Quoi de neuf ?

Entretien avec Antoinette Gagné

March 10, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 3
Quoi de neuf ?
Entretien avec Antoinette Gagné
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Antoinette Gagné, professeure agrégée à l'Université de Toronto

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Antoinette Gagné, professeure agrégée à l'Université de Toronto, 

Antoinette [00:00:07] Ne pas simplement concentrer sur le développement intellectuel et l'apprentissage de matières académiques, mais aussi de se concentrer sur le développement de l'enfant comme une personne complète. 

Joey [00:00:24] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:42] Bienvenue pour cette nouvelle saison des balados du CREFO. Et dans cette saison, nous allons nous intéresser plus particulièrement aux pratiques pédagogiques dites inclusives. Pour inaugurer cette saison, j'ai invité aujourd'hui la professeure Antoinette Gagné. Bonjour Antoinette!

Antoinette [00:01:06] Bonjour Emmanuelle!

Emmanuelle [00:01:09] Alors Antoinette, tu es titulaire de la Chaire associée pour l'expérience des étudiants et tu es aussi professeure agrégée au Département des programmes d'études, de l'enseignement et de l'apprentissage de l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario. Donc, nous sommes collègues plus que collègues, nous travaillons beaucoup ensemble. Tu as été longtemps conseillère académique pour le Centre de réussite des étudiants de l'Institut. Depuis plus de 20 ans tu travailles sur des recherches auprès d'enseignants et d'apprenants migrants pour comprendre comment créer un environnement plus inclusif dans les classes des écoles ou de l'école d'aujourd'hui. Donc, quand on parle d'école dans cette émission, on...vraiment on inclut tout ce qui est considéré comme lieu d'enseignement. Alors, nous nous sommes rencontrées parce que tu m'as embarquée dans un projet qu'à l'époque tu soumettais au CRSH sur la question de l'intégration. Alors avant j'ai parlé d'inclusion, maintenant on parle d'intégration des étudiants syriens dans l'éducation au Canada et plus largement en Europe. Donc, ce projet, il faisait suite à de nombreux autres projets qui ont donné naissance à une incroyable bibliothèque de ressources vidéo intégrées à tes sites web que j'ai eu l'occasion de revisiter récemment. Et un exemple est le projet de recherche intitulé en français Combler le fossé, explorer des stratégies pour établir des relations positives entre les enseignants et les parents issus de la migration. Antoinette, tu as beaucoup écrit sur les questions de diversité dans l'éducation et sur les expériences des élèves, des enseignants et des familles d'immigrants dans le système d'éducation, en particulier le système canadien. Alors Antoinette merci beaucoup d'avoir accepté mon invitation. Lorsque je suis arrivée en 2017, tu m'as introduite au concept des cartographies de soi. Alors en anglais, ce sont les Me Mapping Activities. Et j'ai tout de suite été absolument transportée, fascinée. Je trouve que personnellement que le titre est plus poétique en français. Ha! Ha! Ha! Mais je ne suis pas du tout, pas du tout biased. Ha! Ha! Ha! Ha! C'est en partie une des raisons pour lesquelles je t'ai invitée aujourd'hui, parce que je suis convaincue que cette formidable ressource pourrait beaucoup intéresser et inspirer les écoles francophones de l'Ontario et bien au-delà. Donc, tu vas nous expliquer ce que c'est, mais d'abord, je voudrais te poser la question de savoir qu'est-ce qui, dans ta vie personnelle, a orienté ta recherche vers les questions de migration et de mobilité. 

Antoinette [00:04:14] Bonne question. Quand j'étais jeune, ma famille a déménagé fréquemment, alors j'ai connu les défis de l'adaptation à différents environnements, les nouvelles langues, les nouvelles religions, les différents genres d'école. Et j'ai aussi vécu la polarisation des anglophones et des francophones à Montréal. Et j'ai vu de quelle façon les nouveaux arrivants étaient perçus par mes pairs dans les différentes classes à l'école secondaire. Et puis, je pense ça m'a motivée à poursuivre une carrière où je pouvais travailler avec des jeunes qui, comme moi, ont de grands défis dans leur vie pour s'adapter à de nouvelles façons d'apprendre, des nouvelles écoles, des nouveaux professeurs et tout le reste. 

Emmanuelle [00:05:28] Oui, alors merci Antoinette. Tu parles du défi des jeunes, mais est-ce que c'est pas d'abord un défi pour les enseignants? 

Antoinette [00:05:36] Oui, en fait, dans les années 70, ma première expérience comme enseignante de l'anglais langue seconde s'est fait dans une usine, l'usine en fait de la compagnie de chocolat Cadbury et les étudiants étaient tous issus de la migration et vraiment, je ne savais pas comment m'y prendre. J'avais appris dans mes cours de pédagogie à l'université comment enseigner la langue de façon communicative, mais ça ne m'a pas vraiment préparé à appuyer des étudiants issus de migrations. Alors oui, j'ai du rapidement parfaire mes connaissances et m'adapter pour vraiment bien appuyer ces étudiants qui comptaient vraiment sur moi pour devenir interprètes culturels, linguistiques et d'ouvrir certaines portes, d'amener des nouvelles perspectives. 

Emmanuelle [00:07:08] Oui, donc tu es...tu es passée de Montréal à Toronto et j'imagine, comme tu le dis, tu as beaucoup voyagé. Donc comment...qu'est-ce qui peut expliquer ce passage d'une ville à l'autre et en particulier d'un point de vue scientifique? 

Antoinette [00:07:29] Au début de ma carrière, j'ai passé cinq ans à l'Université McGill comme chargée de cours. Et puis, je voulais continuer dans cette carrière. Et puis, j'ai découvert que la politique à l'Université McGill était que si je voulais continuer, je devais compléter un doctorat, mais ce doctorat devait être complété ailleurs qu'à l'Université McGill. Alors, j'ai commencé à explorer les possibilités et une des personnes qui m'avaient toujours inspirée lors de mes études et de mon enseignement, c'était Jim Cummins, Jim Cummins et puis, il était prof à l'Université de Toronto. Alors j'ai communiqué avec lui pour voir si les études au doctorat seraient possibles. Alors je suis déménagée à...j'ai déménagé à Toronto vers la fin des années 80 pour poursuivre mon doctorat avec la supervision de Jim Cummins.

Emmanuelle [00:08:44] Quelle chance! Est-ce que tu peux m'expliquer comment, voilà tu as quand même une trajectoire qui est longue de travaux avec les écoles, comment ta vision a évolué sur ces 20 années. Alors c'est peut-être difficile à répondre en 2 minutes. Mais si tu peux nous donner un petit peu, comment tu en es arrivée voilà à ce que tu fais aujourd'hui? 

Antoinette [00:09:06]  J'ai pensé un peu aux premières années de ma carrière et puis j'ai retrouvé un livre publié en 1978. C'était un livre que j'ai acheté à un congrès pour des profs de langue seconde quand j'étais dans ma troisième année d'enseignement. Et puis le livre, je veux le citer, c'est un titre anglais. Ça s'appelle Caring and Sharing in the Second Language Classroom, l'auteur est Gertrude Moskowitz et le sous-titre de ce livre c'est...oh je peux pas voir... A sourcebook for humanistic teaching techniques. Alors vraiment c'était un livre qui m'a beaucoup inspirée. Le moment que j'ai rencontré cette docteure Moskowitz en atelier au congrès, vraiment, j'ai été inspirée. J'ai compris que je ne pouvais pas continuer à enseigner de la façon que j'avais enseigné jusqu'à ce moment-là, que je devais impliquer les enfants, les apprenant à tout moment dans le curriculum. Et puis, j'ai beaucoup de moments qui me viennent en tête lorsque j'utilisais ces différentes stratégies. Le changement que ça créé dans la salle de classe, alors c'est déjà dans les années 70 que j'ai découvert l'humanisme en éducation. Mais ce que j'ai découvert, c'est qu'il y a très peu qui a changé dans ces quarante ans ou c'est plus de quarante ans. Alors on sait que quelqu'un comme Gertrude Moskowitz comprenait déjà l'importance de la cartographie de soi dans les classes de langues. Mais j'ai eu la chance de visiter des centaines de classes différentes à l'élémentaire, au secondaire ou au niveau du collège, de l'Université. Et puis, ce n'est pas avec une grande fréquence que j'ai observé des enseignants qui, vraiment, mettaient les enfants, les apprenants au centre de ce qui se passait. Alors, le travail ou les travaux de recherche de Jim Cummins, en fait, m'ont aussi beaucoup inspirée et m'ont encouragée à incorporer des éléments de la cartographie de soi dans le travail que je fais avec la formation des enseignants. Et de là sont venues plusieurs des activités que nous avons explorées dans nos travaux de recherche avec la crèche ces dernières années. 

Emmanuelle [00:12:43] Donc, c'est exactement ça. Tes cartographies de soi, c'est vraiment remettre les apprenants au coeur de l'enseignement et je suis tout à fait d'accord avec toi quand on regarde ce qui se fait aujourd'hui et ce qui a été fait il y a 40 ans parce que ça remonte déjà assez loin. Ça n'a pas tellement changé, finalement, si ce n'est que peut-être, on comprend mieux et les pratiques se développent. Alors, il me semble que dans ces cartographies de soi, tu retrouves des aspects qu'on connait déjà, comme le portrait des langues que nous en Europe on emprunte à Brigitta Busch. Mais les matériaux que tu as créés vont bien au-delà de cette simple biographie langagière. Je le sais pour l'avoir fait avec toi dans cette classe d'apprenants nouvellement arrivés, nouvellement arrivés ici à Toronto, où j'ai vécu cette expérience extraordinaire de retourner toutes les deux semaines et d'aborder un nouveau thème avec l'enseignante, avec les élèves. Est-ce que tu veux éclairer un petit peu nos auditeurs sur ces thèmes et sur le sens de l'introduction de ces thèmes. 

Antoinette [00:13:54] Oui. Alors, les ateliers de cartographie de soi sont des ateliers thématiques et comme l'a dit Emmanuelle, chaque atelier a un thème différent. Alors oui, le répertoire linguistique tel que Busch imagine avec ses portraits linguistiques sont un exemple d'un thème exploré en atelier. Mais la trajectoire de l'enfant, c'est une autre possibilité. Avec les étapes ou les éléments importants dans la vie du jeune, on explore les multiples identités, les expériences à l'école, les...les aspects qui sont très positifs dans la vie de l'enfant sont soulignés alors si on demande à l'enfant de décrire, de se décrire plutôt que de parler de forces et faiblesses comme on le fait souvent, on se concentre sur ce que l'enfant peut faire, les choses dont l'enfant est fier. Alors, je pense que les thèmes sont toujours rattachés à l'enfant ou à l'apprenant. Et c'est toujours avec un accent sur le positif. Par contre, c'est optionnel l'enfant, l'apprenant peut choisir de partager certaines choses qui sont peut-être difficiles avec nous, ou alors, si on pense à la préparation pour...dans un atelier pour discuter d'étapes importantes dans sa vie, l'enfant peut dessiner, si vous voulez, des hauts et des bas et indiquer quelles sont les choses qui sont très joyeuses dans sa vie, quels sont certains événements plus difficiles, plus tristes. Mais toujours, il est important de se souvenir que il ne faut pas forcer l'apprenant à nous dire ou à révéler des évènements personnels ou troublants. Donc, c'est vraiment quelque chose où chaque enfant révèle ce qu'il ou elle désire. 

Emmanuelle [00:16:53] Je me souviens que tu allais même plus loin que ça, que tu disais à l'enseignante, on ne s'intéresse pas non plus à savoir si c'est vrai ou si c'est pas vrai. Ce qui nous intéresse, c'est son histoire. Quelle que soit la véracité des faits qui sont exposés derrière. 

Antoinette [00:17:12] Oui, c'est intéressant que tu expliques un peu ce qui s'est passé durant une de nos visites quand l'enseignante se troublait parce qu'elle ne savait pas si les dates que l'enfant indiquait sur sa trajectoire étaient les dates exactes. Et puis, toi et moi, nous comprenons que la perspective de l'enfant, c'est ce qui est important. Alors, dans la perspective de l'enfant, si quelque chose est très dur ou s'est passé...bon en 1999 plutôt qu'en 2009, ce n'est pas grave. Ce qui compte, c'est que nous voulons comprendre leurs perspectives là-dessus. 

Emmanuelle [00:18:10] Oui, alors j'ai un souvenir extraordinaire parce que je me souviens de...alors tu as le même souvenir que moi peut-être que tu veux en parler toi...mais de cet enfant qui, a priori, ce jour là, refusait de faire l'activité. Tu te souviens de ça? Alors, toutes les deux, on a dit OK, on laisse tomber, on touche pas, on laisse faire. Et c'est l'enseignante qui a pris le relais et qui a dit non non non, moi je veux faire ces activités avec lui. Est-ce que tu veux peut-être élaborer un peu là- dessus. 

Antoinette [00:18:39] Ah oui, en fait, c'était un garçon d'environ 11 ans qui venait à l'origine...je pense qu'il venait d'un pays dans l'Afrique de l'Ouest. Et il était souvent troublé en classe, avec des problèmes de comportement, selon ce qu'on nous a dit. Et après avoir complété l'activité, il a révélé que pour lui, ça a été un moment de grand déchargement parce que pour la première fois, il a dit à son professeur et à ses pairs que sa vraie maman, sa maman biologique, était décédée en Afrique quand il était assez petit et que la maman qui l'avait présenté à ses pairs, à son enseignant, c'était pas sa vraie maman. Alors pour lui, ça a été un moment de transformation. Et puis, on n'a pas obligé cet enfant à révéler ce détail, mais il a choisi d'utiliser cette activité pour expliquer que c'était un des moments tragiques ou difficiles de sa vie la perte de sa maman en Afrique avant son arrivée au Canada. C'était vraiment un moment très spécial parce que nous avons pu observer le visage et les réactions de ses pairs. Nous étions ensemble après...à la fin de cet atelier et les pairs ont posé des questions pour avoir la clarification parce que pendant toute l'année, ils avaient cru que bon cet enfant avait une maman, que c'était la personne dont ils avaient fait connaissance. Et puis là, c'était autre chose. Alors, c'était aussi très beau d'entendre son professeur parler du fait que...il était devenu un peu plus à l'aise dans les semaines après l'atelier avec ses pairs et que certaines de...certains de ses comportements s'était améliorés à cause de cette activité particulière qui faisait partie de la cartographie de soi. 

Emmanuelle [00:21:48] Alors, je pense que c'est important d'expliquer à nos auditeurs que ces cartographies de soi oui, il y a énormément d'activités de préparation. Donc on travaille dans un but. Là, j'ai parlé des récits de vie qui sont des idées....l'idée que l'enfant acquiert une notion du temps, du passé, du présent, du futur. Il y a beaucoup de travail là-dessus. Mais un aspect important de ces cartographies de soi que tu as inventées, c'est le fait que l'enfant fait un film de lui même. Et il le fait pas seul, il le fait en duo, donc il devient un petit peu le metteur en scène de sa propre vie, Est-ce que tu veux élaborer là-dessus? 

Antoinette [00:22:29] Alors, l'enseignant qui veut essayer de mettre en place la cartographie de soi doit se préparer et s'outiller avec soit des téléphones cellulaires avec caméra ou un ensemble de tablettes. Il n'est pas nécessaire d'avoir des tablettes pour tous les enfants. Peut-être une dizaine de tablettes dans un groupe ça suffit parce que à chaque fois qu'une nouvelle activité qui fait partie de la cartographie de soi est introduite comme l'a dit Emmanuelle, il y a une préparation où, souvent, l'élève prépare quelque chose de concret qu'il ou elle va utiliser comme outil durant la vidéo qu'il va présenter. Alors, on s'imagine deux enfants ou même trois enfants avec une tablette. On a l'enfant qui est l'acteur, qui présente un aspect de sa vie ou une de ses caractéristiques, ou peut-être la célébration familiale qu'il préfère. Il y a plein, plein de possibilités. On imagine les deux autres enfants qui deviennent peut-être le directeur, le metteur en scène et puis les enfants à tour de rôle et changent les rôles et on filme en utilisant une application qu'on appelle Flip Grid. Par contre, c'est pas nécessaire d'utiliser Flip Grid pour faire la cartographie de soi. On peut utiliser beaucoup d'autres applications pour faire des vidéos très simplement et les enfants peuvent répéter plusieurs fois jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits du résultat. Alors ce qu'il y a d'incroyable, c'est que non seulement est ce que l'enfant se sent valorisé, mais l'enfant a beaucoup de chance de pratiquer, de développer une confiance, de se sentir à l'aise. Et puis, parce que les enfants travaillent en petits groupes de deux ou trois, ils s'entraident. Alors s'il y a un moment d'hésitation, un autre enfant qui joue le rôle peut-être du metteur en scène peut souffler le mot qui manque pour l'enfant. Ou si un élément peut-être de grammaire ou de prononciation, en fait, il y a beaucoup de négociations. Souvent, ça se passe à travers les différentes langues alors l'enfant qui est l'acteur peut dire aux autres Oh c'est quoi ce mot? Et peut-être il dit un mot en arabe. Et le metteur en scène connaît le mot en anglais ou en français et le dit à l'autre. Alors il y a une belle...un bel aspect d'interaction. Et puis, le développement non seulement de la confiance linguistique, mais d'une connaissance de soi et puis d'une fierté qui se développe par le biais des différentes activités qui font partie de la cartographie de soi. 

Emmanuelle [00:26:42] Oui, d'un point de vue pédagogique, moi je suis toujours très impressionnée de voir le nombre de compétences auxquelles on touche, tel que même plus large, telles que l'agentivité, l'autonomie, l'entraide, mais aussi quelque chose de très important de nos jours, la littératie digitale. On ne peut pas survivre dans le monde actuel sans avoir une connaissance de la littératie digitale. Et je dirais au-delà de la littératie digitale, la citoyenneté sur le Web. Et là, c'est très intéressant parce qu'à travers les négociations qui se font, il y a « ah mais non je n'aime pas. Donc non, non, je refais le film, ce n'est pas bien fait » cette idée de c'est moi qui choisis ce que je vais poster en dialogue avec mes pairs. Et puis, ça va au-delà de ça parce que à la fin, on crée des petits films. Est-ce que tu veux le montrer à tout le monde, ou non? Et on respecte ça. Donc cette idée de respect mutuel, je trouve ça assez incroyable. Plus j'en apprends et plus je suis émerveillée par les différents aspects de cette méthode. Alors je voudrais en parler un petit peu plus de manière un peu plus théorique, parce que tu m'as toujours dit que tu t'appuyais, tu t'étais appuyée pour développer ce programme sur la théorie de l'intersectionnalité. Je ne suis pas certaine que nos auditeurs sachent ce que c'est. Peut-être ils savent, mais peut-être que c'est intéressant aussi que tu nous expliques en deux mots ce que c'est et comment ça oriente le matériel que tu as créé. 

Antoinette [00:28:11] Oui, alors l'intersectionnalité postule que l'identité unique de chaque personne est influencée par ses expériences de privilège ou d'oppression. Et en fait, cette théorie met aussi en évidence à quel point il est problématique de réduire l'identité d'une personne à quelques caractéristiques souvent attribuées par d'autres pour la définir. Alors souvent, les autres peuvent me regarder et voir une femme blanche d'un certain âge. Et ça se limite à ça. On ne voit pas les multiples aspects de mon identité qui forment vraiment ma façon de regarder le monde et de comprendre ce qui se passe autour de moi. Donc c'est vraiment une théorie importante pour aujourd'hui. Pour les années 20 et 21, où nous pouvons voir que les aspects de l'identité tels que la race, la langue, la religion sont vraiment toujours dans les médias, on nous demande comme enseignants de ne pas les ignorer, mais de les regarder et de comprendre comment tous ces aspects influencent le vécu de nos apprenants. 

Emmanuelle [00:30:00] Oui, ça a beaucoup de liens avec beaucoup de collègues, des travaux de beaucoup de collègues avec qui nous travaillons, ce que je trouve absolument fascinant. Ce qui me frappe dans tous tes projets, c'est que tu t'inclus toujours toi-même. Donc, tu finalement te mets en scène toi-même dans ces vidéos d'abord pour montrer comment faire. Ce que je trouve en fait assez beau. Ça m'a étonnée au début et puis, en fait, je trouve ça très beau parce que finalement, tu te rends assez vulnérable. Donc, est-ce qu'il y a une démarche pédagogique à travers cela? 

Antoinette [00:30:40] Alors, tu as utilisé le mot vulnérable et en fait Keet, Zinn et Porteus en 2009 ont écrit un article où ils parlent d'un concept de vulnérabilité mutuelle et c'est un concept vraiment important et qui m'a vraiment inspirée pour m'introduire toujours dans chaque activité parce que souvent, ce qu'on voit dans les écoles, dans les institutions telles les universités, c'est une hiérarchie où on a le prof, on a l'enseignant, on a l'apprenant, l'enseignant, mais en se mettant à même les activités, on se révèle comme personne vulnérable et on ouvre la possibilité aux apprenants pour que eux puissent aussi se révéler un peu. Alors, il y a ça qui vraiment a été toujours une grande inspiration, ce concept de vulnérabilité mutuelle. Mais il y a aussi beaucoup de recherches qui touchent à l'enseignant et au fait que les enseignants les plus efficaces, les plus aimés sont les enseignants qui se connaissent bien eux-mêmes et qui comprennent leurs forces, leurs limites. Et en fait, il y a...Parker Palmer dans son livre qui est bien connu, le titre anglais The Courage to Teach en français, j'imagine Le courage d'enseigner qui nous dit que vraiment il faut d'abord se comprendre avant d'enseigner. Si vous permettez, je vais lire la traduction Google d'un passage du livre. Vous allez me dire si c'est vraiment...oui, merci Google. Alors Parker Palmer écrit : « L'enseignement, comme toute activité véritablement humaine, émerge de l'intériorité de chacun pour le meilleur ou pour le pire. En enseignant, je projette la condition de mon âme sur mes élèves, ma matière et notre façon d'être ensemble. Les enchevêtrements que je ressens en classe ne sont souvent ni plus ni moins que les circonvolutions de ma vie intérieure. Vu sous cet angle, l'enseignement tient un miroir à l'âme. Si je suis prêt à regarder dans ce miroir et à ne pas fuir ce que je vois, j'ai une chance d'acquérir une connaissance de moi-même et me connaître est aussi crucial pour un bon enseignement que de connaître ses élèves et sa matière ». Est-ce que la traduction était correcte? 

Emmanuelle [00:34:33] C'était très beau. C'est très fort, c'est très....oui, c'est très fort et ça dit exactement ça. L'idée que l'on doit avant tout...Ben on revient, en fait, on revient à Socrate, connais-toi toi-même. Ha! Ha! Ha! Ha! C'était peut-être le premier des enseignants. Ha ha! Ha! Ha! Gnothi seauton, mes restes de grec. Ha ha! Ha! Ha! Ha! Merci Antoinette pour cette citation. C'est vrai que c'est important de, je parlais de Socrate mais l'expression en français dit de rendre à César ce qui est à César. Moi aussi je suis très touchée par ce concept de vulnérabilité mutuelle en enseignement. Tu as visité beaucoup de classes, tu l'as dit d'ailleurs, et certaines avec moi. Et c'est un parcours absolument fascinant que j'oublierai pas de sitôt. Mais je voudrais savoir qu'est-ce qui, en général, te frappe le plus quand tu travailles avec ces classes qui ont introduit ce matériel de cartographie de soi, cette pédagogie? 

Antoinette [00:35:39] Dans ces classes, ce que je vois, c'est un enseignant qui se préoccupe de l'enfant comme personne complète et intégrale. L'enseignant se préoccupe de la vie émotive de l'apprenant, de sa vie intellectuelle, de sa vie familiale. L'enseignant reconnaît la totalité de l'apprenant et ce qu'on peut observer et puis ce qui a d'impressionnant dans ces classes, c'est de voir comment l'enseignant peut intégrer ces différents aspects de l'enfant dans le déroulement de chaque, si vous voulez, module, le thème abordé. Alors il n'y a aucun aspect qui est négligé. La grande différence entre certaines classes traditionnelles et les classes où je vois vraiment une transformation chez les apprenants, c'est le fait de ne pas simplement se concentrer sur le développement intellectuel et l'apprentissage des matières académiques, mais aussi de se concentrer sur le développement de l'enfant, comme être en famille, en communauté et puis d'être une personne complète. 

Emmanuelle [00:37:32] C'est vrai, alors on...tu soignes beaucoup les enseignants, on le sait. Tu ne vas jamais faire des recherches sans donner au moins autant que ce que tu as reçu, et tu a développé un certain nombre de guides pour pouvoir intégrer au mieux ce programme dans les classes. Où est-ce qu'on peut trouver ces ressources? 

Antoinette [00:37:58] Nous avons un site avec le titre Me Mapping, j'espère que vous allez pouvoir inclure le titre, peut-être, mais c'est sites.google.com-view-memapping. Me Mapping est le mot clé. Et là, vous allez non seulement retrouver des vidéos, en ce moment nous avons environ 40 vidéos qui durent d'environ 4 minutes à 15 minutes. Et puis, chaque vidéo inclut plusieurs mini vidéos d'enfants qui ou d'apprenants plus...un petit peu plus vieux. Les apprenants sont entre l'âge de 5 ans et 19 ans et on peut voir ce qui se passe dans leur vie en visionnant les vidéos. Il y a aussi plusieurs guides. Si vous êtes enseignant, vous allez pouvoir retrouver tous les éléments requis pour en fait faire les différents genres d'ateliers proposés pour faire la cartographie des élèves. Si vous êtes en formation des enseignants et vous vous intéressez à la cartographie de soi, nous avons aussi développé des guides pour vous, pour travailler avec les stagiaires qui se préparent à l'enseignement à l'élémentaire ou au secondaire. En fait, je dois dire que je suis très, très contente de voir la réaction de nos stagiaires à l'Université de Toronto qui ont eu la chance de d'eux-mêmes explorer ce que c'est la cartographie de soi et de rencontrer nos 40 participants qui se révèlent par leurs vidéos. C'est vraiment touchant d'entendre les stagiaires nous dire que en rencontrant ces jeunes, qu'ils comprennent maintenant le danger de certaines de certains termes qui nous limitent vraiment dans nos perceptions. Alors quand on dit « Oh ça, c'est un apprenant d'anglais langue seconde ou c'est un enfant issu de l'immigration », c'est très, très limité comme marqueur d'identité. Alors, je vous encourage d'aller explorer les ressources, les vidéos et les guides au site Google Me Mapping. 

Emmanuelle [00:41:16] Alors, ce sera...on va le poster sur...en dessous du podcast sur notre propre site du CREFO. Ça c'est certain. Mais Antoinette, si tu pouvais rêver d'un système éducatif idéal, à quoi est-ce qu'il ressemblerait?

Antoinette [00:41:33] J'ai un peu réfléchi à ça. J'imagine une école un peu plus dynamique que les écoles traditionnelles, en ce sens que les enfants, plutôt que de passer leurs journées toujours dans un même groupe en termes de l'âge de leurs pairs, j'aimerais voir des groupements, des fois, qui permettent aux élèves de travailler avec au moins des jeunes d'âges différents. C'est une école où je vois non seulement beaucoup de couleurs et de formes artistiques, mais je vois beaucoup de langues. J'entends beaucoup de langues. Il y a une infusion de multimédia et d'art, mais à la base, c'est une pédagogie par découverte que je vois ou que j'imagine. Alors ce sont des activités d'exploration qui sont...qui ont comme point de départ des questions robustes qui proviennent des enfants, des ados, plutôt qu'un curriculum imposé par la province ou le système et voilà. 

Emmanuelle [00:43:26] Ce que je trouve extraordinaire a t'entendre, Antoinette, c'est que on a l'impression qu'avec les années, l'enthousiasme, au lieu de se tasser, au contraire s'est développé, que tu es toujours plus enthousiaste que tu as toujours plus d'idées pour l'éducation et que tu le regardes avec des promesses d'avenir et je trouve ça merveilleux. On a besoin de ça. On a besoin de gens enthousiastes qui ont des idées et qui remotivent le personnel éducatif qui fait un travail merveilleux dans l'enseignement, c'est important de le dire. La dernière question que je voudrais te poser, c'est...je sais qu'on écrit un livre ensemble, il faut...il faut donner l'eau à la bouche de nos auditeurs. Mais s'il y avait un ou deux articles qui pourraient nous aider à mieux comprendre ton travail. Lesquels tu nous conseillerais, Antoinette? 

Antoinette [00:44:20] Il y a un article que j'ai écrit il y a déjà plusieurs années avec un collègue qui, à l'époque, était directeur d'école. C'est un article qui a paru en 2015 dans Intercultural Education avec Chanicka et c'est une description de l'école Aldergrove. Et le titre, c'est Our journey at Aldergrove Public School - Social Justice Praxis in one Canadian Elementary School. Parce que...alors cet article nous donne l'idée de ce qui est possible dans une école élémentaire où on se concentre sur non seulement la justice sociale, mais sur l'enfant. Et puis peut-être un autre article écrit récemment avec deux collègues Valencia et Herath. Je vais vous donner les éléments spécifiques. Le titre, c'est Unpacking Professional Identity. The Use of Multimodal Identity Texts in Teacher Education. Ça nous montre comment, dans cet article, on peut et on doit faire la cartographie de soi avec les futurs enseignants. Et puis, cet article nous propose certaines pistes pour faire ça dans le cadre de la formation des enseignants. 

Emmanuelle [00:46:13] Merci beaucoup, Antoinette, tu nous as rappelés à l'ordre pour que nous remettions au cœur de notre enseignement nos apprenants, sans oublier nos forces, nos faiblesses. Et puis de savoir mettre en avant ce dont les apprenants sont fiers. Voilà, ça sera peut-être le mot de la fin. A moins que tu veuilles proposer un mot de la fin? 

Antoinette [00:46:38] Non, ça m'a bien fait plaisir d'être ici avec toi aujourd'hui. Et puis oui, je suis très enthousiaste parce qu'après plus de 40 ans dans la salle de classe, je vois que finalement nous sommes peut-être arrivés à un moment où une réelle transformation est possible dans nos écoles élémentaires, secondaires et puis dans nos universités. 

Emmanuelle [00:47:09] Extraordinaire parce qu'on a commencé le podcast en disant pas de changement depuis 40 ans et on termine en disant si on évolue, c'est merveilleux. Merci Antoinette! Et à nos auditeurs au plaisir!

Joey [00:47:23] Saviez-vous que vous pouvez compléter une maîtrise en éducation à temps partiel à l'Université de Toronto entièrement en français? Pour avoir plus de détails, contactez-nous par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.