Quoi de neuf ?

Entretien avec Silvia Melo-Pfeifer

April 21, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 5
Quoi de neuf ?
Entretien avec Silvia Melo-Pfeifer
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Silvia Melo-Pfeifer, professeure à l'Université d'Hamburg

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Sylvia Melo-Pfeifer, professeure à l'Université d'Hambourg. 

Silvia [00:00:08] L'intercompréhension, c'est cette capacité vraiment à comprendre et à se faire comprendre sans avoir recours à une langue tierce.

Joey [00:00:19] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:37] Bonjour à tous. Bonjour dans ce troisième épisode de la nouvelle saison des balados du CREFO, dans laquelle nous nous intéressons aux pratiques pédagogiques dites inclusives. Aujourd'hui, je reçois quelqu'un de très particulier qui est la professeure Silvia Melo qui nous rejoint d'Allemagne. Alors, bonjour Silvia! 

Silvia [00:01:05] Bonjour Emmanuelle! 

Emmanuelle [00:01:07] Alors vous allez comprendre pourquoi je dis qu'elle est très particulière. Silvia, elle est professeure en didactique des langues romanes à l'Université de Hambourg, dans la Faculté d'éducation. Elle a commencé par faire un Ph.D. à l'Université d'Aveiro, au Portugal, qui a été suivi par un post-doc en didactique des langues étrangères et politique linguistique. Alors là, c'était une collaboration entre les universités de Grenoble, l'Institut de recherche en linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles et l'Université de Aveiro. Alors là, je vais pas dire le nom du département et me perdre dans un portugais approximatif. Et puis, à cela a suivi une période où elle a été attachée d'éducation, chef du département d'éducation à l'ambassade du Portugal à Berlin, suivi par un remplacement de la professeure Christiane Neveling à l'Université de Leipzig, et puis enfin son poste à la Faculté d'éducation de l'Université de Hambourg. Alors, vous comprenez déjà pourquoi j'ai dit particulière. Voilà, Portugal, France, et puis Allemagne. Tu as vraiment une vie qui est marquée, une vie et puis une carrière qui sont marquées par la mobilité. Tu es née au Portugal, tu as vécu dans ce pays. Qu'est-ce qui t'a poussé à partir? Ta première destination ayant été la France.

Silvia [00:02:51] C'était plutôt le thème de ma thèse. Donc quand j'ai commencé à travailler passionnément sur le thème de l'intercompréhension entre langues romanes, je me suis dit qu'il faudrait partir où l'on peut vraiment pratiquer un peu aussi le thème de la thèse et m'y plonger un peu. Puis si je peux continuer comme ça pour l'Allemagne, c'était plus tôt hélas, on arrive à un thème vraiment très universel, c'était plutôt l'amour, c'était l'amour. Et voilà pourquoi je dis que c'est un thème universel. Pendant mes cours d'espagnol en Espagne, donc j'ai fait connaissance avec Yannick que tu connais déjà, de vue du moins. Et voilà comment après lui avoir appris le portugais. Voilà, il y a des priorités. Nous vivons maintenant à Berlin voilà. 

Emmanuelle [00:03:55] Alors Yannick il est allemand?

Silvia [00:03:58] Oui, oui.

Emmanuelle [00:03:58] D'accord. Donc, voilà encore un point commun entre toi et moi, c'est l'amour qui nous a menées au-delà des frontières de notre pays natal. 

Silvia [00:04:07] Et tout ça pendant des cours de langues. Donc, voilà le rôle heureux des langues dans nos vies quotidiennes. 

Emmanuelle [00:04:17] Extraordinaire. On en parle pas du tout assez, mais c'est vrai que le langage du coeur est aussi très lié à la langue. 

Silvia [00:04:26] Oui, absolument. 

Emmanuelle [00:04:27] Alors c'est intéressant parce que on a l'impression, dans ta biographie, c'est vrai qu'on pourrait dire un peu la même chose de moi, mais c'est pas grave. Je vais te poser la question à toi que pour toi, il est aussi simple d'apprendre une nouvelle langue que de passer les frontières. Donc, est-ce que tu peux nous parler un peu de ces apprentissages? 

Silvia [00:04:49] Emmanuelle...il faut dire d'abord que mon allemand...il faudrait en parler. Si tu demandes à mes gamins comment est-ce que maman parle l'allemand, ils vont faire des visages peut-être un peu marrants parce qu'ils vont dire ben maman parle l'allemand comme une Portugaise parle l'allemand. Donc, ce n'est pas l'allemand parfait qu'on s'imagine d'une native speaker. Donc, voilà. Mais c'est vrai et ça a pris un peu de temps de me sentir bien à l'aise dans cette langue parce que je n'avais jamais imaginé de devoir apprendre l'allemand déjà pour enseigner en allemand. Donc, Emmanuelle, si tu veux savoir quelque chose d'assez particulière sur moi, c'est que je crois que je suis la seule Portugaise qui fait la didactique du français et de l'espagnol en allemand. Ça, c'est particulier donc. Il faut toujours vraiment faire un peu le voyage entre toutes ces langues dans ma vie quotidienne. Donc vraiment, je travaille avec ces cinq langues parce qu'il faut ajouter le portugais dans tout ce que je fais, dans tout ce que je pense. C'est vraiment parti de cette vie particulière, marquée par les voyages, par les apprentissages partout. Donc, c'est ce qui fait de moi, ce que je suis.

Emmanuelle [00:06:26] C'est intéressant parce que je pense qu'on retrouve dans ta personnalité les concepts que tu travailles, c'est-à-dire le multilinguisme, l'intercompréhension, l'interculturel, l'interaction multilingue, les langues d'origine. Donc une grande flexibilité et une grande fluidité qui est peut-être quelque chose que nous avons en commun nous, chercheurs, qui travaillons sur ces questions. Ce que tu veux, c'est mieux comprendre dans quelle mesure il joue un rôle dans l'éducation des élèves. Alors, est-ce que tu peux expliquer à chacun d'entre nous et aux auditeurs de ce podcast l'intercompréhension, c'est quoi? Et en particulier dans une perspective pédagogique didactique. 

Silvia [00:07:13] Ah oui, l'intercompréhension, c'est ma passion de départ. C'est la capacité que...nous pourrions même, si tu veux Emmanuelle, l'essayer en direct, je te parle en portugais, tu me répondrais en en espagnol. Maintenant, tu as l'air surprise. Donc on pourrait essayer de pratiquer l'intercompréhension comme ça en direct. Je te parlerais en portugais, tu répondrais en français parce que nos langues appartiennent à la même, à la même famille linguistique. Donc, on pourrait dire que l'intercompréhension, c'est cette capacité vraiment à comprendre et à se faire comprendre sans avoir recours à une langue tierce. Pédagogiquement aussi, nous parlons aussi d'intercompréhension comme une méthode d'enseignement apprentissage de langues de la même famille ou pas. Mais c'est vrai que le plus répandu c'est l'apprentissage d'une langue de la même famille, sur la base des connaissances qu'on a d'une autre langue, dans ce cas romane. Ou bien comme j'ai essayé de le faire, on peut essayer de comprendre et d'apprendre en même temps deux langues de façon simultanée parce qu'elles appartiennent à une langue de la même famille. Donc, j'ai fait l'expérience d'essayer d'apprendre l'espagnol et l'italien en même temps parce que j'avais ces bases magnifiques qui sont le portugais pour apprendre ces deux langues. Et comme j'avais aussi déjà des connaissances de français, je me suis dit ben on va essayer d'apprendre plus qu'une langue en même temps. Peut-être que ça va arriver. Donc, je n'ai pas développé toutes les compétences en même temps. Mais c'est vrai que j'ai des compétences réceptives, très, très, très développées dans ces langues, à travers la méthode de l'intercompréhension. Et en plus, quand tu es entraînée, tu comprends aussi un peu de roumain, tu comprends aussi un peu de catalan. Donc voilà, c'est un atout très important quand on parle de compétences réceptives, par exemple. 

Emmanuelle [00:09:31] C'est vrai. Alors moi, si je peux te parler de moi, je vais... 

Silvia [00:09:36] Tu veux essayer l'intercompréhension? 

Emmanuelle [00:09:41] Alors, j'ai vécu un an en Italie et en trois mois, je parlais couramment l'italien je pense. Je le comprends toujours, je le parle très peu maintenant. En revanche, après, je suis allée aux Pays-Bas et j'ai mis l'équivalent de deux ans pour avoir le même niveau que l'italien en trois mois. Donc, c'est clair que cette base d'intercompréhension, donc le fait que j'avais le français m'a beaucoup aidé à apprendre l'italien, m'aide aujourd'hui à comprendre l'espagnol. Alors le portugais, non je comprends rien, je vais dire la vérité. Je le comprends quand je le lis. 

Silvia [00:10:18] C'est pas vrai, c'est pas vrai. 

Emmanuelle [00:10:21] Et puis, ma grande surprise a été aussi, je me disais avec mon néerlandais je vais comprendre l'allemand. Eh ben en fait très, très limité, très limité. Grosse déception là, parce qu'en dehors de genau genau, alors peut-être un peu à l'écrit. Est ce que tu peux... 

Silvia [00:10:40] Déjà genau, c'est la moitié du vocabulaire. 

Emmanuelle [00:10:44] Alors imagine que tu aurais un élève comme moi qui arrive dans la classe. Tu fais quoi avec moi? 

Silvia [00:10:50] Tu veux apprendre quelle langue?

Emmanuelle [00:10:52] Par exemple l'allemand ou le portugais, mettons.

Silvia [00:10:54] Bon, si c'est le portugais, je vais commencer avec des mots transparents. Tu vas commencer par savoir qu'il y a par exemple deux verbes pour dit penser. Tu auras pensar qui est transparent pour quelqu'un qui parle le français et tu vas aussi apprendre le mot achar, qui est plus fréquent, mais moins transparent. Donc je vais faire, je vais commencer par les mots transparents, même s'ils ne sont pas si fréquents. Et puis, peu à peu, je vais t'introduire aux mots plus opaques, mais qui te permettent d'avoir plus de souplesse quand tu parles. Donc, on peut commencer par les zones de transparence et puis, peu à peu, évoluer vers les termes plus opaques. 

Emmanuelle [00:11:42] J'adore! J'adore parce que, en fait, je vais jamais les oublier, pensar et achar. J'ai déjà intégré. Donc ta méthode, elle marche. 

Silvia [00:11:49]  L'intercompréhension en direct. 

Emmanuelle [00:11:51] Oui, mais alors...parce que moi, je me mets dans la classe, tu vois, je me mets à la place de ces instituteurs ou ces profs et je me dis tu es capable de faire ça Silvia parce que tu parles le français couramment, tu parles le portugais couramment, tu parles...En gros, toutes les langues que je connais, tu les connais aussi. Comment pratiquer ça pour un prof qui n'a pas la connaissance de ces langues? Qu'est-ce que tu conseillerais à un prof qui reçoit des élèves avec plein de langues différentes pour apprendre la langue cible et quand même prendre appui sur une possible intercompréhension? 

Silvia [00:12:33] Ça, ça dépend un peu parce que ça dépend si nous sommes au Portugal et que les élèves ont une langue romane comme base ou si nous sommes en Espagne. Donc, ça dépend un peu du contexte. Si c'est en Allemagne...Il faut dire que la majorité des langues qu'on apprend à l'école sont des langues romanes, sauf pour l'anglais, les langues les plus présentes. C'est vrai qu'il y a aussi le polonais, il y a le russe, mais elles sont moins présentes en tant que langues étrangères. Donc la plupart des langues avec une présence significative dans le curriculum, ce sont des langues romanes, c'est le français, c'est l'espagnol, c'est le latin. Et tout ça après l'anglais, qui est la langue germanique la plus romane, avec beaucoup de mots transparents pour les langues romanes à cause de son histoire. Donc, c'est vrai qu'on a une base qui nous donne, qui nous est donnée par l'anglais, qui nous permet aussi d'accéder au vocabulaire des langues romanes. Si, en plus, un enfant avait un background migratoire, portugais ou hispanophone, disons... 

Emmanuelle [00:13:46] On en a beaucoup ici. 

Silvia [00:13:47] Voilà, c'est comme en Allemagne. Donc on peut mettre en avant ces similitudes, ces zones de transparence pour le faire entrer dans les langues, pour leur montrer qu'ils ne sont pas une table rase pour qu'ils sachent qu'ils ont déjà quelques connaissances de ces langues. Puis, en Allemagne, par exemple, avec tous les jeunes qu'on a avec un background de la Turquie, c'est vrai qu'il y a plein de zones de transparence aussi avec le français. Donc, on peut en profiter. Si c'est l'arabe, on a plein de zones de transparence aussi avec l'espagnol. Donc, il faut savoir où est-ce qu'on peut trouver chez ces zones de transparence et en profiter et surtout vouloir en profiter parce que si jamais nous sommes enfermés dans une perspective monolingue, si nous sommes trop enfermés dans une perspective qui nous dit : il ne faut que parler la langue cible en cours ou peut-être si on est tolérant l'allemand. Donc là, tu peux tout essayer, on ne va jamais y arriver parce que ça manque la motivation de l'enseignant à pousser les élèves à avoir recours aux langues qu'ils ont déjà appris, donc c'est ce va-et-vient entre vouloir faire et avoir les outils linguistiques aussi pour le faire. Ces outils linguistiques, si nous restons attentifs, ces outils, c'est les élèves qui les apportent. Donc, il faut savoir entendre. 

Emmanuelle [00:15:30] J'adore ça. J'adore, parce que toi et moi, on est à peu près de la même génération. Et la manière dont on a été formées, c'était vraiment les mots transparents, ce sont des mots qui vont induire à l'erreur. Tu te souviens de ça. Ils vont se tromper parce que c'est presque pareil, mais ce n'est pas la même chose. Et là, c'est complètement un renversement de positionnement par rapport à justement l'enseignement, donc la didactique de ces langues. 

Silvia [00:16:01] Mais Emmanuelle, c'est vraiment cette peur des faux-amis. Et je dis toujours ces faux-amis ce sont nos meilleurs amis. À chaque fois que je dis une bêtise en allemand à cause d'un faux-ami, je n'oublie jamais la bêtise et j'apprends du vocabulaire. Donc tu vois, je crois que ces faux-amis devraient devenir, mais vraiment nos meilleurs amis. Ils nous aident à surmonter avec humeur, avec détresse, des situations qui sont parfois vraiment inimaginables en dehors de ce plurilinguisme. 

Emmanuelle [00:16:35] Alors moi, j'adore ta démarche et tu sais que je travaille....et puis d'ailleurs, on va s'y mettre ensemble, sur justement non seulement l'apprentissage des langues et en particulier de la langue seconde dans mon cas, mais aussi des maths et des sciences. Donc, quand on t'écoute on se dit « ah tout ça, c'est bon pour un prof de langue », mais moi, il me semble que c'est quelque chose de beaucoup plus transversal ta pédagogie. 

Silvia [00:17:01] Oui, tout à fait parce que ce sont des pédagogies et ça peut arriver en cours de langue comme en cours de math, de physique ou de biologie, histoire, je sais pas quoi, d'inciter le transfert, d'inciter les comparaisons interlinguistiques pour mieux comprendre les concepts des disciplines avec lesquelles on travaille. Donc penser aux similitudes, aux différences, ça aide que ce soit dans l'apprentissage de langues, que ce soit des contenus d'autres matières. Donc, c'est une pédagogie et aussi si on parle de Binogi, ce sont des pédagogies vraiment qui invitent les apprenants à faire feu de tout bois pour construire pas simplement des connaissances linguistiques, langagières, mais aussi des connaissances disciplinaires en histoire, en chimie, en math. Donc c'est fou de penser que ces ressources restent cachées quand on apprend des maths ou quand on fait de l'histoire et qu'on n'en a pas besoin...

Emmanuelle [00:18:15] Alors tu viens de mentionner une ressource extraordinaire sur laquelle je travaille déjà depuis quelques années, j'ai un article qui va bientôt sortir là-dessus, mais sur laquelle on va travailler ensemble et on a déjà des enseignants en Allemagne qui travaillent dessus qui est la ressource Binogi, qui est une ressource pourquoi extraordinaire parce qu'elle offre les contenus académiques dans la langue de l'école, mais aussi dans les langues des enfants. Par contre, sur cette ressource, il n'y a pas toutes les langues. Et toi, tu parles de mobilisation, finalement, de toutes les langues. J'aime bien ça. Est-ce que tu aurais des outils spécifiques que les enseignants qui nous écoutent pourraient mobiliser de manière à pallier à ces besoins? 

Silvia [00:19:12] Oh là, là, là, je sais pas. J'utilise beaucoup de ressources et de traductions dans ma vie, dans ma vie académique aussi, quand je cherche des ressources. Pour mes étudiants, je cherche par exemple des vidéos qui existent en ligne dans plusieurs langues. Donc il ne faut...qui ne sont pas didactisées, vraiment. Donc c'est un peu apprendre le plurilinguisme, le multilinguisme un peu dans le wild. Donc avec ce qu'on trouve. Mais c'est vrai qu'on a plein de ressources aussi pour traduire des énoncés d'une langue à l'autre, pour produire cette espèce de translanguaging qui arrive quand on a le besoin de s'exprimer dans l'urgence et qu'il faut utiliser une autre langue et qu'on sent pas vraiment sûr. Donc il y a déjà beaucoup de ressources qui permettent de pratiquer ce type de passage d'une langue à l'autre. Sinon, je peux mentionner Emmanuelle, je me permets de mentionner aussi le projet MIRIADI qui fait encore des séances d'intercompréhension en ligne. Donc, si jamais vous avez envie, ceux qui nous écoutent, de pratiquer l'intercompréhension, voilà une ressource, soit pour des enseignants, soit pour des élèves qui...basée sur des projets un peu...aussi sur l'intercompréhension Galanet, Galatea, Galapro. Donc maintenant avec MIRIADI, on a vraiment cette ressource fantastique pour pratiquer l'intercompréhension en ligne et en même temps développer des ressources pour la classe que ce soit des langues étrangères, de math, d'histoire... 

Emmanuelle [00:21:12] Génial, Sylvia bien sûr! Alors on les mettra sur le site du CREFO pour que nos auditeurs puissent y accéder. Je suis certaine qu'ils vont être très intéressés. Alors on parle d'intercompréhension depuis tout à l'heure, mais qui parle d'intercompréhension parle aussi de rencontres interculturelles. Alors ça, c'est ton deuxième dada...c'est la communication interculturelle. Alors cette communication interculturelle c'est pareil, elle a commencé dans ton couple. Comment est-ce que tu gères ça en famille, les langues. les cultures? 

Silvia [00:21:47] C'est une superbe question parce que c'est vraiment ton thème à propos duquel on parle en famille. C'est vraiment thématisé les cultures, les différences, mais pas simplement les différences aussi les rapprochements. Et c'est souvent les gamins c'est Frida et Vincent qui disent souvent mais ça, c'est très différent de papa ou ça c'est maman qui fait, c'est maman qui dit donc ils gèrent cet état des lieux. Aussi quand ils sont au Portugal, ils disent souvent que c'est quelque chose d'assez différent pour gérer les langues. Par exemple, je me rappelle que Frida était au Portugal avec nous en vacances et après une journée en portugais, elle m'a dit « Maman, je suis tellement fatiguée. Tu vois toute la journée en portugais, tu dois être très fatiguée aussi en Allemagne parce que tu passes toute ta vie dans cette langue ». Donc cette capacité aussi à se mettre à la place de l'autre, de voir si je suis fatiguée parce que j'entends cette langue dans laquelle je ne parle pas tous les jours. Donc, pour toi aussi, ça doit être compliqué. Et ça, je me rappelle aussi que quand cette disons vague d'enfants nouvellement arrivés en Allemagne, de Syrie, d'Afghanistan, elle disait souvent à l'école je ne sais pas comment ces gamins ils arrivent à apprendre l'allemand, à être heureux, à se sentir bien parce que c'est toujours cette langue qu'ils ne connaissent pas encore. C'est un peu comme toi, maman. Donc voilà, cette comparaison qu'on a à chaque fois avec « c'est comme toi » ou « papa, est-ce que tu te sens aussi fatigué au Portugal? » parce qu'il parle vraiment très, très bien Yannick le portugais. Mais c'est vrai qu'ils ont développé cette sensibilité du bien-être linguistique, soit de maman, soit d'eux-mêmes quand ils sont ailleurs, soit des enfants nouvellement arrivés. Donc, je crois que c'est vraiment quelque chose qu'ils ont développé avec leur sensibilité de quelqu'un qui grandit... qui grandit en plusieurs langues. Ils savent que ce n'est pas la même chose. 

Emmanuelle [00:24:22] J'aime que tu parles de cette fatigue parce que je me souviens justement en 2013-2014, quand je faisais mes premières recherches avec les enfants nouvellement arrivés, justement juste après le début de la guerre en Syrie, on avait fait un test dans des classes. Et puis le test était revenu, donc chaque enfant avait été évalué par l'enseignant. Et puis, tous les enfants de la classe étaient rêveurs, pas concentrés et la psychologue qui travaillait avec moi me dit « Mais comment c'est possible? » et en fait ne se rendant pas compte de la fatigue que l'apprentissage d'une langue fait rentrer, comme on a besoin aussi de pouvoir se reposer parfois et de trouver justement ces liens entre les langues. 

Silvia [00:25:07] Déconnecter.... 

Emmanuelle [00:25:08] Déconnecter, voilà une fatigue mais j'aime que tu dises ça. L'autre chose, c'est que moi j'ai une fille aînée qui m'a dit l'autre jour, elle nous écoutait nous chamailler, mon mari et moi, elle me dit « vous êtes vraiment stupide...chacun se rabattant sur sa culture. Tu vois, maman, ça, c'est un problème que moi, j'aurais jamais parce que j'ai grandi dans cette flexibilité entre les deux cultures ». Est-ce que tu reconnais ça? 

Silvia [00:25:37] Tout à fait sauf que....C'est vrai que je défends surtout le Portugal gastronomique tu vois. Donc, même si c'est un cliché, moi le poisson grillé sans sauce, sans ces trucs qu'on met sur le poisson....Donc, pour moi, c'est le plus pur, le plus parfait. C'est ce que je veux manger chaque jour. Donc, à la maison, on a vraiment d'autres habitudes. Tu vois, c'est un peu penser à sa culture mais c'est vrai que je ne me sens plus, disons portugaise, mais pas allemande. Donc c'est vraiment un mélange, une fluidité, une mixité, hybridité comme tu veux. Pour parler de moi, je peux pas dire que je suis attachée....On parle de racines parfois, mais les racines nous empêchent de voler. Donc, c'est bien d'avoir ces racines, un peu comme dit Amin Maalouf, tu sais, mais il faut aussi gagner des moyens de voler pour s'échapper et ça passe aussi par les langues, tu vois. 

Emmanuelle [00:26:52] Oui, c'est vrai. J'aime aussi cette idée de cuisine. La cuisine qui voyage. Moi, j'adore Toronto parce qu'on trouve tous les ingrédients possibles et inimaginables. Et c'est vrai qu'on réalise pas. Mais c'est vrai que le goût, l'odorat, ils vont tout de suite au cerveau donc ils réveillent quelque chose en nous, qui est très profond, qui est ce dans quoi on a grandi. Je pense qu'il faudrait qu'on fasse toutes les deux une recherche ensemble sur la cuisine. 

Silvia [00:27:23] Emmanuelle, c'est vraiment marrant parce que je viens de finir un travail avec....d'ailleurs, il faudrait l'interviewer aussi...avec Josh Prada, je sais pas si tu connais de Indiana University et nous venons de faire un article exactement sur le thème des sens dans la construction du sens. Donc si tu vois la sensualité du translanguaging quand on passe d'une langue à l'autre, quand on pense à utiliser des signes, des éléments visuels. Et puis on s'est dit mais il faut devenir un peu plus sensuel quand on parle du translanguaging donc on a ce...J'espère qu'il sera accepté et publié. Et puis, c'est vraiment ce sense appeal des sens...voilà! 

Emmanuelle [00:28:22] Tu sais, je me souviens d'une amie qui était russe quand j'habitais aux États-Unis et qui m'avait dit « j'arrivais pas à faire parler ma famille en russe. Donc, je suis allée acheter plein de produits russes, j'ai cuisiné comme en Russie, et tout d'un coup, tout le monde s'est mis à parler russe ». 

Silvia [00:28:44] Mais c'est génial. 

Emmanuelle [00:28:45] J'ai jamais oublié ça. 

Silvia [00:28:45] Si on peut transposer cette pédagogie gastronomique en cours, je suis sûre que les cours de langue auraient vraiment beaucoup à gagner. Je gagnerai beaucoup d'élèves pour le portugais, j'en suis sûre. 

Emmanuelle [00:29:04] Alors passons aux choses un peu plus sérieuses. Silvia, est-ce que tu peux nous parler...tu as beaucoup de projets et quand je regardais sur Internet, tu es quelqu'un de très créatif qui va un peu partout. Et je me demandais est-ce qu'il y a un projet qui te tient particulièrement à coeur et dont tu aurais envie de nous parler aujourd'hui. 

Silvia [00:29:30] Bon, on va laisser l'intercompréhension de côté, sinon j'aurais envie de parler de Galanet et Galpro, donc deux projets européens sur l'intercompréhension. Je vais te parler du dernier projet qui s'appelle LoCALL: Local Linguistic Landscapes for Global Language Education in the School Context. Et là, l'idée générale c'est toujours dans le domaine des pédagogies plurilingues et interculturelles. L'idée, c'est de faire entrer les paysages linguistiques urbains ou pas en cours de langue, que ce soit langue maternelle, étrangère, seconde, d'origine comme ressources pour développer la conscience linguistique, pour développer la compétence plurilingue des élèves, pour développer la conscience de la diversité linguistique autour de nous. On peut...tu vois la vie secrète des langues autour de nous parce qu'il y a vraiment des langues qu'il faut chercher. Il y a des langues qu'on ne voit pas dans ce paysage linguistique, qui sont cachées, qui sont invisibles, qui sont minorées. Donc là, avec ce projet LoCALL, on veut vraiment disons découvrir ces langues dans nos paysages linguistiques, les didactiser, les apporter en cours et créer des matériaux, créer des situations d'apprentissage sur la diversité linguistique. C'est vraiment un projet didactique, mais qui a un rapport vraiment assez fort aussi avec la sociolinguistique pour développer cette conscience des peuples qui nous entourent, des langues, des cultures, de ce pourquoi est-ce qu'on voit toujours l'anglais pour donner un exemple très allemand mais on ne voit pas le roumain, par exemple. Pourquoi est-ce que, dans les études sur les paysages linguistiques, on voit très peu les langues des signes. Pourquoi on voit très peu le braille, par exemple, donc qui sont aussi des langues, mais qui sont des langues, disons sensuelles, multimodales. Donc, on ne prend pas vraiment toutes les langues en pied d'égalité. Et donc, si on veut vraiment développer des pédagogies plus inclusives, pas simplement du côté des langues qu'on peut lire, qu'on peut voir, qu'on peut écouter, donc il faudrait aller au-delà de cette perception du multilinguisme et l'élargir vraiment pour donner à chaque élève la possibilité de parler de toutes ces langues, voilà. Donc le projet sur les Linguistic Landscapes est aussi pour les enseignants une occasion parce que nous travaillons avec plein d'enseignants en France, parce que nous avons des partenaires à Strasbourg, à Groningen, au Portugal et à Barcelone, puis Hambourg. Nous travaillons avec des enseignants dans cette ville qui essaient nos matériaux, qui nous donnent du feedback, qui nous aident aussi à construire ces matériaux et l'un des produits, si je peux, je raconte très vite, c'est une application pour les portables que les enfants programment eux-mêmes, avec les paysages linguistiques qu'ils ont photographiés, qu'ils ont pris en photo, qu'ils vont intégrer dans cette app, y poser des questions eux-mêmes à propos de ces photos. Donc c'est un recours à une ressource qui peut aussi être utilisée à l'école primaire, mais dépendant des niveaux de difficulté, on peut aussi utiliser en secondaire mais c'est passionnant de voir les enfants s'interroger à propos des langues de leurs environnements et penser aux questions qu'ils vont poser à propos de ces langues. Donc, c'est vraiment passionnant. Et là, par exemple, l'équipe de Barcelone, l'équipe d'Aveiro, l'équipe de Strasbourg et aussi à Groningen, ils font un travail vraiment extraordinaire. Et là, Emmanuelle, dans des contextes bilingues comme par exemple pour le nord de la Hollande ou bien en France parce que c'est une région de frontière ou à Barcelone avec le catalan et l'espagnol, donc les élèves réussissent vraiment à interpréter, à analyser le rôle de ces langues minoritaires et des langues majoritaires et puis d'autres langues. Et pourquoi ces autres langues et pourquoi pas d'autres? Donc, c'est passionnant à observer. Nous avons des transcriptions de cours vraiment merveilleuses. 

Emmanuelle [00:34:47] Extraordinaire! Est-ce que c'est une application qui est disponible? Si une école ici au Canada voulait tout d'un coup s'en servir, est-ce qu'elle pourrait?

Silvia [00:34:55] Elle pourrait le faire. Maintenant, nous sommes...nous testons la version beta, c'est Aveiro et l'équipe de Monica Lourenço qui travaille avec le développement de cette application. Elle va être disponible, traduite en plusieurs langues aussi, parce que l'interface il faut toujours un peu le rendre plus facile à utiliser. Donc, on a traduit en plusieurs langues. Et oui, tu peux signaler les photos de ton paysage linguistique et créer des jeux pour d'autres gamins à propos des paysages linguistiques des zones de Toronto. 

Emmanuelle [00:35:33] Oh ben ici, ça serait passionnant!

Silvia [00:35:36] Non, mais je te jure quoi c'est vraiment...

Emmanuelle [00:35:41] Extraordinaire. Tu vas faire jalouser beaucoup de gens ici avec un projet pareil. C'est merveilleux. La pandémie...alors voilà je...oui, exactement on a cet entretien à un moment où voilà on a été malmené comme un bateau dans la tempête, avec des périodes d'accalmie et des périodes de au contraire, où la tempête se déchaîne. Dans quelle mesure est-ce qu'elle a impacté ta recherche et ton travail? 

Silvia [00:36:16] Bon....j'ai l'impression, je ne sais pas comment ça se passe avec toi Emmanuelle, que je travaille non-stop, qu'il n'y a pas de weekend parce qu'il y a toujours quelqu'un qui travaille aussi de l'autre côté du monde. Donc, j'ai un peu personnellement cette impression et c'est vrai qu'avec la fermeture des écoles en Allemagne, les enfants aussi sont à la maison. Le mari est à la maison. Donc c'est vraiment un peu ce manque de références temporelles, tu ne sais plus quand est-ce que c'est le weekend pour te reposer. Donc, même ces repères temporels sont un peu flous à présent. Donc avec les cours en ligne, c'est vrai que...et je fais tout ça de façon plutôt asynchrone pour donner aussi à mes étudiants la flexibilité de travailler les thèmes quand ils ont vraiment le temps de le faire et la disponibilité parce que plusieurs de mes étudiants sont mariés, ils ont aussi leurs enfants à la maison, les kindergartens sont fermés donc...Ils ont aussi des difficultés à se concentrer à la maison. Donc j'ai décidé vraiment, de façon très consciente, de leur donner cette flexibilité à gérer leur temps quand ils ont la possibilité de...je sais pas, mettre les enfants au lit et après de penser un peu à leur vie académique. Donc c'est un peu mon choix. Je pense beaucoup aussi, je pense à moi, vraiment, mais aussi aux étudiants c'est pourquoi j'ai fait cette offre. Et puis, je pense à un travail que j'ai développé conjointement avec des collègues au Brésil, qui accueille beaucoup de réfugiés de Haïti, du Venezuela, par exemple. Donc, si je peux dire, c'est à l'université Universidade Federal do Parana, avec Pati et Bruna, donc un travail...et Geggio, je ne peux pas oublier Geggio, donc un travail très, très, très, très émotif aussi sur la façon dont la pandémie influence l'apprentissage du portugais comme langue d'intégration pour ces personnes, pour ces étudiants aussi et comment ils ont perdu les occasions de socialisation dans cette langue avec le confinement, comment ils ont perdu la possibilité de parler cette langue parce qu'ils sont confinés à la maison aussi avec leur famille et comment ça a un impact énorme sur la façon dont ils vont continuer leurs études. Parce que pour le moment, ils sont et ils ont vraiment cette sensation qu'il faut toujours rattraper en premier lieu la langue et qu'ils n'ont pas l'occasion de le faire. Pour ceux qui apprennent la langue avec ce besoin d'intégration, c'est une situation difficile parce que les occasions de socialisation sont à présent très réduites et on sait que on peut essayer d'apprendre la grammaire à la maison et faire des exercices mais c'est l'interaction, c'est la conversation qui nous pousse plus loin. Donc, c'est voilà, c'est une situation difficile pour tous, mais pour les uns plus difficile que pour les autres, 

Emmanuelle [00:39:54] Intéressant d'apprendre comment on développe des stratégies pour pouvoir gérer et résister même et même soutenir ceux avec qui on travaille. Silvia, on arrive à la fin du podcast et je voudrais te poser la question...j'ai l'habitude de demander à mes interlocuteurs si on devait lire un ou deux de tes articles pour mieux comprendre ton travail, ça n'a pas besoin d'être forcément un article scientifique, mais quelque chose qui aide à entrer dans ta pensée, dans ton travail, lesquels est-ce que nous devrions lire? 

Silvia [00:40:31] Houlala, j'ouvre une autre fenêtre, Emmanuelle. Je sors de l'intercompréhension. Je fais la pub, je fais la pub d'un bouquin que j'ai coédité avec Paula Kalaja de l'Université de Jyväskylä en Finlande portant sur l'usage de méthodes visuelles pour mener des recherches sur le plurilinguisme. Et là le livre, si je peux dire, s'appelle Visualising Multilingual Lives: More than Words. Et je crois que le sous-titre fait programme parce que on avait un peu marre, tu vois, de n'employer que des textes et des récits de vie et tout ça pour exploiter le procès de devenir plurilingue, d'être plurilingue. Donc on s'est dit on va exploiter, elle avait déjà une longue expérience Paula avec ces méthodes et j'avais commencé avec les gamins avec un background migratoire portugais lusophone quand j'étais à l'ambassade, comme tu avais dit au début, et c'est comme ça qu'on s'est rapprochées dans des congrès. Et puis, ce bouquin est né avec plusieurs démarches sur comment est-ce qu'on peut utiliser des dessins d'enfants et d'adultes aussi, il faut le dire, les adultes, ils aiment dessiner aussi. Ils ne veulent pas le dire, mais ils adorent faire ce type d'expérience. Donc, nous avons fait ce livre en plus qui a été finaliste du BAAL Book Prize. Donc nous étions vraiment très fières. 

Emmanuelle [00:42:25] Mais c'est très intéressant pour nous parce qu'on travaille beaucoup sur ces questions ici à Toronto. Moi, personnellement, dans plusieurs de mes classes, les étudiants pour terminer les classes doivent justement représenter physiquement avec une œuvre leur parcours identitaire, plurilingue, pluriculturel, etc. Donc, oui, merci de nous mentionner ce livre et quelque chose d'autre?

Silvia [00:42:46] Non, je vais rester avec celui-là parce que c'est vraiment une passion très récente. Je veux pas ouvrir des voies de la concurrence. Je crois qu'il faut rester avec la dernière passion pendant qu'elle brûle, tu sais. 

Emmanuelle [00:43:01] Oui, pendant qu'elle brûle. Eh ben écoute, j'aime énormément ces deux mots comme mot de la fin. La passion pendant qu'elle brûle. Je trouve ça merveilleux et je trouve que c'est assez caractéristique de qui tu es et ce que tu fais. Pour moi, tu es vraiment quelqu'un de passionné et qui anime vraiment et qui génère des passions pour ceux qui t'écoutent et qui te lisent. Merci beaucoup, Silvia, d'avoir participé à ce podcast. 

Silvia [00:43:31] Merci d'avoir eu la patience de m'entendre. 

Emmanuelle [00:43:34] Et bon vent. Et à très bientôt. Ici, on dit au plaisir!

Silvia [00:43:39] Au plaisir, c'était mon plaisir, ou bien intercompréhension...

Emmanuelle [00:43:47] Ah j'aime...merci Silvia. 

Joey [00:43:52] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.