Quoi de neuf ?

Entretien avec Rahouadja Zarzi

July 12, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 8
Quoi de neuf ?
Entretien avec Rahouadja Zarzi
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Rahouadja Zarzi, enseignante en classe d'accueil


Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Rahouadja Zarzi, enseignante en classe d'accueil.

Rahouadja [00:00:07] Puis chaque langue pour moi correspond à une paire de lunettes pour voir le monde. Donc, plus on a de langues et plus on a de façons joyeuses de découvrir et d'habiter le monde.  

Joey [00:00:18] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:35] Bonjour à tous! Dans cette saison des balados du CREFO, nous nous intéressons plus particulièrement aux pratiques pédagogiques dites inclusives et aujourd'hui, j'ai vraiment la joie de recevoir Mme Rahouadja Zarzi, qui est enseignante dans ce qu'on appelle les classes d'accueil. Alors on en a parlé pas mal des classes d'accueil, mais plutôt de la perspective de la recherche. Aujourd'hui, on va en parler de la perspective de la classe. Merci à tous ces enseignants qui se mettent disponibles parce que sans eux, nous, chercheurs, nous ne serions rien. Alors elle enseigne au Québec à l'école Jacques Bizard, à Montréal, sur l'île Bizard. Vous avez fait vos études à Nice, à l'Université Sophia Antipolis. Vous avez d'abord fait une maîtrise de lettres modernes, puis une maîtrise en français langue étrangère en même temps que le CAPES. Rahouadja, vous avez travaillé à beaucoup d'endroits différents à l'Université de Guelph. Vous avez travaillé pour une association bénévole d'apprentissage à la lecture et l'écriture, dans des écoles de langues, de commerce et finalement, à la Commission scolaire de Montréal dans l'enseignement de ces fameuses classes d'accueil. Alors ce qui vous rend particulièrement spéciale et en particulier, ce qui rend votre témoignage si riche, c'est aussi votre propre parcours. Vous êtes arrivée en France à Fayence dans le Var à l'âge de 6 ans. Votre pays d'origine, c'est l'Algérie. Merci Rahouadja d'avoir accepté mon invitation. 

Rahouadja [00:02:24] Merci beaucoup Emmanuelle de m'avoir invitée. Je me sens très honorée. 

Emmanuelle [00:02:30] Ha ha! Ha! Ha, ha ha! Alors d'abord je voudrais vous poser une question. Votre vie, elle est marquée par la mobilité. De l'Algérie à la France, puis vers le Canada et puis en particulier vers le Québec au Canada. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu vos souvenirs sur ce parcours? Et comment est-ce que cette mobilité a influencé votre carrière et surtout votre manière d'envisager votre métier? 

Rahouadja [00:03:04] Eh bien, j'aimerais préciser qu'au départ, je ne voulais pas du tout devenir enseignante. Si on m'avait dit il y a 25 ans que je deviendrais enseignante, j'aurais dit mais non c'est impossible. La première mobilité, elle a été en quelque sorte imposée puisque mon père nous a rapatriés en France parce qu'il travaillait en France. Et la deuxième, le deuxième mouvement migratoire, il est choisi. C'est moi-même qui aie décidé de partir. D'ailleurs, j'aimerais préciser que je ne travaille plus pour la Commission scolaire de Montréal. J'ai bougé, j'ai déménagé, je travaille pour ce qu'on appelle maintenant les Centres de services. Donc, c'est le Centre de services Marguerite Bourgeoys qui est dans l'ouest de l'île. Avant, je travaillais dans l'Est. C'est à peu près...c'est une clientèle qui est différente. Donc, ce besoin de tout le temps, être en mouvement, de bouger, je pense que c'est une partie inhérente de ma personnalité. J'aime découvrir. J'aime aller vers les autres. L'altérité a toujours été un sujet passionnant pour moi et je me dis, en devenant enseignante, c'est peut être le destin ou inconsciemment j'ai reproduit un chemin de migration, puis j'ai voulu aller aider d'autres enfants comme moi j'ai été aidée. Rendre à la vie un peu ce que la vie m'avait donné. Ce qui facilite mon travail aujourd'hui, c'est que je pense que je me souviens en tant qu'enfant, ce que j'ai ressenti lorsque je suis arrivée en France. J'avais 6 ans mais j'ai des souvenirs très, très précis. Je me vois encore en train de tracer des 0 et des 1 que ma prof. de CP avait tracés pour moi. Et puis, cela m'aide aussi d'avoir bougé une deuxième fois en émigrant vers le Canada. Là, je peux comprendre les parents, donc je me trouve dans une posture, je dirais privilégiée, parce que je peux comprendre l'enfant et je peux comprendre le parent. Je trouve que c'est un atout considérable. Pourquoi j'ai choisi l'enseignement? Je pense que c'est encore une fois un coup du destin. J'avais mis une annonce pour travailler l'été et une Allemande avec qui je suis devenue amie par la suite, cherchait des cours de français. Donc moi, j'avais fait ma maîtrise de lettres modernes un peu en dilettante, par plaisir. Puis je me disais un jour ça va arriver, je vais avoir l'illumination de ce que je veux faire, et j'ai commencé à lui donner des cours de français. Puis là, j'ai découvert un plaisir vraiment particulier, travailler sur la langue, donc ça me permettait d'articuler ma passion de la langue française et en même temps le contact et passer ma passion de la langue française à quelqu'un d'autre. Donc, suite à ma maîtrise de lettres modernes, je me suis inscrite en maîtrise de français langue étrangère et c'était comme une sorte de révélation. Je me suis vraiment rendu compte parce que c'est une maîtrise qui est très pratico pratique. On a des stages dans les labos de langues, dans des classes de langues et je me suis rendu compte que c'était vraiment la voie que je voulais suivre. 

Emmanuelle [00:06:17] Vous êtes plurilingue, n'est-ce pas? 

Rahouadja [00:06:21] Je dirais que l'arabe, je le baragouine. Je parlais avec mes parents. C'était comme une forme... j'ai vu pendant mes cours que c'était l'alternance codique. On passait du français à l'arabe, puis je prenais par exemple des verbes français que je conjuguais en arabe ou vice versa. Donc, l'arabe, je ne comprends pas tant que ça, malheureusement. Et l'anglais, je l'ai appris à l'école, comme d'autres. Au début, c'était de façon scolaire, c'est à dire très ennuyante. Je me souviens encore de Brian Jenny dans toutes nos leçons qu'on nous donnait, justement, c'était très, très protocolaire et ça m'a aidé parce que justement, je n'ai pas voulu reproduire la même chose en classe. Et j'ai pris l'italien parce que j'avais une prof de français que j'adorais. Mais avec du recul, je me suis rendu compte que j'aurais dû apprendre l'allemand, ça m'aurait plus stimuler parce que j'avais trouvé le temps long, malheureusement, pendant mes cours d'italien. J'avais pris le latin pour le plaisir. Le grec et le chinois je les ai appris en...à l'université parce que on nous mettait en posture d'apprenants. En fait le chinois c'était par plaisir mais le grec on devait se mettre en situation d'apprenant qui apprend une langue donc on avait les deux postures, analyser les pratiques à éviter ou à reproduire et en même temps on apprenait la langue. 

Emmanuelle [00:07:46] Vous êtes incroyable combien de langues 4 ou 5 dans le répertoire? C'est beaucoup. 

Rahouadja [00:07:52] Je dirais...je dirais 2. Les autres, c'est plus en arrière-plan. 

Emmanuelle [00:07:57] Et en plus, vous êtes très humble. Je reconnais beaucoup, beaucoup de votre expérience, donc ça me fait sourire. Je voudrais revenir un petit peu sur votre expérience de nouvel arrivante en France. Est ce que vous pourriez nous raconter...est-ce que vous la qualiferiez de...vous qualifieriez vous vos souvenirs de positifs, négatifs, anxiogènes? 

Rahouadja [00:08:20] Je dirais positifs parce que j'étais tellement excitée. Puis, très petite j'avais conscience que j'avais échappé à un destin assez lourd quand même. Parce que sinon, je me serais retrouvée dans la place avec peut-être beaucoup d'enfants, mais pas du tout scolarisée. Donc je trouvais que c'était vraiment une chance. J'avais cette espèce de plaisir de découverte. Après, oui, c'est vrai qu'il y a eu peut être des difficultés au niveau relationnel parce que je viens du Sud-Est de la France. Ce n'est pas la région la plus ouverte, donc...le Front national a souvent des scores très hauts dans mon village, mon ancien village. Mais d'un point de vue scolarité, j'ai adoré l'école parce que j'avais des profs, certains profs, qui étaient très ouverts. Mes parents...mon père était ouvrier, ma mère était à la maison. Donc on n'avait pas beaucoup de livres. Maintenant, je me rattrape. J'ai cinq bibliothèques par pièce. Mais les profs que j'avais me prêtaient leurs propres livres, ce qui était vraiment une marque de confiance pour moi. Et j'ai remarqué que je fais la même chose. J'ai des élèves dans la classe des fois je leur prête des livres de mes enfants et il y a comme...je retrouve cette espèce de rituel de passation. Donc, je pense que c'était quand même une...des souvenirs heureux parce que je m'épanouissais à l'école. C'était mon milieu de stimulation. 

Emmanuelle [00:09:47] C'est beau d'entendre ça. 

Emmanuelle [00:09:47] Est ce que vous pouvez nous expliquer et en particulier expliquer à nos auditeurs qu'est ce que cela veut dire enseignante en classe d'accueil. 

Rahouadja [00:09:56] Déjà, le terme accueil me plaît beaucoup plus que francisation parce que je trouve que dans le terme classes de francisation, il y a comme un processus rigide. Je n'aime pas du tout cette terminologie là. Classe d'accueil, c'est on accueille l'enfant...on l'accueille avec ses bagages, on l'accueille avec son vécu et on essaye à partir de son vécu, de ses intérêts de...je ne dirais pas le planter, mais de l'enraciner, lui expliquer il a été déraciné, mais lui expliquer que son nouveau pays d'accueil c'est comme une sorte de terreau fertile qui va porter ses racines et va porter ses engrais mais en étant dans un nouveau contexte, il va apporter sa richesse aussi. Je me souviens un moment, j'avais discuté avec quelqu'un qui m'avait dit « oh mais toi tu es une véritable salade niçoise » parce que je suis très éclectique. Puis je me suis dit non, la salade niçoise tout est mélangé, non? Je me vois plus comme un diagramme de Venn ambulant où j'ai plusieurs espaces. Puis je le vois avec mes élèves. Je leur dis tout le temps tu apportes ton vécu, tu arrives dans un nouveau pays, mais tu crées une troisième voie, comme une sorte de troisième espace. C'est pour ça que j'ai le diagramme de Venn en tête. Mais c'est comme un interspace, justement.  

Emmanuelle [00:11:19] Est-ce que vous pensez que ces élèves en situation de migration soient particulièrement vulnérables? Et si oui, quel est le rôle des classes d'accueil...parce que les classes d'accueil, c'est quand même un concept assez contesté. Certains l'adoptent, certains le refusent. Non, il vaut mieux inclure, exclure, intégrer, enfin voilà. 

Rahouadja [00:11:46] Je peux comprendre le questionnement parce que moi, j'ai bénéficié du bain linguistique. J'étais toute seule, on m'a mise, puis j'ai appris très, très, très rapidement. Mes camarades de classe me disaient justement c'était frustrant pour eux de me voir première de classe alors que ce n'était pas ma langue. Mais en même temps, dans la situation actuelle, je pense aux Syriens, je pense aux réfugiés justement de guerre. Je trouve que c'est important qu'ils aient comme une sorte de havre de paix, comme un port avant d'arriver dans les classes, ce qu'ils appellent les classes ordinaires. Je n'aime pas le terme ordinaire, des classes régulières parce que, justement, ils se retrouvent avec d'autres personnes qui ont le même vécu. Je pense notamment à une petite Syrienne que j'ai eue, ma petite Jana, qui, pendant 15 jours a hurlé tous les jours. Elle était vraiment en situation de trauma et pourtant, ses parents m'avaient dit que ils avaient quitté la Syrie assez tôt, elle avait 3 ans mais peut-être qu'elle avait gardé des souvenirs. Mais le fait d'être avec d'autres enfants qui viennent des cinq continents du monde entier, il y a comme une sorte de sentiment de sécurité. C'est comme s'ils se sentaient dans une bulle. Cette année, le mot bulle est à la mode, mais dans un autre contexte. Là, c'était des bulles heureuses, justement. Et je vois le lien que j'ai avec ces élèves là, il est très, très fort. C'est comme si j'étais une deuxième maman. J'ai des enfants qui me contactent encore dix ans plus tard. J'ai une maman récemment qui m'a écrit en me disant Ils étaient venus, ils n'ont pas eu le statut..pas de réfugié, mais le statut permanent. Donc, ils ont dû retourner au Koweït. Mais elle a dû revenir parce que l'enfant est diabétique. C'était plus facile pour elle, ici au Canada. Puis elle m'a réécrit en me disant Shalin se souvient de vous, là je nomme son nom parce que, justement, il n'y a pas de vécu douloureux comme pour d'autres. Mais ça m'a vraiment touchée. Je me disais mon Dieu, je l'ai eu...il est rendu au secondaire plus grand que moi. Il se souvient de moi. 

Emmanuelle [00:13:53] C'est merveilleux de voir qu'on peut...que les enseignants peuvent avoir un vrai impact positif sur la vie et l'évolution de ces enfants, mais aussi de ces familles. C'est drôle parce que les deux fois, vous avez ces références à la famille et aux parents. Est ce que c'est quelque chose que vous intégrez à votre enseignement? Est ce que les parents sont vraiment partie prenante de cet enseignement? 

Rahouadja [00:14:17] Oui, je tisse tout le temps un lien avec la famille. Je leur dis tout le temps, justement, votre enfant, c'est comme une graine que l'on sème puis on est deux à l'arroser et il faut qu'il se sente vraiment en sécurité. Si le discours entendu à l'école et le discours entendu à la maison sont cohérents, donc on travaille main dans la main. J'ai toujours misé sur la collaboration. J'ai... j'utilise une plate-forme ClassDojo puis je suis tout le temps en communication avec les parents. Je leur envoie des photos, je leur envoie justement...j'ai un portfolio numérique. Quand ils réussissent, j'envoie des moments de classe. Des fois, je réponds. Mon mari me taquine en disant que je fais le service à la clientèle, mais vraiment le côté très...le lien est là. Je trouve que c'est signifiant d'établir ce lien-là avec la famille parce que sinon, on n'arrive pas à grand-chose. 

Emmanuelle [00:15:11] Alors ça me touche parce que moi je suis maman de quatre enfants et je peux vous dire que quand l'école me contacte en général, c'est qu'il y a un problème. Et là, vous venez dire que vous contacter les parents pour leur dire quand il y a des bonnes nouvelles voilà je leur fais passer via ClassDojo. Est-ce que c'est...est-ce qu'on pourrait dire que c'est la caractéristique des classes d'accueil de mettre l'accent sur les bonnes nouvelles? 

Rahouadja [00:15:33] Je voudrais pas vous brosser un tableau trop rose. Je dirais que ça dépend des enseignants parce que j'en ai connu qui, justement, se disaient « Ah, c'est trop de travail! ». Mais le lien avec ces parents-là, il est très important parce qu'ils se sentent compris. Puis concernant le mauvais comportement, je me dis tout le temps il vaut mieux arroser les fleurs que les mauvaises herbes parce que si on envoie chaque fois ce qui est négatif, on insécurise le parent qui insécurise l'enfant et qui, justement, va se sentir pris entre un monde de reproches et je suis plus pour la bienveillance, l'accueil. C'est pour ça que j'aime le terme de classe d'accueil de l'enfant dans ses douleurs, dans sa façon de réagir. Parce que s'il exprime des besoins, s'il dérange, c'est parce qu'il exprime des besoins qui ne sont pas identifiés. Donc c'est à nous d'aller identifier pourquoi cet enfant dérange? Un enfant ne dérange pas pour le plaisir de déranger. 

Emmanuelle [00:16:33] Est-ce que dans le lien avec les parents, il est exclusivement en français ou vous utilisez vos ressources plurilingues pour communiquer avec eux? 

Rahouadja [00:16:46] Moi, j'écris en français parce que je me dis ...il faut que j'encourage justement ces parents-là à vouloir apprendre le français. Mais avec ClassDojo, ils ont la possibilité de traduire dans plusieurs langues, je pense, en arabe, en farsi. Donc, il y a vraiment plusieurs façons de comprendre mon message. Mais en écrivant en français ça les aide. Le chinois, quand j'ai des parents, je sors mes petites phrases « Ni hao, ni hao wo shi madame Rahouadja ». Donc ça leur permet de se dire « Oh! mais elle comprend des phrases » mais ils se rendent vite compte que...après deux, trois phrases ma connaissance est rudimentaire, ça s'arrête là. Mais je trouve que c'est important, justement, de faciliter la communication. Parce que si je me dis « Oh moi, je vais parler qu'en français puis ils se débrouillent par eux-mêmes », on est dans la non-communication, puis on se tire dans le pied. Donc la plateforme ClassDojo je l'aime beaucoup parce qu'elle permet aux parents, justement, d'accéder à la vie de classe, aux réussites de l'enfant, mais aussi à mes messages, à la communication.

Emmanuelle [00:17:51] Donc votre expérience, c'est que tous les parents ont au moins un téléphone sur lequel ils peuvent accéder à ce type de ressources, 

Rahouadja [00:17:59] Exactement, j'ai tout le temps 100 % de parents qui sont connectés.

Emmanuelle [00:18:03] C'est impressionnant. Alors, un concept sur lequel vous travaillez beaucoup et il faut le dire, vous êtes vraiment quelqu'un qui écrit, qui communique, voilà qui parle de son travail. Donc, j'ai...on a trouvé pas mal de choses sur l'internet et vous travaillez beaucoup sur le concept de résilience, alors le concept de résilience est devenu très à la mode en période de pandémie. Est-ce que vous... mais vous étiez et vous y travailliez déjà avant cela. Alors est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça veut dire dans le cadre de votre travail?

Rahouadja [00:18:39] Et bien, j'avais découvert les travaux de Boris Cyrulnik, puis ça m'avait vraiment passionnée parce que peut-être que inconsciemment, je me reconnaissais dans ce concept-là. Il voit la résilience comme la reprise d'un type de développement après un traumatisme. Puis, en accueil, même si les enfants ne viennent pas de pays où il y a la guerre, il y a quand même une forme de traumatisme, de choc, parce que ils sont déracinés, ils quittent leurs grands parents. Ils quittent tout un univers, toute une culture. Et puis un choc culturel quand ils arrivent ici aussi. Donc développer, justement, leur personnalité, leur potentiel malgré ces traumas, je trouve que c'est le rôle de l'enseignant. C'est d'aller plus loin que la souffrance. Boris Cyrulnik disait justement que les enfants blessés sont encouragés à avoir une carrière de victime. Je dirais que peut-être que les enfants immigrants sont encouragés à avoir une carrière justement de... difficulté, ce qui n'est pas le cas parce qu'à long terme, les études le prouvent. Moi, je me réfère souvent aux données probantes à long terme, on voit qu'ils réussissent beaucoup mieux que des élèves du Québec. Il suffit d'aller voir dans les écoles internationales comme Collège Saint-Louis. Il y a beaucoup, beaucoup d'immigrants et c'est une fierté de les voir réussir. 

Emmanuelle [00:20:04] Bien sûr, bien sûr. Alors vous écrivez alors là, je vous cite : « Est-il possible de développer la résilience chez les élèves? La souffrance relative à l'école, je ne l'ai connue qu'à cinq ans. Alors que j'admirais mon oncle qui écrivait sur une ardoise, ma grand-mère m'a expliqué que, en tant que fille, je ne pouvais pas aller à l'école. La vie en a décidé autrement puisque j'ai quitté l'Atlas pour grandir sur les bancs de l'école égalitaire de la République française. Mais je n'oublierai jamais le sentiment d'angoisse face à l'exclusion. C'est sûrement cet impératif qui m'incite aujourd'hui à faire en sorte que tous mes élèves bénéficient des mêmes chances à l'école. Car après tout, c'est vrai qu'un enfant heureux apprend mieux ». Ça m'a beaucoup frappé, ce que vous dites-là. Et parce que...la première chose que je me suis...la première question que je me suis posée, c'est si vous regardez votre propre parcours de vie, est-ce que vous pensez qu'il y a certains éléments individuels, soit alors vous les nommez, soit familiaux, soit de soutien, soit individuels, familliaux, de soutien, qui ont particulièrement influencé cette résilience chez vous enfin, stimuler cette résilience chez vous? 

Rahouadja [00:21:20] Je vous dirais...je garde déjà le souvenir de mon grand-père, qui était très courageux. D'ailleurs, je me dis j'essaie de me pousser pour écrire un jour un livre sur lui parce qu'il avait fondé lui même...il avait fondé tout un système de marchandises. Il avait monté son magasin, puis il était le symbole même du courage pour moi. Puis l'érudition aussi, parce que je parlais beaucoup avec lui. Très petite, j'avais tout le temps des questions bizarres et c'était le seul qui me répondait. Donc, oui, arrivée à l'école en France ...eh ben ça a été une source de stimulation pour moi, donc j'ai pu continuer à me stimuler. Les enseignants ont été pour moi justement une forme de tremplin vers la culture parce que, comme je disais ils me prêtaient leurs livres. Donc je ne sais pas, peut-être qu'ils m'ont aidée à croire en moi. Ils étaient quand même peut-être fascinés parce que je n'avais pas de livres à la maison. Puis j'absorbais tout. Mais ils ne se rendaient pas compte que c'est parce que les deux mois de l'été c'était une torture pour moi. Donc je peux comprendre quand mes élèves pleurent et me disent « Oh non, je ne veux pas partir en vacances. Je ne veux pas te quitter » parce que c'est comme si on appuie sur pause. Puis on n'apprend plus de la même façon. Donc, je dirais les éléments qui m'ont aidés, oui, familiaux, mon grand-père, l'image, justement, de la force, de....quoi qu'il arrive, on croit en soi, on se dépasse. Puis les enseignants...je nomme mon enseignante que j'avais en français au collège et que j'adorais parce qu'elle m'encourageait à écrire. Chaque fois que je produisais des rédactions, elle était pleine d'admiration. Elle me prêtait ses livres. J'adorais tout ce qui était mythologie. Je ne trouvais pas ces livres, c'était des livres d'adultes dans le rayon enfant donc elle me prêtait ses propres livres. Et ça a été comme une forme de figure emblématique pour croire en moi. 

Emmanuelle [00:23:22] Incroyable. Alors vous êtes passée d'un pays à l'autre, d'une langue à l'autre, alors on voit que là, c'était, c'était déjà mêlé. Il y avait déjà le français dans votre vie en Algérie, je ne me trompe pas? 

Rahouadja [00:23:33] Pas tant que ça, parce que c'était un petit village. À part mon grand-père qui lui lisait, qui était érudit. Mais sinon, le reste...on n'avait pas de télévision. Il n'y avait pas d'électricité.

 Emmanuelle [00:23:44] D'accord, donc, on peut dire transitions dans beaucoup de domaines. Alors là, vous avez dit... quand vous avez parlé tout à l'heure, vous avez... ben il y a une vraie rupture. Il y a un vrai choc culturel aussi. À votre avis, qu'est-ce que ces transitions...dans quelle mesure est-ce que ces transitions ont impacté votre vie et l'impact encore aujourd'hui? Qu'est-ce que vous transmettez à vos enfants? Voilà, car vous avez deux enfants, il faut le dire. 

Rahouadja [00:24:16] Oui, mon mari est Québécois. Donc ils ont justement la double culture, triple culture, même. Pour être honnête, la culture arabe, je ne l'ai pas tant passée que ça. Parce que, justement, inconsciemment, peut-être, j'ai gardé l'idée que ce n'était pas valorisé. Donc, je suis en train de revenir là-dessus, puis de leur faire écouter des chants. J'ai découvert récemment Houria Aïchi, je pense. Elle reprenait tout le folklore algérien. Puis là, j'ai retrouvé toutes les chansons que mes tantes chantaient avec le tambour oriental. Donc il y a un côté vraiment retour aux racines, mais en étant plus riche de tout ce parcours que j'ai vécu. Quand ils étaient petits, je leur faisais écouter toutes les...chansons, les berceuses du monde, la série Dodo la planète do. J'adorais parce qu'ils pouvaient écouter du chinois, du japonais et autochtone...des chansons autochtones. Et c'était important pour moi de les ouvrir à toute cette sonorité là, toutes ces sonorités, parce que je trouve que c'est une richesse et c'était plus facile pour moi aussi en tant qu'adulte que d'écouter Caillou ou les chansons débilisantes pour les enfants. Donc je préférais aller chercher un répertoire plus riche, plus...je dirais humain que les chansons pour bébés habituelles. 

Emmanuelle [00:25:44] C'est très beau parce qu'on entend tout le temps le mot richesse, richesse de la découverte, richesse de la multiplicité, etc. qui reviennent dans votre vocabulaire. C'est vraiment un retournement de situation on dirait par rapport à la manière dont on parle habituellement de l'immigration. En tant qu'enseignante, vous mobilisez ces ressources de la même manière avec vos élèves? 

Rahouadja [00:26:08] Oui, je leur montre que, justement, ils ont en eux un potentiel incroyable et que, en étant dans un autre univers, ce potentiel là peut s'actualiser en étant multiplié parce que justement, ils ont tout leur bagage culturel, plus leur vécu dans le nouveau pays. Je dirais, c'est comme une sorte de...d'oeuvre d'art qu'ils sont en train de tisser. Je parlais tout à l'heure de résilience, mais en fait, il y a un art que j'adore japonais, c'est le Kintsugi, je pense. On utilise les fêlures de l'objet, un objet qui est cassé et patiné on va le recoller mais en mettant des lignes d'or. Donc, c'est comme un nouvel objet qui est sublimé. Et ces enfants là, je trouve que c'est comme une nouvelle identité qui est sublimée parce que ils arrivent avec leurs racines, on leur donne des ailes, mais il y a comme une façon de justement créer une continuité entre ce qu'ils ont vécu, leur bagage. Il y a eu un très beau projet qui a été fait dans une école secondaire. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, le livre Bagages. Ils en ont fait un livre, je pense. Ils ont fait aussi une pièce de théâtre. J'ai adoré parce que je trouvais que c'était justement une façon de prendre le vécu d'un immigrant pour justement le transformer en de l'or. 

Emmanuelle [00:27:33] C'est vrai et c'est un documentaire que j'ai découvert dans le cadre de mes cours il y a un ou deux ans maintenant et qui m'a absolument fascinée. Mais vous-même, et on l'entend vraiment dans ce que vous dites, vous avez mis en place beaucoup de projets, absolument magnifiques. Et vous dites que vous voyez l'enseignant comme quelqu'un qui doit évaluer dans chaque situation sa propre marge de manœuvre. Alors je dois vous dire que c'est vraiment une expression qui m'a séduite parce que c'est vrai qu'on parle très souvent des contraintes de l'enseignant. Par exemple, les politiques linguistiques, les curricula, les programmes d'enseignement, etc. Mais vous, non. Vous ne voyez pas ces obstacles ou ces contraintes, on va dire, mais vous voyez... à l'intérieur de ce cadre, comment est-ce que je peux opérer pour justement stimuler non seulement ces capacités de résilience chez les élèves, mais aussi leurs capacités tout court? Leurs compétences? Est ce que vous pouvez nous parler de ça un petit peu? 

Rahouadja [00:28:49] En fait je pense que si on part du principe que chaque enfant a un potentiel à révéler, on arrive dès le départ avec pas mal de marge de manœuvre parce qu'on croit en lui, puis on va l'aider à croire en lui. Puis, en s'appuyant sur l'expertise des parents parce que j'ai beaucoup aimé dans votre livre, justement, l'idée d'expertise, d'aller chercher l'expertise des élèves, des parents. On a un atout considérable parce que, justement, on peut comprendre l'enfant. Pourquoi est-ce que cet enfant, par exemple, qui arrive...je me souviens d'une petite Ilda Mexicaine qui a pleuré pendant deux semaines, mais en fait c'est parce qu'elle était excellente dans son pays. Puis la pauvre, elle arrive, elle se retrouve dans une situation, un contexte où elle ne maîtrise plus du tout, où elle est, où elle passe d'excellence à novice. Donc c'est en discutant avec les parents que là j'ai compris, ah mais elle il faut que je la mettre en situation, justement de réussite. Il faut que je valorise. Donc elle peut faire un dessin pour pouvoir justement écrire dans sa langue en espagnol, puis moi je peux l'aider à lui expliquer. Où un autre enfant qui pleure parce que, justement, ses grands-parents lui manquent. OK, on va leur écrire une carte postale, tu peux l'écrire dans ta langue. Je crois vraiment en la capacité de l'enfant lorsqu'on lui permet de se sentir expert. Et Françoise Armand, justement, va dans ce sens en disant que, justement, en permettant à l'enfant de reconnaître qu'il est expert dans sa langue, ça permet à l'enfant d'actualiser son potentiel parce qu'il utilise sa langue maternelle ou sa langue première comme tremplin vers la langue seconde. En fait, il se sent autorisé à être lui-même. Il n'est pas dénigré. Lorsque j'ai eu la formation avec Françoise Armand...tout à l'heure je parlais du fait que la langue arabe n'était pas valorisée à mes yeux lorsque j'étais enfant, ça a été comme une sorte de psychothérapie, je me suis dit... c'est génial ce qu'elle dit parce que c'est vrai, en utilisant la langue de l'enfant, on va beaucoup plus loin que... en lui disant « oublie ta langue » en essayant de l'assimiler au lieu de lui apprendre justement à apporter sa richesse. 

Emmanuelle [00:31:12] De l'inclure, de lui dire ton nom est beau. Tout ça parce qu'il ne raisonne pas forcément avec notre culture à nous, enfin, quand je dis à nous, je veux dire notre propre culture individuelle. Alors j'ai trouvé dans vos projets un projet qui m'a beaucoup touchée qui s'appelle Une plume au vent. Et alors on peut le trouver sur Internet, on mettra le lien pour nos auditeurs. Et ce qui me frappe dans vos projets, c'est qu'ils sont très beaux. Il y a beaucoup de beauté...il y a beaucoup d'art. Vous mettez...vous employez des professionnels. Vous faites...voilà, il y a vraiment quelque chose de très beau qui se passe. Donc j'ai l'impression que pour vous, votre marge de manoeuvre en ce qui concerne les pratiques plus inclusives, elle passe vraiment par l'art. Et ça, ça me plaît aussi beaucoup. Est ce que vous voulez nous parler un peu de ces différents projets que vous avez menés ou vous souhaitez mener? 

Rahouadja [00:32:09] En fait c'était une façon de me stimuler. Non, je plaisante. C'était une façon de valoriser les enfants. On avait commencé en 2016 à faire...à regrouper des berceuses, on a une berceuse arabe, une berceuse autochtone, des berceuses en français. Moi, j'avais choisi Colchique dans les prés parce que c'est ce que j'avais appris lorsque j'étais petite. Donc, je m'identifie plus à la culture française parce que j'ai pu m'épanouir dans cette culture-là. Et les enfants avaient pu écrire des contes justement sur les quatre saisons. L'année suivante, on avait fait un projet, puis le nom parle tout seul Terre sans frontières où, justement, on parlait des ponts. J'ai beaucoup aimé votre idée de pont, justement parce que c'est ce qu'on a essayé de faire entre les différentes cultures, mais aussi entre les enfants des classes d'accueil et des classes régulières, parce qu'il fallait les intégrer plus tard. Donc c'était une façon pour nous de les jumeler. Puis, l'an passé, on avait commencé un projet sur le thème de l'écologie. C'était l'être de la terre mère...la mère terre, pardons, à ces enfants. Malheureusement, la pandémie est arrivée, donc on n'a pas pu le continuer mais je le garde en réserve pour dans deux ans. Puis l'artiste avec qui on devait travailler, Benoît Archambault, c'est un ami de Marc Sauvageau avec qui on travaille depuis très longtemps. Et il m'avait dit « ah écoute, on pourrait continuer ». Puis je me suis dit, oui, c'est vrai on pourrait, mais d'une autre façon. Puis j'ai une amie, Stéphanie Nutting, qui enseigne, c'était ma première patronne d'ailleurs, qui enseigne à l'Université de Guelph et elle devait faire un atelier sur la poésie, puis elle m'avait dit « connais-tu des étudiants au Québec qui pourraient justement échanger avec mes étudiants? » Puis, je lui ai dit je devrais te mettre en contact avec Marc parce que lui, il fait des ateliers de poésie mais en slam. Donc, en discutant, on s'est dit on va faire un poème qui va devenir un slam. Donc, on a pris différents poèmes, au départ, c'était le thème, c'était le temps puis c'est devenu les quatre saisons mais c'est pas grave. Mais c'était le rapport au temps et à partir de ces poèmes-là, je vais vous envoyer d'ailleurs le livre, si vous permettez, vous donnerez votre adresse. Je vous en ai réservé un...

Emmanuelle [00:34:29] C'est gentil, merci!

Rahouadja [00:34:30] C'est le livre que l'on voit dans...que les enfants se passent d'école en école. Et l'artiste, Benoît Archambault, du groupe Mes Aïeux avec Anique Granger, a repris justement ces poèmes-là pour composer la chanson. Au départ, on aurait aimé enregistrer les enfants, mais avec les contraintes covidiennes, on n'a pas pu, donc ils ont enregistré dans leur studio. Puis ensuite, on a fait le vidéoclip dans différentes écoles. On voit les enfants qui se passent le livre, mais en fait ce sont des enfants d'écoles différentes. Il y a même un collège en France qui a participé au projet. 

Emmanuelle [00:35:08] C'est formidable. Effectivement, la poésie, c'est une belle manière de mettre en scène à la fois le langage et la culture. Les quatre saisons, c'est vraiment pas...enfin moi, j'ai été pas mal en Amérique du Sud et les saisons ils ne connaissent pas. Enfin dans le pays où je suis allée. Ça a un côté aussi très ancré. Ce qui est très intéressant, c'est que quand on vous écoute, on a l'impression que l'éducation, le monde de l'éducation, c'est le monde idéal de l'inclusion. Mais en fait on sait que c'est souvent, hélas, c'est souvent, l'inverse. L'éducation c'est là que le creux, le fossé, là où le fossé se creuse entre les différents élèves, c'est un monde d'exclusion. Il semble que c'est un risque réel. Dans tout ce que vous nous présentez, on sent que vous avez une approche qui fait appel à la pédagogie différenciée. Est-ce que vous pouvez nous expliquer un peu ce que c'est et puis peut-être nous donner quelques exemples ou un souvenir, ou comment ça se passe? 

Rahouadja [00:36:27] Je me dis qu'en tant que prof d'accueil, on n'a pas le choix de faire de la pédagogie différenciée parce que parfois on a...des élèves de différents niveaux. On va pas apprendre la même chose à un élève de première année et de sixième année. Là, c'est un extrême, ça m'est arrivé de le faire pendant trois mois, c'était assez éreintant, mais souvent, ils sont regroupés par cycles. Donc on a des élèves de 6, 7, 8 ans, 9, 10, 11 ans. Donc, l'enseignant est obligé d'y aller par différenciation. Différencier c'est y aller avec les besoins de l'élève parce qu'on peut avoir un enfant de 9 ans, mais qui a le même niveau académique qu'un enfant de 6 ans. Donc on ne va pas l'humilier en lui donnant des exercices trop faciles. Mais on ne va pas non plus lui donner des bouchées trop grandes parce que sinon, on risque de le décourager. Donc, je dirais que la différenciation, c'est comme une sorte de façon de diagnostiquer le niveau de l'enfant et de donner selon son son besoin parce qu'un enfant de 6 ans. Aussi là j'avais une élève, j'en avais trois en fait de 5 ans qui lisent. Je n'allais pas leur dire non non non attends d'arriver en première année, donc je leur donnais du matériel de première année. Donc je pense que différencier, c'est être à l'écoute de l'enfant et lui donner le matériel avec lequel il peut actualiser son potentiel. Puis, je crois vraiment aux données probantes. John Hattie dit que justement l'effet enseignant est un des facteurs de réussite, justement, et en donnant des facteurs de protection aux enfants, en leur permettant d'actualiser leur potentiel, on favorise leur réussite scolaire mais on les aide à vivre une scolarité réussie aussi parce qu'on parle tout le temps de réussite scolaire, mais je trouve que c'est important d'avoir une scolarité réussie. Puis une scolarité réussie, c'est de se sentir écouté, compris et aussi épaulé à l'école. J'ai en tête le Sens de Claudel lorsqu'il dit connaître c'est naître avec. Et lorsqu'on apprend une langue, on connaît une langue, on naît avec cette langue. Donc c'est une deuxième naissance quelque part. Donc, je pense que notre rôle en tant qu'enseignant, c'est d'aider ces enfants à accoucher de leur deuxième personnalité, pas de leur deuxième personnalité, je m'exprime mal, mais leur nouvelle façon d'être, c'est une façon d'habiter...il y a différentes façons d'habiter le monde. Puis chaque langue, pour moi, correspond à une paire de lunettes pour voir le monde. Donc, plus on a de langues et plus on a de façons joyeuses de découvrir et d'habiter le monde. J'ai toujours eu beaucoup de pitié pour les gens qui s'enferment dans leur façon de penser rigide parce que ils passent à côté de tellement de belles choses. 

