Quoi de neuf ?

Histoire d'en bas : savoirs occultés à Alger et à Casablanca ?

June 08, 2022 Season 3 Episode 9
Quoi de neuf ?
Histoire d'en bas : savoirs occultés à Alger et à Casablanca ?
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Laura Bisaillon, membre du CREFO, rencontre Jim House, professeur titulaire  à l’Université de Leeds

Monsieur Jim House est historien et professeur titulaire à l’Université de Leeds en Grande-Bretagne. Il a effectué des études supérieures en français et en histoire à l'Université de Leeds, à Saint-Étienne (France) et à Damas (Syrie). Il est spécialiste de l’Algérie, de la France et du Maroc à l’époque coloniale et il mène des recherches comparées sur la colonisation, la décolonisation et l’antiracisme. A l’Université de Leeds, il a cofondé et dirigé le Centre d’Études Culturelles Françaises et Francophones et a également cofondé et dirigé l’Institut d’Études Coloniales et Postcoloniales. Avec Neil McMaster, il est l’auteur de Paris 1961: Algerians, State Terror, and Memory (Paris 1961 : Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire) (2006) publié chez les Presses de l’Université Oxford (traduction française 2008 chez les Éditions Taillandier).  

Joey [00:00:00] Dans cette troisième saison, Laura Bisaillon, membre du CREFO et ses invités discuteront du thème de la production et de la diffusion des connaissances sur les mobilités, les francophonies, la minorisation, le corps et l'État, dans ces divers contextes du monde. Dans cet épisode, elle rencontre Jim House, professeur titulaire à l'université de Leeds. 

Jim [00:00:21] Les versions de l'histoire données par les habitants à travers l'archive publique, le discours sur la solidarité entre les habitants étaient sans doute vrai, mais peut être aussi exagéré. 

Joey [00:00:34] Bienvenue à quoi de neuf. 

Laura [00:00:52] Le professeur Jim House est historien et professeur titulaire à l'université de Leeds en Grande-Bretagne. Il a effectué des études supérieures en français et en histoire à l'université de Leeds, à Saint-Étienne, en France et à Damas, en Syrie. Il est spécialiste de l'Algérie, de la France et du Maroc à l'époque coloniale et il mène des recherches comparées sur la colonisation, la décolonisation et l'antiracisme. À l'université de Leeds, il a cofondé et dirigé le Centre d'études culturelles françaises et francophones et a également cofondé et dirigé l'Institut d'études coloniales et post-coloniales. Il est l'auteur de Paris 1961. Les Algériens, la terreur d'État et la mémoire, écrit en anglais en 2006 chez les Presses de l'Université d'Oxford et en français en 2008 chez les éditions Taillandier. Voilà. Alors Jim House, professeur Jim House, sois le bienvenu aux ondes du podcast Quoi de neuf, les cafés du CREFO.

Jim [00:02:00] Merci beaucoup Laura. 

Laura [00:02:02] Ça fait très plaisir de te recevoir aujourd'hui. On se voit virtuellement et je porte un grand intérêt pour tes travaux. Et aujourd'hui, nous allons commencer à te faire connaître, tes travaux, tes idées, ta carrière d'historien aux auditeurs et aux auditrices du podcast. Et on va commencer d'abord, si tu veux bien, dans ton parcours linguistique, académique et géographique, parce que tu es, tu es bilingue, n'est-ce pas? Donc tu parles l'anglais, le français et tu es presque polyglotte, si j'ai bien compris, car tu prends depuis plusieurs années l'italien, mais aussi l'arabe. Est-ce que tu pourrais nous en parler un peu de ton parcours linguistique, académique et géographique? 

Jim [00:02:54] Oui, donc, en fait. Donc je suis né et j'ai grandi dans une ville du nord de l'Angleterre et je suis parti faire des études à l'université de Leeds. Donc en fait, j'enseigne dans l'université où j'ai fait mes études. Et au lycée en Angleterre en fait on n'étudiait que trois matières pour le baccalauréat, l'équivalent. Donc j'avais étudié le français, l'allemand et l'histoire. Mais c'était vraiment le français et l'histoire qui me passionnaient. Et donc j'ai choisi de continuer mes études en histoire et en français à l'université de Leeds. Et c'était dans le cadre de cette licence que j'ai pu partir en France étudier à l'Université de Saint-Etienne, mais également passer une année en tant qu’assistant de langue anglaise dans un lycée à Bordeaux. Et donc j'ai pu passer beaucoup de temps à l'étranger dans le cadre de mes études et par la suite en fait, après ma licence, j'ai enseigné à l'université à Paris pendant que j'étais inscrit en doctorat. Mais j'étais toujours inscrit en Angleterre et donc ça m'a permis d'avancer dans mes études de langue française. Et l'arabe, je l'ai abordé plus tard dans ma carrière, donc par des cours du soir et par la suite par un séjour linguistique à Damas en 2007. Et je continue à étudier l'arabe pratiquement tous les jours quand je peux et l'italien est venu en raison d'un séjour à Florence pour une résidence de recherche. Mais c'est une langue...j'ai beaucoup de collègues italiens avec qui je travaille à l'université. On partage le même étage de notre bâtiment et donc j'entends parler beaucoup d'italien tous les jours, enfin je l'entendais avant le Covid et voilà. Donc c'est une langue qui m'est utile également pour mes études. Je lis désormais des articles, des textes en italien, notamment sur le Maroc à l'époque coloniale. Donc l'italien, c'est une langue que je suis en train d'étudier, mais je n'ai pas un niveau très avancé dans cette langue-là. Et donc, en fait, j'ai pu partir du Nord de l'Angleterre pour m'installer en France et par la suite, dans le cadre de mes études, passer beaucoup de temps pour les archives à Paris, à Marseille, à Nantes en France et par la suite au Maghreb, notamment à Alger, à Casablanca et à Rabat. 

Laura [00:05:36] Et oui, c'est tout un parcours et comme je l'ai dit dans la biographie, tu as cofondé et dirigé le Centre d'études culturelles françaises et francophones et je dis bien francophones au pluriel. Donc on voit français et francophones dans le titre. Comment ça s'est présenté ce centre, la création de ce centre et le fait francophone au pluriel dans son titre. Parce que c'est quand même un choix particulier, n'est-ce pas? 

Jim [00:06:02] Oui, je pense qu'à l'époque, parce que ça remonte jusqu'à la fin des années 90, je pense que c'était pour bien signaler qu'il y avait en fait une langue française qui existait bien en dehors de la France métropolitaine, mais qui, à l'époque, occupait une place, je dirais, un peu dominée par rapport aux études françaises classiques, voilà. Avec des collègues qui travaillaient notamment sur le Maghreb, mais pas uniquement on avait voulu faire quelque chose d'un petit peu différent pour élargir, pour être plus inclusif en fait par rapport à la pratique de la langue française. J'avais également une collègue qui travaillait sur le Canada francophone, voilà. Donc en fait on s'est réuni, on a décidé de fonder un centre qui serait donc plus inclusif. Et mon département reste marqué justement par cette couverture entre guillemets, assez large sur les Caraïbes francophones, sur le Maghreb, sur le Liban francophone en même temps que sur la France métropolitaine. Malheureusement, un autre collègue qui travaille sur le Canada est maintenant à la retraite et qui n'a pas été remplacé. Donc, il va falloir batailler pour la remplacer. Mais voilà. Donc le département à Leeds a toujours eu cette spécificité d'avoir une ouverture sur le monde francophone beaucoup plus large. 

Laura [00:07:34] Intéressant. Est-ce qu'on pourrait penser parce que Leeds se trouve être dans le nord de l'Angleterre, n'est-ce pas? 

Jim [00:07:42] Oui, tout à fait. 

Laura [00:07:44] Et puis donc une histoire particulière liée à la manufacture liée à la classe ouvrière qui a été toujours très active et activiste et militant et tout ça. Est-ce qu'on peut penser que le pont avec la francophonie au pluriel et le vouloir d'être pluriel dans l'enseignement du français et les études culturelles françaises, on peut aussi voir l'emplacement de ce Centre d'études culturelles françaises et francophones à Leeds en particulier, ou est-ce qu'on peut le voir, le comprendre en étant partie intégrale de la politique un peu régionale, un peu de la ville, activiste... 

Jim [00:08:30] La ville de Leeds est jumelée avec la ville de Lille en raison justement de leur héritage industriel et maintenant post-industriel partagé. Je pense que pour l'université de Leeds, l'enjeu était sans doute un petit peu ailleurs à l'époque. Il s'agissait d'attirer des étudiants de l'espace francophone à travers le monde. Pour nous, oui, c'était une prise de position sans doute plus radicale, sans vraiment penser à des questions de recrutement, parce qu'on était plutôt dans une logique de recherche au départ, je pense. Mais il est vrai que depuis, nous avons pu accueillir beaucoup d'étudiants francophones, notamment du Maghreb, mais aussi de l'Ile Maurice, de la Réunion, des Caraïbes également. La ville de Leeds, lui, a un passé radical, pas aussi radical que notre ville voisine et rivale de Manchester. Mais oui, effectivement, l'université a été fondée grâce à l'argent donné par les industriels du textile. Et donc tout ça, c'est un petit peu l'histoire de la mise en place de l'université, de la création du campus avec ses beaux bâtiments du début du XXᵉ siècle. 

Laura [00:09:46] Et je vois un pont que je n'avais pas au préalable identifié. C'est qu'il existe peut-être un pont entre ton centre de recherche axé sur les études françaises et francophones, et le nôtre donc centre de recherches en éducation franco-ontarienne. Si les jumelages sont possibles ou s'avèrent intéressants on pourrait... 

Jim [00:10:11] Oui, tout à fait. 

Laura [00:10:13] les concrétiser. 

Jim [00:10:14] Absolument.

Laura [00:10:16] Voilà, donc, au profit de nous, les chercheurs, au profit de nos publics et au profit de nos étudiants. Pourquoi pas, n'est-ce pas? 

Jim [00:10:23] Oui, espérons-le. Oui. 

Laura [00:10:25] Espérons-le, après la pandémie. Enfin, c'est ça l'élargissement des réseaux qui réunissent la grande famille francophone de la francophonie. 

Jim [00:10:38] Bah oui maintenant que les déplacements redeviennent possibles. 

Laura [00:10:42] Tout à fait. On va espérer. Alors parlons de choses bien intéressantes, encore plus intéressantes peut-être. Dans ta vie de chercheur, tu es historien, comme j'ai dit, du racisme et de l'antiracisme, l'histoire des migrations et l'histoire de l'impact de la colonisation et de la décolonisation en France, en Algérie et au Maroc depuis 1910. Donc, est-ce qu'on pourra d'abord, dans un premier temps, parler un peu du rôle de l'historien? Que fait-il ou elle, l'historien ou l'historienne? En quoi consiste ce travail d'historien, finalement? 

Jim [00:11:27] Je parlerai peut-être plutôt de mon travail à moi, qui est, qui n'est pas forcément représentatif des différents travaux de recherche qui se font en histoire, parce que c'est une discipline extrêmement riche et large. J'ai l'habitude en fait de travailler à partir de sources écrites, donc des archives publiques, des archives privées, des archives familiales parfois, et également d'entretiens, donc d'histoire orale. Donc mais ce n'est pas le cas pour beaucoup d'historiens par exemple, pour des raisons évidentes, dont l'époque remonte trop loin pour pouvoir s'asseoir en face d'un individu qui a connu cette époque, qui a été acteur ou actrice de cette époque. Dans mon travail, j'aime bien faire des allers-retours entre les documents écrits et l'oral. Et d'ailleurs, dans le projet actuel que je mène sur l'histoire des bidonvilles au Maghreb, j'ai parfois posé des questions à mes interlocuteurs et interlocutrices avec en tête des archives que j'avais pu lire trois semaines avant pour tester un petit peu, pour voir s'ils étaient convaincus de ce rapport écrit par un fonctionnaire colonial sur leur territoire, sur leur quartier. Ou est-ce que ce fonctionnaire n'avait pas raison ou avait utilisé des stéréotypes écoulés pour essayer d'interpréter ce qu'il avait trouvé sur place. Voilà, donc mon travail est un peu particulier parce que je suis presque sociologue aussi quelque part, parce que je fais aussi de l'observation participante auprès d'associations de promotion de la mémoire de certains quartiers. J'ai passé beaucoup de temps aussi auprès d'organisations antiracistes quand j'étais en thèse surtout. Voilà, donc mon travail, c'est un travail qui est en prise avec l'actualité aussi, et donc je ne peux pas faire comme si l'actualité ne pesait pas sur les choix de recherche et la manière dont mon sujet est envisagé et vu par d'autres historiens, mais aussi bien au-delà de la communauté scientifique. Donc mon travail est un peu particulier et en fait je m'intéresse aux faibles et à leur capacité en fait d'intervenir dans des situations très difficiles de rapports de domination et d'essayer de remonter un petit peu la pente, que ce soit dans le cadre de résistance face à une domination ou bien que ce soit à l'époque plus récente où des résidents cherchent à donner une nouvelle image de leur quartier qui est parfois stigmatisé. Donc le travail que je fais, c'est un travail d'histoire sociale, également d'histoire politique. Je n'exclus pas en fait de travailler sur une époque où je ne pourrais pas, pour laquelle je ne pourrais pas interviewer des êtres humains. Et j'envisage peut-être de travailler sur les années 30 ou bien sur les années 40. C'est malheureusement trop tard maintenant pour faire un travail sur les années 40 à partir d'archives orales, d'histoires orales. Donc voici un petit peu, enfin, ce sont les choix que je me suis forgé à travers une carrière de 20 ans. 

Laura [00:15:15] Là, j'aimerais qu'on se situe très concrètement, je vais mettre mes cartes sur la table, comme on dit. On s'est rencontrés en 2020 à Amsterdam, alors qu'on était tous les deux boursiers à l'Institut d'études avancées des Pays-Bas. On a passé presque une année, une partie en confinement, mais on a eu le grand plaisir de pouvoir se voir et socialiser, faire des balades, faire tout ce qu'on a pu selon les conditions et tu travaillais sur les bidonvilles, les soi-disant bidonvilles ou les quartiers informels de façon comparée je pense entre deux contextes. Est-ce que tu pourrais nous parler de ce que tu travaillais durant cette année lorsqu'on était boursier parce que ça va aussi nous situer dans le concret. Tu parles de quasiment une recherche un peu axée sur je ne sais pas si c'est l'action ou il y a du côté de ceux et celles qui sont dans les marges un peu...tu travailles auprès des populations, auprès de certains peuples donc qui animent ton choix et tes choix de recherche et tes choix d'historien. Tu pourrais nous parler de ce projet-là et des contextes pour nous ramener sur terre un peu et dans les terrains dans lesquels tu travailles.

Jim [00:16:44] Oui, donc j'ai choisi de travailler dans les quartiers informels à l'époque coloniale, parce que c'est un domaine qui est un peu délaissé par les historiens. Il y a des sociologues qui ont travaillé sur ces quartiers, mais depuis l'indépendance seulement. Et pour moi donc aborder la question des bidonvilles, c'est une manière de décrire une histoire populaire de la décolonisation. C'est une manière d'aborder des thématiques qui m'intéressent, comme les migrations mais cette fois-ci, donc, les migrations internes au Maghreb, qui ont été peut-être plus nombreuses que les migrations beaucoup mieux connues des Algériens vers la France métropolitaine à l'époque, des Marocains vers la même destination. Et donc je suis en plein dans mon intérêt pour les migrations internes ici, mais également sur le plan de l'histoire urbaine, ce qui a été une découverte pour moi parce que je n'avais aucune compétence en histoire urbaine avant de commencer à travailler sur ces questions. Donc, j'ai dû beaucoup apprendre. Ça a été passionnant et j'ai fait ce travail un petit peu en équipe, avec des collègues qui travaillent sur l'Amérique du Sud, sur l'Italie, sur Madrid, sur le Mexique. Donc dans le cadre d'un projet de recherche que nous avons monté à partir de Paris avec une collègue à Paris, Charlotte Vorms, j'aborde l'histoire sociale de ces quartiers au quotidien, donc ces quartiers, donc, c'était un petit peu une sorte de creuset national, avec des hommes et des femmes qui venaient de tous les coins de l'Algérie, du Maroc et qui habitaient ensemble à une époque des années 30, des années 40 ou le nationalisme était en très forte augmentation, devenait un mouvement de masse en faveur de l'indépendance. Et j'aborde également tout un volet politique par rapport à la place de ces quartiers dans les luttes pour l'indépendance, leur intégration dans la lutte nationaliste qui est devenue une lutte violente et armée à partir du début des années 50 dans ces deux contextes, et j'analyse également la réponse à ces évolutions par l'État français, que ce soit sur le plan répressif ou sur le volet réformiste, donc le relogement, l'accès à l'éducation, la création d'écoles, l'accès à la santé, par exemple. Et une dernière partie aborde la question de la mémoire sociale de ces quartiers. Et c'est un travail que j'ai fait auprès des résidents, des anciens résidents de ces quartiers parce que j'ai des études de cas à Alger donc j'en ai un à Alger, un autre à Casablanca et ce qui m'a permis de pouvoir identifier des anciens habitants, d'aller les voir, de les interroger sur une dizaine de visites dans les deux contextes, afin d'avoir justement le point de vue des anciens résidents, des anciens habitants. Alors malheureusement, au cours de ce projet qui existe depuis dix ans maintenant, beaucoup de ces hommes et ces femmes sont décédés parce que malheureusement la loi démographique fait que voilà, ils ne restent pas en vie au-delà de 80, 90 ans. Et donc j'ai pu interviewer beaucoup, beaucoup d'anciens résidents donc il y a cinq ans, huit ans ou dix ans principalement. Donc j'espère avoir pu sauvegarder une partie de cette histoire que je vais essayer de reconstruire dans l'ouvrage que je suis en train de rédiger. J'ai passé beaucoup de temps sur place et c'était un petit peu ma découverte aussi de la société algérienne et notamment de la ville d'Alger que je connaissais assez vaguement avant de commencer ce projet. De même au Maroc, que je connaissais surtout en tant que touriste, avant de travailler sérieusement à Casablanca et à Rabat pour les archives. Donc, c'est un travail qui est fait à partir d'archives publiques, archives familiales privées, mais également à partir de sources orales avec des hommes et des femmes qui ont résidé dans des bidonvilles, qui ont parfois appartenu à des mouvements pour l'indépendance, qui ont connu une très forte répression mais qui ont également connu une certaine solidarité à l'époque. Et je suis passé par des historiens du coin, des résidents du quartier qui s'intéressent à l'histoire, la mémoire de leur quartier et notamment parce que ce sont des quartiers qui restent stigmatisés, même si aujourd'hui ce sont plutôt des logements sociaux qui ont remplacé les baracche des anciens quartiers informels. Mais ce sont des quartiers qui restent stigmatisés en raison de la drogue, en raison du terrorisme, etc. Donc il y a d'autres résidents, souvent des résidents plus âgés, qui s'intéressent à cette histoire plus ancienne qui peuvent en fait valoriser ce quartier en montrant le rôle joué par les habitants dans la lutte pour l'indépendance. 

Laura [00:22:22] C'est ce que j'apprécie beaucoup dans ton travail et j'ai le souvenir très vif de notre première rencontre. Donc c'était au moment où j'étais assise dans mon bureau à l'Institut d'études avancées aux Pays Bas et tu lisais des textes en arabe, tu prenais des cours d'arabe afin de mieux pouvoir travailler dans les archives et mieux converser avec les gens. Mais tu avais cet après-midi même une interview avec un monsieur d'un certain âge dans un de ces quartiers et c'était à Casablanca ou à Alger, je ne sais pas, mais c'était peut-être à titre d'exemple parmi les aînés, les personnes qui s'intéressent à l'histoire de cette époque et donc qui t'apprennent l'histoire des luttes, des mobilisations des années 50 début des années 60, n'est-ce pas? Donc ma question serait comment est-ce que ton travail est vu et reçu? Quels sont un peu les brins d'échange que tu peux avoir avec ces aînés? Et peut-être les interactions aussi entre les discussions intergénérationnelles aussi qui ont lieu peut-être entre vieilles personnes et plus jeunes qui habitent ces mêmes bidonvilles, ces mêmes quartiers informels à l'heure actuelle. 

Jim [00:23:46] À Casablanca, c'est très intéressant parce qu'il y a des associations qui essayent de parler aux jeunes entre guillemets et de leur montrer un petit peu ce que c'était que leurs quartiers dans les années 50. Et à ce moment-là, les associations font venir des anciens, comme on les appelle les anciens ou les anciennes, et qui racontent un petit peu leur propre enfance dans ces quartiers parce que malheureusement, les seules personnes qui restent ont été enfants dans les années 40 et 50 pour des raisons évidentes, la loi démographique. Mais il y a certains individus, je dirais pour chaque ville, sans doute une demi-douzaine, qui racontent des histoires, qui ont eu très souvent échappé à leur situation sociale à travers l'accès à l'éducation juste après l'indépendance, et qui ont pu par la suite faire des études et qui peuvent écrire et qui ont écrit des articles journalistiques ou qui ont pu faire des recherches sur leur propre quartier et qui ont pu publier un travail de recherche sur leur quartier. En mobilisant aussi des illustrations, des photos de l'époque, des équipes de sport, des équipes de scouts, les scouts ont joué un rôle très important dans les mouvements nationalistes pour les garçons et pour les filles par exemple. Et là-dessus donc, j'ai pu découvrir qu'il y avait encore des personnes toujours en vie parce qu'ils avaient été très très jeunes à l'époque. Ils sont nés en 40 par exemple, ils sont nés en 40 ans donc ils sont pour la plupart toujours en vie, à peu près. Donc c'est à partir de là que ma propre recherche, effectivement, joue sur cette dynamique intergénérationnelle, tout comme les associations le font pour faire venir des hommes et des femmes qui parlent de leur enfance. Il y a ce désir de transmission d'un passé, un passé qui a été souvent ignoré, occulté. Donc occulté oui, pour des raisons politiques, ignoré, pour des raisons sociales plutôt, donc la transmission n'a pu se faire. Il s'agit de quartiers où il y a eu beaucoup de relogement, donc beaucoup de départs d'habitants qui sont parfois partis très loin donc une vingtaine de kilomètres et avec l'âge, cela n'aide pas en fait. Mais il reste donc des noyaux, je dirais, de militants de la mémoire et à travers lesquels j'ai pu passer pour essayer de faire cette histoire. Et en même temps, donc à travers les archives publiques, enfin les archives publiques ne racontent pas la même histoire, ou ils racontent la même histoire, mais à partir d'une autre perspective. Et donc l'archive publique ne dit jamais qui était le commerçant qui avait cette baracche et qui était en fait très important parce qu'il, en fait, il vendait à priori du tabac, mais c'était un lieu de stockage d'armes. Et forcément, en fait, les policiers ne le savaient pas parce que tout était clandestin. Et donc, à partir de là, on pourrait essayer de reconstruire une histoire mais également on peut interroger les versions de l'histoire données par les habitants à travers l'archive publique. Le discours sur la solidarité entre les habitants était sans doute vrai, mais peut-être aussi exagéré. C'est-à-dire on peut minimiser par exemple, la question des vols qui ont eu lieu dans les maisons, dans les baracche. Voilà, donc il y a des cas assez intéressants si on est prêt à vraiment rentrer dans le détail et faire un travail de fourmi dans les archives. Mais c'est très prenant, ça prend beaucoup de temps. Mais on est récompensé, enfin j'espère l'être, sur les années d'études qu'on fait, mais c'est vrai que ça prend beaucoup de temps et la dimension comparative, elle est là en fait pour faire sortir l'Algérie de son cloisonnement analytique. Donc on a trop tendance à considérer que l'Algérie, c'est une histoire totalement exceptionnelle et que tous les autres pays, même au Maghreb, sont totalement différents de ce qui s'est passé en Algérie. Or, ce que je peux voir au travers de cette recherche sur les bidonvilles, c'est qu'en fait il y a beaucoup de similitudes. Il y a bien évidement des différences. Il y a eu une politique beaucoup plus ségrégationniste au Maroc qui a créé des quartiers qui étaient beaucoup plus importants, jusqu'à une cinquantaine de milliers de personnes, ce qui n'était jamais le cas en Algérie où les plus gros bidonvilles étaient de 15 mille personnes, peut-être tout au plus. Bien sûr que le conflit pour l'indépendance en Algérie a été plus violent qu'au Maroc avec des centaines de milliers de morts. Mais il y a quand même beaucoup de similitudes, je dirais sur le plan de l'histoire du quotidien, la peur des habitants, la peur de la répression, la peur des luttes fratricides entre nationalistes, la peur des incendies, la peur des rats qui rentraient dans les baracche, par exemple. Donc tout cela dont l'histoire sociale, en fait, n'est pas trop différente d'une ville du Maghreb à l'autre même si l'histoire politique, bien évidemment, n'est pas identique.

Laura [00:29:32] La Tunisie ne figure pas parmi tes terrains. Est-ce qu'il y a une raison pour cela? 

Jim [00:29:38] Une raison purement logistique que déjà pour moi, venant du nord d'Angleterre, faire un terrain dans deux pays du Maghreb était un choix un peu ambitieux, je dirais. Et donc au départ, j'aurais voulu inclure Marseille en fait, dans mon étude, mais parce que je savais qu'il y avait beaucoup de quartiers informels à Marseille qui sont restés peu étudiés, contrairement à ce qu'on peut voir pour Paris. Donc la Tunisie, j'ai pu y aller deux fois et c'est un contexte dans lequel on peut bien travailler mais je trouvais que c'était trop ambitieux pour moi sur le plan logistique, parce qu'il faut quand même tout un budget de recherche afin de pouvoir rester sur place étant donné que la plupart des archives écrites que j'ai pu consulter en fait se trouvent en France, en fait c'est un travail à travers trois pays différents déjà. Et donc la Tunisie je pense que ça aurait été le pays de trop. Mais je n'exclus pas en fait de travailler sur la Tunisie par la suite à titre comparatif. 

Laura [00:30:49] Oui, parce que le gros de ton travail ou bien une préoccupation importante au sein de ton programme de recherche, c'est ce volet comparatif, n'est-ce pas? Déjà oui, c'est très ambitieux, mais tu fais bien entre déjà trois pays, mais dont deux pays du Maghreb, dont le Maroc et l'Algérie. Tu as parlé de la mémoire, la mémoire qui est un fil conducteur dans tes recherches et en fait c'est grâce à une collègue anthropologue qui, elle-même fera partie de cette série, l'anthropologue roumaine qui fait du travail au sein de ce domaine études de la mémoire. Je pense qu'on appelle comme ça Memory Studies en anglais donc études de la mémoire donc qui est un fil conducteur dans tes recherches. Est-ce que tu pourrais nous parler de ce champ d'étude de la mémoire? La mémoire est très importante, l'étude de la mémoire est très importante dans ton programme de recherche. Et ça consiste en quoi finalement? Ça vient d'où? Ses origines? Ces études de la mémoire. 

Jim [00:31:54] Moi, je me suis inspiré en fait des travaux qui ont été faits en France autour du régime de Vichy et des séquelles du régime de Vichy parce que, en général, je travaille sur des sujets où il y a eu une époque, un évènement sensible, difficile, controversé et qui par la suite est occulté. Et par la suite, il y a tout un travail de remise en mémoire qui part d'en bas pour faire parler de cette époque et pour sans doute aussi réexaminer cette époque. Et donc mes travaux sur la mémoire sont dans l'analyse de la manière dont des gens essaient de se ressaisir d'un passé pour différentes raisons, que ce soit pour des raisons politiques ou des raisons personnelles. Et je m'intéresse également à l'idée d'une sortie de silence par rapport à certains événements. Donc, je l'ai fait par exemple pour un ouvrage que j'avais co-écrit avec Neil MacMaster sur le massacre d'Algériens qui manifestaient au centre-ville à Paris à la fin de la guerre de l'indépendance algérienne en octobre 61. Et la police parisienne avait tué une cinquantaine au moins de manifestants tout à fait pacifiques cette nuit-là et avait pu par la suite occulter ce massacre qui a refait surface en France dans les années 80-90, les années 2000. Et je m'étais intéressé à la manière dont les Algériens, qui avaient pu participer à ces manifestations, avaient gardé le silence. Et quand il y a eu donc un changement de contexte politique et social en France dans les années 90, ils se sont sentis en confiance, en sécurité pour commencer à en parler déjà auprès de leurs familles parce qu'ils avaient très souvent gardé le silence, même au sein de leur propre famille. Mais plus généralement à travers le travail d'associations, cette parole a été un petit peu prise en charge dans un premier temps pour essayer de convaincre la société française de l'existence même de massacres qui avaient été occultés à l'époque et par la suite, plus généralement, pour faire parler de l'histoire et de la mémoire de l'immigration algérienne en France, qui est une mémoire qui est une présence qui est centenaire, plus que cela maintenant parce que cela remonte jusqu'à la Première Guerre mondiale. Et donc ce massacre du 17 octobre qui a été reconnu par le président Macron l'année dernière lors du 60ᵉ anniversaire, est devenu un petit peu le symbole de la présence des Algériens en France et la porte à travers laquelle on peut aborder beaucoup d'autres thématiques comme la question des bidonvilles, la question du logement, la question de la ségrégation, mais également la question de ce rapport, enfin d'un terme qui est beaucoup plus général de séquelles de la guerre de libération, séquelles de ce passé, donc de passé qui reste présent dans le présent. Quelle est la présence de ce passé à travers le racisme par exemple dans la France d'aujourd'hui? Et donc il y a des associations qui ont essayé de mobiliser ce passé et donc je m'intéresse aussi à ces enjeux mémoriels et militants par rapport à ce passé. Et donc comment faire parler du passé, comment faire un usage politique de ce passé pour rappeler une présence aujourd'hui d'un racisme extrêmement grave qui existe dans la société française métropolitaine. J'ai apporté ces questions, donc sur des sujets très très politisés. Il est tout à fait possible, bien évidemment, d'aborder la question de la mémoire à travers des sujets qui parlent de son propre parcours individuel à travers la littérature, la fiction par exemple, les mémoires écrits par quelqu'un, etc. Cela n'a pas été ma manière de procéder, mais j'y ai eu recours à un certain moment parce que j'aime bien faire des comparaisons. Et donc en fait en études sur la mémoire je dirais que tout est bon. On peut mobiliser pratiquement n'importe quelle source, mais il faut savoir dans quel but il a été créé parce que sinon on risque donc de faire des fausses interprétations. Et donc beaucoup d'éléments de mon travail ont concerné des événements de violence coloniale qui ont été par la suite occultés et qui ont par la suite refait surface en raison d'une action militante. Alors c'est vrai que ce n'est pas là le travail de la plupart des historiens de la mémoire, notamment ceux et celles qui travaillent sur le volet culturel. Mais en même temps, il y a maintenant, et je tiens à citer un très bel ouvrage qui est sorti en anglais, de Lia Brozgal qui est à l'Université de Los Angeles en Californie, sur la mémoire culturelle du 17 octobre 1961, de ce massacre dont je viens de parler, qui est sorti il y a un an, qui est une réussite sur le plan de l'analyse des bandes dessinées, des films, des romans, des pièces de théâtre qui ont été faits autour de cette violence. Donc c'est un domaine assez vaste, il faut le dire, qui est surtout riche je pense au niveau de l'histoire contemporaine, parce qu'effectivement on peut recueillir donc la parole de ceux et celles qui parlent de ce passé. Et c'est une question aussi qui se pose je pense en toutes situations d'entretien pour l'historien, parce que l'individu qui parle, parle bien du passé, mais à partir du présent et surtout à partir de ce qu'il a vécu entre ces deux moments. Et c'est ça qu'il faut saisir en fait. Qu'est-ce qui s'est passé à cet individu? Est-ce qu'il y a une certaine nostalgie quand cet individu me parle de ce bidonville des années 50 qui était extrêmement pauvre où les conditions matérielles étaient extrêmement difficiles. Pourquoi est-ce qu'on fait cette comparaison par rapport au Maroc, à l'Algérie de nos jours? Parce que cette nostalgie reflète souvent une certaine insatisfaction face à une situation sociale ou politique de nos jours, sans que cette personne le dise clairement, ouvertement. Il ne peut pas forcément le dire, il ne voudrait pas forcément le dire pour diverses raisons. Mais ça fait partie aussi d'un travail de méthodologie je pense que nous avons historiens quand nous menons des entretiens en situation d'histoire orale. 

Laura [00:39:19] Et justement, dans ce livre-là, Paris, 1961, qui a paru en 2006, en français en 2008, mais ensuite en 2021, il a été réédité en Livre de poche avec postface de l'historien algérien Mohammed Harbi. On doit s'attendre à quoi, en lisant sa postface à votre livre écrit avec Neil MacMaster. 

Jim [00:39:45] Ce qu'il y a d'intéressant avec la postface de Mohammed Harbi, c'est qu'il prend une position, je dirais, dissidente par rapport à ce qui s'est passé à l'époque. Donc Mohammed Harbi, c'était l'un des responsables de la Fédération de France du FLN. C'est l'historien de l'Algérie le plus connu de nos jours et donc il a été un petit peu dissident à l'époque parce qu'il était donc marxisant. Il voulait en fait partir construire des ponts entre le FLN et la gauche française et des réticences de part et d'autre ont fait que ses projets ont échoué. Il a été écarté, marginalisé pendant la guerre de libération, mais il a pu occuper des postes de responsabilité lors de la première présidence de l'Algérie indépendante sous Ben Bella au début des années 60. Mais ensuite il a été emprisonné sous le président Boumédiène. Il a pu s'enfuir jusqu'en Suisse. Il est devenu professeur d'histoire à l'Université de Paris 8 à Paris et donc il a eu un parcours qui fait qu'il connaît extrêmement bien ce qui s'était passé au sein même du nationalisme algérien et au sein même de l'émigration algérienne en France. Et donc en fait, alors que nous parlons surtout dans ce livre de la violence de l'État français, lui parle aussi du choix de la violence faite par le FLN. Est-ce que tous ces choix ont été des bons choix? Est ce qu'on a assassiné des individus qui ne méritaient pas. Des questions éthiques, des questions politiques aussi il les aborde dans sa préface. Donc en fait, je pense que ça permet aussi de montrer toute la complexité de la question ce qui est un petit peu, je trouve, le travail de l'historien, c'est de dire que les choses sont complexes. Et parfois les journalistes n'apprécient pas quand on leur dit en situation d'entretien bah écoutez, en fait, il faut trois-quatre minutes pour expliquer à quel point c'était complexe mais il faut le dire, il faut le répéter, je pense. Et pour montrer qu'il y avait, par exemple, dans ce cas spécifique, toute une dynamique de rivalités au sein même du FLN dont on ne parle pas forcément assez si on ne parle que, entre guillemets, de la violence de l'État français. Et donc c'est une manière en fait de brosser un tableau aussi complet que possible de ce passé parce que ces rivalités ont beaucoup joué en fait sur le déroulement de la guerre et sur le sort de beaucoup de ces Algériens en métropole. Donc des milliers ont été tués pendant la guerre, non pas aux mains de la police française, mais en raison des luttes fratricides entre le FLN et l'organisation rivale le MNA, le Mouvement national algérien. Voilà donc ce qu'il y a d'autres dans cette réédition donc, c'est une nouvelle introduction ou avec mon coauteur, nous avons donc fait un petit peu le tour de tous les travaux en histoire qui ont été réalisés depuis la première publication en 2006. Et je résume également vers la fin les enjeux mémoriels. Nous avons écrit ce texte il y a un an exactement donc c'était avant les départs de...la fin de l'année 2021 où il y a eu donc une reconnaissance de la part du président Macron de ces violences même si le sujet reste extrêmement épineux pour diverses raisons. Il y a également une actualisation bibliographique. Voilà, donc tous les travaux publiés depuis 2006 sont recensés en fin d'ouvrage juste après la bibliographie publiée en 2006 avec donc l'ouvrage qui était sorti dans un premier temps en anglais avant sa traduction. 

Laura [00:43:52] Tu as tendance, dans tes travaux, notamment dans ce livre, dans l'ensemble de tes travaux, à vouloir porter une nuance au passé. Je pense à mettre en évidence des personnes, des personnages qui peuplent nos livres d'histoire et notre conscience collective. Ton travail de doctorat traitait de l'antiracisme et les discours liés à l'antiracisme en France de 1900 jusqu'à la fin des années 90. On vit à une époque où on remet en question la colonisation. On discute de plus en plus, il me semble, des relations coloniales, de ses effets, des campagnes de décolonisation et aussi de racisme et de lutte antiraciste. Grande question, peut-être, mais j'aimerais savoir aussi bien pour notre échange et pour le bien des auditeurs, des auditrices du podcast on peut apprendre quoi de ton corpus de travail sur ces sujets-là? Je reconnais c'est une grande question, mais on a peut-être tendance, si on n'est pas historien, d'être victime du présent, c'est-à-dire du presentism en français, comment dirais-je, du présentisme? Alors la valeur ajoutée du travail d'historien, c'est justement de nuancer, sinon corriger interlocuteurs, étudiants, même profs, journalistes, tu viens de parler de journalistes qui voudraient qu'on résume notre pensée dans trois ou quatre minutes. Là, on a un peu plus de temps pour parler voilà...on peut tirer quoi de tes travaux relatifs à ces sujets-là? 

Jim [00:45:43] Oui, effectivement, c'est une vaste question, mais une question très utile aussi, une question très importante. Ce que j'ai appris à travers ce projet actuel sur l'histoire des bidonvilles, je pense c'est que...c'est qu'on a peut-être trop souligné les dimensions les plus violentes de la répression coloniale et sous-estimé la violence ordinaire au sein du système colonial. Voilà, donc les brimades de tous les jours, la violence symbolique, la violence structurelle, l'existence même des bidonvilles, les signes d'une très forte inégalité et qui était vécue comme telle à l'époque. Et les grands moments de répression, il faut en parler parce qu'ils ont été occultés. Mais je pense qu'on devrait également aller au plus près de ce que c'était que la réalité au jour le jour de cette domination. Je pense que c'est en parlant un petit peu plus de cela également qu'on va peut-être peser dans les débats actuels sur les soi-disant bénéfices, bienfaits de la colonisation. La colonisation, c'était un système de domination, c'était un système de domination au sein duquel sans doute 10 %,15 % de la population colonisée en bénéficiait d'une certaine manière parce qu'ils ont pu travailler avec l'administration, gagner relativement bien leur vie, exercer encore plus de pouvoir s'ils étaient propriétaires, par exemple, de terrains. Mais pour l'écrasante majorité ce n'était pas du tout ça. Et voilà, le débat actuel en France porte sur les soi-disant bienfaits de la colonisation et je pense qu'en fait il faudrait faire parler les travaux d'histoire et à ce moment-là, on peut, je pense peser dans les débats pour essayer donc d'affaiblir certains arguments que l'on entend à l'extrême droite et à la droite également parfois par rapport à ce passé. Je dirais que aussi, ce qui m'a appris un petit peu...ces travaux, c'est que ça dépend aussi de son sujet parce que si on travaille sur la violence coloniale, effectivement, c'est très clair qu'il y a...c'est un système à deux vitesses et l'armée française ne tire pas sur les Européens en général mais tire sur des Marocains ou des Algériens quand ils manifestent dans la rue. Mais notre projet sur les bidonvilles, même en cas de ségrégation, on trouve aussi toujours des exceptions, on trouve ce qu'on appelle entre historiens le monde du contact, c'est-à-dire le Marocain qui a de bonnes relations avec son employeur européen et peut-être même reçu chez l'employeur. Je ne dis pas que ce soient des amis comme on aurait pu être amis dans un autre contexte mais il y a des rapports sociaux qui ont pu exister entre les différentes communautés dont il faut parler également. Il y a le médecin juif qui vient sur le bidonville soigner sans se faire payer, par exemple, parce qu'il sait bien que la population n'a pas les moyens de payer un médecin. Tout cela complique un petit peu l'histoire et on est là pour aussi compliquer cette histoire, pour montrer qu'il y a eu aussi une réalité issue du monde colonial qui fait que ce n'était pas...les luttes qui ont été menées n'ont pas toujours été des luttes sur le plan ethnique, mais des luttes politiques. La lutte pour l'indépendance a été une lutte menée par des Algériens musulmans, mais avec des chrétiens, des juifs dans le mouvement par exemple. Et donc, je trouve que c'est important à souligner aussi. Et je dirais que pour finir que oui, je pense que la gauche française a été très proche, disons, du projet colonial, notamment les socialistes, les communistes beaucoup moins. Et cette proximité continue à peser sur la manière dont on considère ce passé colonial, mais également au parti sur la manière dont on considère les individus issus de l'immigration coloniale et post-coloniale présents en France de nos jours. Alors le plus difficile, bien évidemment, c'est de faire parler de ses propres travaux auprès du public au-delà même de l'école. Comment toucher un public qui ne lit pas les travaux d'historiens. Et là-dessus, je trouve que les podcasts, internet est quand même une ressource très importante parce que c'est gratuit, c'est facile d'accès et c'est pour ça d'ailleurs que j'accepte des invitations de ce type, parce que c'est une manière aussi de faire passer un cours d'histoire à des gens qui parfois n'ont pas eu la possibilité d'aller à l'université étudier l'histoire. Voilà. Et donc en fait c'est un travail d'éducation, je ne dirais pas éducation populaire, mais un travail de dissémination de ces travaux qui est, je pense, dont l'importance est peut-être sous-estimée dans un contexte où l'on nous encourage à ne publier que dans des ouvrages scientifiques qui restent malheureusement très peu connus dans la société dans laquelle on travaille, où on publie, où on vit. 

Laura [00:51:49] Tout à fait. Peut-être pour terminer, tu as déjà parlé de tes projets en cours, mais une idée vient de me venir à l'esprit. Ton travail se marierait très bien avec le cinéma, avec un film, un film documentaire, tu as déjà peut-être...l'an dernier, je travaillais sur un film, tu le sais bien, je l'avais présenté à Amsterdam, tu avais été non dans la salle, mais à distance voilà à ton retour d'Angleterre. Mais tu parles d'éducation dans des écoles, en dehors des écoles, à la fac, en dehors de la fac, aux jeunes et moins jeunes. Mais tu as déjà eu l'idée de...je ne sais pas...de trouver un partenariat avec un cinéaste ou même un dessinateur, dessinatrice...Bon les B.D., je pense que c'est le terme qu'on emploie en France, qui sont populaires, c'est pour populariser nos travaux de recherche. Tu as peut-être eu des idées là-dessus, enfin des avances, des discussions avec cinéastes ou graphistes, collègues.... 

Jim [00:52:56] J'ai travaillé auprès de beaucoup de documentaristes et en ce moment même, il y a une série de documentaires sur Arte, donc en français, mais avec des sous-titres je pense en anglais, ça ne va pas tarder, sur la guerre d'Algérie qui s'appelle En guerre(s) pour l'Algérie, donc des documentaires qui ont été diffusés sur Arte la semaine dernière. Donc, j'étais l'un des conseillers scientifiques. Donc j'ai travaillé en tant que conseiller scientifique auprès de beaucoup de films et j'ai travaillé effectivement avec des gens qui ont monté des documentaires, des webdoc. Des bandes dessinées oui, aussi. Oui, je suis très admiratif devant ce type de travail qui demande beaucoup de temps effectivement pour bien faire les choses. Mais je privilégie peut-être le documentaire comme support. Je pense que c'est là où on peut...c'est peut-être pour rester au plus près de mes préoccupations d'historien. Le choix des images, le choix des sons aussi, la bande son, quel type de musique, comment dénicher de nouvelles sources. Par exemple, dans ce documentaire sur Arte, on a déniché des vidéos de familles, les premières vidéos de familles de la fin des années 50, du début des années 60, où on voit la vie familiale des Européens d'Algérie, mais sous un œil totalement différent. C'est passionnant...bien évidemment, là encore, les inégalités se voient parce qu'aucun Algérien avait la possibilité de filmer sa propre famille à l'époque. Mais c'est quand même assez passionnant pour l'historien du social que je suis. Donc je pense que le documentaire oublie...donc j'étais interviewé très souvent dans le cadre de films documentaires. Et je respecte beaucoup le travail documentariste qui essaye justement, qui font un travail d'historien, pour moi, mais un travail qui est donc beaucoup mieux diffusé, beaucoup plus accessible je pense, et qui circule donc beaucoup plus et beaucoup plus facilement. 

Laura [00:55:20] Des belles idées. Merci, merci beaucoup professeur Jim House. Jim, au nom des auditeurs auditrices et au nom des collègues au CREFO, écoute je te remercie beaucoup de ton intérêt pour cette série et ton enthousiasme pour le projet podcast. 

Jim [00:55:35] Merci beaucoup de cette invitation Laura. Ça m'a fait très plaisir de pouvoir discuter avec toi. Merci. 

Laura [00:55:41] À très bientôt. 

Jim [00:55:41] À bientôt. Merci, au revoir!

Laura [00:55:42] Au revoir! 

Joey [00:55:45] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca