Quoi de neuf ?

Entretien avec Normand Labrie

November 23, 2020 Les cafés du CREFO Season 1 Episode 10
Quoi de neuf ?
Entretien avec Normand Labrie
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Normand Labrie, membre du CREFO, Vice-doyen aux programmes et professeur titulaire à l'Université de Toronto.


Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Normand Labrie, vice-doyen aux programmes et professeur titulaire à l'Université de Toronto. 

Normand [00:00:08] Ouais, j'ai commencé disons à m'intéresser à des questions de bilinguisme, de plurilinguisme sous différents aspects et particulièrement les aspects politiques. 

Joey [00:00:18] Bienvenue à Quoi de neuf!

Emmanuelle [00:00:35] Bonjour et bienvenue au Café CREFO. Aujourd'hui, j'ai la joie de recevoir le professeur Normand Labrie. Bonjour Normand! 

Normand [00:00:43] Bonjour!

Emmanuelle [00:00:44] Normalement, j'ai l'habitude de présenter la carrière de mes invités en mettant en lumière les aspects les plus saillants, mais dans ton cas, je n'ai que l'embarras du choix. Alors j'ai fait un petit choix moi-même. Je vais essayer de résumer mais n'hésite pas à me corriger ou à ajouter si je me trompe. Tu es donc professeur de sociolinguistique et vice-doyen de l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario. Tes publications sont nombreuses. Je pense en particulier à deux livres. L'un que tu as écrit avec notre collègue Monica Heller que j'ai reçue ici il y a quelques semaines, et l'autre avec Sophie Lamoureux et je pense que tu nous parleras de celui-là en particulier, mais peut-être aussi des autres. Lorsque je t'ai rencontré pour la première fois, tu étais...il y a 3 ans...tu étais recteur par intérim de l'Université de l'Ontario français, poste que tu as quitté l'année dernière une fois, à mon avis, une fois que cette université était, d'après toi, lancée. Donc je pense que ces postes en disent long sur cet intérêt que tu as développé pour l'aspect de la continuité en éducation. Tu t'es battu pour l'accès aux études post-secondaires en Ontario et en français notamment, et d'ailleurs, nombre de tes publications en témoignent. Je pense en particulier au travail que tu as fait avec Sylvie Lamoureux, que je viens de nommer sur le choix des jeunes francophones de l'Ontario en matière d'études post-secondaires. Donc Normand, si mes renseignements sont bons tu a été nommé chevalier de l'Ordre de la Pléiade en 2007 en reconnaissance de ta contribution au développement de la francophonie en Ontario, ce qui en dit beaucoup aussi. Et en 2016, membre de la Société royale du Canada. Tu as fait toutes tes études à l'Université Laval, en commençant par des études d'allemand, puis de linguistique, et puis un doctorat dans le même domaine. Tu n'es pas le premier que je reçois qui a fait des études d'allemand. C'était aussi le cas de Claire Kramsch, que j'ai reçue il y a quelques semaines. Alors ma question c'est d'où t'est venu cet amour de l'allemand? Et comment passe-t-on d'études d'allemand à un engagement aussi fort pour la francophonie et en particulier la francophonie en Ontario, c'est-à-dire en milieu minoritaire? 

Normand [00:03:27] Ouais. Alors, quand j'ai commencé mes études post-secondaires, en fait j'allais étudier la psychologie et je me suis aperçu que je préférais les langues alors j'ai fait un virement de carrière tout de suite en commençant. Et l'allemand m'intéressait parce que je trouvais que le système linguistique était relativement complexe. C'est peut-être pas la langue la plus complexe au monde, mais c'était relativement complexe et ça demande du temps pour s'investir pour apprendre la langue. Alors j'ai décidé que ça valait la peine de mettre quelques années pour mieux comprendre le système linguistique. Et au-delà de ça aussi, plus l'aspect civilisationnel comme je suis né pas si longtemps après la Deuxième Guerre mondiale, il restait beaucoup de préjugés. Je pense que l'Allemagne avait commis des catastrophes incroyables et il y avait des préjugés très forts encore à l'époque. Et ça m'interrogeait vraiment de comprendre, de mieux comprendre les réalités en dehors des préjugés qu'on entendait. Alors je me suis dit je vais étudier l'allemand, je vais m'investir là-dedans. Puis c'est un choix de plus de passion. J'ai décidé de faire quelque chose qui me passionnait plutôt que quelque chose d'utile. J'imagine que mes parents devaient être un petit peu déprimés de voir que leur plus vieux s'en allait faire des études en allemand et trouverait probablement jamais d'emploi dans ce secteur-là. D'ailleurs j'en ai pas trouvé dans ce secteur-là nécessairement. C'est plus plus tard avec la linguistique que je suis entré dans le monde académique. 

Emmanuelle [00:04:59] Mais c'est très intéressant ce que tu dis parce que si on voit justement après la Seconde Guerre mondiale, c'est dans une perspective de construire la paix que les premières écoles bilingues franco-allemandes sont apparues à la frontière de la France et de l'Allemagne. Cette même recherche et perspective de la langue qui construit des ponts, l'apprentissage de la langue qui permet de construire des ponts, des compréhensions, etc. 

Normand [00:05:30] Et puis après, comment on passe de ça à l'engagement pour la francophonie. Je suis arrivé en Ontario pour mon premier poste académique après le post-doc. Puis je me suis toujours intéressé, à partir de ce moment-là, aux réalités francophones de l'Ontario, sur le plan ontarien, sur le plan national et international aussi. Et je pense que j'ai construit ma carrière académique en combinant la découverte du savoir avec des tâches administratives et puis un engagement aussi. Alors, il y a peut-être des professeurs qui se limitent à leur domaine de savoir. Moi, ça a été important de combiner tous ces éléments-là, puis de m'investir dans des conseils d'administration quand je suis arrivé à Toronto d'organismes francophones, dans des organismes nationaux, internationaux qui s'intéressaient au français. Et mon point de vue c'est d'utiliser le savoir dont je bénéficie, je suis privilégié d'avoir eu accès à certains savoirs, puis de pouvoir contribuer à la création de savoirs. Mais comment faire des transformations par le biais des institutions. Je pense que ça caractérise pas mal ma carrière. Comment faire des changements, mais en utilisant les institutions qui sont présentes et qui ont besoin de savoirs pour se transformer. 

Emmanuelle [00:06:54] C'est très intéressant. Est ce que ça touche, alors peut-être de loin mais, à l'activisme? 

Normand [00:07:02] C'est un activisme, qui me caractérise peut-être, qui est pas nécessairement militant dans la rue avec des pancartes et des cocktails Molotov. Mais qui investit les institutions de l'intérieur pour amener un changement qui en principe devrait améliorer les choses. 

Emmanuelle [00:07:22] C'est ça, il faudrait qu'on ait plus de chercheurs qui influencent l'organisation de notre société. Mais en fait Normand, tu es Québécois, n'est-ce pas? 

Normand [00:07:33] Exactement. 

Emmanuelle [00:07:35] Est-ce que tu te définis toi-même, toujours comme Québécois? Si aujourd'hui on te demandait, voilà d'où viens-tu, qui es-tu? 

Normand [00:07:43] Si on me demande juste un label, je ne dirais pas je suis Québécois. Je suis originaire du Québec, ça c'est sûr. Sur le plan identitaire, c'est beaucoup plus compliqué. Après avoir fait des recherches sur les identités, la mienne elle est sûrement pas consolidée sous un seul label, elle est complexe et je pense que c'est ça. Je suis cosmopolite, canadien, québécois, ontarien, francophone et plein de choses encore. Mais on ne peut pas me rentrer dans une case, je pense. J'aurais de la difficulté à rentrer dans une case. 

Emmanuelle [00:08:23] En tout cas, reconnu officiellement dans tous ces contextes. Je me souviens d'une conversation qu'on avait tous les deux et de ma jalousie vis-à-vis de la possibilité que tu avais de remonter si loin dans les archives, dans tes racines, bien au-delà de notre Révolution française qui nous a brûlé toutes nos archives. Est-ce que tu veux nous parler de ça, de ta famille? 

Normand [00:08:50] Je pense que le plurilinguisme est dans mon ADN, probablement. Au Québec, dans la Nouvelle France, il y a eu conservation d'archives et pas tellement de destruction. Alors c'est possible de remonter jusqu'à l'arrivée des premiers colons envoyés par la France. Puis, de cette façon-là j'ai retrouvé le lieu d'origine de mon ancêtre qui était venu en 1682 et je suis retourné au village et j'étais pratiquement le premier après 300 ans à revenir au village et c'était donc en Charente-Maritime. Et mon ancêtre avait un nom occitan, alors probablement et ceux qui sont venus à l'époque, ils étaient dans un système je dirais post-féodal où le fils aîné héritait de la ferme et les autres devaient partir, trouver autre chose ailleurs et mon ancêtre est venu ici. Et donc, il est arrivé en Nouvelle-France, où des gens venaient de toutes les régions de l'ouest de la France, donc parlaient des patois différents, parlaient tous des langues, des patois différents. Il s'est constitué une unité linguistique au Québec à ce moment-là, mais qui existait pas en France nécessairement encore parce que la révolution n'avait pas eu lieu. Et alors c'est un univers je pense polyglotte ou plurilingue où s'est formée une variété de langue commune à tout le monde. Et quelques générations plus tard, il y a un membre de ma famille qui, après la conquête anglaise, qui est le premier Canadien Français qui est parti étudié au Royaume-Uni, en Angleterre, qui est allé étudier la médecine et il est devenu chirurgien, il est rentré à Québec. Et il a d'abord publié... Il a écrit un ouvrage sur l'univers constitutionnel anglais et comment on pouvait se servir comme francophone de cet instrument constitutionnel pour se développer. Et il est devenu l'équivalent d'un ministre de l'Éducation sous le gouvernement de Louis-Joseph Papineau et il a mis sur pied des écoles primaires francophones. Il y avait un grand débat à l'époque entre le Conseil législatif qui avait été mis sur place, qui était construit de francophones élus et le Conseil exécutif qui étaient des anglophones. Le conseil exécutif a voulu mettre en place des écoles primaires et les francophones ont refusé parce qu'ils voulaient pas se faire endoctriner par un modèle d'école qui serait dicté par les Anglais, alors lui a conçu un autre modèle qui était géré par les francophones, adopté par le Parlement. Bloqué aussi, par contre par le Conseil exécutif et il a créé des écoles normales modèles pour former des enseignants. Et c'est en faisant ça qu'il a commencé à écrire aussi, il a écrit la première histoire du Canada. L'histoire du Canada est attribuée normalement à François-Xavier Garneau. Mais lui auparavant avait écrit un manuscrit qui allait servir dans les écoles, qui avait environ 1 000 pages. Et il est mort avant la rébellion des Patriotes parce qu'il s'était épuisé au travail, probablement. Et le Conseil législatif a voté la publication que le gouvernement paierait la publication de ce manuscrit de l'histoire du Canada. Mais le conseil exécutif a bloqué ce projet de loi. Comme tout, c'est ce qui a mené à la rébellion des Patriotes, ça a été les blocages qui subsistaient au cours de plusieurs années. Alors le manuscrit était chez un éditeur dans la vallée du Richelieu en attente de publication et lorsque est arrivée la rébellion, les Anglais ont brûlé plusieurs villages dans la vallée du Richelieu et le manuscrit est passé au feu dans ces incendies. Alors, sauf une centaine de pages sur les 1 000 qui sont restées parce qu'il y avait des ébauches qui avaient été envoyées à des gens. Alors on peut retrouver dans les archives un peu sa pensée sur l'histoire du Canada. 

Emmanuelle [00:12:59] C'est intéressant. Donc en fait, le travail que tu fais actuellement s'inscrit totalement dans celui de tes ancêtres et en particulier de celui-là. Est-ce que tu peux dire qu'il a influencé ton parcours? Ou pas du tout? 

Normand [00:13:16] Pas directement. Peut-être indirectement par...j'imagine qu'il reste des choses un centaine d'années après ou 200 ans plus tard, il reste quelque chose encore dans la mémoire familiale un petit peu. Non, mais c'est vraiment peut-être un hasard aussi que je me retrouve les mêmes...dans la même trajectoire que lui. 

Emmanuelle [00:13:44] Normand, je t'ai souvent entendu parce que je t'avais invité dans mon séminaires, etc. Et tu nous avais expliqué comment ton parcours scientifique avait été influencé par ton propre parcours de vie. Est-ce que tu peux nous en parler ici un peu? 

Normand [00:14:05] Oui. Alors en étudiant l'allemand, je suis allé étudier à Berlin, à l'Université libre de Belin, et puis je me suis intéressé à la sociolinguistique. En fait, je m'intéressais aux langages, mais pas aux systèmes abstraits de la langue. Je voulais m'intéresser aux aspects plus réels des usages de la langue. Alors, j'ai commencé à faire de la sociolinguistique et étant Canadien on m'a perçu comme étant le spécialiste du bilinguisme du fait qu'on avait des lois sur le bilinguisme au Canada. Et en Allemagne, on était à la fin des années 70, il y avait l'immigration turque et beaucoup de débats sur l'école bilingue, mais aucune expertise encore sur ce sujet-là. Alors dans nos séminaires, on a commencé à travailler sur ce sujet-là. Puis moi, j'ai été identifié comme le spécialiste du bilinguisme, sans même être bilingue à l'époque en allemand vraiment, ni compétence hors des questions de bilinguisme. Mais je me suis intéressé et c'est comme ça que j'ai continué à faire une maîtrise sur le sujet en Acadie, puis un doctorat sur les pratiques plurilingues des Italiens de Montréal. Tout ça. 

Emmanuelle [00:15:17] Mais au départ, ton travail était plutôt, comme tu le dis très bien, en lien avec ces questions d'identité. Et puis, il a tourné un petit peu, il a changé quand tu as commencé à t'intéresser beaucoup plus à ce qu'on appelle en anglais Lifelong Learning donc la continuité en éducation. 

Normand [00:15:40] Ouais. J'ai commencé disons à m'intéresser à des questions de bilinguisme, de plurilinguisme sous différents aspects et particulièrement les aspects politiques au début, puis ensuite en étant à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario et au CREFO plus à des aspects éducatifs. Et puis, je me suis toujours intéressé particulièrement à l'aspect post-secondaire en fait, l'aspect vocationnel collégial mais aussi universitaire qui était moins développé dans la recherche pour plusieurs raisons. 

Emmanuelle [00:16:19] C'est ça et ta rencontre avec...je crois que ta rencontre avec une étudiante, Sylvie Lamoureux, a été importante à l'époque. 

Normand [00:16:26] Alors oui, Sylvie Lamoureux est venue faire son doctorat. Elle était la première à vouloir travailler sur qu'est-ce qui se passe après l'école secondaire donc l'accès au post-secondaire pour les francophones. Et alors j'ai dirigé sa thèse. Et puis, en même temps, je faisais partie de comités provinciaux du Comité consultatif sur les affaires francophones et j'avais été délégué auprès du ministère des Collèges et Universités pour faire partie d'un comité consultatif sur le post-secondaire en français. Alors à la fois j'étais impliqué dans les institutions, mais aussi Sylvie sur le terrain. Donc on a développé ensemble des demandes de subventions pour continuer la recherche sur l'accès au post-secondaire. Elle existait déjà un peu...il y a eu des recherches faites dans le passé par Stacey Churchill par exemple. Là, on a renouvelé ces recherches-là par des choses contemporaines. 

Emmanuelle [00:17:26] Est-ce qu'on peut dire que votre travail, que le travail que vous avez fait ensemble, a contribué à la naissance de cette nouvelle université francophone de l'Ontario? 

Normand [00:17:39] La naissance résulte d'un constat qu'il n'y a pas suffisamment...il y avait pas suffisamment de programmes de type post-secondaire dans le centre du sud-ouest de l'Ontario. C'est une des raisons qui amènent à la création de l'université. Les recherches qu'on a menées faisaient un peu un état de ce manque d'accès-là. Je pense que ça a apporté de l'eau au moulin pour le projet lui-même. Personnellement, c'était une brique dans ma compréhension de la situation puis ma volonté de contribuer à développer plus d'offres dans le centre sud-ouest et qui soit un modèle pédagogique innovant en fait qui soit pas nécessairement conventionnel. 

Emmanuelle [00:18:25] Alors très innovant. Et j'ai eu la chance, parce que tu m'y as invitée, de participer un petit peu à ce projet et finalement, d'un projet qui était avant tout francophone, l'Université de l'Ontario français est devenue un projet que je qualifierais d'éminemment inclusif. Et quand je dis ça, je pense en particulier à l'approche des langues telle qu'elle était envisagée pour cette université au moins il y a deux ans, quand j'y ai travaillé avec notre collègue Enrica Piccardo. Donc, la question que je voudrais te poser c'est : est-ce que tu penses qu'il y a là-dedans, dans cette approche des langues que nous avions, peut-être que tu veux en parler un peu plus, quelque chose à apprendre pour nous, ici, à l'Institut des études pédagogiques de l'Ontario, qui est un lieu, alors il y a le petit îlot qu'est le CREFO, l'îlot francophone, mais qui est en fait un lieu éminemment anglophone. 

Normand [00:19:21] Oui alors, je pense que oui, il y a des choses qu'on peut en retirer, dont on peut s'inspirer. D'ailleurs l'Université de Toronto, comme tu sais Emmanuelle, a des projets aussi pour développer des compétences linguistiques plurilingues des étudiants qui le veulent à travers des approches novatrices et d'ailleurs tu as contribué toi aussi aux discussions au niveau universitaire pour l'Université de Toronto pour changer un peu la conception. Et ça vaut aussi pour l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario. L'approche à l'Université de l'Ontario français était d'abord de ne pas établir de catégories. C'est facile d'établir des catégories : francophone, francophile, étudiant canadien, étudiant étranger, tout ça. Je pense que dans le concept de l'université on a dit on ne créera pas de catégories puis on ne définira pas qui est francophone, qui est à moitié francophone ou pas. On va définir francophone uniquement comme étant toute personne qui décide d'étudier en français à l'Université de l'Ontario français, peu importe son répertoire linguistique, son bagage de vie, tout ça. 

Emmanuelle [00:20:34] Quel bol d'air frais! 

Normand [00:20:39] Et la deuxième chose ça a été sur le plan du...quand on...de concevoir le développement langagier comme étant un phénomène continu au long de la vie. Et puis, avec un point de départ à un moment donné et un point d'arrivée, mais les gens partent tous d'un point de départ différent, ils arrivent tous à des points d'arrivée différents aussi. Alors tout le monde a des compétences linguistiques et c'est très long de développer des compétences linguistiques dans une langue en particulier. Et on arrive jamais à la maîtrise parfaite d'un système, même si on arrive à la fin de sa vie parce que le système change de toute façon pendant qu'on en fait l'acquisition. Je pense que c'est un concept de langue évolutif où on rejette la normativité, puis on rejette l'exclusion. Je pense que c'était les principes...plutôt partir des compétences existantes, les valoriser, puis se donner des objectifs pour voir où est-ce qu'on va arriver. On peut avoir un étudiant qui arrive d'Afrique et qui connait pas l'anglais, mais qui maîtrise très, très bien le français écrit académique, mais qui aurait besoin de, puisqu'il est à Toronto, de s'intégrer davantage plus tard sur le marché du travail. Donc il aura besoin de développer des compétences peut-être de base au départ en anglais. Sur trois ans il faut identifier à peu près ou quatre ans où est-ce qu'on espère arriver. Et on aura d'autres étudiants qui ont peut-être un français très vernaculaire mais qui auraient besoin d'un français plus professionnel pour travailler dans cette langue. Alors il y a des cas d'espèce possible et l'objectif c'est de...dans notre conception originale c'est de dire que chacun a des compétences, puis chacun doit se fixer des objectifs de développement de compétences et que l'université est là pour l'accompagner, mais non pas pour enseigner les langues de façon conventionnelle.

Emmanuelle [00:22:43] C'est ça, donc autant de cas possibles qu'il y a d'individus, n'est-ce pas? Mais ce n'est pas simplement le français plus l'anglais, mais c'est aussi, il me semble, une ou deux autres langues? 

Normand [00:22:58] Oui, on a conclu dans le projet original de trois langues en fait avec une langue additionnelle seulement. On a une population francophone très plurilingue déjà. Et comment développer certaines des compétences, On peut avoir des jeunes qui parlent déjà l'arabe à la maison, mais qui seraient mal à l'aise à travailler dans une banque en arabe par exemple. Peut-être que ces gens-là veulent développer ce genre d'expertise. D'autres qui voudraient tout simplement apprendre le mandarin parce que ça les intéresse d'apprendre le mandarin.

Emmanuelle [00:23:32] Passionnant et puis vraiment rafraîchissant ce que tu expliques sur les catégories qu'on laisse tomber, etc. Il me semble que en plus de ton engagement en tant que doyen de l'Institut...vice-doyen de l'Institut, excuse-moi, tu es aussi en train de travailler sur un projet de recherche et je pense que nos auditeurs seraient aussi intéressés que moi d'en apprendre plus sur le sujet. 

Normand [00:23:55] Alors, c'est un tout petit projet de recherche en fait qui est un assistanat de recherche financé par l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario par une étudiante, Jasmine Bégin Marchand, qui fait sa maîtrise actuellement. Alors sur le plan de la recherche je suis moins actif parce que les dernières années j'ai été beaucoup plus impliqué dans la gestion de la recherche comme vice-doyen de la recherche au Fonds de recherche Société et culture du Québec, comme directeur scientifique présentement au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, comme président du comité de programmes. Alors je suis plus passé de l'autre côté de la recherche. Mais donc je suis moins actif moi-même. Et tout le projet de l'Université de l'Ontario français qui m'a occupé plusieurs années en fait. Mais ce projet-là est dans la foulée du projet de l'Université de l'Ontario français, c'est de voir comment, dans la région du centre du sud-ouest de l'Ontario, comment pourrait-on peut-être voir quel est notre potentiel, notre capacité à recruter des immigrants francophones, à les intégrer, puis à les retenir et dans le cadre de la création de l'Université de l'Ontario français et du Carrefour francophone qui y est rattaché, qui est un conglomérat d'organismes qui fonctionnent en français ou avec le français. Et le problème est que l'Ontario et le Canada espèrent atteindre 5 pour cent de l'immigration qui soit francophone, que les nouveaux arrivants soient francophones, mais n'atteint pas cet objectif. Et les organismes existants ont développé une capacité d'intégration, d'accueil, mais à mon avis, il n'y a pas encore de capacité d'attraction, de recrutement et il semble que les pouvoirs publics le fassent pas suffisamment et est-ce que le fait de créer cette synergie avec une université, qui peut recruter des étudiants qui vont devenir des professionnels et des organismes, est-ce qu'il y a un potentiel de contribuer à l'objectif provincial d'atteinte du 5% en étant beaucoup plus proactif, en utilisant les capacités qui ont été développées au niveau de l'intégration, mais comment maintenant bouger du côté du recrutement. Alors c'est l'objectif du projet de recherche, c'est d'établir...de consulter les différents partenaires pour essayer de comprendre quelles sont leurs capacités actuelles d'intégration, quelles sont leurs activités au niveau du recrutement, peut-être inexistantes mais peut-être existantes, leurs rapports, leurs liens, leurs réseaux internationaux et entamer cette réflexion-là autour de est-ce qu'on serait en mesure de développer une capacité de recrutement. 

Emmanuelle [00:26:58] C'est très important. Tu nous en as déjà parlé un petit peu, mais quel regard est-ce que tu portes aujourd'hui sur la francophonie en Ontario? À ton avis, quels sont les gros chantiers et tu viens de nous parler d'un qui doivent être entrepris pour permettre à cette communauté de s'épanouir? 

Normand [00:27:18] Alors ça c'est tout le chantier constructif je dirais d'une institution, l'Université de l'Ontario français et du carrefour qui va avec, pour développer un espèce de francophonie 2.0 dans la région. En même temps, je vois les paradoxes à l'intérieur de la francophonie. En étant un groupe minoritaire, il y a besoin de cohésion, puis d'actions, de résistance. Et ce qui amène souvent à créer un espèce de communauté plus fermée à la différence. Alors le grand défi c'est comment...moi j'évite de parler de la communauté francophone de l'Ontario parce que je ne pense pas qu'il y ait une communauté francophone en Ontario. Les réalités du centre sud-ouest sont complètement différentes du Nord ou de l'Est et il y a encore d'autres sous-différences, Je pense des communautés au pluriel, mais en même temps, c'est aussi limitatif. Le grand défi, c'est de faire en sorte que la francophonie ontarienne se transforme par l'inclusion et l'intégration et devienne autre chose. Parce qu'à mon avis, si elle reste au singulier elle va tout simplement rapetisser avec le temps. Mais elle a un potentiel de se transformer puis devenir un agent de changement, même pour toute la société ontarienne parce que la langue française est quand même une langue internationale, l'Ontario a une économie très développée et il y a une place pour utiliser cette ressource-là très bien autant pour le monde des affaires que pour les individus eux-mêmes, de pouvoir utiliser cette ressource qu'ils ont pour contribuer à la société puis à l'économie puis au développement. Mais pour ça, il faut trouver des formules d'inclusion qui sont difficiles à trouver à cause du paradoxe qui existe entre le besoin de se regrouper pour se défendre en même temps, une fois qu'on fait ça... 

Emmanuelle [00:29:27] Qui est un réflexe minoritaire, mais qui en fait rend fort et en même temps qui effectivement, comme tu le dis, implique qu'on se ferme sur soi et donc qu'on meurt. Oui, c'est un grand défi, je le reconnais vraiment, auquel on doit tous travailler. J'aime bien demander à mes invités quelles sont les personnes qui les ont le plus marqués dans leur vie. Alors, tu peux penser au niveau de ton travail, mais aussi au niveau personnel. 

Normand [00:29:57] Ouais, je pensais que tu allais poser la question alors j'y ai réfléchi. J'avais tellement de monde qu'on a besoin d'une heure. Je me suis dit il va falloir que je me limite. Je pense nos parents nous influencent beaucoup, ma mère a 92 ans, elle m'influence encore tous les jours. Mais mon père en particulier qui a fini sa deuxième année de primaire et qui a arrêté l'école après parce que son père avait une entreprise. Et ça ne l'empêchait pas d'être très intelligent. Il était surtout très non-conformiste et libre penseur et je pense qu'il m'a beaucoup influencé par justement la non-conformité. Et comme père, c'était correct pour lui d'élever ses enfants comme étant non-conformistes et même il doit toujours encourager ces gestes-là ou ces idées que je pouvais amener dans la maison qui...le rejet de la religion, par exemple, il m'appuyé. Mon conjoint m'a aussi beaucoup influencé. On a vécu 34 ans ensemble avant son décès. C'était un diplomate de carrière et quelqu'un de passionné. On a eu des vies complémentaires parce qu'il a vécu....on a vécu sur deux continents pendant 34 ans, en Europe ou en Asie. Ensuite, il y aurait plein d'autres gens dans le domaine professionnel ou intellectuel mais je m'arrête là.

Emmanuelle [00:31:23] C'est intéressant de voir que c'est finalement quelqu'un qui a très peu été dans l'espace scolaire institutionnel, qui a formé quelqu'un qui lui crée ces espaces scolaires. Mais alors avec une pensée très originale. Donc ça explique aussi ta manière de concevoir le milieu éducatif. Merci. Alors, la question qui suit, c'est : si tu pouvais rêver d'un système éducatif idéal, à quoi est-ce qu'il ressemblerait?

Normand [00:31:56] Alors, ce serait un système qui permet à chacun de s'épanouir. Si on retourne à la création de l'école primaire, d'abord, c'est le premier système qui a été créé. C'était d'abord un système pour l'endoctrinement. Avec la Révolution française, on voulait que les citoyens puissent lire la constitution, on voulait les endoctriner. Avec la révolution industrielle, ça a été un peu occupationnel. On voulait classer les enfants à l'école pendant que les parents iraient travailler, les gens de la classe ouvrière iraient travailler. Et je pense qu'on doit développer un système... c'est un système qui à mon avis est parfois un instrument de contrôle et de formatage des jeunes et des fois de coercition aussi. Dans les cas extrêmes dans des écoles américaines, il peut y avoir des grilles aux fenêtres des écoles. C'est presque carcéral. Alors ça, c'est mon côté critique de l'éducation, même si je suis vice-doyen d'une faculté d'éducation. Je garde mon esprit critique et donc, plutôt que de formater les jeunes en fonction de savoirs ou de comportements, je pense que l'école idéale pour moi, ça nous permettrait à chacun de s'émanciper à partir de de ses forces. Ce serait un autre modèle complètement différent à inventer pour l'école. Le potentiel de chacun. 

Emmanuelle [00:33:19] On voit vraiment ça reflété dans ton travail. Alors, ma dernière question, ce sera: si on devait lire un ou deux de tes articles pour mieux comprendre ton travail. Lesquels? 

Normand [00:33:33] J'ai pensé à un article que j'ai écrit avec Marcel Grimard, qui s'appelait La migration des gays et lesbiennes francophones à Toronto. Violence symbolique et mobilité sociale. C'est un courant de recherche qu'on a mené à la fin des années 90. On faisait des enquêtes sur l'identité francophone. En fait qu'est-ce que c'est être francophone? Et j'avais fait une entrevue en Acadie avec un directeur d'école. On avait fait l'entrevue entre chez lui et en voyant son environnement, j'avais pensé qu'il devait être gay. Il était célibataire. Je n'ai pas posé la question, ça ne faisait pas partie de notre protocole de recherche, mais j'avais eu cette impression-là. Et j'étais ressorti de là en me demandant pourquoi quelqu'un qui probablement est gay, qui n'a pas d'enfant, pourquoi il s'investit tellement comme directeur d'école pour la transmission de la langue française aux jeunes acadiens et j'avais pas de réponse, il aurait fallu que je lui demande mais ce n'était pas dans le protocole. Et quelque temps plus tard, je suis allé dans une école un vendredi soir en Ontario, on allait faire des enquêtes et des activités à l'école. Lorsqu'on est arrivé à l'école, on nous a dit tout est annulé parce qu'un garçon s'est suicidé, un élève s'est suicidé cette semaine. Les gens étaient venus quand même pour l'évènement et tous me disaient la même chose, il s'est suicidé parce qu'il est gay. Et ma lecture des choses, c'est qu'il s'était suicidé parce qu'il était marginalisé, ostracisé et en fait on lui attribuait la responsabilité du suicide par le fait qu'il était gay, alors que la communauté aurait dû s'interroger est-ce qu'on a fait quelque chose de mal qui l'a amené à se suicider? Mais il y a eu cette cohésion communautaire dont je parlais tout à l'heure pour dire on est tous ensemble, on est tous pareils et lui qui était si différent, avait été exclu de façon extrêmement violente. Et de là, je me suis dit qu'il faudrait que j'aborde le sujet de façon explicite. Et on a développé un volet de la recherche qui cherchait à comprendre, dans la grande région de Toronto, comment des francophones qui sont tous gays ou lesbiennes combinent leurs identités multiples de minoritaires en tant que francophones et de minoritaires en tant que gays et lesbiennes pour voir qu'est-ce qui les amène à cette mobilité géographique et comment les stigmates que sont la langue française minoritaire ou l'orientation sexuelle ou lesbienne peuvent devenir aussi des atouts et qu'on peut utiliser sur le plan de sa vie personnelle ou sur la vie professionnelle, sur le champ de l'insertion sociale. Alors en faisant des recherches, ça permet de comprendre justement ces identités multiples et les trajectoires de chacun où des stigmates peuvent devenir des ressources aussi, selon chacun, ils les transforment selon des capacités qu'ils ont et les opportunités qu'ils ont dans leur vie.

 Emmanuelle [00:36:37] Passionnant. Tu parles de stigmates. On avait parlé de failles dans des émissions précédentes, mais toujours de cette différence qui finalement crée du nouveau, qui crée de l'intéressant, de la vie, etc. Merci. Tu as parlé d'un article? Peut-être tu en as un deuxième? 

Normand [00:36:57] Je dirais, probablement...je dirais peut-être le rapport qui a donné lieu à la création de l'Université de l'Ontario français qui a été déposé au ministère. Et ça, c'est pas un article à moi. C'est un ouvrage collectif du comité consultatif. Et je pense que tout le concept de cette université est écrit dans ce document-là... 

Emmanuelle [00:37:21] Il est disponible? Où peut-on le trouver? 

Normand [00:37:24] Sur les sites web du ministère des Collèges et Universités et probablement de l'UOF aussi. 

Emmanuelle [00:37:32] D'accord. Bon on le mettra en disponibilité sur le site du CREFO. Passionnant. Merci beaucoup. Merci beaucoup Normand pour cet entretien. 

Normand [00:37:45] C'est moi qui te remercie. 

Emmanuelle [00:37:45] J'ai appris beaucoup de choses. Et puis dans cette émission, on a l'habitude de dire au plaisir!

Normand [00:37:52] Au plaisir! Merci beaucoup. 

Joey [00:37:54] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca