Quoi de neuf ?

DJ, vinyle et langage sonore : apprendre à l’oral en osant les approches collectives ?

October 20, 2022 Season 3 Episode 11
Quoi de neuf ?
DJ, vinyle et langage sonore : apprendre à l’oral en osant les approches collectives ?
Show Notes Transcript

Dans cet épisode,  Laura Bisaillon, membre du CREFO, rencontre Madeleine Leclair, ethnomusicologue et Chargée d’enseignement à  l’Université de Genève.

Madame Madeleine Leclair est ethnomusicologue et Chargée d’enseignement au Département d’histoire de l’art et de musicologie de l’Université de Genève. Elle mène une double activité de recherche dans les domaines de l’ethnomusicologie et de la muséographie. Depuis 2012, elle est conservatrice des langages musicaux au Musée d’ethnographie de Genève où elle est responsable des collections d’instruments de musique et des Archives internationales de musique populaire et aussi éditrice de la collection discographique des archives sonores. Son travail a paru à l’écrit dans des revues Revue d’Ethnologie de l’Europe, Cahiers d’ethnomusicologie, Journal des africanistes et Revue TDC (Textes et documents pour la classe) et en installation multimédia « boîtes à musique » situées dans les espaces publics des musées en France, en Suisse et au Québec.  

Joey [00:00:00] Dans cette troisième saison, Laura Bisaillon, membre du CREFO, et ses invités discuteront du thème de la production et de la diffusion des connaissances sur les mobilités, les francophonies, la minorisation, le corps et l'État dans ces divers contextes du monde. Aujourd'hui, elle rencontre Madeleine Leclair, ethnomusicologue et chargée d'enseignement à l'Université de Genève. 

Madeleine [00:00:22] Si on me donnait une baguette magique pour changer l'enseignement de la musique à l'école, peut-être que je proposerais qu'on commence tous à apprendre un instrument collectif, comme par exemple le gamelan. 

Joey [00:00:35] Bienvenue à Quoi de neuf! 

Laura [00:00:52] Madame Madeleine Leclair est ethnomusicologue et chargée d'enseignement au Département d'histoire de l'art et de musicologie de l'Université de Genève. Elle mène une double activité de recherche dans les domaines de l'ethnomusicologie et muséographie. Depuis 2012, elle est conservatrice des langages musicaux au Musée d'ethnographie de Genève en Suisse, où elle est responsable des collections d'instruments de musique et des archives internationales de musique populaire, et elle est aussi éditrice de la collection discographique des Archives sonores. Son travail a paru à l'écrit dans les revues telles que Revues d'ethnologie de l'Europe, Cahiers d'ethnomusicologie, Journal des Africanistes et Revue TDC (textes et documents pour la classe) et en installation multimédia « boîtes à musique » situées dans les espaces publics des musées en France, en Suisse et au Québec. Alors Madeleine Leclair, sois la bienvenue aux ondes de Quoi de neuf? Les cafés du CREFO

Madeleine [00:01:56] Merci beaucoup. C'est un grand plaisir d'être en ondes avec vous et de discuter avec toi, Laura, des questions qui nous intéressent et qui nous préoccupent autour du thème de la production et de la diffusion des connaissances dans le domaine de la francophonie, notamment et ce qui concerne les différentes institutions muséographiques francophones. 

Laura [00:02:23] Ah, j'ai bien hâte! Bien hâte pour notre séance. Écoute, commençons par toi et tes connaissances, compétences linguistiques parce que tu es polyglotte et tu parles plusieurs langues. Donc, tu parles le français, langue maternelle, l'anglais, mais aussi plusieurs langues africaines telles l'itcha, l'ifè, l'isha, qui sont des langues parlées au Bénin, en Afrique de l'Ouest où tu as fait ton travail doctoral il y a plusieurs années. Alors, est-ce que tu pourrais nous en parler et nous mettre dans le contexte? Nous parler de ton parcours linguistique et géographique? 

Madeleine [00:03:06] Oui, merci pour cette question concernant les langues. Je dois dire que je me sens plus à l'aise avec les langages musicaux qu'avec les systèmes linguistiques parlés. Peut-être une chose qui est intéressante à souligner, c'est que dans cette francophonie que tu as parlé le Québec, j'ai travaillé beaucoup en France et j'ai fait la thèse de doctorat en France. Maintenant, j'habite en Suisse, à Genève et j'ai travaillé au Bénin. On est comme dans une continuité linguistique autour de la francophonie et déjà ça, c'est, je trouve, un vaste continuum qui n'est pas nécessairement...où il y a bien évidemment des éléments d'unité et d'unification qui sont très, très importants et majeurs. Mais il y a aussi toutes sortes de déclinaisons qui font que c'est assez intéressant de travailler dans ces pays-là. J'ai eu la chance et le plaisir d'apprendre la langue yoruba, qui est une langue parlée en Afrique de l'Ouest essentiellement... principalement au Nigeria, dans le sud du Nigeria, c'est parlé par environ 25 millions de locuteurs. L'aire de diffusion de cette langue va à l'ouest jusqu'au Bénin et voire même jusqu'à la frontière du Togo. C'est une grande aire de parler de cette langue. J'ai appris quand j'étais en France, à l'École des langues orientales, l'Inalco, Institut national des langues orientales. J'ai appris cette langue qui s'appelle le yoruba. Donc, c'est un grand plaisir de pouvoir et une grande chance en France d'avoir des classes pour des langages...pour apprendre des langues comme ça qui ne sont pas le chinois ou l'arabe par exemple, ou qui remplissent des grands auditoriums. Là, on était plutôt trois ou quatre chaque année à prendre ces cours. La composition de l'Inalco, c'est un cours de langue et civilisation yoruba. J'ai suivi des cours donc avec Michka Sachnine, qui est également l'auteur d'un dictionnaire yoruba français de référence et qui donnait les cours de langue et de civilisation et avec un répétiteur, ce qu'on appelle en français répétiteur quelqu'un qui nous fait pratiquer, qui s'appelle George Alao et qui est yorubaphone, originaire du Nigeria. Donc ça, c'était un enseignement que j'ai suivi pendant deux ans, entre 1995 et 1997, ce qui est déjà assez ancien. Cette forme de langue que j'ai apprise à l'Inalco, c'est le yoruba qui est parlé à Oyo, qui est la grande capitale historique et ancienne du yoruba. Maintenant, j'ai travaillé au Bénin, tout à fait à l'ouest de l'aire de diffusion des yoruba, ce qui fait que j'avais une forme, l'apprentissage, ça me fait penser au continuum du français. En fait, je suis arrivée au Bénin et j'avais une forme un peu académique et un peu littéraire de parler le yoruba, ce qui fait que les gens me comprenaient relativement bien et moi, j'avais un peu de mal à comprendre les réponses, ce qui fait que, avec le temps, au total j'ai dû passer près d'une année au Bénin. J'ai finalement dû m'adapter à la forme, à cette forme dialectale du yoruba qu'on appelle le itcha sur place, dans cette région-là du Bénin, la langue itcha. Mais voilà, j'avais un niveau, on peut dire un niveau suffisant pour fonctionner et pour me faire comprendre, mais pas assez approfondi pour pouvoir aborder les questions qui m'intéressaient à ce moment-là, puisque ce travail de thèse a consisté à étudier en particulier un groupe de répertoire vocal, donc des chants de groupes de femmes qui sont initiées à un orisha. Le terme orisha étant une traduction...la traduction littérale en français serait divinité, c'est l'équivalent du vaudou, on va dire, un panthéon religieux. Et donc c'est un milieu ésotérique, un milieu dans lequel il y a des connaissances sacrées et secrètes qui se transmettent. Et donc, évidemment, les textes sont... les textes sont dans un yoruba que même le commun des mortels ne comprend pas toujours très bien donc. Mon parcours linguistique, c'est indispensable de parler et de...pour moi en tout cas, et de pouvoir échanger dans la langue locale des gens avec qui on travaille. Mais ça n'empêche pas qu'il faut absolument passer par un interprète. 

Laura [00:08:32] Et bien merci, merci. Tu me fais revenir en arrière. J'ai moi-même été au Bénin et dernièrement j'ai renoué avec des amis qui habitent Natitingou, dans le nord du Bénin. Et j'aimerais bien avoir tes compétences linguistiques pour pouvoir leur parler...alors évidemment on parle en français, mais j'aimerais bien pouvoir leur parler à tout ce monde dans les langues locales comme tu les maîtrises, mais tu soulignes bien le fait que les langues sont vivantes et ces écarts entre ce qu'on apprend à l'école, les normes linguistiques et comment les langues évoluent sur place, il y a un dynamisme qui est forcément ancré dans les langues. Elles sont vivantes, elles sont différentes de localités en localités. Si on pense au...je suppose, le yoruba qui est parlé au Bénin, et le yoruba qui est parlé tout à fait à l'est de son éventail, il y a des différences. C'est la même langue, mais avec des différences dans les régions. Alors tu es ethnomusicologue. J'ai eu du mal à prononcer ce mot composé de plusieurs parties dans l'introduction. Mais...et puisque j'ai préparé l'entrevue comme il faut, j'ai beaucoup, beaucoup lu et j'ai beaucoup écouté sur ton travail, mais sur ce que c'est la profession, le métier d'ethnomusicologue. Est-ce que tu pourrais nous en parler parce que c'est, il me semble, ce n'est pas très connu, comme du moins dans mon expérience sur Terre, ce choix de carrière d'ethnomusicologue. C'est ta formation, c'est ce que tu fais...un de tes créneaux d'expertise, c'est l'ethnomusicologie, mais c'est ta formation. C'est quoi comme domaine de pratique? 

Madeleine [00:10:30] Alors en effet, j'ai une thèse de doctorat qui a été soutenue à l'Université de Paris X Nanterre, maintenant Paris-Ouest Nanterre La Défense, qui était une thèse d'ethnomusicologie, qui est une discipline qui s'enseigne en tant que tel dans cette université. Je dirais, avec le recul, que l'ethnomusicologie c'est plutôt une orientation donnée à un champ de recherche qui est plus largement celui de l'anthropologie. Alors, le terme ethnomusicologie est composé du préfixe ethno- suivi de musicologie. Donc ethno-, une science qui s'intéresse à la description et à la compréhension de différentes sociétés, plutôt des sociétés de tradition orale et musicologie, donc l'approche de ces sociétés par le biais de la musique. Ça c'est peut-être sur le plan un peu théorique. Ce que c'est dans la pratique, les ethnomusicologues, il y a quelques écoles, plusieurs écoles différentes d'ethnomusicologie. Celle auprès de laquelle j'ai eu le plus de contact, c'est une école qui est...c'est une manière d'aborder l'anthropologie qui pose comme principe que donc, d'une part, la musique est une porte d'entrée absolument privilégiée et intéressante, au même titre que le langage, par exemple, pour aborder l'étude et la compréhension de ce qui se noue au sein d'une culture, et que donc ce qui intéresse les ethnomusicologues sont autant donc la musique, mais ce que cette musique représente pour les musiciens qui la font. Donc c'est...ça présuppose que si le répertoire musical existe tel qu'il est, c'est qu'il y a des raisons précises pour lesquelles ces musiques sont performées ou interprétées de cette manière-là, en particulier avec les musiciens en question. Ça recoupe donc la forme musicale, les interprètes et les contextes dans lesquels ces musiques sont faites. 

Laura [00:13:04] Alors, c'est une enquête scientifique, mais à plusieurs volets parce qu'on voudrait savoir. Bon, on se renseigne quant aux compositions verbales et écrites, j'imagine. On se renseigne au niveau des instruments. On est conscient de vouloir comprendre les multiples langages dans lesquels ces textes et ces chants sont chantés ou sont interprétés. Est-ce que c'est un peu ça la poursuite? 

Madeleine [00:13:36] Oui, peut-être que si on prend l'exemple du travail que j'ai fait au Bénin, le point de départ de ce travail est la connaissance, le fait que je découvre ce groupe de femmes initiées à un Orisha. Le point de départ, c'était la musique en fait. C'était des archives sonores qu'on m'a confiées, des chants qui avaient été enregistrés dans les années 1958 par Gilbert Rouget. Et donc on avait des chants avec une texture un peu polyphonique. Donc déjà, il y avait la structure musicale qui était intéressante. Il y avait les timbres des voix, les textes qui étaient chantés et que je ne comprenais absolument pas à cette époque-là. Et c'est sur la base de ces enregistrements que j'ai souhaité aller au Bénin plus de 40 ans plus tard, pour voir ce qu'il en était. En fait, pour revenir à cette...pour essayer de répondre à la question, ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce que représentent ces chants pour les gens qui les interprètent. Et une fois que j'ai pu avoir un contact avec les descendantes des femmes qui avaient interprété ces musiques en 1958, j'ai tout de suite compris que ces chants sont liés étroitement à des rituels ou à un culte, qui est le culte d'une divinité qui s'appelle Naa Boukou et au fur et à mesure que j'essayais de faire d'abord des transcriptions et d'étudier le système musical de ces répertoires, à chaque question et à chaque élément de compréhension, je me suis rapprochée de ces musiciennes et là, il y a des mondes et des univers qui se sont ouverts à chaque fois, c'est-à-dire qu'Il faut donc approcher l'identité de ces femmes, celles qui sont initiées, donc comment on est initié, dans quelle mesure....une fois qu'on est initié, quel est le rôle et la place de ces femmes dans la société? Quel est le pouvoir de la musique? Pourquoi on chante en fait? À qui s'adressent ces chants? Qu'est-ce que racontent les paroles? Et ainsi de suite. Donc, juste à partir d'un petit répertoire musical, il y a tous ces différents volets qui s'ouvrent et qui nous permettent d'approcher non pas une société dans son entièreté, mais disons un petit groupe qui a des relations sociales et dont l'identité sociale est très importante au sein de la société plus large. 

Laura [00:16:20] Et c'est le point fort du travail de l'anthropologue. C'est ça ou de l'ethnomusicologue? C'est à partir du concret, oui, mais du vécu, d'un moment particulier, d'un son particulier, de parole, c'est bien ciblé et on part à la recherche à partir de cet ancrage-là. 

Madeleine [00:16:41] C'est un travail, moi que j'ai fait, que j'ai souhaité faire...C'est peut-être une autre chose qui est très présente dans l'ethnomusicologie, c'est le contact avec les musiciens. Donc, ce qui veut dire aller faire du terrain. Donc ce n'est pas toujours des terrains exotiques. Moi, je suis allée au Bénin puisque c'est…j'ai été amenée à travailler sur ce terrain-là. Mais les terrains qui se font...beaucoup de terrains se font maintenant en ville puisqu'on peut tout à fait étudier, par exemple, sous un angle anthropologique, tous les codes et le milieu d'un orchestre symphonique, avec les codes de conduite et la manière dont les musiciens, les interactions qu'il y a entre les différents musiciens, les types de répertoires qu'on joue, les relations avec le public, avec le chef et ainsi de suite. C'est tout autant un sujet, c'est une sorte d'institution en tant que telle, initiatique qui est tout aussi intéressante et pertinente et qui pose les mêmes défis méthodologiques, je dirais, que de l'ethnomusicologie faite au Bénin à des kilomètres, avec une langue tout à fait différente de celle que je parle. 

Laura [00:18:00] Quels seraient ces défis méthodologiques? Qu'on soit en ville, qu'on étudie, je ne sais pas, moi, les [...] à Dakar, au Sénégal, qu'on étudie comme tu as fait, ou des femmes au Bénin ou je ne sais pas. On pourrait aussi étudier des.... Le premier ethnomusicologue avec qui j'ai fait connaissance, c'était un jeune Japonais, lui qui était installé depuis quelques années pour faire son étude de doc dans le nord éthiopien. Et ensuite, j'ai rencontré une ethnomusicologue d'origine coréenne, si je ne m'abuse. Elle est prof en Californie, qui, elle, avait étudié des musiciens en Érythrée. Donc c'est ça dans milieux, dans ces deux cas-là, en Éthiopie, en Érythrée, c'était dans les milieux urbains, à la périphérie des villes. Donc les défis méthodologiques, lorsqu'on est ethnomusicologue, lorsqu'on est sur le terrain, on pourrait résumer quelques défis. Et comment peut-être qu'on les contourne, qu'on les adresse? 

Madeleine [00:19:08] La question est complexe, mais je vais essayer d'apporter des éléments de réponse. Alors, si on revient, peut-être cet exemple, qui est le plus simple pour moi aborder puisque c'est celui que je connais le mieux. On est donc dans...Le but du jeu, le but du travail, c'est d'essayer de comprendre ce que représente le culte, le fait de faire le culte à une divinité, une divinité qui appartient au Panthéon, le panthéon des Orishas. C'est un défi qui est très complexe puisque, par avance, comment aborder l'univers de la religion et de l'initiation qui est rempli et qui est plein d'éléments qui relèvent du secret ou qui relèvent de choses qui ne peuvent pas être annoncées à quelqu'un qui n'est pas initié ou jusqu'où on peut aller dans notre implication dans un milieu comme celui-là, sachant qu'il y a une langue qui est difficile à comprendre et qu'il y a juste des choses qu'on ne comprend pas, en fait. Je trouve que pour un ethnomusicologue, le fait de travailler sur la musique, de pouvoir faire des enregistrements musicaux, de faire écouter ces enregistrements aux personnes qui viennent de performer, de discuter de ça, ça donne un point d'ancrage très fort et très pragmatique, je dirais, pour pouvoir aborder ensuite des questions beaucoup plus philosophiques et abstraites. Maintenant, les défis méthodologiques qui se posent, c'est d'essayer de voir dans quelle mesure on peut faire un lien entre une pratique musicale, entre le système musical en tant que tel et le système social dans lequel ces musiques sont performées. C'est peut-être un abus scientifique qui a laissé penser à certains étudiants et moi la première, qu'on pouvait faire des liens absolument exacts entre une structure musicale, par exemple, et la structure sociale. Donc il y a beaucoup de choses qui peuvent expliquer l'un et l'autre. Mais il y a en même temps des systèmes qui sont relativement indépendants et autonomes. Et ce n'est pas toujours facile, si tu veux, de savoir jusqu'où on peut aller dans les extrapolations et dans les comparaisons qu'on peut faire. Ceci dit, un travail scientifique, une démarche scientifique, consiste à rassembler le plus de témoignages et d'éléments et de donner sur le terrain en prenant la peine d'observer évidemment, de discuter avec les gens. Ensuite, essayer de trouver des contre-exemples pour chacune des étapes et de l'avancée des hypothèses qu'on peut mener et essayer plus largement ensuite de ça, de sortir de son petit terrain et de son petit milieu pour plus largement essayer de s'inspirer et de faire en sorte que le travail que les autres ont fait sur d'autres terrains et sur des sujets qui sont connexes, peut nous aider à éclairer les hypothèses qu'on est en train de faire émerger de notre travail. Le fait qu'on soit dans le milieu de la transmission orale, c'est quelque chose qui est peut-être particulier aussi au travail de l'anthropologie et de l'ethnomusicologie puisqu'on est donc face à des gens qui s'expriment dans une langue tout à fait...dans un système linguistique et musical qui est tout à fait clair et complexe et riche. Mais pour autant, il n'y a pas un recul parfois ou une conceptualisation théorique de ce qui se passe. Donc c'est difficile. C'est des choses que les gens font d'une manière tout à fait précise, sans pouvoir expliquer nécessairement le mode de fonctionnement de ces systèmes. C'est comme si nous, qui ne sommes pas linguistes, avions à expliquer à un Japonais ou à un Yoruba comment fonctionne notre langue. On parle le français d'une manière et on échange entre nous et il y a des jeux de mots, il y a toutes sortes de...c'est un système qui est très complexe, mais de là à expliquer très, très concrètement et dans le détail à quelqu'un qui ne parle pas notre langue comment ça fonctionne, ce n'est pas évident. Donc la transmission orale a ceci de très intéressant qu'il y a des choses sur les très longues durées qui se transmettent. Mais il n'y a pas de trace écrite qui suppose une mode d'abstraction qui pourrait donner des points pour se comprendre et faciliter le travail de quelqu'un qui est complètement extérieur à ce milieu-là. L'autre chose peut-être, qui est un défi pour moi dans le milieu de la musique, c'est qu'avoir une pratique musicale et je sais Laura, je ne sais pas si toi-même tu pratiques un instrument de musique, mais il y a quelque chose d’identitaire au niveau musical. Il y a quelque chose qui est...le fait de faire de la musique ensemble, c'est un partage d'émotions et partage de valeurs qui sont très très fortes. On le remarque.... Peut-être une remarque toute simple, c'est que dans des milieux même...la sonnerie de notre téléphone portable n'est pas anodine pour certains et il y a quelque chose qui marque notre identité, notre appartenance à une culture ou à un courant culturel. C'est quelque chose qui est très profond et donc on pose et on étudie un domaine, le domaine de la musique, qui est quelque chose qui touche vraiment des points très sensibles auprès des gens et ce n'est pas toujours facile, mais ce n'est pas toujours évident non plus pour les gens qui font cette musique de comprendre qu'est-ce qui nous intéresse tant alors que c'est des choses qui les touchent personnellement. Je ne sais pas si tu vois, il y a comme une sorte de...Parfois, j'ai ressenti une sorte de décalage entre mes questions et mes préoccupations de quelqu'un qui est extérieur auprès de gens qui sont, qui vivent cette musique de l'intérieur et qui, au final, se demandent qu'est-ce qu'elle cherche exactement à comprendre ici? Il y a quelque chose qui ne s'explique pas, si tu veux, quelque chose qui est d'une profondeur, de l'ordre de l'émotion et de la profondeur. Moi, je trouve que c'est justement ce qui est intéressant dans...ce qui rend la chose intéressante et vivante dans le travail de l'ethnomusicologie qui est de s'intéresser aussi beaucoup aux musiciens eux-mêmes et à leur ressenti. 

Laura [00:27:09] Cet aspect émotif, les relations qui se construisent aussi entre chercheurs et musiciens, musiciennes. Bon au départ, le travail au Bénin et puis là dans ton travail où tu es amenée à côtoyer des musiciens d'horizons différents...en fait, j'aimerais creuser à savoir comment, qu'est-ce qui t'a appelée, finalement, à étudier l'ethnomusicologie, comment devient-on ethnomusicologue? Est-ce que c'est l'aspect, je ne sais pas, l'aspect émotif de la musique? Là, tu nous a posé la question à savoir est-ce que nous jouons un instrument de musique, dans mon cas non, mais je me considère comme étant mélomane. J'aime bien me faire emporter par la musique de tous genres, une grande curiosité musicale. Mais est-ce que c'est un peu ça qui t'a amenée à devenir musicologue...ethnomusicologue, pardons. En général comment devient-on ethnomusicologue? Les motivations? 

Madeleine [00:28:25] Alors je n'ai pas choisi d'être ethnomusicologue. Les choses se sont enchaînées d'une telle manière qu'au final, voilà, je suis, j'ai cette étiquette d'ethnomusicologue mais de plus en plus je trouve ça...je suis plus à l'aise avec le fait de dire que je travaille dans le domaine de la musique ou que je suis même musicologue ou muséographe. Mais...alors j'explique comment tout cela est arrivé. J'étais...j'étudiais l'écriture et la composition à l'Université de Montréal, au niveau de la maîtrise. J'ai eu la chance d'étudier avec Monique Desroches qui donnait un cours d'ethnomusicologie, d'introduction à l'ethnomusicologie et ensuite avec Jean-Jacques Nattiez au niveau de la maîtrise. Monique Desroches s'intéressait aussi beaucoup à l'organologie, qui est un domaine qui m'a toujours passionnée, les instruments de musique. J'ai toujours été fascinée par notamment les instruments de musique non-occidentaux, par la grande technicité et les grandes prouesses technologiques qui sont mises en œuvre alors que ce sont des sciences empiriques pour les instruments de musique, pour plusieurs instruments de musique du monde en tout cas. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on voit bien que les musiciens cherchent à obtenir une sonorité et un timbre très très précis. Et il y a une grande, une grande finesse et subtilité technique pour fabriquer un instrument de musique de manière à ce qu'il ait une fonction sonore tout à fait particulière. Geneviève Dournon, qui était responsable des collections d'instruments de musique au Musée de L'homme de Paris, était venue faire un stage et des séminaires à l'Université de Montréal. Je l'ai ensuite suivie et j'ai fait moi-même un stage au Musée de L'homme, au département d'ethnomusicologie du Musée de L'homme pour travailler sur les collections d'instruments de musique qui étaient des collections monumentales et très importantes, des collections historiques. Ces collections étaient conservées dans un département qui était le Département d'ethnomusicologie où il y avait également des archives sonores. J'ai donc découvert à Paris dans ce département des personnes qui allaient sur le terrain, qui voyageaient, qui faisaient des enregistrements et qui parlaient toutes sortes de langues absolument...J'ai vu une concentration d'intellectuels qui s'intéressaient à des répertoires musicaux qui eux-mêmes jouaient des répertoires musicaux absolument inouïs pour moi, à cette époque-là. Et j'ai été fascinée par la diversité des systèmes musicaux et par la beauté des musiques non-occidentales qui m'ont tout à fait fascinée. Donc j'avais envie de voyager, j'avais envie de découvrir et de rencontrer des musiciens. C'est un peu comme ça en fait que j'ai été amenée à partir et à aller sur mon premier terrain d'ethnomusicologie, mon premier terrain au Bénin et ce premier terrain m'a amenée à rencontrer des descendantes de femmes qui avaient été enregistrées par Gilbert Rouget en 1958. J'ai été fascinée, tout simplement fascinée par l'univers des Yoruba, l'univers de ces femmes initiées à des secrets, au culte d'une divinité. C'est le milieu du vaudou, des Orishas, des secrets. En fait, j'ai été captivée par tous ces mystères et par ces chants que personne ne pouvait comprendre. Ce n'est pas vrai qu'ils ne les comprennent pas, mais c'est très complexe. Et tout cela, cette entreprise du secret m'a captivée et je dois dire je suis tombée dans le panneau de ce pourquoi le secret est institutionnalisé dans cette région-là. C'est que pour faire une histoire courte, c'est une des raisons pour lesquelles on crée des mystères et des secrets. C'est pour justement captiver et faire en sorte...et c'est sans doute un des ressorts qui fait que ces répertoires ont perduré. Donc, pour revenir à la question, je n'ai pas... Il se trouve que développer un travail de recherche dans le domaine de l'anthropologie, étudier ces enregistrements, étudier les instruments de musique. Tout ça se fait sous l'étiquette du travail d'ethnomusicologie, donc c'est ce chemin-là que j'ai choisi de suivre, mais sans avoir pour autant décidé un jour de me lancer dans cette discipline. De fil en aiguille, en fait, c'est une histoire de rencontres également. La rencontre des rencontres qui ont été très importantes, donc j'ai nommé Monique Desroches à l'Université de Montréal, grâce à qui j'ai eu ces liens et grâce à qui j'ai pu faire ce stage au Musée de L'homme. Gilbert Rouget, qui m'a confié ses enregistrements anciens et avec qui j'ai pu faire ce travail au Bénin. Je dirais aussi dans les personnes qui ont été très importantes et marquantes, Bernard Lortat-Jacob, qui était directeur du Département d'ethnomusicologie quand je suis arrivée au Musée de L'homme et qui m'a pris sous son aile, qui m'a invitée à découvrir l'enseignement d'ethnomusicologie dont il était le responsable. Et plus tard Germain Viatte, qui, lui, travaillait au Musée du Quai-Branly à l'époque où j'étais encore étudiante au Musée de L'homme, rencontre grâce à qui j'ai pu intégrer la toute petite équipe des 2000 ans du Musée du Quai-Branly pour m'occuper de la collection des instruments de musique qui allait être déménagée et conservée dans ce musée-là. J'ai envie de dire que j'ai été portée par la musique et par les archives sonores depuis toujours, qui m'a amenée au Musée de L'homme, ensuite au musée du Quai Branly et maintenant au Musée d'ethnographie de Genève, sans avoir l'impression d'avoir choisi ces carrières, d'avoir fait un choix, sans avoir l'impression de...voilà, le choix s'est fait par après, je ne sais pas comment dire. 

Laura [00:35:33] Non, non, je le comprends. Je le comprends tout à fait. Je comprends. Lorsqu'on s'est rencontrées en 2017, c'est ça? 

Madeleine [00:35:40] Oui c'est en 2017. 

Laura [00:35:42] Oui, en 2017. Et puis c'était à proximité, on avait pris un verre ensemble à proximité du Musée d'ethnographie de Genève. Je venais de faire la visite du musée qui m'a fort plu, vraiment un bâtiment, un bijou sur le plan de l'architecture. À l'intérieur, on peut aussi voir mais entendre ton travail en action, c'est-à-dire à travers les sons, les expositions qui étaient à ce moment-là sur place. Mais pour...j'ai un peu une question, peut-être pédagogique. Comme on est situé, pour ce podcast, dans un institut d'études pédagogiques pour revenir un peu...tu sais, ce que j'avais apprécié lors de notre rencontre et ce que j'apprécie aujourd'hui, c'est aussi ta générosité. Tu expliques, comme pédagogue, avec grand cœur et avec des détails, tu nous amènes à comprendre c'est quoi le métier, le travail d'un ethnomusicologue, c'est quoi le parcours et tu fais ressortir finalement, le fait que tu sois ancrée dans des réseaux. Tu as bénéficié de mentorat, de confidences, de coopérations, de rencontres. Tu circules dans un monde d'idées qui sont captivantes. Et ce que je me dis, dans mon cursus scolaire au Québec et au fil de mes années d'études universitaires au Québec, en Ontario, en France, je n'ai jamais rencontré d'ethnomusicologue. À l'école primaire et secondaire, nous apprenons à jouer un instrument de musique. Oui, j'ai joué, je ne sais pas de la flûte, du piano, tout ça. Mais le traitement de la musique et des relations qui peuvent être établies entre la musique et l'organisation sociale sont absents des écoles. Et alors là, je me pose bien des questions à savoir mais pourquoi? Comment se fait-il? Est-ce que c'est je suis biaisée, sûrement. Ou bien je cite là mon expérience dans des écoles occidentales. Est-ce que c'est comme ça partout au monde? C'est les grandes questions, je sais. Mais est-ce que j'ai raison? Est-ce que c'est vraiment des lacunes dans nos sociétés je ne sais pas, françaises, suisses, canadiennes. Et quelles conclusions en tires-tu? Voilà. 

Madeleine [00:38:20] Ce que ce que tu soulèves sur la formation et l'enseignement de la musique dans les écoles, surtout au niveau primaire, me fait penser que ce qu'on essaie d'enseigner, c'est une toute petite partie de ce que ça représente, la musique, donc c'est une approche du système musical, essayer de maîtriser un instrument de musique, moi c'était la flûte à bec, je ne sais pas si c'est encore enseigné dans les écoles, en partant d'un enseignement qui concerne également le déchiffrage et l'apprentissage d'un système musical qui est complexe, ce qui est très difficile en fait, quand on quand on y pense....Apprendre un langage, apprendre une langue par des textes et par l'écriture, c'est pas facile. Je dirais que ça témoigne de l'importance de l'apprentissage et de la transmission par l'oralité en fait. Et ce que je veux dire, c'est que quand on apprend à jouer d'un instrument de musique au primaire, bien qu'on apprenne les partitions, il y a beaucoup de choses qui se passent par l'oral. Et le pouvoir de la transmission orale est pour moi quelque chose de très important. Peut-être que l'autre chose qui est un peu frustrante et qui ne reflète pas non plus la réalité de la musique, c'est le fait d'apprendre à jouer individuellement. Chaque élève, chaque étudiant, chaque petit futur musicien commence son apprentissage en étant dans un relatif isolement où il doit s'entraîner un peu tout seul. Et ça, c'est peut-être quelque chose qui...je ne sais pas si on peut changer ça, moi, si j'avais des conseils et si on me donnait une baguette magique pour changer l'enseignement de la musique à l'école, peut-être que je proposerais qu'on commence tous à apprendre un instrument collectif, comme par exemple le gamelan ou un ensemble musical dans lesquels les rôles peuvent être d'ailleurs interchangés et interchangeables. Mais qu'on apprenne à jouer tout de suite ensemble à plusieurs. 

Laura [00:40:56] Et ça ferait partie de ta plaidoirie si tu devais plaidoyer en faveur d'une intégration d'études ethnomusicologiques pour le bien-être de nos sociétés. Ce serait à partir de là, à partir d'un projet de... ou un projet coopératif finalement, un projet…

Madeleine [00:41:14] Un projet coopératif, un projet qui viserait à aborder un répertoire musical sous l'angle...donc d'abord, peut-être faire une approche...l'approche initiale d'imitation et par le jeu collectif, faire venir la description du système musical et le déchiffrage des partitions et de l'écriture qui sont à un haut niveau d'abstraction peut-être dans un deuxième temps, et donc mettre l'accent sur la valeur artistique également des musiques, pas que sur la performance, mais sur l'écoute. Ça, c'est l'autre chose qui peut-être on apprend à produire la musique, mais écouter les autres pour pouvoir mieux enrichir nos pratiques, c'est quelque chose qui est important et exprimer également de manière sensible et de l'intérieur un phénomène qui est hautement complexe, en l'expérimentant en fait, en jouant...là, je pense au gamelan javanais ou balinais. Je sais qu'à l'Université de Montréal, par exemple, à la faculté de musique, ils ont un gamelan balinais, une technique de jeu qui est très complexe et qui demande un long apprentissage. Mais il y a d'autres types d'instruments collectifs comme ça qui pourraient être expérimentés dans les écoles à un premier niveau. Même le chant choral est quelque chose de très très important et est très accessible je trouve. 

Laura [00:43:04] Et ça rejoint ton travail de muséographiste ou de conservatrice. Est-ce qu'on pourrait parler un peu de ce que tu fais en tant que muséographe et conservatrice de fonction au Musée d'ethnographie de Genève? 

Madeleine [00:43:21] Oui, je suis donc conservatrice du Département d'ethnomusicologie. C'est un département au Musée d'ethnographie de Genève. C'est un département qui comprend deux collections, une collection d'instruments de musique provenant des cinq continents et conservée au musée depuis le début du XIXᵉ siècle, les instruments les plus anciennement entrés dans les collections sont arrivés à Genève au début du XIXᵉ siècle. La collection comprend environ 2 500 instruments de musique. Et l'autre grande collection, c'est une collection d'archives sonores. Les archives internationales de musique populaire, qui sont un fonds d'enregistrement...les archives sonores ont été fondées en 1944 à Genève par un musicologue roumain qui s'appelle Constantin Brăiloiu, musicologue et savant roumain, et ce fonds comprend environ maintenant 20 000 heures de musique et d'enregistrements sonores, 20 000 phonogrammes ça veut dire, supports d'enregistrement différents. Ce qui est intéressant ici dans ce département, c'est la co-présence de ces collections, à la fois les instruments de musique et les archives sonores qui elles aussi proviennent des cinq continents. Le travail consiste à participer à des projets d'exposition collectifs, comme par exemple l'exposition permanente du Musée d'ethnographie qui s'intitule pour l'instant Les Archives de la diversité humaine, mais pour laquelle on est en train de préparer une deuxième exposition permanente. Ont dit permanent mais en fait, l'exposition permanente a une durée de vie de 5 à 10 ans, on va dire. Là, on prépare la deuxième exposition permanente, qui sera davantage axée sur les réflexions sur la décolonisation qui sont en cours et qu'on mène depuis maintenant, de manière très sérieuse, depuis deux ans, ici, au musée. Donc, le travail consiste à imaginer...il y a participer à des projets d'exposition donc des collections d'instruments de musique, mais aussi à participer à une réflexion qui consiste à comment exposer la musique dans un musée. On voit bien pour un objet, il s'agit de faire des sélections d'objets puis aussi de faire une sorte de mise en scène et de les présenter dans des vitrines, avec des éclairages, ainsi de suite. Mais la musique, si on veut dépasser le niveau de l'illustration sonore de l'objet et rentrer vraiment au cœur d'un sujet et mettre en valeur cette forme d'expression artistique majeure et universelle, c'est intéressant d'imaginer des projets plus immersifs, par exemple, où on envisage également que l'émotion et le ressenti des visiteurs a une valeur heuristique importante à prendre en compte dans la proposition muséographique. Ça, c'est donc la présentation au grand public, le projet d'exposition. L'autre chose, je travaille là depuis ces deux dernières années, plus en détail et plus d'une manière plus concrète sur le fonds des archives sonores en faisant différents projets, l'un de ces projets consiste à étudier les archives, bien évidemment, mais les étudier avec des spécialistes des cultures qui sont directement concernés par les contenus des archives sonores. Également, travailler avec des artistes qui sont invités au musée pour explorer les archives sonores et proposer une réflexion artistique sur la base de nos archives sonores. 

Laura [00:47:29] C'est fascinant. Je me disais tu pourrais peut-être nous faire un exemple.

Madeleine [00:47:31] Alors, par exemple, il y a au total une quinzaine d'artistes maintenant qu'on a reçus et qui avaient un projet artistique à développer qui nécessitait l'approche de fonds d'archives sonores. Peut-être que je peux parler d'une résidence qui a eu lieu en janvier dernier ici au musée, avec des artistes qui venaient de Suède, de Chypre, de Norvège, du Pakistan et de France qui ont donc plongé dans nos archives sonores à la recherche de patrimoines, soit des patrimoines qui sont anciens et qui sont conservés sur des supports anciens dont les bruits de surface, le support même d'enregistrement témoigne de l'ancienneté de ces pratiques musicales. Je ne sais pas si je suis claire sur ça, mais par exemple les enregistrements faits sur des cylindres de cire par exemple ou sur des supports qui existaient au début du XXᵉ siècle et pour lesquels il y a un bruit de surface qui est très présent et qu'on tient à garder puisque c'est un témoignage de la période où les enregistrements ont été réalisés qu'on garde précieusement et qu'on ne gomme pas, on ne fait surtout pas de correction pour filtrer les sons parce que c'est quelque chose qui est important. Donc, soit des recherches sur la profondeur historique de certains répertoires musicaux, soit sur la particularité stylistique ou sur ce qu'on peut ressentir dans certains enregistrements et qui témoignent du travail qui a été fait sur le terrain, notamment des enregistrements qui font entendre, mais d'une manière claire, les interactions entre les musiciens et l'environnement dans lequel ces enregistrements...ces musiques existent, des sons de l'environnement et ainsi de suite. Donc les artistes ont exploré ces archives sonores, ils ont choisi certaines pièces et maintenant ces pièces servent soit à enrichir leur proposition artistique d'une manière...par inspiration, si je puis dire. Soit les enregistrements sont utilisés comme des citations dans un environnement de musique électronique ou dans un autre environnement qui est spécifique à chacun des artistes. Soit il y a vraiment un jeu qui est fait entre des sonorités et des extraits qui sont enregistrés anciennement et qui sont transformés et modifiés pour intégrer un nouveau langage musical. Peut-être un autre projet qui est...Il y a un autre projet qu'on a démarré il y a deux ans avec les collègues qui s'occupent de la restauration et de la conservation préventive des objets. La restauration s'attache à la préservation et à l'intégrité des objets dans leur structure matérielle. On a démarré un projet qui s'appelle le réveil des instruments de musique. Les instruments de musique qui sont conservés au musée, c'est un statut un peu spécial parce qu'un instrument, c'est fait pour être joué. Ça a été construit et ça a été fabriqué pour sonner, pour faire du son. Donc, quand ces objets entrent et intègrent les collections du musée, leur histoire change catégoriquement puisqu'ils sont justement, pour être préservés, surtout on ne les joue pas et on ne les touche pas, ce qui crée une sorte de statut un peu étrange à ces objets qui ont donc une deuxième vie, ils servent donc davantage comme témoins et comme objets conservés pour une autre fin que pour celle qui est que de faire de la musique. Cependant, on s'interroge maintenant et on a entrepris un travail de réflexion autour du statut de ces objets. On a donc identifié une trentaine d'instruments de musique qui, dans leur structure, sont assez stables pour pouvoir être joués, être remis en son. Donc ils sont rejoués. Ils ont été rejoués récemment par une grande percussionniste d'origine japonaise qui s'appelle Midori Takada, qui a donc fait une improvisation sur des instruments qui étaient sortis de nos collections. Il s'agissait de tambours qui venaient du Sénégal et également des lamellophones : sanza, mbira et ainsi de suite qui venaient d'Afrique, surtout d'Afrique centrale. Quelques idiophones comme des cymbales et des instruments en métal, différents métalophones d'Asie. Et elle a rejoué, elle les a refaits sonner à nouveau, donc ils ont pu faire entendre leur voix sous les baguettes et sous la manipulation de Midori Takada qui a fait un enregistrement. C'était une chance à la fois pour elle et pour nous. Pour nous, ça nous permet de nous interroger sur le statut et le but de la conservation de tous ces objets. Et ça fait développer une réflexion sur l'histoire de la conservation et de la muséographie des objets dans un musée et des objets qui étaient faits, qui ont été joués et qui du jour au lendemain ont été rendus muets. Donc, c'est aussi une réflexion sur le rôle et le pouvoir des muséographes. Et le pouvoir qui s'octroie de conserver et d'interdire l'accès à ces instruments du fait qu'ils sont conservés. Donc c'est toutes ces questions-là qui sont éthiques et philosophiques également qui sont en jeu. Pour nous, pour Midori Takada, c'était une chance d'avoir à sa disposition des instruments qui viennent de différentes régions donc Afrique, Asie, Afrique et Asie essentiellement. Mais aussi, il y avait des tambours de bois d'Océanie qui étaient mis à sa disposition, des instruments qui ont existé sur des périodes de temps très longue et de tous les mettre ensemble pour faire une sorte de concert de toutes ces voix qui viennent de différentes régions géographiques et de différentes aires géoculturelles, mais aussi différentes périodes. Donc c'est un peu exceptionnel. On a beaucoup appris.

Laura [00:54:49] Et je souligne que ces concerts-là, ces présentations sont disponibles en ligne, c'est ça les réveils sonores. Par exemple, hier, je t'ai vue...en fait je dis en tant que DJ parce que durant COVID aussi tu as été sur l'aire publique, si je peux dire. Donc, au sein du musée, à côté d'une vitrine où les passants, les piétons pouvaient te voir, t'entendre, t'écouter. Et tu avais un rôle, un certain...Donc ce concert-là, donc tu parles de cette musicienne qui avait à sa disposition un ensemble d'instruments, rentre dans ce bassin de projet donc les réveils sonores. C'est vraiment axé sur l'interaction avec le grand public si j'ai bien compris. 

Madeleine [00:55:39] Ouais. Le projet du réveil des instruments de musique a donné lieu à une improvisation qui est en cours de publication. Maintenant, il y a, en dehors des instruments de musique, il y a aussi les archives sonores, les supports, les phonogrammes, les disques qui sont aussi d'une certaine manière, des instruments de musique si on peut extrapoler ça. Et dans cette collection de disques, notamment les disques vinyles, on invite une fois par mois des artistes et surtout des DJ à faire une sélection et à rejouer, à faire jouer, à faire découvrir au grand public ces disques avec leur sélection à eux ou en faisant des interventions plus ou moins créatives. Moi, j'ai un niveau...je me contente pour l'instant de faire découvrir, de passer des disques, mais évidemment avec un disque vinyle, le potentiel est très très important de pouvoir créer quelque chose à partir d'un vinyle. Et ces séances, ce qu'on appelle le réveil des archives sonores cette fois-ci, on installe des platines dans les salles d'exposition pour que le DJ, le musicien soit dans cet environnement patrimonial et il est invité à faire un set d'une heure qui est maintenant ouvert au public, qui se déroule en présence du public. Mais ça avait été initié pendant la période du COVID où les musées étaient fermés et le but c'était de diffuser ça sur les réseaux sociaux, sur Facebook et après sur Instagram et sur YouTube, la chaîne YouTube du musée, pour faire découvrir notre fonds d'archives sonores. 

Laura [00:57:22] Parfait. Donc c'est un clin d'œil pour les auditeurs et les auditrices qui voudraient en savoir davantage sur le travail que tu fais, sur le travail effectué au musée, sur le travail d'une ethnomusicologue aussi. C'est vraiment d'aller s'orienter sur le site du musée. 

Madeleine [00:57:41] Le travail d'une ethnomusicologue au musée est multiple. Ça va aussi bien de l'étude et de la conservation des collections, mais il y a une partie très importante de médiation culturelle à laquelle je participe avec grand plaisir, avec des jeunes voix qui sont dans l'environnement proche physique du musée mais aussi avec des personnes...Et la musique le permet puisqu'on peut le diffuser, on peut échanger et je trouve que c'est un patrimoine idéal pour faire se rencontrer autour des archives sonores des gens qui sont des chercheurs, des conservateurs, des artistes et des personnes qui sont directement concernées par les contenus de ces archives sonores. 

Laura [00:58:39] Parfait. Alors merci beaucoup Madeleine Leclair, en direct de Genève, Genève -Toronto de nous avoir accordé cette belle entrevue. Je suis reconnaissante et au nom des auditeurs et des auditrices de notre podcast, donc je te remercie beaucoup d'avoir partagé avec nous. 

Madeleine [00:59:00] Merci également de créer des liens comme ça entre nos deux instituts et nos deux villes. J'espère que les auditeurs viendront visiter le site du Musée d'ethnographie et que ce sera le début d'échanges avec des étudiants, des artistes et différentes personnes qui s'intéressent à ce genre de ressources. 

Laura [00:59:23] Oui, tout à fait. Parce que tu es aussi prof à l'Université de Genève, l'Université de Genève, le Musée, le CREFO, l'Université de Toronto. Donc, il y a des occasions d'échanges et de recherche pour élèves, prof, collègues. 

Madeleine [00:59:42] Merci beaucoup. 

Joey [00:59:44] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.