00:15:44] C'est-à-dire au moment où Mélanie est venue au monde, c'était plus en termes de garderie et aussi de l'école, mais moi, j'ai commencé à OISE comme prof. Mélanie est entrée à l'école. Donc elle avait été dans des garderies de langue française et quand...on a habité 2 ans à Sudbury, puis, à ce moment-là, elle était toute petite. C'est là où elle a fréquenté une garderie pour la première fois. Et puis la garderie était une garderie bilingue, c'était à l'université et...c'était bilingue dans le sens que...oui, c'est ça c'était bilingue je pense mais ils séparaient je pense les francophones des anglophones. Ça a commencé comme ça. Puis, quand on est revenu à Toronto elle est allée à une garderie francophone qui se trouvait à être dans une école de langue française. Mais cette préoccupation là, avec la langue française, avec la langue minoritaire, ça a toujours été présent dans mon esprit après qu'elle soit née....au moment où elle est née. 

Emmanuelle [00:16:55] Donc, tu avais un... et j'ai eu la même chose avec mes enfants et en particulier avec l'aîné, un vrai souci de transmission non seulement qui allait bien au-delà de la langue qui étais, tu me le dit, le souci qu'elle puisse pas communiquer avec ta mère. J'avais la même chose dont je reconnais vraiment. Je vivais aux Pays-Bas à l'époque et la naissance de mes enfants a vraiment posé ma...en fait, m'a obligée à me positionner, n'est-ce-pas vis à vis de la langue. 

Diane [00:17:24] Mais moi, moi, ça dépassait aussi, si je peux me permettre, ça dépassait un peu la langue parce que je voulais pas...je voulais qu'elle puisse comprendre...je vais employer le mot culture, mais c'est pas culture dans le sens de bien culturel...c'est de comprendre la façon de penser des francophones, puis surtout parce que moi je suis Québecois, la façon de penser des Québécois, si je peux dire jusqu'à un certain point. 

Emmanuelle [00:18:02]  Est-ce que tu as réussi? 

Diane [00:18:04] Oui, je pense, parce que...tu sais quand on est complètement bilingue, on arrive à comprendre l'humour de l'autre langue ce que moi j'ai encore des fois j'ai de la misère. Mais avec Mélanie puis surtout dans le groupe d'enfants à l'école de langue française où elle était, il y en avait pas beaucoup qui étaient élevés vraiment en français. Et, Mélanie était capable avec un de ses copains, le seul parmi toute la gagne, qui vivait aussi avec des parents québécois, qui était en mesure de comprendre les blagues en français. Et ça, pour moi, ça a indiqué...ça m'a indiquée qu'elle avait quelque chose de....qui dépassait la fonction langagière si je peux dire.

Emmanuelle [00:19:08] Une compréhension aussi des normes, etc. Donc pragmatique...une fonction... le côté pragmatique très développé.

Diane [00:19:15] Oui mais plus que ça...en allant même dans les racines...tu comprends-tu? C'est plus que...

Emmanuelle [00:19:21] C'est ça, un enracinement...

Diane [00:19:24] Je vais donner un exemple. Steve, mon mari, est de descendance suédoise. Et à part le repas qu'il fait dans le temps de Noël, le repas suédois, il a pas appris la langue, ses parents quand ils sont arrivés parlaient le suédois, mais finalement, il a pas appris la langue. Alors, c'est très...pour lui là ça s'arrête beaucoup à un niveau culturel, un niveau quasiment multiculturel dans ça, on parle en terme disons un terme qui est employé aujourd'hui. Tandis que...quand on comprend une langue et qu'on comprend les nuances et ce que les mots veulent dire mais au- delà de la définition du dictionnaire, je pense que ça veut dire beaucoup ça...puis on le voit beaucoup dans les écoles de langue française. Cette...c'est pas un manque d'équilibre mais c'est très clair que les enfants qui sont dans les écoles de langue française, en Ontario, par exemple, sont là pour différentes raisons et ne sont pas nécessairement élevés dans des familles où le français est une langue d'usage. 

Emmanuelle [00:20:54] Donc tu nous parles en fait...ce dont tu nous parles depuis tout à l'heure, c'est de cette relation que j'appelle bidirectionnelle entre la langue et ce que tu ne veux pas nommer, mais que tu nommes quand même, la culture. Sauf que tu nous parles de ta fille alors je ne sais pas quel âge elle a exactement, mais j'imagine peut-être 30 ans et le monde a changé depuis cette époque et les écoles de langue française ont changé depuis cette époque, c'est une époque révolue. Donc, tu disais déjà à l'époque qu'il n'y avait qu'un petit garçon qui était...qui était lui aussi d'origine québécoise. Et encore, dans ton cas, c'était déjà une famille mixte. Donc, c'est bien, tu fais référence à une culture que tu as su encadrer de manière mais je me dis.... 

Diane [00:21:41] Mais c'est ma culture, c'est pas nécessairement la culture de l'école. Finalement mon rapport à la culture, dans mon contexte. 

Emmanuelle [00:21:50] C'est ça. Alors... 

Diane [00:21:53] Quand on parle des écoles de langue française, par exemple, avec la diversité raciale et ethnique à l'intérieur de ces écoles-là, c'est certain que la....la culture doit...doit évoluer. Puis ce qui arrive dans les écoles de langue française présentement, c'est que même si on parle d'une pédagogie culturelle, même si à partir de la politique d'aménagement linguistique qui date de 2004 et qui n'a pas encore été révisée, c'est-à-dire la révision a été faite mais c'est pas encore possible d'avoir cette révision là.. 

Emmanuelle [00:22:37] Et quand tu parles de révision tu parles de quoi exactement? 

Diane [00:22:40] Ben je veux dire j'ai pas participé aux révisions, mais depuis 2004, il y a quand même eu des changements qui s'est fait au niveau des... de la salle de classe, au niveau des approches pédagogiques puis tout ça. Mais je peux pas en parler parce que j'ai pas participé à ces révisions là. Mais ce que je veux dire par là, c'est que on se base toujours sur le document de 2004, mais il y a eu d'autres documents qui sont venus épauler cette politique là et où on tente de tenir compte davantage de la diversité, parce que dans les écoles de langue française, il y a deux phénomènes, il y a le phénomène de la présence de... d'anglos dominants si je peux dire d'élèves qui parlent davantage l'anglais que le français. Puis il y a aussi toute cette...cette...ce contexte là où on a une clientèle scolaire qui est issue de l'immigration et je dois préciser par rapport aux élèves qui sont issus de familles immigrantes, que dans...je peux pas te donner un pourcentage là mais dans beaucoup beaucoup de cas, ces élèves là parlent déjà un très bon français. D'ailleurs...en tout cas...je peux pas vous dire présentement, mais à un moment donné, quand je faisais une de mes recherches que j'ai menée dans des écoles de langue française à Toronto, les élèves immigrants qui étaient à l'école parlaient un meilleur français que certains des élèves et que même certains enseignants ou enseignantes. Donc c'est pas...y a d'autres... 

Emmanuelle [00:24:28] Alors c'est vrai là on pose...on touche à une question qui est hyper délicate, qui est la question de l'évaluation de la qualité du français : bon, meilleur, moins bon. Il y a quelque chose de très... une relation à cet aspect au Canada francophone qui me semble un peu complexée. Est-ce que je me trompe? 

Diane [00:24:52] Bah là...il faut comprendre que dans le cadre actuel, dans les écoles de langue française, on parle d'un français relatif, on parle d'un français standard, on parle finalement d'un français majoritaire, si je peux dire, basé sur des critères vraiment qui sont beaucoup plus...qui sont normatifs. Bon, les élèves qui viennent dans les écoles n'ont pas nécessairement cette...ce français normatif là et c'est là où se pose parfois le problème. C'est que...puis c'est souvent le problème, c'est que ces élèves là n'arrivent pas à se connecter au français normatif et d'autre part, l'école comme telle semble hésitante à reconnaître la présence d'un français plus vernaculaire. Et de s'en...et puis quand je parle d'un français vernaculaire, c'est aussi un français qui est souvent teinté de l'anglais. Donc, il y a cette... cette problématique là, mais juste pour terminer ce que je disais avant quand je donnais l'exemple de l'enfant immigrant qui parfois parle un très bon français, c'est que...souvent on pense que tous les élèves issus de familles immigrantes ne parlent pas le français quand ils arrivent dans les écoles de langue française à Toronto. Et ce n'est pas le cas...je pense que on peut pas comparer ça aux élèves immigrants dans les écoles majoritaires de langue anglaise où l'élève arrive et ne parle pas la langue d'instruction. 

Emmanuelle [00:26:43] Oui donc en fait, tu parles beaucoup des préjudices qu'il peuvent y'avoir. Je me souviens qu'il y a eu un scandale l'année dernière qui était dans les journaux d'une famille, un père qui était justement très en colère parce qu'il était d'origine algérienne, parlant le français comme toi et moi, et dont le fils ou la fille je ne me souviens plus avait été refusé à l'école de langue française. Probablement une erreur administrative, mais une erreur qui a eu un retentissement beaucoup plus grand, assez, assez important et assez parce qu'évidemment, on a parlé de préjudices, de discrimination, etc. Donc, finalement, peut être un aspect lié à l'idéologie linguistique qu'il faudrait peut être adresser dans...auprès du personnel de langue française en Ontario?

Diane [00:27:36] Ben écoute...auprès du personnel des écoles, mais aussi du ministère de l'Éducation là c'est...et je ne dis pas qu'il faut laisser l'anglais rentrer dans l'école et pis que tout se passe dans les deux langues ou quoique ce soit. Mais je pense que on a une prise de conscience à faire qui n'est pas encore...qui est qui est amorcée, mais qui n'est pas loin d'être complétée par rapport à la question de la diversité, à la question de l'inclusion, à la question de....finalement de qu'est-ce-que...si on prend juste le concept de la culture, ce concept là n'est jamais défini ou très peu défini dans les documents du ministère. Souvent les enseignants, les enseignantes, puis je l'ai vu moi dans mes recherches, on se demande bon ben, c'est quoi en fait la culture puis souvent quand on parle de culture avec les enseignants qui travaillent dans les écoles de langue française c'est vraiment par rapport à la culture associée aux chansons, à la musique, ce qu'on mange et c'est très dans ce sens-là. Souvent, la définition que le personnel enseignant va donner de la culture, c'est beaucoup plus. Moi, ce que j'appelle une définition folklorique ou encore une définition dans le sens de l'éducation multiculturelle, ce qu'on trouve dans les écrits en anglais auxquels on réfère au food and festivals ou la reconnaissance oui, on a tous les drapeaux de tous les pays des élèves dans l'entrée de l'école, mais finalement, on reconnaît leur participation à l'école en faisant des dîners multiculturels. Et il n'y a rien de mal à ça. Mais ça devrait aller plus loin. 

Emmanuelle [00:29:41] Oui, ce que...ce que...tu vas dans le même sens que ce que nous disait Carole Fleuret dans une des émissions précédentes où elle nous parlait du fameux repas couscous où on se croyait très inclusif parce qu'on faisait un repas marocain.

Diane [00:29:54] Oui  voilà, c'est ça.  

Emmanuelle [00:29:57] Diane, est-ce que tu penses que considérer la langue comme principal marqueur d'identité dans l'éducation de langue française est suffisant pour faire perdurer cette éducation, 

Diane [00:30:09] La langue est toujours présentée comme...je parle là en un milieu francophone minoritaire parce que c'est très différent chez les anglophones au Québec, mais en milieu francophone minoritaire, la langue est vraiment perçue comme étant essentielle pour la survie de la communauté et l'école, dans ce sens-là, aide à la préservation de cette langue là et disons diminue le danger qu'elle disparaisse par rapport à l'assimilation. Donc le discours est bien...porte beaucoup sur la langue, mais c'est sûr que à la langue est attachée aussi la notion de culture, même si elle est difficile à définir d'une certaine façon. Mais je pense que la langue est quand même le point d'ancrage si on regarde la communauté éducative francophone là et j'entends là les enfants qui sont à l'école, leurs parents, la langue, en particulier, avec les étudiants, avec les élèves immigrants, la langue est vraiment le vecteur, c'est vraiment le point commun entre tout ce monde là. C'est...c'est pour ça que la définition inclusive de c'est quoi un franco-ontarien, c'est beaucoup basé sur la langue parce que c'est ça qui rallie, si on peut dire tous les membres d'une communauté. C'est certain, puis là je me perds un peu je pense dans ma réponse à ta question. Je pense que dans un milieu, dans une institution, si on prend, si on retourne à Breton avec sa notion de complétude institutionnelle, les institutions de langue française sont importantes pour la communauté francophone, parce que si on n'a pas les institutions, si on peut pas avoir recours à un système juridique de langue française, à une école de langue française, c'est beaucoup plus difficile et c'est pratiquement impossible de vivre dans une...dans une langue minoritaire. Alors, je pense que la langue doit toujours avoir le rôle, un rôle primordial à jouer dans la reproduction d'une minorité. Ce qui je pense, selon moi ce qui m'a... oui, c'est important que les enfants parlent en français et reconnaissent l'importance de la langue française et de la communauté de langue française, de la langue française et de la communauté de langue française, et je pense que puis on sort un peu de ça dans le discours gouvernemental, mais c'est encore présent que l'école est là pour former ou arriver en bout de ligne avec des élèves francophones qui vont développer un rapport à l'identité mais une identité francophone et c'est pas le cas parce que la plupart de ces jeunes là vivent pas en français. Je pense que ce qui serait important de faire au niveau du système scolaire, c'est de tenter d'amener les élèves à prendre conscience de l'importance de la langue française et d'être finalement un défenseur de cette langue là. Alors c'est plus une approche pédagogique critique, mais une pédagogie de conscientisation aux enjeux liés à la francophonie qu'on devrait tenter de développer dans les écoles de langue française. Et ça, à mon avis, ça se fait pas parce que c'est pas vrai que tous les élèves des écoles de langue française on va arriver à en faire des petits francophones parce que c'est pas la réalité. 

Emmanuelle [00:34:11] Non. Merci beaucoup. Ce processus de conscientisation, je pense que c'est un aspect très important dans ce que tu as dit. Si on devait lire un ou deux de tes articles pour comprendre mieux ton travail ou même 2 ou 3, qu'est-ce qu'il faudrait qu'on lise? 

Diane [00:34:27] Je pense que sur la question du rapport à la langue...l'idée de la langue de pouvoir, je viens de publier un chapitre qui s'appelle Minorisation linguistique. Le cas des minorités de langues officielles au Canada, où je fais vraiment une analyse entre les deux minorités. Et ça, c'est publié dans un ouvrage dirigé par Isabelle Violette et Carine Gauvin, de l'Université de Moncton. Et ça s'appelle Minorisation linguistique et inégalités sociales et c'est publié à Berlin dans une collection... là le nom est en allemand, je vais vous le traduire en français parce que je ne parle pas l'allemand. Alors ça devrait être discours, identité et culture c'est chez CultureLang alors ça ça porte vraiment sur cette notion là, du phénomène de la mondialisation avec l'anglais par rapport au français, une langue en danger. Au Québec, on entend jamais ça l'anglais étant une langue en danger, même pas dans le monde de l'école on en parle pas de ça. Le deuxième.... le deuxième article ou chapitre que je proposerai puis là ça porte vraiment sur l'école de langue française en Ontario, ça s'appelle L'école de langue française et son rôle dans le développement du rapport à l'identité et c'est dans un ouvrage dirigé par Claire Isabelle de l'Université d'Ottawa qui s'appelle Système scolaire franco-ontarien d'hier à aujourd'hui pour le plein potentiel des élèves et c'est publié aux Presses universitaires du Québec. Alors je pense que ça donne une idée....dans un premier temps, cette analyse comparative là et dans le deuxième temps ça refait finalement le parcours scolaire depuis un petit bout de temps. 

Emmanuelle [00:36:30] Merci Diane. Alors je te poserai une dernière question, j'ai le droit? 

Diane [00:36:34] Toujours. 

Emmanuelle [00:36:35] Diane, tu mènes encore un projet de recherche au CREFO qui je crois se termine l'année prochaine, n'est ce pas? 

Diane [00:36:43] Il pourrait se terminer cette année, probablement à l'automne. 

Emmanuelle [00:36:46] Quels sont les objectifs pour cette année? 

Diane [00:36:48] Le projet de recherche pour en parler très brièvement, c'est des récits de vie avec des jeunes d'origine immigrante qui sont passés par le système éducatif de langue française en Ontario et qui sont maintenant...qui ont gradué. Les participants ne sont plus à l'école et c'est d'essayer de comprendre leur discours par rapport à leur expérience comme élèves immigrants à l'école de langue française. Et j'ai une collègue en Alberta qui fait la même chose, elle lance un projet là avec une co-chercheure. Elle fait la même chose avec des élèves qui sont passés par le système de langue française en Alberta. Mais c'est des jeunes, la plupart de nos participants sont des jeunes qui viennent de l'Afrique, beaucoup. Il y en a quelques-uns qui viennent d'Europe, mais très peu et ce qu'on tente de voir, c'est comment finalement le processus d'inclusion...en tout cas s'il y a eu une véritable inclusion à l'école pour ces jeunes-là. Donc on en est à l'analyse préliminaire des résultats et puis on travaille là-dessus pour l'année qui s'en vient. 

Emmanuelle [00:38:25] C'est vraiment vraiment passionnant et tellement nécessaire comme recherche. Est-ce qu'on peut s'attendre à une publication bientôt? 

Diane [00:38:34] Bien là, on a...j'ai reçu l'acceptation aujourd'hui d'un article qu'on doit présenter en février qui porte sur les récits de vie..et l'utilisation du récit de vie avec des jeunes participants. Par rapport au résultat, de façon générale, il y aura probablement un ouvrage qui sera publié, mais c'est encore trop tôt pour dire...il va y avoir une dissémination mais c'est encore un peu tôt pour dire quelle forme elle va prendre. 

Emmanuelle [00:39:10] On attend ça avec impatience. En tout cas, Diane, merci beaucoup. Je sais que tu as un agenda très plein et merci beaucoup d'être venue au Café du CREFO. Et puis à bientôt, on dit ici au plaisir.

Diane [00:39:24] Ça m'a fait plaisir. 

Emmanuelle [00:39:25] Merci Diane. 

Joey [00:39:28] Saviez-vous que vous pouvez compléter une maîtrise en éducation à temps partiel à l'Université de Toronto entièrement en français? Pour avoir plus de détails, contactez-nous par courriel à crefo.oise@utoronto.ca