Quoi de neuf ?

Entretien avec Nathalie Auger

April 06, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 4
Quoi de neuf ?
Entretien avec Nathalie Auger
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Nathalie Auger, professeure des universités à l'Université Paul-Valéry Montpellier 3



Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO rencontre Nathalie Auger, professeure des universités à l'université Paul-Valéry Montpellier 3. 

Nathalie [00:00:08] Nos élèves, justement, ils peuvent nous apprendre quelque chose en tant qu'enseignant et donc essayer de se laisser bouleverser, j'ai envie de dire, par le fait d'être co-construit aussi et d'être grandi par nos propres élèves ou nos propres étudiants. 

Joey [00:00:21] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:40] Bonjour! Dans cette nouvelle saison des balados du CREFO, nous nous intéressons plus particulièrement aux pratiques pédagogiques dites inclusives et aujourd'hui, j'ai le grand honneur de recevoir la professeure Nathalie Auger de l'université Paul-Valéry Montpellier 3 en France. Bonjour Nathalie! 

Nathalie [00:00:59] Bonjour Emmanuelle. 

Emmanuelle [00:01:01] Alors il est quelle heure en France là? 

Nathalie [00:01:03] 16 heures 18!

Emmanuelle [00:01:04] Oh, tu as de la chance, t'es presque en weekend. Donc, Nathalie Auger, elle est professeure de sciences du langage et membre du laboratoire LHUMAIN. Ce qui signifie langage, humanité, médiation, apprentissage et interactions numériques. Quel programme! Ses travaux de recherche portent principalement sur le français enseigné en tant que langue étrangère ou langue seconde, la didactique en contexte plurilingue et, bien entendu, la communication interculturelle. Nathalie a sorti il y a seize ans déjà, une vidéo accompagnée d'un livret pédagogique qui a fait beaucoup de bruit en France, mais aussi à l'extérieur de la France, et qui continue d'aider beaucoup d'enseignants et de chercheurs. Et ce livret, cette vidéo s'appelait Comparons nos langues. Vous trouverez des extraits, par exemple, sur YouTube. Passionnant. Je pense que la force de ce travail est qu'il est accompagné justement de films, de vidéos qui permettent de comprendre comment ces pratiques inclusives plurilingues peuvent être mises en place dans la classe sans que ça coûte de l'argent. C'est souvent une question qui nous est posée, mais combien ça coûte? Eh bien rien du tout. Sauf que l'enseignant parle ces langues, encore une question qui nous est posée, mais en montrant que la seule condition est que l'enseignant accepte de sortir de sa zone de confort en accueillant l'expertise des enfants et de leur famille en ce qui concerne leur langue et leur culture, ce que nous appelons, nous, dans notre jargon, leur fond de connaissance. Alors, Nathalie, nous nous sommes rencontrées en 2016. A l'époque, je donnais une conférence plénière à Bordeaux et tu m'as invitée à venir l'année suivante travailler avec toi et donner quelques cours à tes étudiants, ce qui nous a permis aussi, accessoirement, d'écrire un livre ensemble qui va bientôt sortir, je pense que tu en parleras plus tard et à la suite de cela, j'ai écrit un projet de recherche dans lequel je t'ai embarquée, ainsi que ton équipe. Et nous travaillons donc ensemble pour comprendre comment le numérique peut nous aider à faire enfin la révolution éducative que l'on attend depuis si longtemps, et en particulier dans la perspective de l'inclusion des enfants, des étudiants qui parlent plusieurs langues et qui sont souvent en apprentissage de la langue de l'école. Alors, tu as beaucoup écrit Nathalie et tu nous en parleras tout à l'heure sur les questions de diversité en éducation et les expériences des élèves et des enseignants, ainsi que des familles. Nathalie, merci d'avoir accepté mon invitation. 

Nathalie [00:03:57] Merci vous surtout à toi, Emmanuelle et à toute l'équipe du CREFO, Joey et Valérie également. 

Emmanuelle [00:04:04] Alors d'abord, je voudrais te poser la question. Qu'est-ce qui, dans ta vie personnelle, a orienté ta recherche vers les questions de migration et de mobilité? 

Nathalie [00:04:16] C'est une question biographique, ça renvoie d'ailleurs au prochain livre aussi, qui est un titre provisoire pour le moment Multilingualism and Education. Researchers' Pathways and Perspectives. Et dans ce livre, l'idée c'est de partir de la biographie des chercheurs qui s'intéressent à ces questions de plurilinguisme, de diversité et de voir, au travers de leur parcours, comment ils ont conceptualisé un certain nombre de notions. Quelles sont les pratiques qu'ils ont proposées dans leur formation à des enseignants, par exemple. Donc, en fait, si je m'interroge sur ma propre biographie, effectivement, j'ai grandi dans un quartier plurilingue dans l'Est parisien où, effectivement, quand j'ai retrouvé ma photo de classe, notamment pour ce livre pour lequel j'ai fait ma biographie, je me suis rendu compte qu'il y avait énormément de langues dans notre école de la République des années 80 qui taisait toutes ces langues de la migration alors que finalement, dans ma classe, il y avait du vietnamien, du créole, de l'arabe. Il y avait également du portugais, de l'espagnol, et ce n'était pas du tout quelque chose, c'était quelque chose que l'on vivait de façon courante, mais ce n'était pas du tout quelque chose qui était inclus dans l'école. Donc moi, ça, ça m'a toujours questionnée. Je me rendais compte aussi qu'il y avait des enfants qui étaient beaucoup plus âgés que moi, qui étaient dans ma classe avec moi parce qu'ils arrivaient d'un nouveau pays avec une autre langue et qu'il n'y avait pas vraiment d'adaptation. Et pour eux, c'était un petit peu difficile, effectivement, d'être inclus, de communiquer. Donc, je pense que ça m'a beaucoup, ça m'a beaucoup marquée à l'époque. Ça m'a beaucoup marquée aussi, ça je l'ai raconté également dans notre ouvrage, quand on est arrivé au collège et qu'on nous demandait de choisir des langues vivantes étrangères, que ces langues vivantes étrangères, notamment quand c'était un enseignement dit bilingue qui nous était proposé avec beaucoup, beaucoup d'heures de langue, sept heures par semaine, en anglais, en russe ou en allemand. Ces classes étaient surtout proposées à des élèves de l'élite, et pas forcément à ces élèves migrants qui, déjà, connaissaient plusieurs langues. J'étais un peu étonnée de tout ça. Je pense qu'à l'époque, évidemment, j'en avais pas conscience comme actuellement. Mais ça m'a fortement marquée et c'est la raison pour laquelle je me suis vraiment intéressée à ces questions, notamment aussi quand j'ai commencé à enseigner le français langue étrangère, j'ai travaillé avec des publics de réfugiés politiques asiatiques. Ça, ça a été vraiment les premiers publics avec lesquels j'ai travaillé sur Paris. Donc j'ai continué à m'intéresser à ces questions, notamment aussi parce que j'ai travaillé dans des associations ou des écoles où, finalement, on valorisait pas du tout tout le fond de connaissance dont tu as parlé de ces publics où on disait oh bon est-ce qu'ils sont alphabétisés, oui, non. Mais ça ne semblait pas vraiment d'un intérêt important pour la pédagogie qu'on essayait de développer. Et ça, ça m'a beaucoup aussi touchée. Je trouvais qu'on imposait énormément de pratiques à partir de manuels ou à partir de méthodes qui étaient existantes, mais qui n'étaient pas forcément adaptées au public et qui étaient très universalisantes finalement. Mais une mauvaise, pour moi, une mauvaise adaptation du concept d'universalité. Donc, c'est vraiment l'inverse de ce que j'ai essayé de faire dans tout mon travail depuis presque vingt ans. D'abord parce que j'ai fait une thèse sur les stéréotypes et l'interculturel. Donc, ça m'a toujours touchée la question des stéréotypes et ces questions d'interculturalité qui sont au cœur des problématiques que je viens d'évoquer. Voilà ce qui m'a vraiment intéressée. Après, c'était au contraire de faire la bascule inverse et de m'intéresser aux potentiels et à toutes les ressources qu'avaient les apprenants pour justement partir de là et construire et pas arriver avec une méthode toute faite. 

Emmanuelle [00:08:01] Construire, c'est merveilleux. Alors si je me souviens bien, ton parcours scientifique a commencé en Afrique. Est-ce que c'est vrai? Tu m'en as pas du tout parlé, là. Moi ça m'intéresse parce que je suis...j'ai été très en fait...on dirait que ma vision du plurilinguisme a été bouleversée par mes séjours en Amérique du Sud, en particulier au Suriname. Donc, je me demande si tu as eu un petit peu la même expérience. 

Nathalie [00:08:25] Oui, alors j'ai eu une expérience au Nigeria qui était pas très longue, de quelques mois où en fait on m'avait demandé de collaborer à l'édition d'un manuel de français langue étrangère parce qu'à l'époque, le président en place avait décrété que le français allait être la troisième langue officielle du pays, tout simplement pour des questions politiques. Pour pouvoir rentrer dans toutes les organisations francophones, alors qu'à l'époque, dans les années 90, le Nigeria avait du mal à se faire accepter dans divers...différentes organisations internationales. Et donc, c'était très drôle d'ailleurs, parce que le président nous avait dit « Oh ben si vous avez beaucoup de chômage en France, vous avez qu'à envoyer les gens qui n'ont pas de travail au Nigeria. Et puis ils enseigneront le français langue étrangère ». Donc, en réalité, je me suis retrouvée dans cette situation que j'ai trouvée assez abracadabrantesque. Et surtout, ce qui m'a marquée c'est le plurilinguisme du Nigeria, c'est-à-dire que les gens, sans être allés beaucoup à l'école, parlaient facilement quatre ou cinq langues, donc le pidgin English, le igbo, le yoruba, le haoussa, etc. plus des fois l'anglais standard pour certains qui étaient...qui avaient été scolarisés plus longtemps. Et puis, vraiment, quelque chose qui m'a beaucoup, beaucoup frappée, c'est que moi, j'ai essayé d'apprendre le yoruba en étant sur place. Il n'y avait pas de grammaire, pas de dictionnaire. Donc je disais aux gens comment je peux faire pour apprendre la langue. Ils me disaient « mais tu veux apprendre la langue ben tu parles ». Alors que j'ai essayé de parler avec eux, ils me disaient alors je leur posais tout un tas de questions, des questions métalangagières, ben voilà ça c'est aussi notre formation, c'est drôle de voir combien on a été aussi... 

Emmanuelle [00:10:03] Grammaire, syntaxe, morphologie, voilà oui. 

Nathalie [00:10:05] Exactement.... Quelque part déformé par le système. Donc ça, ca m'a beaucoup intéressée aussi pour rejoindre la question de l'acquisition et de la didactique. Ça c'est quelque chose qu'on travaille beaucoup aussi au laboratoire LHUMAIN, c'est-à-dire les conditions naturelles d'apprentissage par rapport aux conditions de la classe et d'essayer de faire un lien entre tout ça. Parce que oui, le cerveau est pas divisé en deux parties quand j'apprends naturellement ou quand je pratique naturellement en dehors de la classe et puis dans la classe. Donc, je leur disais mais...mais là, qu'est-ce que tu fais avec le verbe? Tu le conjugues, et ils me disaient « Mais quoi verbe? Quoi conjuguer? Tu veux parler? Tu parles ». Donc ça m'a beaucoup intéressée parce que je veux dire grâce à eux, grâce à ces remarques, j'ai vraiment pris les choses d'une manière très, très différente aussi après, à la fois dans les recherches et dans la formation de formateurs que j'ai pu faire pour vraiment tenir compte de toutes ces expériences et puis de pas stigmatiser les gens. Je veux dire, c'est des gens qui sont plurilingues, qui connaissent déjà cinq langues. Et moi, ça me...c'est vrai que je trouve ça un peu, un peu des fois dramatiques de voir que tous ces potentiels ils sont...ils ne sont pas forcément toujours stigmatisés dans les écoles, mais sont souvent ignorés ou oubliés ou mis de côté. Et c'est vraiment dommage. 

Emmanuelle [00:11:15] Parce que c'est tout simplement par ignorance, parce qu'on ne sait pas quoi faire avec. Alors Nathalie, maintenant tu es à Montpellier. Tu es très engagée dans un certain nombre de projets et avec tout ce que tu viens de nous raconter, ton travail sur les concepts d'éducation, de migration, de langue, de didactique des langues étrangères et secondes en contexte plurilingue. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu, concrètement, c'est quoi tes projets? Qu'est-ce que tu fais? Alors peut-être tu peux en choisir un ou deux et puis exemplifier. 

Nathalie [00:11:44] Alors en fait, je fais toujours la même chose dans mes projets, c'est-à-dire que c'est exactement ce que je viens de vous expliquer. Mais je travaille avec des populations différentes, c'est-à-dire que je pars vraiment des expériences langagières des publics. Donc, c'est la raison pour laquelle j'ai travaillé d'abord avec des...donc Comparons nos langues c'était avec des publics migrants dans des classes qui les accueillaient. Mais j'ai vraiment eu à cœur de pouvoir développer cette approche dans les classes ordinaires parce que c'est très important aussi pour les élèves francophones de pouvoir justement avoir une meilleure compétence métalinguistique en écoutant d'autres langues et en voyant les élèves de leur classe comparer avec leur propre langue et eux mêmes peut-être aussi des langues vivantes qu'ils apprennent dans leur école ou dans leur collège ou lycée. Donc, c'est très important pour moi. Et bien entendu, après, j'ai fait différents projets qui valorisaient les langues familiales. Donc j'ai travaillé avec les publics très, très stigmatisés de la ville de Perpignan, donc les familles gitanes, justement, pour revaloriser cette langue, le gitan qui n'est pas une langue qui est répertoriée linguistiquement. 

Emmanuelle [00:12:55] Alors Nathalie, tu dis le gitan ou bien les familles gitanes est-ce que il faudrait pas dire les familles roms? 

 Nathalie [00:13:01] Alors c'est différent. J'ai travaillé avec les familles, les familles gitanes, donc c'est des familles qui sont, qui sont françaises, qui sont sédentarisées depuis le 20ème siècle, donc essentiellement après la Deuxième Guerre mondiale dans le sud de la France. Parce qu'en fait, ils travaillaient sur les deux bords des Pyrénées, en Espagne et puis en France. Ils ont beaucoup aidé la communauté juive à passer en Espagne, justement pendant la guerre, et ensuite, ils se sont sédentarisés dans la région, et notamment à Perpignan. Mais par contre, ils sont assez stigmatisés de par leur parler, parce qu'en fait, ils ont une...alors ils disent qu'ils parlent gitan. Nous, on a vraiment analysé linguistiquement cette langue. Il s'agit du catalan roussillonnais qui est parlé effectivement dans cette zone. Mais par rapport à du catalan central de Barcelone effectivement, c'est une variante et donc c'est une variante qui est moins qui est moins valorisée. Après, en plus, on a remarqué qu'il y avait une prosodie, il y avait du lexique aussi calo qui donnait une singularité à la langue et qui faisait que même les Perpignanais, qui parlaient...alors surtout les personnes âgées qui parlaient le catalan roussillonnais, reconnaissaient pas forcément cette langue comme leur langue, alors même qu'il y a intercompréhension. Donc, nous, on a vraiment fait un gros gros travail pour que cette façon de parler soit reconnue et qu'elle serve d'appui, c'est une langue romane pour développer des compétences en français à l'école. 

Emmanuelle [00:14:24] Alors servir d'appui, moi, j'adore. Alors, explique-nous un petit peu ce que ça veut dire concrètement pour des enseignants, ça veut dire quoi servir d'appui?

Nathalie [00:14:32] Servir d'appui, par exemple...Bon, quand il s'agit du catalan roussillonnais pour les enfants gitans, ce qui est intéressant dans cette langue, c'est qu'il y a énormément de marques morphologiques. Par exemple, la nuit, la nit, on dit la nit, on entend le T. Donc, du coup, quand on va écrire, on va penser à la nuit que là, il faut bien mettre le T. Donc finalement, c'est un avantage de parler cette langue et c'est ça qui est intéressant pour le rapport phonie-graphie. Et puis après ces enfants-là, quand ils ont fait espagnol langue vivante, évidemment, ils avaient énormément d'atouts. Mais tout ce lien et cette reliance, si on reprend les travaux de Morin et moi, j'aime beaucoup, on peut extrapoler pour la pédagogie, il est pas fait et on oublie tout ça. Donc voilà, ça, c'est vraiment le travail que j'ai fait avec les enfants gitans. Il y a un livre qui va sortir aussi aux éditions ENS sur cette question très, très prochainement. J'ai fait la même chose également avec ma collègue Eva Smith de Newcastle et puis des collègues en Finlande et en Roumanie sur les...avec les élèves roms. Mais là, par contre, ce qu'on a fait, c'est qu'on a aussi inclus les familles. Ça, c'était nouveau pour moi.

Emmanuelle [00:15:38] C'est ça. C'est la question que je voulais te poser. Dans quelle mesure est-ce que ce travail permet d'inclure les familles, de les faire revenir finalement, de les légitimer dans l'enseignement de leurs enfants, dans l'éducation de leurs enfants? 

Nathalie [00:15:51] Moi, ça c'était...c'est vraiment une bonne question, Emmanuelle, parce que quand j'ai vraiment travaillé avec les familles gitanes, on s'est focalisé sur les familles mais surtout sur l'apprentissage des enfants à l'école. Mais quand j'ai travaillé avec les familles roms, je me suis dit là, il faudrait vraiment faire quelque chose avec les familles qui vivaient dans des squats, qui vivaient dans des situations très, très difficiles et qui étaient...ils se sentaient un peu délégitimés par rapport à l'école et pas considérés comme des parents valables. Donc, nous, ce qu'on a vraiment, ce qu'on a fait et même si les parents étaient pas capables même d'écrire en langue romani et bien de leur dire on a travaillé avec un musée des Beaux-Arts, on a analysé un certain nombre de peintures. On a décrit ces peintures. Il y avait tout un travail autour de la langue française et de la culture savante liée aux pratiques artistiques et culturelles, et on a demandé aux parents de nous aider à traduire les cartels qui décrivaient les tableaux dans les différentes langues. C'était vraiment très intéressant. Ils sont venus avec nous au musée, ils sont venus avec nous à l'école. On est allé les rencontrer aussi aussi chez eux. Ils ont vraiment embarqué dans le projet et c'était très, très intéressant de voir que certains...d'ailleurs tous, aucun n'était jamais allé au musée avant cette expérience. Et comment ils ont, ils ont adhéré, alors tous n'ont pas adhéré, tous n'ont pas pu...enfin ils sont dans des conditions aussi qui sont très fragiles. Mais ceux qui ont participé, c'était extraordinaire de voir comme ils étaient fiers. Donc, c'est quelque chose qu'on continue aujourd'hui sur un autre projet européen où là, ce n'est pas uniquement sur les langues romani, c'est vraiment sur toutes les langues qu'on a dans les salles de classe. Et effectivement, ça fait un peu la révolution aussi dans les écoles, parce que même les enseignants nous disent Bah, finalement, moi aussi je parle tout un tas de langues. Et puis j'en ai jamais forcément parlé. Donc, c'est ça, c'est vraiment intéressant. 

Emmanuelle [00:17:38] C'est ça tu me rappelles une de mes étudiantes qui m'avait présenté son CV. Puis dans son CV elle avait écrit bilingue anglais, néerlandais, français, et puis elle était slovaque. Et je lui dis bien enfin où est cette langue? Et elle m'a dit « Ah? Tu penses que c'est important que je l'ajoute?» Donc voilà cette... l'idée en fait c'est vraiment une idée qui est ancrée très profond dans ces familles aussi, il faut le dire, que leur langue n'est pas importante, qu'elle ne vaut rien, qu'elle ne sert à rien, qu'elle n'est pas écrite, qu'elle est... Donc tu montres vraiment...tu montres vraiment l'inverse. Le reproche qu'on fait souvent à ces projets, c'est que c'est des projets qui peuvent certains, quand ils ont du succès, avoir un effet merveilleux mais on les appelle aussi des projets champignons parce que pendant la durée du projet, ça marche. Et puis voilà, dès que le projet s'arrête, c'est fini. Alors quel est...nous, on essaye ensemble de travailler à plus de durabilité de nos projets. Qu'est-ce que tu en penses par rapport à ces projets que tu as fait, ces familles, etc. Comment tu vois le long terme? 

Nathalie [00:18:48] Moi, je crois à la gestalt quelque part, c'est à dire qu'on lance quelque chose et puis de toute façon, on va avoir un effet à un moment donné. Par exemple, sur ces familles roms, on a une famille qui est repartie en Roumanie à la fin du projet, puis qu'on a pas revue pendant 4-5 ans. Et là, et donc, les enfants n'ont pas pu être scolarisés en Roumanie parce que c'est très compliqué, il y a une grosse phase de déscolarisation. Là, ils sont revenus au collège. Le jeune était à l'école primaire quand on a fait le projet et en fait, il est hyper motivé, il se souvient du projet, etc. On se rend compte qu'il y a eu un impact énorme en réalité. Alors ça c'est vraiment intéressant pour nous. Après, il y a tout ce côté, effectivement, de travailler sur le terrain avec les enseignants, etc. parce qu'on co-construit avec les enseignants, on fait pas ça tout seuls nous, les chercheurs, dans notre coin. Mais évidemment, il y a tout le côté aussi de disséminer auprès de nos ministères, auprès d'institutions. Nous, on est en France, donc en Europe, Conseil de l'Europe, Commission européenne pour faire en sorte que les choses se rejoignent à un moment donné et que ce soit pas effectivement quelques fleurs qui poussent çà et là. Que ce soit pas des programmes aussi, qui peuvent être très intéressants, qui sont descendants, mais que ça finisse par se rejoindre. Et puis, que ça soit aussi visible dans nos formations et donc moi, évidemment, je travaille à l'université et la formation des enseignants de classes ordinaires se fait dans les facultés d'éducation. Donc on est un petit peu séparés. Mais on a des projets de recherche conjoints avec les formateurs, avec les chercheurs qui sont dans ces facultés. On essaye de monter des programmes ensemble. Je pense que les choses bougent et honnêtement, en 20 ans que je travaille sur ces problématiques, j'ai vu les choses avancer. Peut-être pas aussi vite que ce qu'on voudrait, mais quand même, il y a énormément de choses. 

Emmanuelle [00:20:30] C'est merveilleux de dire ça parce qu'en fait très souvent on s'aperçoit que les enseignants, les écoles, enfin voilà...les ministères mêmes ont peur de la recherche. Ils pensent qu'ils vont être évalués. Ils ont peur de nous, ils ont pas envie de nous inclure et en fait ce que tu montres et ce qu'on essaye de faire, c'est que c'est pas du tout ça. C'est un vrai partenariat. Ensemble, on va essayer de trouver les meilleures pratiques, les meilleurs, etc. pour pouvoir améliorer l'éducation. Est-ce que tu as des retours des enseignants avec lesquels tu as travaillé? Est-ce que tu te retrouves à travailler souvent avec les mêmes, par exemple, où... 

Nathalie [00:21:04] Il y a des enseignants effectivement qui sont complètement convaincus par les projets et qui continuent de travailler avec nous, donc sur le long terme. Il y a d'autres enseignants aussi qui trouvent que c'est trop dur parce que effectivement, c'est demandeur et puis ça demande complètement de changer de perspective, ce que tu expliquais au début, c'est à dire laisser laisser l'expertise à l'élève, accepter de sortir de sa zone de confort. Donc, il y a des enseignants qui sont prêts à ça. Il y a des enseignants pour qui c'est trop compliqué. Alors il y a peut-être d'autres d'autres moyens d'y parvenir. Je pense que des formations, ce serait très important pour sensibiliser les enseignants autour justement, des biographies langagières autour d'un autre projet qui est porté par notre labo et le rectorat de Montpellier, qui s'appelle Ces élèves qui nous élèvent ou comment nos élèves, justement, ils peuvent nous apprendre quelque chose en tant que en tant qu'enseignant et donc essayer de se laisser bouleverser, j'ai envie de dire par le fait d'être co-construit aussi et d'être grandi par nos propres élèves ou nos propres étudiants. Donc ça c'est une posture qui est pas facile à développer ou à conscientiser des fois quand on est enseignant. Mais je pense qu'il y a des nouveaux chemins qui prennent vie et c'est intéressant de voir que il y a quand même de plus en plus d'enseignants et de formateurs qui s'intéressent à ça. En tout cas, les générations de nos étudiants moi, je trouve qu'ils sont très, très avancés sur les questions de la diversité, voilà qu'ils trouvent assez banal. Alors que nous finalement, voilà on fait déjà office de dinosaure par rapport à ces questions, parce que on a vécu autre chose, finalement. Mais attention, attention quand même à un point important, c'est que dans les écoles, effectivement, maintenant, il y a une attention au multilinguisme, à la diversité, etc. Mais chaque fois, ce qu'on propose, c'est des dispositifs pour différencier, faire de la différenciation. Alors, je trouve que la différenciation, c'est bien. Mais si c'est finalement reproposer des dispositifs qui mettent à l'écart un certain nombre d'élèves pour telle ou telle raison, on n'est plus vraiment dans l'inclusion en tant que tel. Donc ça, il faut faire attention à pas glisser sur cette pente. Que la différenciation elle se fasse en classe ordinaire et pas dans des.. nous, en France, on dit les UPE2A donc c'est les classes qui accueillent les élèves allophones ou dans d'autres dispositifs. Donc ça, faisons attention. 

Emmanuelle [00:23:28] Tout à fait. Donc on est vraiment...enfin on a fait le passage déjà, mais on est en train de faire cette implémentation je dirais du passage de l'intégration à l'inclusion, c'est-à-dire des pratiques qui s'adressent à toute la classe, à tous les élèves parce que on a tous besoin d'être inclus, y compris les enseignants, y compris les familles, y compris le directeur, y compris les chercheurs. Voilà, on a tous un besoin d'inclusion, soyons clairs là-dessus. Je voudrais te poser une question qui est plus parce que tu as dit plusieurs fois on est en France. Oui, vous êtes en France. Moi, je suis en Ontario et je suis sûre que on nous écoute ici, en Ontario, au Canada, etc. Ce qui veut dire que on vit dans un milieu où le français est minoritaire et je dirais même minorisé. Qu'est-ce que tu répondrais à quelqu'un qui te dirait « Oui, les stratégies plurilingues c'est super, mais ça marche en milieu majoritaire, mais pas en milieu minoritaire ». 

Nathalie [00:24:26] Alors moi, je m'inscris en faux par rapport à cette affirmation. J'ai déjà deux projets qui peuvent le montrer. Il y a le très beau projet en Irlande de David Little et Deirdre qui montre que en Irlande, finalement, le fait d'avoir considéré le plurilinguisme des élèves, ça a permis de revivifier la langue, la langue locale en Irlande, qui, généralement, n'était pas forcément une langue qui était beaucoup pratiquée par les élèves. Ça, c'est vraiment vraiment très, très intéressant. Après, il y a un autre projet qu'on a mené avec Carole Fleuret de l'Université d'Ottawa sur justement le fait de comparer en milieu majoritaire en France et à Montpellier en particulier, et en milieu minoritaire à Ottawa, un milieu francophone, justement, des classes multilingues où on introduisait la littérature de jeunesse avec des perspectives interculturelles et plurilingues. Et on s'est aperçu que finalement, c'était au bénéfice du français parce que les élèves étaient plus actifs, ils étaient plus motivés et donc le fait de les accepter tels que avec leur expertise et de mobiliser tout leur fond de connaissances, ça leur permettait de développer de meilleures compétences en français. Donc, finalement, on a cette idée qui est assez binaire de se dire bon quand on apprend une langue ou quand on autorise un certain nombre de langues, du coup ça va être au détriment d'autres langues. Un peu quand il y a...la même chose, quand il y a un nouvel enfant qui arrive dans une fratrie, on va dire Ah voilà ça, ça va couper l'amour des parents en morceaux plus petits. En fait, c'est pas du tout le cas, c'est-à-dire que ça se potentialise en réalité. Donc c'est très important de comprendre ça. Après, faut pas non plus être naïf ou idéaliste, c'est-à-dire que ça dépend comment c'est fait. Il faut être très, très soucieux des pratiques pédagogiques et effectivement, il faut accompagner les enseignants dans ces démarches. Mais il y a des choses très, très simples qu'on peut faire, si tu parlais de pratique, tout simplement de demander aux élèves dans les langues que vous connaissez comment on dit. Et puis, justement, ça nous permet de mieux comprendre comment ça se passe en français. C'est Goethe qui disait « Je ne parle pas ma langue et je ne comprends pas ma langue si je ne parle pas d'autres langues ». Donc, je pense que c'est exactement la situation dans laquelle on est. 

Emmanuelle [00:26:51] Cette conscience métalinguistique dont on aime tellement parler. Alors Nathalie, tu participes à notre projet ESCAPE, Enseigner les sciences aux élèves plurilingues avec des enseignants de sciences et de math et avec l'application Binogi. Alors tout ce que tu viens de dire, dans ce projet, on l'a transposé aux sciences et aux mathématiques. On a l'habitude de dire on a l'habitude de penser très naïvement que les sciences et les mathématiques sont moins concernées par les problématiques de langue. Et en fait, on s'aperçoit que ce n'est pas du tout le cas...et de culture, d'ailleurs. Je voudrais savoir qu'est-ce qui t'a amenée à accepter de participer à ce projet? Et quelles sont tes impressions? Parce qu'on s'est lancé là dedans en pleine pandémie. Pour nous, c'était une surprise. C'est important de dire que ce projet on l'a lancé avant la pandémie et il s'agit de littératie digitale en ligne avec des ordinateurs, etc. Puis la pandémie arrive. Et puis, on doit lancer notre projet dans ces conditions-là. Alors parle-moi un petit peu de ta perspective là-dessus. 

Nathalie [00:27:57] Déjà, c'était le plaisir de travailler avec vous parce que effectivement, on travaille beaucoup avec des perspectives qui sont proches. Et d'ailleurs, je voudrais dire ici que toutes les deux, on va sortir un livre qui s'appelle Richesses et défis des classes multilingues. Construire des ponts entre les cultures où on est parties de toutes les questions qu'ont pu nous poser les enseignants, les élèves et puis leurs parents depuis de nombreuses années où on fait nos travaux de recherche et qu'à partir de là, on a construit ce livre justement en prenant en compte les situations majoritaires, les questions minoritaires, mais en montrant qu'il y a un continuum commun et que finalement, cette question du multilinguisme elle peut être traitée avec des paramètres qui sont variables, certes, mais avec aussi des invariants. Donc voilà, j'espère que on pourra en reparler à d'autres occasions, mais en tout cas, on est très contentes d'avoir fait ce livre. Donc oui, on a des perspectives qui sont communes et ce que j'aime beaucoup dans Binogi, c'est que on sort de la classe de français parce que moi j'ai beaucoup travaillé avec les professeurs de français ou les professeurs des classes qui accueillent en particulier les élèves allophones. Mais je trouve que les professeurs de sciences sont évidemment des professeurs de premier plan pour pouvoir travailler aussi sur ces approches plurilingues. C'est ça qui m'a plu. Après, il y a tout le côté numérique alors en plus avec la question de la pandémie ça ne se pose plus. Bien sûr, c'est une chance folle de pouvoir avoir des notions scientifiques qui sont expliquées par des vidéos multilingues qui permettent justement aux élèves de ne pas attendre d'avoir une compétence suffisante en français pour pouvoir développer des compétences dans les contenus scientifiques qui sont attendus dans leur classe d'âge. Ce qui m'a beaucoup plu aussi, ça, je pense qu'on aura l'occasion aussi de le tester, c'est qu'on peut aussi inclure les parents. Il y a des parents aussi, qui savent pas forcément lire et écrire et qui peuvent regarder les vidéos chez eux, donc sur le téléphone, par exemple, de façon assez simple. Donc voilà ça, ça me paraît majeur. 

Emmanuelle [00:30:05] Oui, effectivement, effectivement, moi j'ai eu des parents je me souviens il y a deux ans, quand on a fait notre projet pilote, une maman qui m'a dit « Mais moi, je vais faire à la maison comme ça je vais me mettre au niveau, moi aussi ».

Nathalie [00:30:18] Bien sûr, c'est un peu...enfin quand nous on avait travaillé sur ROMtels ou sur les familles gitanes et qu'on avait inclus les parents, bien entendu ça a tellement d'impact. Donc ça, c'est très important parce que les parents, c'est ce qu'on montre aussi dans notre livre toutes les deux, c'est que les parents ont toujours envie d'aider leurs enfants. Simplement après, ils n'ont pas forcément toutes les clés pour le faire. Donc à nous de leur proposer aussi des clés qui fonctionnent.

Emmanuelle [00:30:48] Oui, pour toi, Nathalie, je sais que nous, on a un regard un peu particulier sur l'enseignement, mais pour toi, quel est l'impact de la pandémie sur l'enseignement avec...pour les populations avec lesquelles tu travailles. 

Nathalie [00:31:03] Oui, alors l'impact de la pandémie a été très, très fort parce que je travaille sur un autre projet qui s'appelle Sirius Education et migrations, qui est un projet européen et en fait, je suis pilote pour la France pour ce projet et l'idée, c'est de travailler avec les familles, avec les associations, avec les écoles. Mais c'est vraiment le tissu associatif et c'est de développer ce qu'on appelle un territoire apprenant c'est à dire que sur un petit territoire qui comprend les associations, les écoles, les familles où elles habitent, là, on développe un territoire d'apprentissage. Montpellier Métropole a eu aussi le label UNESCO pour...comme ville apprenante autour des langues. Donc, on travaille vraiment sur ce dénominateur commun et on s'est aperçu que les familles étaient en rupture numérique pendant le confinement, donc elles ne pouvaient pas recevoir les devoirs sur Pronote quand ils sont au collège, sur l'ENT ou sur les différents dispositifs. Donc très rapidement, on a réussi à équiper un certain nombre de familles, donc grâce au projet Sirius, mais grâce aussi à l'université Paul-Valéry qui avait acheté des clés 4G pour les prêter aux étudiants pour qu'ils passent leur examen en ligne. Ensuite, on a récupéré ces clés 4G et on a pu les prêter. Donc, en ce moment, elles sont prêtées à des familles et là, on est en train de faire tout un cycle d'entretiens avec les familles pour savoir justement comment elles gèrent, entre guillemets, leur plurilinguisme avec ces applications, avec les relations avec les écoles, avec les ENT, etc. Donc, c'est vraiment passionnant et les familles sont très motivées. Elles sont déjà tellement contentes de ne plus être en fracture numérique. Mais il y a encore énormément à faire pour justement faire en sorte que ces outils numériques soient intéressants  pour les parents, pour tout ce qui est l'apprentissage des langues, l'éducation en général. Donc c'est ce qu'on est de regarder. Mais je pense que la pandémie, ça a permis vraiment de mettre le focus sur cette question-là parce que finalement, avant le numérique, il n'était pas si central. Mais n'empêche, avec le numérique comme plus value, les familles s'en sortent beaucoup mieux. Donc, finalement, c'est un point positif. 

Emmanuelle [00:33:08] Eh bé, je suis tout à fait d'accord avec toi et je trouve ça fascinant parce que je sais qu'on a entendu par divers canaux des personnes qui me disaient « Ah, les parents sont pas investis dans l'éducation de leurs enfants, ça les intéresse pas. Ils sont pas alphabétisés ». Mais en fait on se rend compte que si on leur donne les moyens d'être investis dans l'éducation de leurs enfants, ils sont hyper motivés et même peut-être plus qu'un parent lambda du pays, etc. C'est vraiment ce qui ressort de tout ton travail je trouve, et de ce que j'essaie de faire moi aussi, c'est pas toujours facile. Mais quand je t'ai appelée, je crois qu'on s'est appelées lundi parce qu'on avait une réunion et tu étais en voiture et tu revenais d'un quartier de Montpellier où tu avais passé du temps avec les familles. Donc je trouve que ça te caractérise assez parce que tu es vraiment quelqu'un qui ne ménage pas tes efforts. Tu te déplaces, tu y vas, tu vas dans les familles, tu vas dans les classes, tu vas parler, voilà, tu prends ça à coeur. Est-ce que tu peux me raconter un ou plusieurs souvenirs mémorables de tes visites, soit dans les familles, soit dans les classes, soit dans les musées? Enfin voilà, quelque chose qui t'a marquée. 

Nathalie [00:34:20] Ah je me souviens que pendant le projet ROMtels donc les enfants roms et leur langue romani est au centre du projet. Mais moi, ça me mettait un peu mal à l'aise finalement, que les autres élèves qui parlaient d'autres langues et puis les autres élèves de classes ordinaires participent pas au projet. Donc à la fin, on les a quand même mis tous ensemble puis on leur a dit « Voilà, est-ce que vous trouvez que le projet est intéressant? Est-ce que vous aimeriez aussi que vos parents viennent à l'école? ». Etc. Etc. Et ça a créé une émulation dans la salle de classe. Donc, les enfants romani ont commencé à demander aux enfants arabophones comment on disait leur prénom en arabe et comment on devait les écrire, etc. Etc. Ils voulaient inviter leurs parents. C'était vraiment extraordinaire. Donc, on s'est vraiment rendu compte que ces projets, ils sont vraiment au bénéfice de tous. Moi, je trouve que s'intéresser à des publics qui sont finalement considérés à la marge avec leurs questions de plurilinguisme, c'est vraiment au bénéfice de tous les élèves, donc, qui vivent dans ce monde de la diversité. Donc, je pense qu'on ne devrait pas séparer les choses. Et ça, je le dis souvent parce que même nous, les chercheurs, on est catégorisé des fois, voilà Mme Rom, madame gitan, parce qu'on a travaillé avec ces populations. Moi, c'est égal. Mais en fait, l'idée maîtresse, c'est que ça bénéficie à tous les élèves. Donc, c'est ça qui est....c'est ça qui est passionnant et c'est ça qu'il faut continuer à développer et à porter comme message : milieu majoritaire, milieu minoritaire. Je pense que tout ça, finalement, c'est... Évidemment il y a des cadrages contextuels qu'on ne va pas évacuer, mais il y a quand même des invariants. 

Emmanuelle [00:35:54] Oui, et tu as tout à fait raison, il faut arrêter de catégoriser en parlant d'apprenants de français langue seconde ou d'apprenants d'anglais langue seconde, etc. Mais avoir des pratiques qui finalement sont au bénéfice de toute la classe, c'est ça la pratique inclusive. C'est la pratique qui est au bénéfice de toute la classe. Merci Nathalie. Tu nous as déjà parlé de deux de tes livres, même je crois trois. Tu nous donneras les références et on les mettra sur le site du CREFO bien entendu. Mais est-ce qu'il y a peut être encore un article ou même deux que tu... qu'on pourrait lire pour mieux comprendre ton travail plus en détail pour ceux qui seraient intéressés? 

Nathalie [00:36:41] Alors, il y a un article qui est très, très court, qui a été publié sur le site de la Commission européenne Gateway Education où justement, il y a un extrait vidéo de Comparons nos langues. Et puis aussi ce schéma que j'ai fait en plusieurs étapes où, justement, j'explique que l'inclusion des élèves, c'est d'abord identifier leur langue. Parce que si on identifie pas les langues, si c'est juste à vue de nez on se dit « ah bah lui, il vient de tel ou tel pays, donc ça doit être telle langue », etc. Non, il y a vraiment des pratiques pour identifier les langues autour de la biographie langagière, autour de tout un tas de pratiques qu'on peut avoir orales, écrites pour identifier ces langues et qui soient pas que du déclaratif, mais qui soient vraiment de prendre conscience de toutes les langues, toutes les expériences qu'on a eues. J'aime bien ce schéma en sept étapes. Ça c'est la première étape. La deuxième étape c'est vraiment de pouvoir justement après utiliser ces langues comme une ressource dans la salle de classe. Donc moi, j'avais proposé Comparons nos langues, mais bien entendu, ça peut être d'utiliser la plate forme Binogi, ça peut être...voilà donc qu'importe. La deuxième étape, c'est d'utiliser ces langues comme une ressource. Ensuite, c'est vraiment d'utiliser des ressources plurilingues et pluriculturelles dans la salle de classe. Qu'est-ce que ça veut dire cette troisième étape? Ça veut dire essayer d'avoir des dictionnaires dans différentes langues, d'avoir des livres dans différentes langues, des manuels aussi, si on peut. Et ça, je trouve qu'on est pas forcément bien équipé. Il faudrait vraiment aller un petit peu plus loin. La quatrième étape, pour moi, c'est mettre en place des tutorats, toi je sais que tu parles d'ambassadeurs, je trouve c'est un très, très joli mot. Moi, je parle de tutorat réciproque, c'est-à-dire que c'est pas l'élève plurilingue qui est toujours assisté par un autre élève qui va lui traduire ou etc. mais l'élève plurilingue qui lui a plein de compétences, peut-être pas forcément que dans les langues aussi, dans d'autres domaines qu'il peut mettre à profit pour devenir tuteur d'un élève dans d'autres occasions. Donc ça, ça me semble très important, ça, cette quatrième étape. La cinquième étape, c'est vraiment de sortir de la classe, de faire des projets d'école, de faire des projets de quartier. Donc tout ce que je vous racontais sur le territoire apprenant, sortir sur le territoire. Nous à Montpellier, on a de la chance dans le projet Sirius, la Boutique d'écriture, qui est une association qui est très dynamique avec laquelle on travaille, font la fête des langues. Donc il y a tout un tas de choses qui est très intéressante. Et puis, vous verrez dans le schéma que j'appelle aussi le diamant, il y a plusieurs publications qui reprennent ça plus en détail. Et puis en plus, alors là, c'est un peu un scoop, mais à partir de ce diamant que j'ai fabriqué avec sept faces, je vais montrer des vidéos qui illustrent tout ce que je raconte. Parce que moi, j'aime beaucoup travailler aussi avec les pratiques visuelles et artistiques, je trouve que c'est assez parlant et donc je vais pouvoir l'illustrer de cette manière là. Les deux dernières étapes, c'est inclure les parents. Ça, c'est une étape très, très importante et pas que pour des projets. Et la dernière étape que toi, tu connais bien avec l'École amie des langues, c'est sensibiliser le personnel éducatif et les enseignants de toutes les matières. Ce n'est pas que l'enseignant du français ou de la langue de scolarisation qui va accueillir les enfants plurilingues, c'est vraiment toute la communauté et ce que tu disais aussi les personnels administratifs, les principaux, les directeurs d'écoles, directrices, etc. 

Emmanuelle [00:39:59] Oui, effectivement. Et puis tu parlais des associations et c'est vrai que moi, je me suis rendu compte au fil des projets, en particulier les projets que j'ai menés ici avec Antoinette Gagné, projet SAIRCY l'importance du travail énorme des organisations non gouvernementales et des associations pour soutenir justement les écoles, etc. qui s'y passait énormément de choses. Écoute, merci beaucoup. C'est vraiment merveilleux. J'ai envie de te poser une dernière question. Est-ce que si tu devais parler de personnes qui, que tu voudrais remercier ou qui ont particulièrement influencé ton propre parcours scientifique, qui tu remercierais?

Nathalie [00:40:41] Ça, c'est une question qui est difficile parce qu'il y a beaucoup, beaucoup de personnes que j'aimerais remercier. Moi, j'ai pas du tout de problème avec le fait d'avoir des maîtres ou des mentors. Je trouve que c'est l'histoire de notre discipline, alors je ne sais pas comment ça se passe au Canada, mais je sais pas si ici en France, finalement, on a cette culture de l'épistémologie, de rendre à César et de dire combien les gens nous ont influencés. Donc oui, en France, évidemment, il y a eu les grands noms avec Daniel Coste, avec Jean-Claude Beacco, avec Michel Candelier. C'est vraiment des gens qui ont fait avancer les choses. Et mon premier maître de stage, Denis Lehmann, qui est mort très, très prématurément, qui était pionnier dans l'enseignement du français sur objectifs spécifiques. Et puis après bien sûr, j'ai connu les collègues à l'étranger. Le premier qui m'a marquée au Canada, évidemment, c'est Jim Cummins. Quand j'ai fait Comparons nos langues, que je l'ai tourné en 2003, je me souviens qu'ensuite, je suis passée rapidement à Toronto, donc, je lui ai proposé la vidéo, etc. Donc, c'est comme ça que l'on a fait connaissance. Donc oui, on a des grands chercheurs et puis des chercheurs maintenant aux États-Unis, comme Garcia. Et puis tous mes collègues en Europe où là on est plus de la même génération, on continue de travailler ensemble, mais qui me marquent aussi parce que je trouve que tout ce qu'ils font, que ce soit, Sainozé, voilà aux Pays basque, les collègues en Espagne ou en Val d'Aoste, Marisa Cavalli, etc. Moi, je trouve que voilà c'est des gens qui nous ont marqués, qui nous marquent encore parce que d'ailleurs, ils sont pas complètement sortis de la scène de la recherche. Parce que quand on leur demande, ils sont toujours d'accord pour participer à des événements. Ils sont très, très modestes. Moi, j'aime beaucoup, j'aime beaucoup ces attitudes. 

Emmanuelle [00:42:30] On a reçu Marisa. Ça a été un grand plaisir de recevoir Marisa dans ce podcast. Eh ben dis-donc oui, mais tu as raison. Tu as raison de dire qu'en fait, c'est important de le dire aussi aux étudiants de dire que nos idées, elles...elles ont pas poussé comme ça tout d'un coup. Il y avait vraiment...elles ont été nourries non seulement par nos expériences, mais aussi dans nos réflexions sur les maîtres qui ont écrit avant nous, qui nous ont formés et aussi avec tous les collègues avec lesquels on travaille. On s'aperçoit vraiment qu'on peut plus travailler en isolation maintenant. On doit travailler ensemble. Merci beaucoup Nathalie, je pense qu'on a passé un très bon moment ensemble, un bon moment pour nos auditeurs, pour moi et pour tous ceux qui vont nous écouter, notamment les étudiants. Et comme on dit au Canada, au plaisir!

Nathalie [00:43:17] Au plaisir! Et merci encore pour l'invitation. 

Joey [00:43:20] Saviez-vous que vous pouvez compléter une maîtrise en éducation à temps partiel à l'Université de Toronto, entièrement en français? Pour avoir plus de détails, contactez-nous par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.