Quoi de neuf ?

Entretien avec Jean-Marc Dewaele

May 25, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 6
Quoi de neuf ?
Entretien avec Jean-Marc Dewaele
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Jean-Marc Dewaele, professeur à Birkbeck, University of London


2Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Jean-Marc Dewaele, professeur à Birkbeck, University of London. 

Jean-Marc [00:00:07] Quand on a grandi dans un environnement multilingue, on est très conscient que chaque fois qu'on ouvre la bouche, on fait un choix qui sera jugé par la personne qui vous écoute. 

Joey [00:00:20] Bienvenue à Quoi de neuf.  

Emmanuelle [00:00:37] Bonjour à tous! Alors aujourd'hui, j'ai la joie de recevoir le professeur Jean-Marc Dewaele en direct de Londres. Bonjour Jean-Marc!

Jean-Marc [00:00:47] Bonjour Emmanuelle! 

Emmanuelle [00:00:49] Jean-Marc, je pense que dans le cadre de ce podcast je dois commencer en disant que tu es francophone belge. Alors tu nous expliqueras un peu plus tout à l'heure. C'est là que tu es né, c'est là où tu as grandi, où tu as fait tes études. Tu t'intéresses particulièrement à l'interface entre la linguistique appliquée et la psychologie. Ce qui me semble particulièrement intéressant pour nos auditeurs est que les défis linguistiques, pragmatiques, socioculturels auxquels tu  t'intéresses, sont ceux que nous connaissons tous. Et quand je dis nous, je parle de ceux qui ont voyagé dans le monde, qui ont appris des langues nouvelles, qui ont vécu dans des cultures nouvelles. En tout cas, moi, ça me rejoint personnellement chaque fois que tes questions m'arrivent elles me rejoignent. Tu t'es notamment penché sur les jurons, les insultes ou bien les mots d'amour. Peut-être ces mots que nous contrôlons le moins alors peut-être que j'aurai l'occasion de te raconter une petite anecdote tout à l'heure. Tu t'es aussi penché sur la question des soins apportés aux patients en situation de mobilité en remettant au cœur de la thérapie la langue, l'émotion et l'identité de ces patients multilingues et multiculturels. Alors, encore un autre aspect de ton travail, ce sont les émotions en salle de classe. Et tu as fait ta recherche, en particulier par le biais de questionnaires en ligne. Et les résultats de cette recherche sur les émotions en salle de classe, t'ont permis ou te permettent encore de mettre en place des pratiques pédagogiques dites plus efficaces qui pourraient stimuler le bien-être mental de ces apprenants et de leurs enseignants. Tu as beaucoup publié sur les émotions liées au multilinguisme et sur le plaisir et l'anxiété liés à la parole en langue étrangère. Tu es l'ancien président de l'Association internationale du multilinguisme et de l'Association européenne des langues secondes et tu es le rédacteur en chef du Journal of Multilingual and Multicultural Development. Alors je ne vais pas en dire beaucoup plus parce que tu as publié...si on tape ton nom, on va trouver des milliers de publications. Mais lorsque je t'ai rencontré pour la première fois, je faisais ma thèse figure-toi, donc c'est déjà il y a plus de 15 ans. Et je sais pas...ah oui, et je me souviens c'était lors d'une conférence, il me semble en Écosse... 

Jean-Marc [00:03:31] Oui, à Stirling. 

Emmanuelle [00:03:31] ...en 2007 peut-être. C'était la conférence pour...je crois que c'était Third Language Acquistion yes! Je sais pas si elle existe toujours cette conférence.

Jean-Marc [00:03:44] Oui, oui.

Emmanuelle [00:03:45] Elle existe toujours et...

Jean-Marc [00:03:47] Elle aura lieu à Zagreb en septembre en fait. 

Emmanuelle [00:03:51] Oh là là, donc tu es toujours très impliqué. Peut-être qu'il faudrait que je recommence à la fréquenter. Alors OK, on va revenir sur ton parcours et j'ai commencé en disant que tu es Belge mais figure-toi que je ne sais pas si tu es Wallon ou Flamand, les deux provinces de Belgique qui sont marquées par l'utilisation de deux langues différentes. Peut-être que tu vas pouvoir nous éclairer sur cette question pour que nos auditeurs comprennent vraiment l'enjeu de cette dichotomie, de ce partage, est-ce que tu veux répondre à ça?  

Jean-Marc [00:04:31] Bien sûr. Merci Emmanuelle de m'avoir invité. C'est chouette de participer à ton podcast. Je suis belge-flamand et j'ai grandi comme bilingue, c'est-à-dire que on habitait dans un environnement...on habitait à Bruges, un environnement néerlandophone en Flandre, mais mes parents avaient décidé de parler français avec leurs enfants et donc c'était la langue de la maison. Et c'était en fait ce qui a probablement provoqué ou contribué à mon intérêt dans le bilinguisme c'est que j'étais très étonné au début que mes parents nous parlent une langue différente à la maison que celle de mes amis où les parents utilisaient le dialecte local avec leurs enfants. Et nous, on parlait français et c'était en fait mal vu à l'époque, parce que le français était considéré comme une langue ostentatoire qui indiquait une supériorité sociale et les Flamands, les Flamands détestaient ça. Et donc, il fallait un coup d'acrobatie linguistique pour faire comprendre qu'on pouvait être parfaitement flamand tout en parlant le français à la maison. Donc, je me suis rendu...je me suis rendu compte, en fait, dès lors que le bilinguisme est toujours idéologique et politique. Et je crois que c'est une des raisons pour lesquelles les Belges, les Suisses, les Canadiens se comprennent très bien. 

Emmanuelle [00:06:12] Oui, merci, merci de dire ça parce que c'est un message très fort ici pour le Canada et en particulier pour nos provinces. Donc, on commence à comprendre d'où te vient cette passion, mais je pense que tes parents devaient être des gens au caractère très fort parce que pour s'opposer autant à une idéologie locale.

Jean-Marc [00:06:36] C'est une interprétation positive. Je dirais que....les détracteurs diraient que plutôt on suivait la bonne tradition bourgeoise de la première partie du vingtième siècle où la bourgeoisie parlait français à la maison et utilisait le néerlandais avec les serviteurs et en dehors de la maison, et où le français était considéré la langue de la civilisation alors que le néerlandais était considéré la langue pour le vulgum pecus. Donc, je dirais que c'est un choix qu'ils ont fait. J'ai aussi compris plus tard qu'en fait mon père, qui avait le français comme première langue parce que ses parents étaient marchands aisés, utilisaient le français avec lui et son frère alors que ma mère avait toujours utilisé le néerlandais à la maison. Et pour elle, le français était une seconde langue et son français était très bon mais elle n'était pas née en français. Et puis en fait mon père l'a forcée à utiliser le français avec ses enfants. Et puis plus tard, en fait, à l'époque, évidemment, ça semblait tout à fait naturel, plus tard, je me suis rendu compte que il y a peut-être quand même eu un sacrifice. Peut-être que ma mère aurait en fait préféré utiliser le néerlandais avec nous. Et en fait, elle n'a pas eu l'occasion de le faire. Et donc, on a toujours parlé français avec eux. Et puis, ces jours-ci...enfin mon père est décédé il y a deux mois, mais avec ma mère on code-switche beaucoup plus ces jours-ci entre le néerlandais et le français. Et surtout à l'écrit, elle préfère écrire en néerlandais qu'en français. Et puis, j'ai dû être horrible avec elle aussi quand j'étais plus jeune, en corrigeant ses erreurs de genre. Je regrette ça a posteriori. Je n'aurais pas dû être aussi horrible professeur de français parce que mon père était prof de français, moi j'étais prof de français et donc chaque fois qu'elle faisait une erreur, à nous deux on sautait dessus. C'est horrible. 

Emmanuelle [00:09:08] Écoute, ne t'inquiète pas parce que moi je suis la mère de quatre enfants plurilingues qui passent leur temps à me corriger en anglais et en néerlandais, Et quand ils ont commencé à me corriger en français, j'ai dit là, non! Là non...excusez-moi mais non. Mais on s'en sort très bien. Je crois que l'amour de nos enfants est beaucoup plus grand quel le reste et au contraire, c'est une joie de voir les expertises se développer chez ses enfants. Alors c'est Intéressant parce que tu nous parles de cette relation filiale qui a été si importante pour toi dans ta vie et dans ton développement vis-à-vis des langues. Tu nous parles de regret, tu nous parles d'émotion, tu nous parles etc. Est-ce que ça a joué...je sais que tu as beaucoup parlé de ton expérience de papa et comment de devenir père a provoqué finalement une sorte de révolution dans ta vie. Tu as beaucoup parlé de ta fille, on connaît même son prénom Livia, je me souviens bien et puis je crois que tu as épousé une Flamande ou une Wallonne. 

Jean-Marc [00:10:20] Une Flamande. 

Emmanuelle [00:10:21] Une Flamande et puis vous êtes allés vivre en Angleterre. Et puis cette fille est née. Alors explique-nous un peu qu'est-ce qui s'est passé à ce moment là. 

Jean-Marc [00:10:34] En fait on rigolait quand Katia était enceinte que Livia serait mon projet linguistique puisque on était d'accord que Katia lui parlerait néerlandais, moi je lui parlerais français et étant à Londres, forcément, elle allait absorber l'anglais. On n'avait pas compté sur le ourdou en plus, parce que elle allait chez une dame pakistanaise qui parlait ourdou et anglais aux enfants. Donc, pendant un certain temps, elle a connu l'ourdou qu'elle a perdu en cessant d'aller là évidemment. Et puis, je me suis rendu compte aussi rapidement que je voulais en fait absolument pas qu'elle devienne mon projet linguistique, que il y avait en fait un problème éthique, c'est-à-dire que je voulais rester son père et pas devenir son linguiste juge. Je voulais pas transformer ses petits babillements en calcul et en statistiques. Et puis, je me rendais compte, en fait, qu'il y avait là un problème éthique que je ne pouvais pas envahir mon propre privacy. Et que...et donc, j'ai recueilli toutes sortes de données, j'ai fait des enregistrements, etc. Mais je n'ai jamais vraiment développé cet aspect de mes recherches. En fait, j'ai attendu qu'elle soit plus grande pour en parler un peu plus. Au moment où je pouvais avoir son accord d'ailleurs, elle était d'accord que on publie ça sous cette forme là. Et donc, le livre que l'on a publié sur Raising Multilingual Children, elle a bien lu le chapitre que j'ai fait sur elle et elle a donné son accord formel où elle a dit « peut-être qu'il faudra enlever ça » ou enfin je crois que c'est important en fait de donner la voix aux enfants et de leur permettre d'être d'accord ou en désaccord. 

Emmanuelle [00:13:01] Alors il y a quand même une question qui m'intrigue qui était de savoir, parce que dans ma propre famille, nous on avait décidé de parler français à la maison. Je me demande comment vous faisiez à table, vous parliez quoi? 

Jean-Marc [00:13:12] On switchait. On est des switchers invétérés, c'est-à-dire que mon épouse et moi, nous nous parlons en néerlandais, quand je m'adresse à Livia je le fais en français. Mon épouse le fait parfois en français, mais généralement en néerlandais. On rajoute de l'anglais ici et là. Donc, en fait, on utilise....parce que pour faire des blagues, par exemple on pourrait utiliser l'anglais ou le dialecte en anglais ou en français. Enfin on a toutes sortes de possibilités... 

Emmanuelle [00:13:56] C'est ça. Nous on fait même des blagues qui ne se comprennent que si tu parles les trois langues. 

Jean-Marc [00:14:03] C'est peut-être l'occasion de raconter la petite anecdote de....quand Livia était petite. Elle devait avoir 3 ans et elle avait une petite amie anglaise monolingue qui était dans la cuisine avec nous, on préparait à manger et on switchait comme d'habitude. Et puis alors, la petite amie était totalement perturbée par la présence de ces autres langues et demande à Livia et dit « What are you guys? ». Et alors mon épouse répond « oh we are Belgians », alors Belgians. Et puis Livia dit « No, I'm not Belgian! » et alors mon épouse s'inquiète et dit « oh yes you are! en anglais, you've got a Belgian passport ». Un enfant de 3 ans, ça n'impressionnait pas. Et alors  Laura, qui suit l'échange, dit « So what are you then Livia? » Et c'était intéressant parce que c'était une sorte de question existentielle, c'était la première fois dans sa vie que quelqu'un demande à Livia What are you? Et alors elle réfléchit et puis elle répond « I'm a London girl! ». 

Jean-Marc [00:15:28] Et je trouvais ça absolument magnifique parce que c'est en fait son identité c'est elle était très fière d'être une fille et elle était très fière aussi d'être londonienne parce que ça impliquait en fait qu'on peut être n'importe quoi à Londres. On peut parler n'importe quoi et être londonien. Et donc, son identité était en fait assez locale. Et puis, plus tard, elle a eu des réactions diverses. Est-ce qu'elle était belge? Est-ce qu'elle était britannique? En fait, elle était un peu des deux. Et puis, je crois que vers l'âge de 16 ans, elle a décidé qu'elle était en fait plus britannique que belge, qu'elle se sentait plus à l'aise avec des amis britanniques que belges, qu'elle n'avait plus en commun avec eux, ce qui est normal puisqu'elle a été à l'école dans des écoles anglophones. 

Emmanuelle [00:16:25] Bien sûr. On se pose toujours la question parce qu'en général on se dit...enfin on dit, dans notre milieu, que la langue, dans le cadre de la mobilité, la langue des parents enfin la langue des ancêtres est perdue à peu près à la deuxième voire troisième génération. Quelle est la langue que tu penses qu'elle transmettra elle à ses propres enfants? 

Jean-Marc [00:16:50] D'abord, il faut qu'il y ait des propres enfants et là pour le moment elle a 24 ans, elle a décidé qu'elle n'en veut pas. On verra bien. Mais c'est vrai que ça poserait une question parce qu'elle ne peut pas utiliser deux langues avec ses futurs enfants. Et puis, ça dépendra un peu du partenaire. Donc, j'espère que si elle en a, qu'elle transmettra au moins une des deux langues, je n'ai pas de préférence. Mais j'espère que ses enfants ne seront pas des anglophones monolingues. 

Emmanuelle [00:17:29] Alors je vais te poser une question encore plus compliquée. Dans quelle langue est-ce qu'elle jure? 

Jean-Marc [00:17:37] Oh...en fait on l'a bien éduquée donc on l'entend pas jurer. 

Emmanuelle [00:17:47] Ah tu me fais rire parce que...je vais te raconter une petite anecdote. Une fois on rentrait de l'école avec ma fille ici au Canada, on est arrivé au Canada il y a quatre ans et puis elle me dit « Maman, j'ai un gros problème ». Je lui dis « Quoi? » Alors elle me dit « En classe, j'ai dit le mot...» le mot qui commence par un -s et qui finit par un -t. Alors je lui dis « Ah oui, effectivement, tu as un gros problème » et elle me dit « Bah oui et puis, en plus, il y a un garçon qui est allé le dire à la maîtresse et je me suis fait gronder, c'était la honte ». Puis je voyais qu'elle comprenait pas, mais je lui dis « Mais tu vois? Tu es trilingue donc pourquoi...on a tous besoin de jurer par moment, pourquoi tu ne le dis pas néerlandais? ». Puis je lui ai donné un exemple que je vais pas dire là...et elle a sauté en l'air, elle m'a dit  « Maman! T'as pas le droit de dire ça! » Bah je luis dis « Tu vois il a eu la même réaction que toi maintenant, parce que c'était dans une langue qu'il vivait mieux ou plus ou plus profondément ». Est-ce que tu vois un lien avec les recherches que tu as faites dans ce domaine? 

Jean-Marc [00:18:55] Oui, tout à fait. Que jurer, c'est vraiment une question de socialisation et que je me souviens aussi très bien la première fois que Livia, quand elle avait 2 ans et demi, elle m'a regardé dans les yeux et elle a dit « merde papa » et j'allais la gronder. Jusqu'au moment où je me suis rendu compte que j'étais sa seule source de français et que donc ça ne pouvait venir que de moi. Donc, j'ai été ébahi un instant et puis j'ai éclaté de rire. Et puis j'ai dit « Oui, attention c'est pas un mot à utiliser trop fréquemment ». Mais bien sûr, tous les enfants adorent les jurons. Ils les absorbent dès un jeune âge de leurs amis. Et donc, je crois que comme parent, il ne faut jamais s'inquiéter que ses enfants utilisent ces mots là, ils doivent les utiliser, ils doivent percevoir le pouvoir de ce mot...de ces mots. Et donc, je suis certain que elle doit avoir un riche vocabulaire en anglais. Mais je l'ai jamais entendu. 

Emmanuelle [00:20:10] Et je pense tu dis comme parent mais je pense aussi comme enseignant. Peut-être que les enseignants s'inquiètent trop de ce genre de mots et qu'au contraire, ce qu'il faut c'est justement en parler parce que le rapport des enfants, et en particulier des enfants venus d'ailleurs avec ces mots est relatif à l'exposition qu'ils ont eu vis-à-vis de ces langues et en particulier aux éducateurs qu'ils ont rencontrés dans ces langues. 

Jean-Marc [00:20:35] Oui, tout à fait. Parce que il faut avoir vécu ces mots, c'est-à-dire il faut savoir comment on les prononce exactement. Quelle est l'intonation, est-ce qu'il y a des moyens de les renforcer ou de les diminuer en utilisant des diminutifs? Ou il faut voir l'effet que ça a sur le visage des interlocuteurs. Et c'est pour ça que on réagit plus fort quand on entend un juron dans sa langue maternelle, qu'on réagit typiquement moins fort quand on entend ou qu'on reconnaît comme étant un juron, mais qui appartient à une langue étrangère parce qu'il n'y a pas les mêmes connotations multimodales c'est-à-dire que quand on entend un juron dans sa langue maternelle, on se souvient peut-être du son de la voix de sa mère ou de son père qui vous a puni pour avoir utilisé ce mot, on se souvient du visage du professeur quand on a sorti ce mot là, le rire des amis, peut-être que c'est même lié à des odeurs, à des images, tandis que des jurons appris plus tard dans la vie n'ont jamais ces connotations aussi riches et donc on ne réagit pas de la même façon. On ne réagit pas viscéralement en les entendant. Et je crois que c'est un problème éthique, en fait, pour les profs de langue. Est-ce qu'on en parle, est-ce qu'on n'en parle pas? Je crois qu'il faut en parler parce que ça fait partie de la langue, mais qu'il faut être très prudent quand on en parle et qu'il faut évidemment indiquer que c'est un mot, que c'est un mot tabou. Donc, il faut pouvoir les comprendre. Il faut être très prudent quand on les utilise parce que une des choses que j'ai découvert justement dans mes recherches, c'est que quand on utilise un juron dans une langue étrangère, en fait on n'est pas nécessairement jugé comme quelqu'un qui fait ça dans sa langue maternelle, c'est-à-dire on risque que....l'interlocuteur risque de se dire que, comme vous êtes clairement étranger à cause de votre accent, vous ne savez pas ce que vous dites. Ou alors que vous n'avez pas le droit même d'utiliser ce mot parce que pour utiliser ce mot tabou, il faut appartenir à la tribu et quand vous êtes étranger, vous n'appartenez pas à la tribu donc vous n'avez pas le droit de l'utiliser, tout comme vous n'avez pas le droit de critiquer la reine en Angleterre, ça fait partie du patrimoine de ceux qui sont nés sur place et je trouve que ça peut paraître injuste parce qu'on peut vivre....j'habite depuis 26 ans à Londres, mais si j'utilise un mot tabou, ma voisine va réagir comme elle ne réagirait pas avec un voisin anglais. Donc je n'ai pas le droit. 

Emmanuelle [00:23:33] C'est intéressant parce que tu dis deux choses. La première tu dis par rapport aux accents en fait c'est finalement pratique d'avoir un accent parce qu'on va être pardonné. On va dire « Oh ben c'est parce qu'elle ne comprend pas, elle fait une erreur et elle comprend pas ». Il m'est arrivé de faire des erreurs effectivement grossières mais les gens ont ri parce qu'ils ont bien compris que ça faisait partie de mon inadéquation ou le fait que je ne connaissais pas cette règle pragmatique ou parfois je la connaissais mais je n'étais pas capable de la reproduire, première chose. Mais l'autre tu dis donc il y a toujours cette idée de jugement, d'évaluation qui est dans quelle mesure est-ce que cette personne appartient à la communauté ou n'y appartient pas. Donc, on est toujours en fait avec...quand on travaille sur le plurilinguisme entre ok dans quelle mesure est-ce que nous devons réaliser l'inclusion et dans quelle mesure au contraire, moi, j'aime bien avoir un accent parce que justement je suis pardonnée parce que justement et en même temps c'est vrai que dans certains contextes, ça m'exclut d'emblée. Est-ce que c'est quelque chose que tu as exploré un peu plus?

Jean-Marc [00:24:48] Oui, ça peut être un handicap. C'est à dire que je me souviens un jour là que je travaillais justement à un article sur les jurons. Et puis j'entends du bruit dehors dans la rue, je regarde par la fenêtre, je vois qu'il y a deux voisins qui se disputent et un d'eux est un....je crois qu'ils se disputaient à cause des travaux de construction qu'un voisin avait fait pour l'autre. Et l'autre n'était pas content du travail et l'autre était grec. Son anglais était bon, mais il était grec. Il avait un accent étranger. L'autre était low class local builder et quand le Grec insultait le Britannique, le Britannique criait et c'est comme si les gros mots qu'utilisait le Grec n'avaient absolument aucun effet sur l'Anglais qui se moquait de l'accent du Grec. Et puis ça, c'était fini, quoi, ça ne marchait pas. Donc, c'est comme si le Grec jetait de petites boules de neige plutôt que des boulets de canon. Et l'autre, l'enveloppait de dédain linguistique. Et c'était foutu. Et je me disais mais voilà un bel exemple qu'en fait, il n'y a pas d'égalité quand il s'agit de langue et on peut dire que oui, on doit être inclusif, etc. Mais c'est que quand on s'engueule qui gagne? C'est typiquement pas celui qui utilise la langue étrangère. 

Emmanuelle [00:26:22] Là, je pense à nouveau à mon couple et c'est vrai que quand on s'engueulait en néerlandais, je perdais, mais en français, je gagnais. Écoute, je me demande et je me suis toujours demandé comment ça se fait, puisque je le vois aussi dans mes propres recherches, comment ça se fait à ton avis que la langue est vecteur de tant d'émotions. On le voit en ce moment, on voit avec la France qui vient de passer une loi, alors qui est positif celle-là, sur l'ouverture de l'enseignement aux langues régionales tandis que en fait, au même moment, le débat s'intensifie énormément autour de la langue française et de manière pas forcément inclusive, alors qu'ici, au Canada, le débat est vraiment noué autour du plurilinguisme, lequel, comment...comment ne pas mettre en danger des langues déjà fragilisées comme le français et en même temps être inclusif des autres langues. Donc, on voit des réactions très différentes selon les provinces. Comment, à ton avis, ça se fait que la langue est vecteur de tant d'émotions. 

Jean-Marc [00:27:35] Je crois que c'est parce que les langues, c'est toujours lié à l'histoire du peuple. Donc, en fait, l'usage d'une langue est toujours un choix idéologique, politique, historique. Et ça peut paraître surprenant pour quelqu'un qui a grandi dans un environnement plus ou moins monolingue. Mais justement, quand on a grandi dans un environnement multilingue, on est très conscient que chaque fois qu'on ouvre la bouche, on fait un choix qui sera jugé par la personne qui vous écoute et que généralement, on fera un choix qui sera apprécié par l'interlocuteur, que des fois, ça ne sera pas un choix apprécié par les interlocuteurs. Et je me souviens, quand j'habitais Bruxelles, qui était une ville flamande au 19ème siècle, qui a été francisé à la fin du 19ème siècle, au début du 20ème siècle. Aujourd'hui, c'est une ville à majorité francophone, ce qui énerve très fort les Flamands qui habitent encore Bruxelles. Donc quand j'étudiais à Bruxelles, je parlais toujours néerlandais et puis, la réaction que j'avais c'est « Ik spreek niet goed Nederlands », ils arrivaient à prononcer avec difficulté. Alors, je passais au français et je disais « Oh mais vous devriez faire un effort! ». « Oh vous parlez si bien le français! » Je dis « oui, mais j'ai fait un effort! », ce qui était évidemment un peu injuste, mais je veux dire que c'était une façon de montrer que le néerlandais était aussi...est aussi une des langues de Bruxelles. Et c'était en fait pour réagir contre cette supériorité des francophones à Bruxelles. Donc, en fait quand je répète ça ces jours-ci, on me répond en anglais. Donc, si je parle néerlandais à Bruxelles, on me répond en anglais. Et je trouve ça si triste que depuis lors, j'utilise simplement le français à Bruxelles. Enfin aussi parce que je suis Londonien et je me suis distancié des luttes linguistiques locales. 

 Emmanuelle [00:29:56] C'est très intéressant. Je me souviens à Zurich, j'allais donner une conférence et effectivement je me suis adressée en français à des gens dans la rue pour trouver mon chemin. Et on m'a répondu de manière très offensée en anglais alors que je suis sûre que ces personnes parlaient le français. Mais dans l'autre sens, une fois j'allais donner une conférence à Bruxelles, je crois que c'était à l'Université Libre et puis j'étais dans ma voiture et je répétais ma conférence en néerlandais et puis j'ai pris un sens interdit. Donc je me suis fait arrêter par un policier et j'ouvre ma fenêtre catastrophée, comprenant que j'avais fait une erreur et puis dans la panique, puisque j'étais en train de répéter ma conférence en néerlandais, je lui ai parlé en néerlandais et alors il a pris un air très fâché en me disant « Allez-y, allez-y ». En fait après, les gens là-bas m'ont expliqué que c'est parce que normalement la police doit être bilingue, mais en fait ils le sont pas. Donc ils étaient très embêtés que je parle néerlandais donc ils m'ont laissé passer...je sais pas si c'est vrai ou si c'était une interprétation. 

Jean-Marc [00:31:04] C'est vrai que les policiers à Bruxelles souvent connaissent le néerlandais et qu'en fait, souvent, ils sont plus gentils quand on parle néerlandais. 

Emmanuelle [00:31:17] Àh c'est peut-être ça aussi alors... Il y a un autre sujet auquel tu t'intéresses beaucoup, c'est l'anxiété. L'anxiété dans une langue étrangère. Je pense que c'est quelque chose qu'on connait tous. Moi, je sais que quand j'enseigne par exemple en anglais et quand j'enseignais en néerlandais, je répétais beaucoup plus, j'écrivais beaucoup plus que quand j'enseigne en français ou etc. Mais je sais que beaucoup d'enseignants ont du mal à comprendre l'anxiété de leurs étudiants. Est-ce que tu veux élaborer un petit peu là-dessus? 

Jean-Marc [00:31:48] Oui, je crois que l'anxiété. En fait, je devrais commencer par une anecdote. Je m'étais jamais rendu compte comme professeur ni comme élève d'ailleurs, que il pouvait y avoir autant d'anxiété parmi les élèves. Et je me souviens que la première année que j'enseignais le français à l'Université, la Vrije Universiteit Brussel, j'étais prof dans l'Institut de langues de l'Université. Et puis pour les examens oraux, puisque il y avait..tout le monde avait un examen oral, j'avais installé une table dans mon bureau avec une chaise. Et puis j'étais assis de l'autre côté de la table. Et puis, après quelques étudiants, je me rendais compte d'une odeur de transpiration assez désagréable. J'ai ouvert la fenêtre. Et puis encore des étudiants. Et puis, je me dis en fait, ils devraient quand même prendre une douche avant de venir à l'examen. Et puis, je me suis rendu compte qu'en fait c'était de la transpiration, c'était la peur, ils avaient peur alors que j'étais pourtant tout relax et gentil avec eux. Je les encourageais et je faisais absolument tout pour qu'ils soient à l'aise. Et puis, je crois que j'ai fini cette session d'examen avec deux tables entre moi et l'étudiant et j'étais assis à côté de la fenêtre ouverte. Et puis là, je me suis donc dit voilà, c'est vraiment la manifestation physique de l'anxiété dont je me rendais même pas compte avant que les étudiants puissent avoir autant peur. Et puis, je suppose que...enfin, c'est lié à la personnalité de l'étudiant. Il y a ceux qui sont plus anxieux, qui sont plutôt du côté névrosé plutôt que stabilité émotionnelle. C'est typiquement les étudiants qui ont peur qu'ils vont commettre des erreurs, que ça va affecter leurs scores. Et puis, il y en a qui ne supportent pas non plus de ne pas avoir la fluidité dans la langue étrangère et qui pensent qu'à cause de ça, ils projettent en fait une image fausse d'eux-mêmes et que ça les bouleverse profondément. Je crois que pour ça en fait c'est très bien d'apprendre des langues étrangères. Je crois que c'est crucial que les profs de langue eux-mêmes aient appris des langues étrangères parce qu'il faut se rendre compte combien on peut paraître nul en s'exprimant dans une langue que l'on ne maîtrise pas encore entièrement. Et donc en fait pour briser la glace, la première session d'un cours de langue, je me souviens que j'expliquais à mes élèves que j'étais linguiste et que rien ne m'intéressait autant que les erreurs qu'ils faisaient en français et qu'ils allaient me voir sourire et noter des choses et que en rentrant à la maison, je réfléchirais à la source de ces erreurs, etc. et que la seule chose que je leur demandais, c'est qu'il fasse un peu moins d'erreurs vers la fin du cours. Et puis tout le monde rigolait. Et puis, c'était une sorte de contrat verbal que c'est OK de faire des erreurs, c'est normal, mais on essaie d'en faire moins peu à peu. C'est une façon d'essayer de créer un environnement positif où on n'est pas ridiculisé ou puni parce que on commet une erreur. Je crois que ça, c'est vraiment crucial. Enfin, c'est crucial pour le cours de langue, mais je crois que c'est crucial pour tout. 

Emmanuelle [00:35:47] Tout à fait. Est-ce que c'est ce travail sur l'anxiété qui t'a amené à la santé?

Jean-Marc [00:35:48] Non, enfin non pas directement. Je me suis intéressé aux émotions, les émotions que ressentent les utilisateurs d'une langue étrangère ou les apprenants d'une langue étrangère. Puis, je me suis aussi intéressé à la communication des émotions en langues étrangères et mon intérêt pour le multilinguisme en psychothérapie est en fait né de cette approche socio-pragmatique, c'est-à-dire comment est-ce qu'on exprime ou comment est-ce qu'on reconnaît ses émotions dans une langue étrangère. Il y a en fait toutes sortes de difficultés dont on se rend typiquement pas compte quand on est apprenant de langue. On se concentre sur la morphologie, sur la grammaire, la syntaxe. On pense relativement moins aux subtilités pour exprimer comment on se sent, parce qu'il y a aussi d'immenses différences culturelles, c'est-à- dire que dans certaines cultures et en anglais typiquement, on exprime son émotion avec de l'intonation émotionnelle alors qu'en coréen, par exemple, ce n'est pas du tout le cas. L'intonation ne joue aucun rôle et donc pour des apprenants coréens d'anglais langue étrangère, mais ça leur prend un certain temps avant de comprendre qu'en fait, on communique comment on se sent par l'intonation. Ça les surprend parce que c'est pas quelque chose qu'ils ont dans leur première langue. Et je suppose que dans l'autre sens, c'est difficile aussi. Donc, on doit tenir compte de beaucoup de choses. On doit tenir compte du visage de l'interlocuteur, de la voix de l'interlocuteur, de l'intonation et puis évidemment du contenu...enfin des mots utilisés. Puis, je me suis rendu compte, quand je suis arrivé à Londres, par exemple, que je n'arrivais absolument pas à comprendre ce que mes collègues lors de réunions....je comprenais les mots, mais je ne comprenais absolument pas ce qu'ils disaient avec ces mots et l'aspect émotionnel m'échappait totalement. Et j'ai eu une période silencieuse en fait. Et puis, après un certain temps, j'ai commencé à répondre en français parce que comme toi, avec ton partenaire, ça me donnait plus de pouvoir pragmatique là. Et alors mes collègues étaient tous très francs, très bons en français, forcément, mais ce n'était pas leur langue maternelle donc ça me donnait un avantage et j'arrivais difficilement justement à comprendre un mot comme « interesting ». Donc le chef de département m'avait demandé de développer un système pour mesurer le niveau de français de nos candidats étudiants. Et donc, j'avais proposé d'utiliser le système de Paul Meara Lex qui est sur l'ordinateur en trois, quatre minutes on peut déterminer votre niveau de vocabulaire. Donc j'avais proposé ça, ne me rendant pas compte que mes collègues détestaient tout ce qui était lié aux ordinateurs. Et puis le chef de ce département m'écoute et puis tout le monde m'écoute poliment. Et puis il dit « interesting ». Et puis on passe au point suivant. Je dis ah bon d'accord, il n'y a pas de vote, il n'y a pas de questions, c'est que c'était d'accord à l'unanimité. Et puis, à la fin de la réunion, je demande au chef de département, je dis alors est-ce que je peux implémenter ce système? Puis il dit « Oh no! Of course not! »...« Well, didn't you just say interesting? » He says « Exactly! Interesting! », et il tourne le dos. Et alors là, j'ai été pris de court et puis, je me suis rendu compte en fait que ce mot pouvait signifier exactement le contraire de son sens avec une intonation spécifique et que interesting est positif et que interesting veut dire en fait not interesting at all. Enfin, je veux dire c'est ça la compétence socio-pragmatique c'est que on comprend ce que veulent dire exactement les mots quand c'est prononcé d'une certaine façon, dans un certain contexte par certaines personnes. C'est compliqué!

Emmanuelle [00:40:25] C'est très compliqué surtout quand on arrive des Pays-bas au Canada. Je peux te dire que c'est très compliqué. 

Jean-Marc [00:40:32] Tout à fait. 

Emmanuelle [00:40:33] Alors est-ce que tu continues cette recherche dans le domaine de la santé? Et où est-ce que tu en es?

Jean-Marc [00:40:43] Oui en fait, j'avais oublié la santé mais en effet, une des implications de ça, ça veut dire que si tu es un psychothérapeute et que tu as un client qui utilise la langue du pays avec toi, qui est ta langue maternelle de psychothérapeute, mais que le client peut-être c'est une langue étrangère pour lui ou pour elle, que ça pose des problèmes dont le psychothérapeute peut ne pas se rendre compte. Parce que il y a une différence entre quelqu'un qui est capable de parler du temps. Il fait beau aujourd'hui ou alors il fait vachement froid, etc. On peut avoir ce genre de petite conversation superficielle. On peut penser que donc cette personne maîtrise parfaitement votre langue malgré un petit accent peut-être et ne se rendant pas compte qu'il y a en fait des failles invisibles et profondes qui risquent d'avoir un effet négatif sur la thérapie. Et que donc le psychothérapeute doit être...doit se rendre compte de ça et donc ce qu'on fait avec Beverley Costa avec qui j'ai publié un nombre d'articles, c'est ce qu'on appelle raise awareness. Comment est-ce qu'on dit ça encore en français? 

Emmanuelle [00:42:19] La conscience... 

Jean-Marc [00:42:22] Éveiller la conscience...voilà, donc c'est devenu notre mission en fait d'éveiller la conscience que, justement, quelqu'un qui utilise une langue étrangère, même assez bien, ne maîtrise pas nécessairement cette langue étrangère tout à fait. Et que ça a en fait aussi des conséquences pour les tribunaux, pour les interviews par des policiers, par exemple. Que quelqu'un qui est interviewé par un agent de police pour un crime qu'il ou elle a pu commettre, que il ou elle ne réagira pas comme quelqu'un qui a cette langue comme première langue que donc ça veut dire que le détecteur de mensonges, par exemple, pourrait réagir tout à fait différemment pour des raisons totalement différentes que d'habitude, que ça pourrait en fait mener à une injustice. Donc ça a des conséquences profondes.

Emmanuelle [00:43:21] C'est très intéressant et en fait ça rejoint ici une des problématiques qui est très actuelle qui est la communauté francophone qui se bat pour avoir des soins disponibles en français et c'est pas forcément évident, mais je pense que c'est très très intéressant. Je me souviens d'un article d'un pédopsychiatre américain je crois qui n'était pas à l'origine américain et qui profitait de cela pour dire à ses patients « Voilà, je ne suis pas moi-même donc je ne comprends pas tout. Je vais poser des questions qui sont peut-être choquantes pour vous. S'il vous plait, expliquez-moi, pardonnez-moi etc. » en en faisant en fait une force. Alors que c'est la situation inverse, c'est pas le patient qui n'est pas compris, mais j'ai trouvé que c'était intéressant. 

Jean-Marc [00:44:08] Donc en fait, notre but, c'est que les psychothérapeutes se rendent compte que le fait d'admettre d'autres langues en thérapie, même si ce sont des langues qu'ils ne connaissent pas, que ce n'est pas une menace. Que c'est en fait une ouverture et qu'on peut alors négocier, discuter avec le client de la signification exacte d'un mot que le client utilise pour décrire quelque chose ou comment il ou elle se sent. Et que ça, c'est en fait de la richesse qu'il faut... que c'est une bonne chose quoi. 

Emmanuelle [00:44:50] J'aime beaucoup ça quand tu dis que je pense qu'on travaille tous dans cette direction, que les langues ne sont jamais une menace et ne devraient jamais être une menace. Alors, tu es directeur du Centre pour la recherche multilingue et multiculturelle. Est-ce que tu peux nous parler d'un ou de projets saillants du centre en ce moment? 

Jean-Marc [00:45:12] Je dirais que le projet central c'est celui, justement, dont on vient de parler avec Beverley Costa. Et puis, il y a d'autres collègues qui travaillent sur le multilinguisme dans des organisations internationales, par exemple. Et en fait aussi la question sur quelle langue utiliser puisque de nouveau comme Belge, c'est une discussion qu'on connaît bien et en fait, au sein de l'Union européenne aussi, par exemple, est-ce qu'on peut se permettre d'avoir autant d'interprètes qui interprètent 15 ou 20 langues? Est-ce que ce serait pas plus facile si tout le monde utilisait simplement l'anglais, même si la Grande-Bretagne ne fait plus partie de l'Union européenne. C'est assez ironique, donc.... 

Emmanuelle [00:46:15] C'est ça, qu'est-ce qui définit...pourquoi devrait-on encore employer l'anglais dans l'Union Européenne... Il y a plus que cette petite île de Malte voilà. 

Jean-Marc [00:46:27] Et puis les Irlandais, finalement, sont souvent quand même... 

Emmanuelle [00:46:30] Ah, merci Jean-Marc, les Irlandais...Ah, faut pas oublier nos amis irlandais. Alors si, Jean-Marc, si on devait lire, alors je sais que c'est presque une question impossible à te poser parce que tu as tellement publié, mais un ou deux de tes articles pour mieux comprendre ton travail, lesquels tu nous recommanderais?

Jean-Marc [00:46:51] Oui, c'est une question difficile parce que je dirais que même quand on a publié 300 articles et quelques livres, en fait, ils sont tous vos enfants et que vous les aimez tous pour des raisons différentes et que il y en a que vous préférez parce que vous êtes...vous aimez bien ceci ou cela. Que en fait quand on regarde alors combien sont cités vos articles, on se rend compte que ce n'est pas nécessairement ceux qu'on aime le plus qui sont le plus cités. Et puis, il y en a qu'on aime beaucoup, qui ne sont pas cités assez mais enfin bon, tant pis. Donc, un de ceux dont je suis plutôt satisfait, c'est un papier que j'ai écrit avec Peter MacIntyre, qui esr Canadien justement de l'Université Cap Breton en 2014 et qu'on a intitulé The Two Faces of Janus: Foreign Language Enjoyment and Foreign Language Anxiety et ça a donné lieu à un renouveau de recherche sur les émotions dans la classe de langues chez les apprenants. Et pour ça, je suis vraiment content d'avoir pu lancer ça parce que on a commencé avec l'observation qu'on a été, que les profs et les chercheurs ont été trop longtemps obsédés par l'anxiété. Et on a dit qu'en fait, il est important de ne pas être trop fixé sur les émotions négatives et il faut aussi considérer les émotions positives des apprenants. Et donc, enjoyment la joie de l'apprentissage est tout aussi important que l'anxiété. On doit regarder les deux en même temps. On doit avoir une vision plus, comme on dirait en anglais holistic, est-ce qu'on dit ça en français aussi? 

Emmanuelle [00:48:50] Plus globale, ouverte....enfin j'en sais rien. Mais tu rejoins beaucoup ce que nous a dit quelqu'un que nous avons invité ici et que nous aimons beaucoup qui est Claire Kramsch qui se bat pour mettre le plaisir au coeur de l'enseignement et de l'apprentissage surtout, plus que de l'enseignement. 

Jean-Marc [00:49:04] Oui, c'est ça. Donc je dirais qu'en fait, c'est ça aussi le but ultérieur de ces recherches, c'est de rappeler aux profs qu'ils peuvent faire relativement peu pour réduire l'anxiété de leurs apprenants, parce que c'est lié à la personnalité des apprenants, mais qu'ils peuvent faire beaucoup pour stimuler la joie dans la salle de classe et que ça a des effets positifs sur les résultats académiques, sur la performance des apprenants. C'est absolument crucial. Et c'est en fait aussi lié au mouvement de la psychologie positive. C'est donc de ne pas simplement se fixer sur ce qui va mal dans la vie, mais de tenir compte aussi de ce qui va bien et d'essayer de...et de considérer que des apprenants comme profs de langues on a un devoir qui est supérieur, qui dépasse celui de l'apprentissage linguistique, que on doit en fait enseigner à ses élèves à être heureux, à bien fonctionner, à être satisfait et que même si la langue qu'ils sont en train d'étudier, que même si c'est pas parfait, que c'est OK, qu'ils pourront communiquer, que c'est utile, c'est valable, c'est riche, ça leur ouvrira toutes sortes de portes, dans toutes sortes de directions. Et que donc il faut éviter d'être obsédé qu'on n'est pas comme un native speaker. Parce que là, c'est quelque chose que...un concept que je déteste avec passion. 

Emmanuelle [00:50:47] Moi aussi. Et tu nous en as cité un mais il y en a peut-être un deuxième? 

Jean-Marc [00:50:54] Le deuxième, c'est probablement mon livre Emotions in Multiple Languages, où j'ai pu rassembler en fait autant les observations sur les émotions des apprenants que les difficultés qu'on peut avoir à exprimer son amour en langue étrangère. On a un sentiment de ne pas être authentique parce qu'on utilise ces mots mais on s'approprie ces mots et on se demande si on a le droit d'utiliser ces mots et si ça a la même valeur que dans sa langue maternelle. Et donc, typiquement, si on tombe amoureux dans une langue étrangère mais après quelques mois typiquement, on commence à sentir que cette langue vous appartient et que vous avez le droit d'exprimer vos sentiments à votre partenaire dans cette langue. Mais pour une minorité d'utilisateurs de cette langue, en fait ça n'aura jamais le même poids que dans la langue maternelle. Donc, en fait, il y a pas mal de variations. Ça marche pour certaines personnes, ça marche moins pour d'autres. 

Emmanuelle [00:52:05] Je crois que tu as répondu à ma dernière, toute dernière question qui était si tu pouvais rêver d'un système éducatif idéal, à quoi il ressemblerait. 

Jean-Marc [00:52:15] Positif. Je crois qu'en fait, c'est crucial que chaque prof soit au courant de la psychologie positive, c'est-à-dire qu'il faut être....pour être un bon prof., je crois qu'il faut être optimiste. Il faut se dire qu'ils apprendront quelque chose, qu'ils n'apprendront pas tout, qu'ils oublieront beaucoup de ce que vous leur dites, mais qu'ils apprendront quelque chose et que donc en fait ça valait la peine de leur faire cours. Je crois que c'est important parce que comme prof. on se dit parfois en corrigeant on dit « Oh mon dieu, ils n'ont rien retenu ». C'est facile de devenir négatif et de s'énerver sur le peu que les apprenants ont appris. Mais en fait, il faut, je crois, qu'il faut être positif. Il faut se dire bon ben, on leur a appris quelque chose. Donc en fait on... ça valait la peine, ça valait l'effort et puis, ils semblaient satisfaits. Donc ça aussi, c'est important. 

Emmanuelle [00:53:14] Remettre le plaisir au coeur de l'enseignement par la psychologie positive. Merci Jean-Marc, ce sont de très beaux mots pour conclure ce podcast. Merci de nous avoir rejoints aujourd'hui et puis comme on dit par chez nous tot ziens!

Jean-Marc [00:53:34] Tot ziens! 

Emmanuelle [00:53:36] Merci. 

Joey [00:53:40] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.