Emmanuelle [00:39:13] C'est vrai, c'est très beau de vous entendre. Alors si on pense à l'effet Pygmalion là on peut être sûr que tous vos élèves vont réussir parce que vous avez l'air de croire en eux...c'est incroyable. Alors peut-être pour nos auditeurs on va leur dire que c'est un petit clin d'œil à votre travail aussi parce que vous en avez parlé. Donc, l'effet Pygmalion, c'est l'idée que si on pense positivement d'un élève, eh bien il va être encouragé à réussir, alors que si on pense négativement de cet élève, il va être encouragé à rater, on va dire...à l'exclusion. Donc comment...en fait vous nous donnez la recette aussi pour justement travailler à plus d'inclusion par un travail sur soi, en tant qu'enseignant qui est accueillir, croire en nos étudiants, croire dans leur famille, mettre en place un lien de confiance avec ses parents, les interroger sur le niveau des enfants. Tout ça, je l'ai entendu en vous parlant aujourd'hui en l'espace de 40 minutes, je trouve cela extraordinaire. J'ai envie de vous poser la question que je pose à beaucoup de mes invités qui est si vous pouviez rêver d'un système éducatif idéal, à quoi est-ce qu'il ressemblerait? 

Rahouadja [00:40:22] En fait, comme on parle tout le temps du futur de l'éducation, il y a plusieurs futurs à mon sens. Puis il n'y a pas un système idéal, il y a plusieurs systèmes et je dirais que ce serait des systèmes qui répondraient aux besoins des enfants, mais aussi à ceux des enseignants, parce qu'on parlait tout à l'heure de l'inclusion. On l'a vécu à Montréal. Il y a eu des classes entre guillemets qui répondaient aux besoins des enfants qui ont été fermées parce que ça a été l'intégration à tout prix. Mais ça a été très mal fait et en voulant intégrer, ils ont exclu parce que les enseignants se sont retrouvés avec...débordés, avec des enfants pour lesquels on ne pouvait pas offrir de services. Donc c'était une exclusion dans l'inclusion. C'était une inclusion politique, je dirais, mais qui n'a pas été réfléchie. Le système éducatif idéal, je trouve qu'il devrait tenir compte justement de l'expertise des enseignants. Aussi on parlait tout à l'heure de l'expertise des enfants et des parents. Mais les enseignants aussi ont leur mot à dire. Les enseignants, les directions. Moi j'ai connu et puis là j'ai une excellente, j'ai la perle des perles... direction qui justement écoute son personnel, écoute les enfants, puis tient compte des besoins réels et non pas des taux de réussite ou des contraintes budgétaires. Donc, je me dis un système idéal serait un système où l'enfant serait pris en charge, mais avec son potentiel à actualiser et où les enseignants auraient leur mot à dire. D'ailleurs, j'ai beaucoup aimé dans votre livre le fait que vous mentionnez justement l'expertise des enseignants parce qu'il faut rendre à César ce qui est à César. Ils sont là aussi pour connaître, écouter les avis des recherches...des chercheurs, pardon, mais aussi donner leur avis. Puis, je vous remercie de me donner une tribune. 

Emmanuelle [00:42:22] Ha! Ha! Ha! Ha! C'est moi qui vous remercie. La dernière question, c'était de savoir s'il y avait quelqu'un ou plusieurs personnes peut-être que vous voudriez remercier, des personnes qui auraient influencé particulièrement votre parcours. J'ai l'impression que le premier ce serait votre grand-père, mais peut-être que vous avez envie de citer d'autres personnes. 

Rahouadja [00:42:44] Je dirais mon prof de philosophie qui m'avait ouvert justement aux valeurs platoniciennes. Tout à l'heure vous me parliez du beau, c'est une façon justement de valoriser le beau, le bon, le vrai, puis le beau par l'art, le bon par la bienveillance, le vrai par l'authenticité de l'enseignant. Je citerai aussi Françoise Armand parce que je trouvais que ces travaux, ces ateliers, ont été vraiment une véritable...je dirais pas révélation puisque je travaillais déjà de la sorte, mais ont été une source d'inspiration, sa fleur des langues. Chaque année, je demande aux enfants, justement, de me donner leur langue, puis on fait la fleur des langues. Marguerite Yourcenar pour sa vision aussi positive de l'éducation en passant l'érudition, toujours donner aux enfants ce qu'ils demandent et ne pas tout le temps donner moins. Maria Montessori...pour le côté actualiser le potentiel de l'enfant, mais en suivant son désir épistémologique, son désir d'apprendre. Donc oui, je pense que c'est une gamme assez riche, mais je suis quelqu'un de très éclectique, 

Emmanuelle [00:43:58] En tout cas quelqu'un de passionnant. J'ai l'impression que en une...en un entretien, on ne va pas épuiser tout ce qu'on pourrait dire, tout ce qu'on pourrait se raconter. Je voudrais juste dire aux auditeurs que si vous tapez sur Internet le nom de Rahouadja, vous trouverez pas mal de choses à lire. J'ai moi-même été passionnée par un article dont je me suis beaucoup inspirée pour construire cet entretien et vous le trouverez sur Internet à l'adresse que nous mettrons sur notre site. Il s'appelle Contrer la souffrance à l'école : du pâtir à l'agir, qui est vraiment très, très intéressant. Et puis, je vous invite à visiter les nombreux projets que Rahouadja a menés avec ses différentes classes et dont vous trouverez aussi les liens en ligne. Permettre aux enfants d'être des experts, être à l'écoute, écouter aussi les besoins réels des enfants, des familles, mais aussi de leurs enseignants et faire du vrai pour leur l'authenticité. Je pense que ce sont de belles, de belles manières de clore cet entretien qui m'a beaucoup apporté. Merci beaucoup Rahouadja pour votre témoignage et au plaisir. 

Rahouadja [00:45:15] Merci à vous Emmanuelle. Au plaisir. Ça a été un plaisir. Merci beaucoup. 

Joey [00:45:21] Vous avez aimé cet épisode, faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca