Quoi de neuf ?

Âge social : discrimination fondée sur l’âge chronologique dans le système d’immigration canadienne ?

April 24, 2023 Season 3 Episode 14
Quoi de neuf ?
Âge social : discrimination fondée sur l’âge chronologique dans le système d’immigration canadienne ?
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Dans cet épisode,  Laura Bisaillon, membre du CREFO, rencontre Christina Clark-Kazak, professeure agrégée à l'Université d'Ottawa

Madame Christina Clark-Kazak est chercheuse interdisciplinaire et professeure agrégée à l’Université d’Ottawa. Elle mène des recherches sur la discrimination fondée sur l’âge en migration et développement, la participation politique des jeunes en situations de migration, et la méthodologie interdisciplinaire en migration forcée. Elle a dirigé le Centre d’études sur les réfugiés et a été directrice associée de recherche au campus bilingue de Glendon de l’Université York à Toronto. Elle est l’auteure de deux livres parus en anglais chez les Presses de l’Université McGill-Queens, dont Recounting Migration (2011) et Documenting Displacement (2022). Son livre intitulé Research Across Borders paraîtra chez les Presses de l’Université de Toronto.  

Joey [00:00:00] Dans cette troisième saison, Laura Bisaillon, membre du CREFO et ses invités discuteront du thème de la production et de la diffusion des connaissances sur les mobilités, les francophonies, la minorisation, le corps et l'État dans ces divers contextes du monde. Aujourd'hui, elle rencontre Christina Clark-Kazak, professeure agrégée à l'Université d'Ottawa. 

 Christina [00:00:22] Un acronyme pour décrire des gens, c'est un processus administratif où on est en train de séparer la personne de leur histoire. C'est en fait tout ce travail-là qui a motivé le concept d'âge social. 

Joey [00:00:39] Bienvenue à Quoi de neuf? 

Laura [00:00:55] Madame Christina Clark-Kazak est chercheure interdisciplinaire et professeure agrégée à l'Université d'Ottawa. Elle mène des recherches sur la discrimination fondée sur l'âge en migration et développement, la participation économique des jeunes en situation de migration et la méthodologie interdisciplinaire en migration forcée. Elle a dirigé le Centre d'études sur les réfugiés et a été directrice associée de recherche au campus bilingue de Glendon de l'Université York à Toronto. Elle est l'auteure de 2 livres parus en anglais chez les Presses de l'Université Médias Queen's, dont Recounting Migration en 2011 et Documenting Displacement en 2022. Son livre intitulé Research across Borders paraîtra chez les Presses de l'Université de Toronto. Bienvenue! Un grand bonjour à madame Christina Clark-Kazak qu'on reçoit aujourd'hui sur les ondes du podcast Quoi de neuf? Les cafés du CREFO de OISE à Toronto. Sois la bienvenue, Christina, une amie et une collègue de longue date qui nous rejoint à partir de son bureau à Ottawa. Alors, sois la bienvenue et nous sommes très reconnaissants et je dis « on » ou « nous » au nom des auditeurs et des auditrices de ce podcast. Alors, nous allons commencer par le début. Tu es couramment bilingue en français et en anglais. Tu fais des recherches et tu enseignes, tu mènes une carrière dans les deux langues officielles du Canada et j'aimerais que tu nous parles un peu de tes parcours linguistiques, géographiques et culturels. Et je vais mentionner un fun fact sur Christina : elle a grandi avec ses deux sœurs sur un bateau, donc ce qui est très original, n'est-ce pas? Et voilà, donc je cède la parole à Christina. 

Christina [00:02:59] Merci Laura et merci de m'avoir invitée. Oui, c'est vrai, j'ai grandi en fait sur un grand voilier. Je suis anglophone, je viens de la Colombie-Britannique et j'ai grandi au début dans un petit village de pêcheurs sur la frontière entre l'Alaska et la Colombie-Britannique. Et puis on a fait de la voile partout dans le monde, l'océan Pacifique, Atlantique, les Caraïbes et étant donné cette enfance un peu particulière, je n'avais pas l'occasion de faire l'immersion française. Mais je voulais être diplomate. C'était en fait mon rêve de carrière. Alors, pour mon bac, j'ai fait une double spécialisation en français et en études internationales. Mais oui, j'avais un peu les connaissances théoriques du français, mais je ne pouvais pas vraiment le parler. Alors, une fois arrivée à cette carrière de rêve, j'ai été engagée avec l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international à l'époque, avant que ce soit les affaires mondiales. Alors je voulais vraiment transférer ces connaissances théoriques en pratique. Alors j'ai demandé d'être dans un programme francophone. Alors j'ai fait une affectation sur le terrain en République démocratique du Congo en tant que cheffe de l'aide par intérim. Et c'est vraiment là où j'ai appris le français. J'ai appris à parler dans le travail et depuis ce temps-là, je faisais toujours du travail bilingue au gouvernement et par la suite à l'université. J'ai fait mon premier poste à l'université de Saint-Paul à Ottawa, puis au Collège universitaire de Glendon et puis maintenant à l'Université d'Ottawa. Alors c'est toujours un travail bilingue. Et oui, je fais des fautes en français, mais je pense que c'est très important en tant que Canadienne, Canadien, de non seulement pouvoir parler en français, mais aussi de comprendre un peu le contexte sociolinguistique du Québec et des francophones au Canada. 

Laura [00:05:18] Tu penses que c'est utile d'abord pour toi et ceux et celles qui nous écoutent, de savoir pourquoi j'ai eu l'idée de t'inviter finalement sur cette émission? Et c'est parce que justement, évidemment, tu es universitaire là aujourd'hui, mais tu as eu un parcours professionnel donc ta carrière universitaire, c'est vraiment ta deuxième ou même ta troisième carrière, étant donné que tu étais en affectation en Afrique. Et là tu es revenue au Canada. Donc ton parcours professionnel qui pourrait être d'une inspiration, d'un intérêt finalement pour les auditeurs, les auditrices. Et aussi du fait que ta carrière d'enseignante, de prof t'a amenée à travailler dans plusieurs ou quatre universités finalement ontariennes, dont York, Glendon, Ottawa et l'Université Saint-Paul. C'est un peu original comme bagage n'est-ce pas, ce n'est pas tous les universitaires ontariens qui ont déjà travaillé dans quatre universités. Et en troisième lieu, vraiment, ton travail sur la discrimination fondée sur l'âge dans des contextes de migration également au Canada et à l'étranger. À moins que je me trompe, personne n'en parle, c'est-à-dire personne du milieu universitaire n'en parle sauf toi. Et nous savons, toi et moi, comme nous nous sommes mariées avec des personnes qui sont nées à l'extérieur du pays, dont les familles sont nées en conséquence à l'extérieur du pays. Cette discrimination fondée sur l'âge dans le contexte de l'immigration canadienne est d'une grande conséquence pour les personnes immigrantes, pour les familles immigrantes, et donc je fais mention de ça et je t'invite à nous en parler et tu pourrais nous parler de tes recherches fondées sur la discrimination. Pourrais-tu nous en parler, de quoi il s'agit, quels sont les enjeux, qu'est-ce qui t'a amenée à travailler sur ces questions-là et l'importance finalement de cette ligne d'enquête? 

Christina [00:07:32] Oui, alors je dois peut-être te corriger, Laura, pour dire que je ne suis pas la seule à travailler sur ces questions. Il y a d'autres chercheuses, chercheurs qui travaillent sur des questions d'enfants, par exemple, ou des personnes âgées. Mais je pense que la perspective que moi j'apporte à la question, c'est un cadre conceptuel qui est un peu différent parce que je parle de l'âge social. Alors c'est un cadre conceptuel qui est inspiré par des études féministes et le genre pour dire que oui, il y a un processus biologique de vieillissement, mais c'est aussi une construction sociale des catégories d'âge et de la famille. Alors j'essaie de faire une recherche avec cette lentille où j'examine en fait des rapports de pouvoir dans les familles et dans la société. Et je pense que l'autre chose qui est très intéressant quand je fais cette recherche sur la discrimination fondée sur l'âge dans le contexte d'immigration canadienne, c'est que c'est accepté. Si on avait la discrimination fondée sur le sexe, il y aurait quand même beaucoup de bruit, il y aurait des gens qui critiqueraient en fait une politique où il y a une discrimination fondée sur le sexe. Tandis que l'âge, c'est quand même accepté. Alors je donne un exemple très précis. Dans le programme fédéral des travailleurs, il y a des points qui sont alloués selon plusieurs critères et un des critères, c'est l'âge. Alors, si on a moins de 18 ans ou plus que 46 ans, il y a zéro point pour ce programme-là. Et si on avait 0 point pour être par exemple femme ou être d'une certaine race ou d'une certaine classe sociale, évidemment, il y aurait quand même des critiques de cette approche. Mais comme c'est un peu normalisé, il y a une discrimination axée sur l'âge dans la société en général, je dirais, mais aussi dans le système d'immigration canadienne. Alors la recherche porte en fait sur cette discrimination-là et comme je viens de dire, c'est une approche d'âge social. Alors oui, je regarde l'âge chronologique, mais je regarde aussi la construction des différentes catégories d'âges. Alors pourquoi est-ce qu'il n’y a pas de points pour les personnes âgées entre guillemets? Et en fait, si on pense que 47 ans ce n'est pas très âgé non plus. C'est parce que, en fait, il y a une perception que les personnes âgées ne vont pas contribuer de façon économique au Canada. C'est un fardeau entre guillemets au Canada et j'essaie d'analyser cette construction sociale pour pouvoir expliquer ou au moins comprendre pourquoi on accepte cette discrimination axée sur l'âge. Un autre aspect du concept d'âge social, c'est des relations familiales, c'est de regarder en fait même la définition de la famille. Et comme tu as dit, il y a différentes interprétations de la famille partout au monde. Mais ici au Canada, dans le système d'immigration, c'est vraiment une famille nucléaire et c'est une vision très étroite de la famille, des parents et des enfants à charge. Il n'y a pas de perception des grands parents qui pourraient apporter quelque chose à la famille. Alors encore une fois, une lentille d'âge social et une lentille de discrimination et une perspective d'équité soulèvent en fait cette discrimination axée sur le statut familial. 

Laura [00:11:32] Je pense qu'il y a quand même des grands défis dans le travail que tu fais à cet égard, parce que c'est normalisé. Donc c'est normatif cette construction sociale de c'est quoi une famille, qu'est-ce qui compte comme famille. Et là tu déplaces une logique chronologique de l'âge. Tu apportes une vision sociale et d'autres conceptions de l'âge et de la famille. Quelles seraient les possibilités d'intervention pour corriger, pour adapter notre système d'immigration étant donné ces discriminations qui font partie intégrale du système tel qu'il est? 

Christina [00:12:18] Oui, c'est une bonne question et je pense que c'est là où mon expérience au gouvernement m'aide parce que, en fait, j'essaie de comprendre un peu la logique bureaucratique ou administrative de ce processus et essaie aussi de souligner les contradictions dans la politique. Je te donne un exemple. J'avais mentionné les enfants à charge. Alors en général, au Canada, la définition de l'enfant, c'est moins de 18 ans. Mais c'est quand même intéressant parce que pour l'enfant à charge, dans la Loi canadienne sur l'immigration, la dépendance est définie comme quelqu'un de moins de 22 ans. Alors c'est plus âgé, on peut voir ici une contradiction. En fait, et même dans la Loi canadienne sur l'immigration, on voit beaucoup de contradictions et des différentes catégories de l'âge chronologique. Mais en plus de l'âge chronologique, il y a un aspect d'aide sociale. Parce qu'il faut, oui, être âgé de moins de 22 ans. Mais il faut aussi ne pas avoir un conjoint ou un époux, épouse. Et il y a aussi des exceptions pour les gens ayant une déficience physique ou mentale. Alors encore une fois, on voit une construction sociale de ce qui est le dépendant, qui est à la fois l'âge chronologique, l'âge social et d'autres facteurs. Et c'est notre avantage, d'une approche axée sur l'âge social, c'est qu'on peut voir qu'il y a une intersectionnalité entre l'âge et aussi le genre, l'ability, classe sociale, la religion, etc. Alors c'est une approche qui est beaucoup plus holistique et on peut voir comment c'est en relation ou en dialogue avec d'autres politiques d'immigration qu'on voit, parce que je sais que toi, tu travailles sur les aspects de santé par exemple. Alors je vois qu’ici on peut voir des parallèles, des discriminations axées sur l'âge et la discrimination axée, par exemple, sur la santé. 

Laura [00:14:45] Oui, il est vrai que je travaille sur des questions, pas forcément la santé ou le système de santé, mais vraiment les corps minorisés, minoritaires, c'est-à-dire ceux et celles qui sont atteints de maladies chroniques ou qui ont une condition génétique autre. Ces personnes-là qui sont considérées comme étant des fardeaux comme tu dis, ce sont des constructions sociales. Et donc les défis pour nous les chercheurs qui s'intéressent au fonctionnement des bureaucraties, qui s'intéressent au fonctionnement des systèmes qui nous gèrent, c'est de savoir comment déplacer et de porter de nouvelles idées quant à ces constructions sociales. Donc voir l'âge autrement, voir le statut physique des corps minoritaires par exemple différemment. Tu as fait, dans cet élan de recherche, tu as fait du terrain je pense auprès des personnes, auprès des familles qui n'ont pas pu accéder au pays. Est-ce que j'ai raison ou qui ont pu accéder au pays au niveau de cette discrimination sur l'âge? As-tu fait du terrain ou je me trompe? 

Christina [00:15:57] Oui, j'ai fait du terrain pour un autre projet de recherche où j'ai fait des recherches avec des enfants non accompagnés. Alors pour essayer de comprendre en fait surtout à leur accès à la prise de décision parce que dans la convention sur les droits des enfants, il y a un aspect où les enfants devraient être impliqués et participer dans les décisions qui les affectent alors c'est la raison pour laquelle j'ai fait le terrain pour l'autre projet sur les enfants non accompagnés. Mais pour ce projet-ci, c'est plutôt une analyse textuelle et juridique des politiques et des lois canadiennes. Et en fait pour répondre à la question de comment changer les politiques, un outil c'est vraiment de premièrement de faire cette analyse systématique des textes pour voir quelles sont les contradictions pour pouvoir démontrer qu'en fait ça ne fait pas de sens, c'est vraiment une construction sociale mais même la construction, ce n'est pas consistante au cœur du même document, du même texte. Alors si on utilise leurs propres textes pour dire que, en fait il y a un problème, je pense que ça pourrait être une stratégie efficace. Et l'autre stratégie, c'est vraiment d'utiliser le cadre juridique qui est déjà en place pour protéger les droits humains. Et c'est dans ce contexte-ci où c'est la raison pour laquelle je dis que c'est une approche d'équité. C'est une approche axée sur les droits pour dire qu'eux, mais tout le monde, y compris les migrants, ont des droits humains. Mais en utilisant cette approche-là, on nuit à ces droits humains et c'est pour ces raisons-là qu'il faut changer la politique. Et troisièmement, alors ça c'est l'approche normative, ça veut dire que ce qu'on devrait faire parce que on a des normes, on a des droits, etc. Mais je sais parce que j'étais fonctionnaire auparavant, je sais qu'il faut aussi avoir un aspect pratique. Il faut démontrer comment on peut changer. Parce que c'est vrai que l'âge chronologique, c'est une stratégie très efficace du point de vue administratif, n'est-ce pas? Parce que des catégories sont là pour inclure, mais aussi pour exclure. Alors c'est très efficace pour une agente, un agent d'immigration de dire que notre définition de famille n'inclut pas les grands-parents. On inclut les enfants dans cette catégorie, les enfants à charge et c'est basé sur l'âge chronologique et sur le statut de mariage et sur les ability. Et si en fait vous n'entrez pas dans ces catégories-là, vous êtes exclu. Alors c'est une façon efficace de dire que c'est pas possible. Alors il faut se mettre un peu dans la peau des gens qui prennent ces décisions-là pour essayer de dire comment est-ce qu'on peut imaginer un autre processus de prise de décision. Est-ce qu'il y a une autre façon de, en fait, décider si quelqu'un peut ou pas entrer au Canada. Et c'est là où, en fait, je pense qu'il faut faire un peu plus et je trouve que les universitaires, souvent les recommandations ne sont pas réalistes parce qu'ils ne comprennent pas tout le système de comment ça fonctionne en fait à l'intérieur de la fonction publique. Et j'essaie de travailler justement, et c'est le terrain que je fais, en fait, dans le cadre de ce projet-là, c'est des entrevues avec des fonctionnaires. Ce sont des entrevues avec des décideurs et aussi des avocats, parce que les avocats sont très doués à utiliser, pour ne pas dire manipuler, mais utiliser les lois pour faire valoir les droits des clients. Alors si on peut comprendre un peu la logique de comment ça fonctionne du point de vue administratif c'est là où on peut proposer des recommandations qui sont à la fois réalistes et à la fois aussi plus équitables. 

Laura [00:20:31] Oui, j'aime bien l'approche un peu optimiste aussi. Tu enquêtes auprès des administrateurs, sachant qu'au Canada, l'administration, la bureaucratie ne change pas comme certains autres pays, l'administration est stable d'un régime à l'autre. Donc, il y aurait peut-être des possibilités, des points d'ancrage au sein de la bureaucratie, de faire changer...c'est pas les comportements, mais parce que la mission que tu te donnes, c'est non seulement...c'est pas un changement de valeur ou un changement de comportement, c'est une autre façon de voir et de concevoir la famille et l'âge. C'est de poser un défi à cette conception qui soit basée sur la famille nucléaire et un raisonnement chronologique. 

Christina [00:21:22] Oui, c'est ça, Mais on peut aussi s'inspirer de ce qui s'est passé dans toute la conception en fait de genre et d'orientation sexuelle parce que le Canada a quand même fait des étapes positives dans ce sens-là. C'est qu'il y a une conception beaucoup plus large du genre et de l'orientation sexuelle que dans d'autres pays. Alors encore une fois, et on a des lignes directrices de IRB qui sont très précises à cet effet-là. Et on a aussi des lignes directrices pour les enfants ou les enfants à charge. Alors encore un fois, peut-être je suis trop optimiste, mais je pense qu'il faut quand même essayer et il faut essayer de voir des points d'entrée, des outils, des structures qu'on peut essayer d'utiliser pour changer. Et c'est un changement progressif, ça ne veut pas être un changement radical d'un jour à un autre jour. C'est un processus à longue haleine. Et c'est un processus aussi de relationship building avec des fonctionnaires. Parce que les fonctionnaires sont des êtres humains aussi et il y a des gens à l'intérieur de la fonction publique qui veulent changer le système et parfois c'est utile pour eux d'avoir des experts, expertes externes entre guillemets, je ne peux pas me présenter comme experte. Mais ce que je veux dire, c'est eux, c'est utile pour eux d'avoir ces recherches, ces données de l'extérieur pour dire que voyons ce que Laura Bisaillon fait sur la santé et la discrimination. Ce n'est pas moi qui propose quelque chose, c'est cette chercheuse dans une université reconnue qui a reçu une subvention pour faire ce genre de travail. Alors parfois, en fait, je trouve que les universitaires, les chercheurs pensent que les fonctionnaires sont...on est en conflit avec les fonctionnaires et je pense que c'est là où le fait que j'avais travaillé dans la fonction publique que je peux voir que oui on a...premièrement, il y a différentes perspectives des différents agents et agentes et deuxièmement, qu'il faut essayer de voir quelles sont les structures de prise de décision pour pouvoir essayer de proposer des changements à ces structures-là. 

Laura [00:24:05] Non, il faut dire aussi que tu es optimiste de caractère. Tu es située à Ottawa et donc tu es physiquement, je pense que tu es située pour pouvoir...bon on vit à l'époque de COVID donc personne ne se voit dans les bureaux et tout ça. Mais tu es bien placée, tu nous manques beaucoup à Toronto il faut dire. Tu es la première universitaire que j'ai rencontrée à Toronto, c'est-à-dire en 2013. Tu m'as vraiment accueillie de tout cœur et avec grande chaleur humaine et tu m'as fait connaître d'autres universitaires, femmes et hommes et étudiants. Donc je pense que tu es très bien placée. Bon, de par ta première carrière dans la fonction publique, ensuite ta carrière comme universitaire et en fait ta philosophie de vie qui est axée sur l'équité et le changement et les solutions pour mieux vivre. Sur ce, j'aimerais, pour un petit moment, revenir en arrière pour...dans le temps, peut-être d'il y a 20 ans. Ta thèse doctorale dont tu as fait du terrain au Congo auprès des jeunes Ougandais dont tu as fait publier en 2011 ton livre Recounting Migration. Est-ce que tu pourrais nous parler de ton terrain? Et je pense que, à moins que je me trompe, c'était un peu les origines de ta pensée et de ta sensibilisation au niveau de ces questions de discrimination fondée sur l'âge, mais aussi la participation politique des jeunes en situation de migration. Donc c'est...j'aimerais que tu nous parles, dans un premier temps, de son contenu mais aussi de la façon dont tu as décidé d'écrire ce livre-là. Et je voudrais, entre parenthèses, dire que la façon dont tu as écrit ce livre m'a beaucoup inspirée et j'ai fait des décisions en conséquence quand j'ai rédigé moi-même mon livre mais il est aussi écrit, d'une certaine manière, une certaine manière assez originale et une manière humanisante je dirais. Alors à toi de nous parler de son contenu et de sa forme aussi. 

Christina [00:26:35] Oui, alors le livre Recounting Migration est basé sur ma thèse de doctorat et j'ai fait 18 mois de terrains en Ouganda avec des enfants et des jeunes non-accompagnés dans deux contextes différents à Kyaka II, c'est un camp de réfugiés et aussi à Kampala, qui est la ville capitale de l'Ouganda. Et je voulais comparer en fait leur accès à la prise de décision au niveau des familles, au niveau des communautés, mais aussi au niveau politique dans ces deux contextes très différents. Parce qu'à Kampala, les gens sont là de façon informelle, pour ne pas dire illégale. Ils ne devraient pas être là en fait, alors ils sont intégrés vraiment dans la ville et la vie urbaine de Kampala, tandis qu'à Kyaka II, c'est un camp de réfugiés, c'est un contexte où les gens survivent en fait dans un contexte très difficile. Et ce que je voulais faire dans le projet de recherche et d'analyse, ça a été de démontrer que oui, ce sont des gens dans des situations très difficiles, où il y a très peu d'occasions de prendre des décisions. Mais ils ont quand même agency, ils ont quand même la capacité de penser, d'analyser leur situation et de prendre des décisions sur la vie quotidienne, mais aussi d'avoir une opinion politique de ce qui se passe dans leur pays d'accueil, mais aussi de leur pays d'origine. Alors le but, c'était vraiment de...et c'est la raison pour laquelle le livre est intitulé Recounting Migration parce qu'en anglais en fait, c'est un double sens. C'est un sens de raconter une histoire et comme tu as mentionné Laura, le livre est conçu avec...chaque chapitre est conçu comme une histoire de vie, une narrative de quelqu'un et puis j'utilise cette narrative pour analyser un contexte plus large. Alors j'ai eu quand même plus de 200 participants dans ce projet de recherche-là, mais j'ai sélectionné une personne pour chaque chapitre pour illustrer en fait des thématiques plus larges. Alors, c'est un aspect de« recounting », alors c'est de raconter une histoire. Mais c'est aussi pour en fait le sens de « counting » ou compter parce que dans les études de migration forcée, surtout dans un contexte administratif, il y a beaucoup d'attention sur les chiffres, sur les statistiques. Même maintenant, si on pense à l'Ukraine, chaque jour on a les chiffres de combien de réfugiés, de déplacés internes etc, qu'on a suite l'invasion russe. Alors ce que je voulais dire, c'est que derrière ces statistiques, il y a aussi des personnes, des individus et c'est les raisons pour lesquelles en fait c'est « recounting ». Alors c'est pour problématiser un peu et pour dire qu'il y a une autre façon de compter les gens, ce n'est pas juste un aspect quantitatif, mais c'est aussi de reconnaître leur valeur humaine. Alors j'ai essayé dans le livre de vraiment centrer les expériences et l'expertise des jeunes avec qui j'ai travaillé pendant une longue période. 

Laura [00:30:31] Oui, et c'est cette conviction de chercheure, d'être humain que tu as de vouloir centrer les personnes, de vouloir centrer leur histoire, de vouloir, oui, voir, lire et comprendre les statistiques et les chiffres, mais surtout de placer un visage humain, si on peut dire, une voix humaine devant ces chiffres. Je pense que ça fait partie de ta conviction de chercheure, c'est comme ça que tu as dirigé les travaux et les chercheurs que tu as invités au Centre d'études sur les réfugiés à York, lorsque tu étais directrice, lorsque tu étais toujours auprès de nous à Toronto, n'est-ce pas? 

Christina [00:31:09] Oui, c'est ça et je pense que c'est un peu le danger avec des études de migration forcée, c'est que...on ne veut pas être...Selon moi, c'est pas vraiment une approche déontologique et éthique de dire qu'on fait des recherches sur une population ou sur une catégorie, plutôt que de faire une recherche avec ou pour les gens. Et justement, les jeunes réfugiés non-accompagnés sont souvent conçus comme des gens vulnérables et une catégorie de gens qui ont besoin d'aide. Et ce n'est pas pour nier cette approche-là. Évidemment, on a besoin de les appuyer, mais je trouve que c'est un processus de déshumanisation aussi de dire que oui, les unaccompanied minors ou UM, un acronyme pour décrire des gens, c'est un processus administratif où on est en train de séparer la personne de son histoire. Et je pense que...et c'est en fait tout ce travail-là qui a motivé le concept d'âge social dont j'ai déjà parlé. Mais toutes les recherches que j'ai faites jusqu'à date, c'est aussi motiver le travail récent que j'avais fait sur le code déontologique pour les recherches en migration forcée, parce que je trouve que parfois, parfois c'est pas tout le monde, mais il y a quand même des chercheurs, des chercheuses qui font la recherche pour leur propre carrière et pas pour aider ou soutenir les gens avec qui on travaille. Et je pense qu'il faut vraiment changer ce mode de travail où les chercheurs sont là pour extraire des informations et pas vraiment pour travailler avec les gens. 

Laura [00:33:21] Oui, d'où ton inspiration des études féministes et ta formation interdisciplinaire. Voilà, ça reflète ta position déontologique de chercheur comme être humain et les origines de ta pensée finalement, dans le concret, dans le vécu, dans l'agentivité des gens auprès et avec qui on travaille. On pourrait...ce serait un moment très propice de parler là de tes derniers travaux, n'est-ce pas parce que tu as évolué d'une certaine façon dans tes recherches. Tu viens de faire publier un livre avec une collègue, Katarzyna Grabska. Est-ce qu'on pourrait maintenant passer à voir de près en quoi consistent tes recherches en matière éthique ou déontologique auprès des personnes qui sont en situation de migration forcée. On pourrait d'abord commencer par entendre c'est quoi la définition de ce terme migration forcée, parce que dans les études migratoires, il y a beaucoup de concepts, on s'entend, il y a beaucoup de chiffres, mais il y a beaucoup de concepts qu'on lit, qu'on entend, qu'on emploie même sans pour autant peut-être les comprendre. Donc il y a migration, il y a migration forcée, il y a immigration. Il y a quand même des différences entre ces mots-là. Mais cette préoccupation et des considérations, un questionnement sur l'éthique, sur la déontologie est un fil conducteur dans tes recherches. Est-ce qu'on pourrait en parler un peu, tu pourrais nous en parler de ces mots et de quoi consiste ton travail dans ce domaine-là. 

Christina [00:35:04] Oui, alors pour la première question sur la migration forcée, on a décidé d'utiliser cette terminologie qui est un peu plus large que des réfugiés pour deux raisons : premièrement, parce que des réfugiés, ce sont des êtres humains, c'est des personnes, tandis que la migration forcée, c'est un phénomène. Alors, encore une fois, on a essayé de distinguer entre une approche dans un contexte de migration forcée qui est plus holistique, si vous voulez, que si on avait focalisé seulement sur les réfugiés en tant qu'êtres humains et parfois en fait en utilisant cette étiquette « réfugié », ça pourrait être déshumanisant. Et la deuxième raison pour laquelle, c'est justement à cause du statut juridique du mot « réfugié » parce qu'il y a une convention des Nations unies sur les réfugiés et c'est une définition juridique très précise et on voulait élargir pour inclure aussi les gens qui n'ont pas encore le statut juridique des réfugiés, les demandeurs d'asile par exemple, mais aussi les déplacés internes. Alors les gens qui n'ont pas encore traversé une frontière. Alors pour être réfugié, il faut traverser une frontière internationale. Les déplacés internes restent dans leur propre pays. Mais si on pense aux situations de migration forcée dans le monde, il y a beaucoup de déplacements internes, y compris en Colombie par exemple. Alors on voulait reconnaître qu'il y a différentes façons d'être déplacé et d'être dans des situations de migration forcée, sans forcément être des réfugiés de sens juridique. Et c'est justement en fait à cause de cette fragilité, si vous voulez, ou précarité juridique de plusieurs gens avec qui on travaille, le fait d'avoir le statut réfugié, c'est un statut qui pourrait être enlevé. Il y a aussi des gens qui n'ont pas encore de statut juridique dans le pays ou dans le contexte où ils vivent. J'avais mentionné par exemple les jeunes à Kampala. Les jeunes étaient là d'une façon informelle ou dans un certain sens illégal. Alors, on voulait reconnaître que dans ces contextes-là, il y a des situations juridiques particulières et il faut tenir compte de ces situations-là, parce que les recherches pourraient, oui, améliorer les conditions. Mais les recherches pourraient aussi avoir un impact négatif sur ces gens-là si en fait, ça soulève des questions juridiques. Par exemple, si quelqu'un dit dans une recherche quelque chose qui contredit ce qu'ils avaient dit dans les documents d'immigration, ça pourrait mettre en danger leur statut. Alors c'est dans ce contexte-là, en fait, qu'on avait décidé...quand je dis « on », ça veut dire... c'est une collaboration avec d'autres collègues au Centre des réfugiés à York, à l’Association canadienne pour les études sur les réfugiés et migrations forcées et aussi le Conseil canadien pour les réfugiés, qui est en fait une coalition des ONG au Canada. Alors, c'était vraiment un partenariat entre les universitaires et des gens qui travaillent dans la communauté et on avait des préoccupations surtout dans un contexte où il y avait du financement pour des recherches avec des Syriens. Et parfois des chercheuses et chercheurs qui faisaient ces recherches-là, c'était la première fois qu'ils travaillent dans un contexte de migration forcée alors on voulait quand même souligner, comme je viens de dire, des aspects juridiques, mais aussi des aspects des inégalités de pouvoir qui sont très sévères dans ce contexte-là, et aussi la criminalisation de l'immigration et la politisation aussi des enjeux d'immigration. Alors nous avons créé des lignes directrices dans un contexte canadien. Et dans ce contexte-là en fait, il y a des chercheurs internationaux qui disaient que ça, c'est très important pour le Canada mais est-ce qu'on peut quand même développer un code d'éthique au niveau international. Alors par la suite, j'ai rédigé le code international. Et puis, dans ce contexte-là, en fait, il y a beaucoup de travail qui se fait ET sur les enjeux déontologiques ET sur les enjeux méthodologiques. Alors dans le livre que je viens de publier avec Katarzyna Grabska, c'est une collection éditée avec des contributions de quatorze intervenants, de contributeurs. Il y a quatorze chapitres, en fait, il y a plus d'une trentaine d'auteurs. Et c'est vraiment l'intersection des aspects déontologiques avec des aspects méthodologiques. Et c'est des contextes très diversifiés : Cyprus, la Colombie, le Sri Lanka, l'Angleterre, le Canada, etc. Et dans ces contextes-là, les chercheurs, les chercheuses, y compris ceux et celles qui avaient une expérience personnelle de migration forcée, essayaient de démontrer comment, en fait, on peut faire différemment les recherches pour que ce soit plus éthique, mais aussi qu'on aurait des informations différentes et des données différentes. Alors, par exemple, il y a un chapitre sur les sound postcards, alors les cartes postales sonores. C'est fascinant comment on peut utiliser le son pour en fait communiquer différemment les processus de migration forcée et comment on peut le faire avec les gens. Et c'était avec les jeunes en fait, en Colombie, les jeunes déplacés internes où ils avaient participé à un programme de musique qui était bénéfique pour eux en tant qu'un processus de cycle social, mais aussi dans le même temps, ça a donné des données très intéressantes et riches sur le processus des déplacements. Alors, de plus en plus, je travaille sur cette intersection entre la méthodologie et l'éthique. Et comment est-ce qu'on peut penser autrement en fait les recherches.  

Laura [00:42:07] Et les lignes directrices dont tu parlais sont disponibles en ligne dans plusieurs langues je pense, une dizaine de langues à travers le monde. Tu as fait publier les lignes directrices en ligne, elles sont disponibles. Tu pourrais peut-être citer le site web, mais elles sont utiles dans le contexte canadien, mais elles sont aussi destinées aux chercheurs qui travaillent à travers le monde dans le monde entier, n'est-ce? Et donc tu dis que Documenting Displacement c'est un peu la suite des interventions antérieures sur le plan éthique. 

Christina [00:42:43] C'est ça. Les lignes directrices sont disponibles en français et en anglais dans la revue Refuge. Canada's Journal on Refugees. Alors ce sont des lignes directrices au complet. Puis par la suite, on a fait un résumé exécutif, surtout pour des ONG avec une liste de contrôle, une checklist pour les gens. Et ça c'est disponible en anglais, français et arabe parce qu'à l'époque, il y avait des organisations syriennes qui travaillaient dans ce contexte-là. Et puis j'ai développé en fait un document dont tu viens de mentionner. C'est un document pour des réfugiés ou pour des personnes qui sont invitées à participer aux recherches. Parce que oui, on a des formulaires de consentement, mais on sait que ces formulaires-là, c'est rédigé dans un langage très technique et juridique. Alors c'est pour interpréter, si vous voulez, ces concepts dans un contexte de migration forcée. Alors qu'est-ce que ça veut dire le consentement libre et éclairé. Est-ce qu'il y a des aspects dont il faut tenir compte quand on parle de la vie privée par exemple dans un contexte de migration forcée. Alors, ce document-là, c'est un document de quatre pages avec comme des bullet points, des points importants et c'est traduit dans plus de 20 langues et c'est disponible sur le site web de CARFMS ou Association canadienne pour les études sur les réfugiés et les migrations forcées. 

Laura [00:44:30] Bravo! Un grand travail. Je me souviens très bien d'avoir vu plusieurs courriels là-dessus. Vaste travail. Un travail d'équipe, je pense. Tu as mené cette équipe et tu as réussi à faire voir le jour ces lignes directrices. Donc bravo. Et donc Documenting Displacement, on pourrait peut-être passer à..tu pourrais peut-être nous parler de ton livre qui est sous presse. Je pense que tu travailles les épreuves en ce moment, tu les finalises. Ou bien peut-être qu'il est même rendu à un stade plus développé ton Research Across Borders, qui paraîtra chez les Presses de l'Université de Toronto. Tu pourrais nous en parler. Il parle de quoi ce livre? 

Christina [00:45:15] Oui, alors ce livre-là est conçu comme un manuel de textes ou un livre d'introduction aux recherches interdisciplinaires et à cross-cultural. Et c'est conçu, en fait... ça vient en fait de mon parcours pédagogique, si vous voulez, parce que depuis plus de quinze ans, depuis mon premier poste à l'université Saint-Paul, j'enseigne des méthodes de recherche dans des programmes interdisciplinaires comme étude du conflit, droits humains et études internationales. Et ce que j'ai remarqué c'est que, premièrement, tous les manuels de textes sont des manuels de textes qui sont conçus pour une discipline. Alors on a des méthodes de recherche en sciences politiques ou en anthropologie etc. Mais deuxièmement, c'est qu'on a besoin d'une ressource pédagogique qui explique justement ces enjeux éthiques et culturels de faire une recherche avec les autres, entre guillemets, parce que souvent, des chercheurs, chercheuses au Canada et dans le Global North en général, on fait des recherches sur une population au lieu de avec une population. Alors je voulais créer une ressource pédagogique pour des étudiants, des étudiantes, des chercheurs en formation, si tu le veux, qui explique dès le début que les connaissances sont culturelles. Les connaissances sont construites dans des contextes de relations humaines et des rapports de pouvoir. Et il faut en tenir compte. Et j'utilise en fait des méthodologies autochtones et d'autres méthodologies qui viennent d'une perspective qui n'est pas simplement une perspective occidentale. Et c'est là où je pense que c'est une contribution à la pédagogie parce que je trouve que souvent on enseigne des méthodes de recherche d'un point de vue positiviste, et aussi j'essaie d'expliquer dans le livre que le processus de recherche, ce n'est pas un processus linéaire parce que quand les étudiants et les étudiantes lisent un article scientifique, par exemple, il y a une section sur la méthodologie et c'est comme si la méthodologie est facile. C'est comme si, en fait, les recherches sont toujours faites d'une façon ce qu'on avait conçu. Mais on sait, parmi les chercheuses, chercheurs, que souvent ce c'est pas comme ça. Souvent on a un plan, il faut les réviser, il faut changer la question, il faut changer l'approche, etc. Et j'essaie de démontrer dans le livre en fait que les recherches sont compliquées et il faut tenir compte du contexte quand on fait ces recherches-là. Et il faut avoir une perspective critique aussi sur les recherches qu'on lit dans les journaux par exemple, ou dans d'autres articles scientifiques, parce que c'est toujours conçu dans un contexte de hiérarchie des pouvoirs. Alors c'est un peu le but du livre. Alors, c'est conçu comme un manuel de textes, mais j'espère que ça pourrait être utile aussi pour des gens, pour avoir un point d'entrée aux recherches dans des contextes interdisciplinaires et à travers des frontières et des frontières pas simplement des frontières géographiques, mais aussi culturelles, sociales, etc. 

Laura [00:49:14] Et disciplinaires étant donné que tu es chercheure, chercheuse plutôt interdisciplinaire et tu souhaiterais que ce livre-là soit lu, soit pensé, soit utilisé par des élèves et leurs profs qui sont dans de multiples disciplines, n'est-ce pas? 

Christina [00:49:33] Oui c'est ça, tout à fait. C'était une approche interdisciplinaire et il y a toute une section qui explique comment construire et produire des connaissances dans un contexte de discipline mais comment est-ce qu'on peut aussi remettre en question en fait ces disciplines-là? Et dans le livre en fait, je m'inspire un peu du premier livre où j'avais une histoire parce que dans le livre pour chaque chapitre, ça commence avec un meta-example. Ça veut dire que l'exemple illustre les grandes lignes. Et encore une fois, le défi avec l'enseignement des méthodes, c'est que souvent, les étudiants en perdent des méthodes et de la méthodologie ou ils pensent que ça va être vraiment ennuyant. C'est quelque chose qui est très dry et ils ne savent pas pourquoi ça s'applique à ce que eux, surtout dans un contexte de premier cycle, pourquoi est-ce que c'est pertinent pour eux. Alors, j'utilise beaucoup d'exemples des politiques du gouvernement, des ONG et aussi évidemment des articles scientifiques. 

Laura [00:50:53] Il y a combien de chapitres dans ce livre d'abord et tu pourrais peut-être nous donner un exemple de la capsule qui lance un des chapitres? 

Christina [00:51:01] Oui, alors il y a douze chapitres, en fait treize avec l'introduction. Alors c'est conçu pour un cours d'une session en fait parce que souvent au Canada on a une session de douze semaines par exemple. Alors c'est conçu comme ça. Il y a un chapitre sur l'approche participative et j'utilise l'exemple d'une recherche qui a été menée avec des communautés en Amérique latine pour comprendre l'environnement, les changements climatiques et l'impact du changement climatique dans leur communauté. Et ce qui est intéressant, c'est qu'eux, en fait les chercheurs, dans ce contexte-là, avaient commencé avec un plan et même s'ils voulaient être participatifs, ils se rendaient compte après un mois que c'était vraiment pas participative parce que eux, ils avaient déjà une idée en tête de comment concevoir les recherches. Alors ils ont dû changer la recherche en fonction des besoins et des intérêts de la communauté. Et c'est aussi intéressant parce que c'est dans des contextes, des communautés autochtones, alors ils avaient un intérêt aussi pour une épistémologie et une méthodologie autochtones dans cette recherche-là. Alors c'est pour démontrer que, premièrement, il y a d'autres façons de penser à la recherche qu'une façon vraiment occidentale. Deuxièmement, qu'il faut changer la recherche en fonction des réalités sur le terrain et en fonction des besoins des communautés. Et troisièmement, c'est vraiment interdisciplinaire. Parce que oui, c'est une recherche sur le changement climatique qui vient des sciences naturelles, si tu veux, mais l'adaptation des communautés vis-à-vis cette dégradation environnementale, c'est un processus social, économique, politique, etc. Alors c'est vraiment un exemple interdisciplinaire d'une recherche réelle sur le terrain qui a changé au cours du projet de recherche. 

Laura [00:53:20] Et bravo! J'ai voulu que tu nous exposes le livre, chacun de tes livres pour qu'on puisse mieux te connaître et surtout garder les yeux ouverts pour la nouvelle parution Research across Borders et qui visiblement peut nous être utile, comme professeur, comme éducateur au premier cycle, n'est-ce pas? Surtout que c'est interdisciplinaire, c'est au-delà des frontières du Canada, Mais c'est quand même d'une perspective d'une chercheuse établie au Canada bilingue. 

Christina [00:53:56] Oui, c'est le grand défi pour moi maintenant, c'est d'essayer de rédiger quelque chose en français parce que toutes mes publications sont en anglais. Je suis moins confortable à écrire en français mais je sais qu'il y a beaucoup de francophones qui écrivent en anglais, alors c'est peut-être mon prochain défi. 

Laura [00:54:18] Eh oui, et le mien aussi. Je vais juste terminer par poser une question qui...nous avons échangé là-dessus, pas cette semaine et la semaine dernière...c'est au niveau des traductions. Toi comme moi, nous avons plus écrit en anglais pour diverses raisons. C'est l'organisation des connaissances, l'organisation et la production scientifiques dans nos universités canadiennes, la langue est majoritairement anglaise, c'est des milieux en majorité anglophone ce qui joue, ce qui influe sur notre production scientifique. C'est des sujets épineux, bien sûr, Mais au niveau des traductions de nos textes, lorsque nous faisons des livres ou en anglais ou en français, on voudrait que notre travail soit lu par le plus grand nombre de personnes. Donc au niveau de nos textes qui sont en anglais, toi qui œuvres au sein des Presses universitaires de l'Université d'Ottawa, les traductions de textes, c'est compliqué, n'est-ce pas? C'est des projets coûteux, c'est des projets qui ne sont pas très souvent faits en dehors des champs littéraires. Est-ce que j'ai raison?  

Christina [00:55:38] Oui, tu as raison que l'anglais est hégémonique et je dois dire que c'est quelque chose, en tant que chercheuse bilingue et francophile, même si je suis anglophone, je trouve dommage que... surtout pour mes cours parce que je n'enseigne qu'en français, alors j'essaie de chercher toujours des textes en français pour mes étudiants, étudiantes et parfois il y a très peu sur un sujet précis. C'est vraiment dommage. Et on voit aussi des francophones qui écrivent en anglais parce que comme tu viens de dire, c'est en fait la réalité des publications scientifiques. Il y a plus de public, il y a plus de presse etc. si on écrit en anglais. Je trouve que la traduction c'est une solution, mais c'est une solution partielle parce que, en fait, ce n'est pas simplement la langue technique, c'est aussi le contexte sociolinguistique. Alors surtout au Canada, si on parle de migration, si on parle d'intégration au Canada, il y a un contexte très précis des immigrants francophones et il y a aussi un contexte précis du Québec qui a plus d'autonomie sur la migration que d'autres provinces. Alors, à mon avis, ce n'est pas simplement de traduire quelque chose de l'anglais vers le français, c'est de concevoir en fait le texte dans une autre façon. Et c'est là où, en fait, je trouve qu'on a le défi. Aux Presses de l'Université Ottawa, on est une presse bilingue, c'est la seule presse bilingue au Canada. Ça veut dire que ce n'est pas juste les traductions. En fait, on publie des choses dans les deux langues et je suis directrice de la collection sur le développement international et mondialisation. Et comme tu le sais, en fait souvent, il y a des gens qui ont déjà publié quelque chose en anglais et qui veulent faire la traduction en français. Pour nous, c'est un problème parce que premièrement, il y a des droits d'auteur. Alors, la maison d'édition originale eux, ils ont les droits d'auteur sur les textes. Mais deuxièmement, ça coûte très cher de faire la traduction et on ne peut pas faire une demande auprès du CRSH, par exemple, pour la traduction. On peut faire une demande de subvention du livre, mais du livre dans la langue originale. Alors je pense que c'est un enjeu où il faut y penser plus. Il faut avoir des ressources, mais il faut aussi avoir des stratégies. Je suis en train de faire une collection bilingue avec des collègues et c'est vraiment une collection où on a un volume en anglais, un volume en français et ce sont deux volumes distincts. C'est pas les mêmes, le même contenu. Oui, l'introduction est presque la même pour les deux, mais le contenu est différent parce qu'on a des contextes sociolinguistiques différents. C'est deux collections, une collection sur les crises de migration, de racisme et c'est vrai que le contexte d'immigration et racisme au Québec ou en France est différent que le Canada anglophone ou dans des contextes de minorités francophones dans des provinces anglophones. Alors on ne peut pas juste traduire. C'est un peu le point que j'essaie de faire ici, c'est qu'il faut concevoir des choses différemment. Et je pense que la solution, c'est plus d'éducation en fait dans les deux langues, pour que les gens puissent être confortables à communiquer et à lire dans les deux langues. Mais au Canada, c'est vraiment dommage qu'on ait très peu de programmes où les gens peuvent étudier dans les deux langues. 

Laura [00:59:46] Oui, en effet. Alors écoute, je pense qu'on va pouvoir clôturer notre séance. Alors Christina Clark-Kazak je te remercie vivement d'avoir voulu t'asseoir avec moi virtuellement, d'avoir échangé sur de multiples sujets qui touchent aux trois créneaux de ton programme de recherche et qui sera de grand intérêt pour nos auditeurs, pour nos auditrices qui auront la chance d'apprendre sur la discrimination basée sur l'âge, sur ton parcours professionnel, plusieurs carrières, n'est-ce pas avant de faire carrière dans l'université et le fait que tu as été toi-même migrante et que tu as été à l'embauche de plusieurs universités ontariennes. Alors je te remercie vivement d'avoir échangé avec moi et au profit de notre public. 

Christina [01:00:46] Merci Laura. 

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