Quoi de neuf ?

Entretien avec Edith Aubin

September 24, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 10
Quoi de neuf ?
Entretien avec Edith Aubin
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Edith Aubin, enseignante à l'école international d'Atlanta 


Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Édith Aubin, enseignante à l'École internationale d'Atlanta. 

Edith [00:00:07] C'est là aussi que moi, en tant que enseignante, je dois apprendre parfois à lâcher prise pour laisser ce moment arriver et les laisser dans ce moment de plaisir. 

Joey [00:00:17] Bienvenue à Quoi de neuf. 

Emmanuelle [00:00:34] Dans cette saison des balados du CREFO, nous nous intéressons particulièrement aux pratiques pédagogiques plurilingues et inclusives, c'est-à-dire qui concerne toute la classe et non pas un seul élève. Aujourd'hui, j'ai donc le grand honneur de recevoir madame Édith Aubin. Édith, vous êtes enseignante de français dans le programme d'éducation intermédiaire et le programme du diplôme du baccalauréat international à l'École internationale d'Atlanta. J'espère que je l'ai bien dit, je crois que ce sont plus ou moins des traductions de l'anglais. Alors Édith, vous avez toujours été enseignante, alors vous m'avez dit depuis 25 ans, je ne compte plus. Vous êtes diplômée de lettres modernes. Vous avez un parcours assez impressionnant. Ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud pour ceux qui connaissent. Vous avez passé l'agrégation de lettres modernes en France. Vous avez fait ce qu'on appelait autrefois le DEA qui est l'équivalent d'un master 2. Et puis, vous avez été assistante à l'Université de Lille 3 tout en travaillant à une thèse. Alors vous m'avez dit sur les écrivains utopistes du 17e et du 18e siècle et vous avez ajouté je n'invente pas, voilà. Et puis de la France vous êtes passée aux États-Unis. Alors, ma première question parce que vous savez que je m'intéresse beaucoup aux histoires de migration, aux parcours migratoires souvent compliqués, comme des mosaïques et qui racontent la passion des intervenants pour l'enseignement et pour les langues. Alors, je voudrais savoir pour vous, comment ça s'est passé? 

Edith [00:02:18] D'accord. C'est une histoire comme vous dites, à la fois compliquée et extrêmement banale je pense. Quand j'en parle à mes collègues, ils disent que c'est tout à fait banal. Donc, j'étais partie pour enseigner en France, à l'université. Je travaillais à ma thèse comme vous l'avez dit sur des écrivains obscurs du 17e et du 18e siècle et j'ai fait un échange avec l'Université Emory à Atlanta, où j'enseignais quelques cours et je continue à faire des recherches et j'ai rencontré celui qui allait devenir mon mari à cette époque, qui était russe et étudiant en sciences physiques, donc à la même université. Alors j'ai passé quelques années dans l'avion, bon on va faire court mais...entre les deux continents, aller et venir essayant de finir vaguement ma thèse à Lille puis, en même temps, étant tout le temps dans l'avion, bref, à un moment, je me suis dit ça va pas, c'est pas bon pour ma santé. Et donc, j'ai décidé de venir à Atlanta et j'ai trouvé un poste à l'école internationale qui était une école très jeune, qui venait...enfin qui avait quelques années seulement d'existence. Et je pensais y rester peut-être un an ou deux, et j'y suis toujours, vingt-cinq ans plus tard, je crois ou non 22 ans enfin je sais plus. Plus de vingt ans plus tard.

Emmanuelle [00:03:40] C'est très impressionnant et puis, je pense que vous êtes, vous n'êtes pas la seule à avoir migré par amour. Moi aussi, c'est l'amour qui m'a amenée aux Pays-Bas et qui ensuite m'a conduit encore ailleurs. Et je pense que c'est une belle raison pour apprendre les langues. Alors est-ce que vous parlez russe?

Edith [00:03:57] Alors, je sais pas répondre vraiment à cette question. Disons que je le lis, je sais beaucoup de russe, je comprends quand mes beaux-parents parlent, quand mon mari parle. J'arrive à lire, je parle très mal. J'ai un accent horrible. Je fais rire mes enfants. Mais bon, j'arrive à communiquer on va dire. Je suis pas formidable mais voilà.... 

Emmanuelle [00:04:19] Mais chez vous la communication c'est en français? En anglais? 

Edith [00:04:25] Alors c'est compliqué. La communication est essentiellement en anglais quand tout le monde est là parce que mon mari, pareil il a une compréhension passive du français mais il est du genre je parle pas si ce n'est pas parfait. Donc, il ne parle pas et donc il répond en anglais. On a un peu pris cette habitude avec lui, mais il a toujours été extrêmement...Il m'a soutenue énormément avec le français donc j'ai toujours parlé français aux enfants, et mon mari semble participer à la conversation en anglais. C'est un peu bizarre, mais nous ça marche comme ça. Et les enfants ont à un moment été russophones. À un moment, ils ont été trilingues. Et puis le russe s'est peu à peu appauvri puisqu'on a eu beaucoup de mal à maintenir les trois langues, notamment au niveau de la littératie, c'est difficile. On a essayé, on les a mis à l'école du samedi et puis, on était les mauvais élèves. C'était une école assez traditionnelle, alors on les faisait presque monter sur la table et réciter des poèmes en russe. Et ma fille, elle avait toute la semaine où elle avait pas mal de travail avec le français et l'anglais quand même. Et le samedi c'était la panique avec son papa, elle essayait de répéter le poème et hop, pas terrible. Ha! Ha! Ha! Ha! Donc on s'est dit bon, c'est trop dur et après on les a gardés dans l'école russe mais c'était des classes où le russe était un moyen de communication. Mais ce n'était pas étude de la langue. Et donc, ma fille a fait du dessin, vous allez me dire pour les langues, c'est peut-être pas formidable, mais quand même elle a un vocabulaire très spécialisé. Donc elle a fait toutes les classes, tous les niveaux de dessin, peinture. C'était une passion. Et donc, le professeur parlait en russe quand même, elle racontait des histoires donc on a gardé ça et mon fils a fait aussi quelques classes, mais un peu moins, un peu moins. Ça a été plus difficile avec lui. Il est très perfectionniste et c'était pareil, c'était une langue chasse l'autre un peu quand il était enfant. 

Emmanuelle [00:06:23] C'est amusant de voir...c'est quelque chose qu'on connaît pas dans ce podcast c'est la norme. Il n'y a pas de norme dans ce podcast et c'est vraiment très représentatif du plurilinguisme, qui est une compétence fluide, dynamique qui se développe au fil des rencontres et voilà. Et puis aussi portée par les personnalités, les passions etc. Merci. Alors, je vous avoue que l'une des raisons pour lesquelles je voulais tellement avoir cette discussion avec vous, c'est que moi-même et je pense que c'est pareil pour vous, j'aurais adoré que mes propres enfants puissent bénéficier du programme dans lequel vous enseignez. Donc vraiment j'aimerais bien que pendant cette séance, on essaie de comprendre pourquoi ce programme est si riche et dans quelle mesure il est profondément inclusif. Voilà donc d'abord, je voudrais vous poser une question très simple, mais peut-être aussi très compliquée. Ça veut dire quoi coordinatrice du programme Apprentissage autonome soutenu par l'école. C'est quoi ça?

Edith [00:07:37] Exactement, ça a un nom très barbare et quand j'ai pris ce poste, je me suis dit faut qu'on change le nom mais j'ai pas encore trouvé un nom, vous allez peut-être m'aider, j'ai pas trouvé le nom qu'il fallait. Donc, c'est...en anglais c'est SSST. La raison pour laquelle c'est appelé comme ça, c'est School-Supported Self-Taught Language et c'est un programme qui a été commencé par le bac international. Donc, il existe depuis assez longtemps. Mais au niveau du bac, donc les élèves pouvaient, de manière autodidacte, prendre cette classe de littérature. C'est un cours de littérature. Les élèves sont donc...ont des livres à lire, à analyser et ils sont soutenus par un professeur de l'école qui en général bien sûr, ne parle pas toutes ces langues mais qui est un professeur de littérature. Donc, pendant...c'est dans l'emploi du temps de la classe, de l'école. Pendant ce temps, les élèves travaillent de manière plus ou moins autonome mais le professeur peut leur donner des conseils de méthodologie. Il y a trois œuvres qui sont lues en traduction et que les élèves lisent tous et ces œuvres-là on peut les discuter en anglais. Donc, ce programme il existe je crois alors, je veux pas dire de bêtises, mais je crois plusieurs décennies. Ça fait très longtemps. Il s'est enrichi progressivement. Il y a une variété de langues assez incroyable. On peut même demander une autre langue, mais il faut...il faut simplement démontrer qu'on peut trouver des ressources, publier ses ratures dans cette langue.

Emmanuelle [00:09:06] D'accord, je voudrais juste une petite précision pour nos auditeurs que quand vous parlez du bac, vous parlez de l'examen final du secondaire. Parce que le bac, ici au Canada, c'est le bachelor. Donc, on parle de l'examen final du secondaire, de l'école secondaire. 

Edith [00:09:26] Oui, oui, tout à fait. Et donc, ça existe depuis longtemps à ce niveau-là. Ce qui est vraiment nouveau, c'est l'idée de le faire pour des classes plus jeunes. Et donc ça, on a commencé il y a quelques années, alors c'est pas moi, c'est une collègue d'anglais qui avait commencé à faire une classe pré bac en disant ces enfants qui arrivent avant, c'est dommage parce qu'ils perdent la capacité d'écrire et de lire dans leur langue. En fait, on leur offre cette possibilité là, mais on avait très peu d'élèves au final qui pouvaient prendre cette option de littérature au niveau des dernières années du secondaire. Donc, on a dit faudrait qu'on ait un pont et qu'on puisse amener ces élèves à ce niveau-là. Donc, on a commencé de manière un peu prudente, la classe juste avant, puis après on est descendu et donc on est arrivé il y a deux ans seulement aux plus jeunes. Alors je sais pas ce que c'est, c'est la première année de collège...

Emmanuelle [00:10:23] Disons 12 ans. 

Edith [00:10:25] Voilà exactement 11, 12 ans. Donc les 11-12 ans et jusqu'au bac. Donc c'est ça. Alors on a commencé ça....alors mon travail consiste à...j'enseigne déjà, j'enseigne les deux classes, donc une classe de première et deuxième année, donc les plus jeunes, et ensuite la classe qui va porter les élèves jusqu'au niveau du bac. J'ai un collègue qui fait la classe, donc les deux dernières années, le programme du bac international du diplôme. Donc moi, je fais ça. Alors mon travail, c'est déjà d'enseigner, de construire un curriculum parce qu'il y en avait pas du tout, donc c'est un énorme travail et je suis encore....je prétends pas avoir résolu tout ça. Je suis encore en train d'y travailler, de recruter des correcteurs parce que peut-être que je devrais expliquer.

Emmanuelle [00:11:18] Alors oui, si vous me permettez donc en fait, ce sont des élèves qui arrivent dans une école où ils vont avoir...alors j'essaie de résumer, vous me corrigez si je me trompe, 50 % d'enseignement en français, l'autre peut-être 50 % en anglais. Et puis, dans ces deux 50 %, on va essayer de caler votre programme, c'est-à-dire ce programme en langue maternelle. Alors on l'appelle langue maternelle mais je peux imaginer que il y a une famille qui parle soit par exemple...russophone, mais qui en fait a vécu en Allemagne et qui choisit l'allemand? Je dis ça comme ça. 

Edith [00:11:51] Alors je rectifie juste un petit peu. On est à peu près à 50 % pour notre...parce qu'on est une classe...on va de la maternelle au bac, pour la classe, pour le primaire, donc vraiment les plus jeunes, l'école, je dirais que oui, il y a des sections, on a trois sections : français, espagnol et allemand et maintenant on a chinois aussi on a quatre sections. Pour les sections français, espagnol, allemand, on est à peu près 50 %, donc c'est quand même...Pour les plus petits, c'est du 100 %, les tout petits, les 3-4 ans. Mais la place de... 

Emmanuelle [00:12:24] 100 % de français ou 100 % d'espagnol? 

Edith [00:12:26] Oui, de français ou d'allemand voilà. Quand on arrive au secondaire, malheureusement les élèves n'ont que deux langues en français, en allemand ou en espagnol, c'est-à-dire la classe de langue et la classe de sciences humaines. Donc, ils n'ont que deux classes, le reste est en anglais. Donc l'enseignement est essentiellement en majorité anglophone, mais on estime qu'à ce stade, les enfants ont acquis des compétences en français qui font...en allemand ou en espagnol...qui font qu'ils sont capables de lire au même niveau on va dire que des enfants dont c'est la langue première. Je ne sais pas comment dire ça mais...Donc, on a un programme qu'on calque un peu sur ce qui est enseigné en France, voilà donc et on suit le programme d'éducation intermédiaire. 

Emmanuelle [00:13:14] Donc, en fait ce que vous êtes en train de nous dire, c'est que le mandat de cette école, c'est la plurilittératie, donc en anglais et soit en français, en allemand ou en espagnol. Et ça, ça marche déjà, ça ça marche. Et puis vous arrivez au secondaire et là, vous rajoutez les langues des familles. 

Edith [00:13:38] Et l'idée, c'est qu'on avait aussi pas mal de gens qui arrivaient plus tard. On a des entrées différentes, donc c'était un peu difficile pour des gens qui arrivent et qui voulaient entrer au secondaire s'ils n'avaient pas suivi tout le parcours. Et si l'anglais n'était pas leur langue aussi. S'ils n'étaient pas...d'avoir cette possibilité de renforcer, d'utiliser leur langue maternelle, ça c'était aussi une idée d'inclusivité. C'est pour ça que dans ma classe, d'ailleurs, j'ai un profil, j'ai des profils extrêmement variés. 

Emmanuelle [00:14:07] Alors voilà exactement donc on arrive à vos élèves. C'est qui, qui sont vos élèves?

Edith [00:14:12] Qui sont mes élèves? Alors j'ai absolument tout. J'ai des élèves, on va dire, bilingues ou trilingues et biculturels ou tri...enfin qui vraiment ont ces compétences souvent bilingues, on va dire et biculturelles. Donc, il y a les deux. Il y a une connaissance de la culture, ils ont vécu dans le pays, une connaissance des deux langues. Ils peuvent lire dans les deux langues, ils peuvent écrire dans les deux langues. Mais ce n'est pas la majorité des élèves. Mais j'en ai pas mal comme ça. J'ai ensuite des élèves qui sont, on va dire bilingues, mais pas biculturels. Ils ont un très bon niveau de compétence dans les deux langues, ils ont jamais vécu dans le pays. Ils sont majoritairement...ils baignent dans une culture qui est plutôt de culture américaine ou une autre d'ailleurs. 

Emmanuelle [00:15:00] On oublie ça, on oublie ça que c'est possible, qu'il y a beaucoup de bilinguisme sans biculturalisme. 

Edith [00:15:06] C'est ça et donc c'est un autre niveau. Et puis j'ai des élèves qui eux arrivent, qui ont leur langue à la maison, qui est par exemple le coréen et qui apprennent l'anglais, donc qui sont en train d'apprendre l'anglais, ils sont en train de s'adapter. Ces enfants-là, ils n'ont que ma classe qui est dans leur langue maternelle, j'ose pas dire maternelle, je ne sais pas comment appeler ça, il doit y avoir un terme, dans leur langue première. Ils n'ont que ma classe et la langue et le cours qu'ils ont en anglais est un cours pour enfants, je sais pas primo-arrivants, mais qui apprennent l'anglais donc c'est un cours de langue étrangère. C'est très important pour ces enfants d'avoir cet espace là où ils peuvent continuer à lire des livres en coréen, écrire des histoires en coréen. Évidemment, le défi pour moi, c'est que la langue de communication, c'est l'anglais. Donc, ces enfants-là ayant très peu d'anglais, je fais tout ce que je peux pour les aider à comprendre mes directives. 

Emmanuelle [00:16:03] Alors ça, c'est génial parce qu'on est en plein dans le souci parce que quand on parle de pédagogie plurilingue, les profs nous disent oui, mais vous êtes gentils, moi, je ne parle pas ces langues. Alors c'est votre cas, j'ai trouvé la perle rare. J'ai trouvé cette prof qui enseigne dans toutes les langues sans en parler aucune, enfin pardons mais...

Edith [00:16:27] Pratiquement pratiquement, je dois dire, parce que je ne suis bilingue, je suis bilingue français anglais. J'ai plein de connaissances vagues parce que j'aime la linguistique, j'ai fait la linguistique. Donc je reconnais des choses, j'étais très bonne en grammaire. Mais voilà non, je ne les parle pas et en plus, les langues que j'ai cette année, alors vraiment rien. J'avais du russe l'an dernier alors j'étais un peu à l'aise, j'étais contente. Mais cette année rien. J'ai du japonais, du coréen, du lituanien, j'ai très peu de langues en fait romanes. Quand j'ai l'italien, ouh là, ça va, mais là, j'ai que...j'ai du chinois, j'ai de l'hébreu, l'arabe. Donc, j'ai vraiment...c'est des langues non seulement je les parle pas, mais même il m'est difficile de dire s'ils ont écrit. Quand je dis écrivez un paragraphe en hébreu, je veux dire, bon est-ce que.. alors c'est très intéressant comme défi. 

Emmanuelle [00:17:21] Je trouve ça absolument génial. Alors vous m'avez envoyé quelques exemples des travaux de vos élèves, je les en remercie d'ailleurs et je me suis amusée. J'ai pris, j'ai copié collé des paragraphes dans des moteurs de traduction et je dois dire que c'était limpide. J'ai eu aucun problème à comprendre. Alors j'ai essayé le japonais... 

Edith [00:17:50] Je fais ça. 

Emmanuelle [00:17:50] Voilà, je me demandais est-ce que vous utilisez ce type d'instruments? 

Edith [00:17:55] Oui, moi j'utilise beaucoup, bien sûr. Parfois, il y a des choses bizarres, mais je demande à l'élève. Je lui dis est-ce que tu veux m'expliquer là, je crois que le moteur traduction a dû prendre un mot particulier, mais c'est pas bon. Les élèves aussi qui viennent d'arriver et qui ne sont pas très bon anglais, je les laisse utiliser les moteurs de traduction pour traduire mes consignes ou parfois on prend par exemple là avec les plus grands on est en train de travailler sur les médias et on regarde différents types d'articles. Donc je leur ai donné un exemple d'éditorial. Donc, évidemment, cet élève peut traduire, j'ai expliqué les principes, mais je laisse l'élève qui ne peut pas traduire. Donc, c'est un vrai tabou ça pour les profs de langues. Quand je dis on utilise les moteurs de traduction ils disent « Oh !! Tu utilises des moteurs de traduction?? ».

Emmanuelle [00:18:35] Mais au contraire! Au contraire! 

Edith [00:18:39] « Tes élèves vont vraiment travailler et pas juste mettre le truc? ». J'ai dit « mais non, c'est pour qu'ils comprennent! ». En fait, donc c'est vrai que ça remet en cause beaucoup peut-être d'a priori sur l'enseignement des langues et sur la place du professeur. Et ça, ça demande énormément de communication avec les parents, avec les élèves pour expliquer ce que c'est, avec les collègues aussi qui enseignent les autres langues, parce que c'est pas toujours compris. Et surtout, avec ce titre barbare SSST, les gens mettent 6 -S, au bout d'un moment je leur dis, « bah arrêtez, y'en a déjà 3, n'en mettez pas 6! ». 

Emmanuelle [00:19:17] Alors, les parents, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup parce que, justement, l'un des défis de l'enseignement, parce qu'on sait en éducation que l'une des clés de la réussite des élèves c'est d'arriver à créer un partenariat avec les parents. Quand je dis partenariat, je dis pas OK qu'ils accompagnent les sorties scolaires, mais plutôt qu'ils adhèrent au projet éducatif porté par l'école. Alors je me demandais comment ça se passe autour de ce cours. Quelles sont les réactions? 

Edith [00:19:51] Alors, je communique tout le temps, je recommunique, j'ai compris qu'une fois ne suffisait pas. Je fais une belle présentation en début d'année, mais c'est quelque chose que je dois tout le temps réexpliquer. Et notamment parce que c'est un nouveau programme. J'ai encore des parents qui m'écrivent en disant est-ce que mon enfant peut être dans votre classe et puis s'inscrire à un cours en ligne et puis utiliser ce temps pour faire le cours en ligne, pour faire sa grammaire. Je dis non, ce n'est pas l'idée cette classe. Vraiment pas. Bien sûr, je donne du temps pendant le cycle, je donne un moment aux élèves où ils peuvent travailler en autonomie et je leur dis prenez votre grammaire et regardez les fautes que vous avez faites dans l'évaluation précédente et regardez si vous pouvez réviser vos verbes. Je leur dis...ça, c'est vraiment aussi leur apprendre à chercher des outils et à développer leur autonomie. Donc je dis si cet élève a un cours et qu'elle veut réviser quelque chose pendant ces 40 minutes que je donne oui, mais elle fait partie de la classe et elle va écrire des choses qu'on écrit. Mais c'est pour vous dire il y a quand même cet....c'est quelque chose qu'il faut expliquer et leur dire moi, je suis là pour les aider à apprendre. Je suis quand même professeure de littérature donc je sais ce que je fais quand je parle des livres. J'ai une compétence mais qui est une compétence qui n'est pas dans la langue du cours. 

Emmanuelle [00:21:19] C'est justement quelque chose que j'ai adoré. Par exemple, l'exemple que vous m'avez envoyé en japonais, c'était apparemment un cours que vous aviez donné sur la poésie. Alors, il était allé chercher, cet élève, un poète japonais que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam parce que ma culture est nulle dans ce domaine. Et donc, moi, je dois dire que cela m'a beaucoup intéressée. Je ne me suis pas arrêtée là. Je suis allée...je suis même allée, j'ai tapé le nom de ce monsieur en ligne, je suis allée voir qui c'était. Donc à moi aussi, ça m'a ouvert un nouvel univers. Et je me disais, ce que j'ai énormément aimé, c'est cette notion non seulement d'autonomie parce que l'étudiant c'est vraiment ce qu'on appelle ici, basé sur la recherche inquiry-based donc l'étudiant vous le lancer sur une idée et puis il s'en va. Mais aussi, cette idée de réciprocité qui me touche beaucoup, c'est-à-dire on lui dit, implicitement, « Ok ta culture elle est belle, partage avec nous parce qu'on n'y connait rien. Est-ce que tu peux m'introduire à ton patrimoine culturel, langagier voilà. ». Quelle est la réaction des élèves vis-à-vis de ça? 

Edith [00:22:37] Ils adorent ça. C'est vraiment une des choses que parfois, j'avais des scrupules au début, puisque je me disais il faut que je fasse attention au pourcentage en anglais, faut pas que je prenne trop de place avec l'anglais, faut que je leur laisse le temps de travailler dans leur langue. Il y a cette idée quand même qu'ils sont là pour progresser dans leur langue. Mais j'ai compris très vite qu'il fallait vraiment aussi qu'il y ait des échanges entre les élèves, même s'il y en avait...Bon parfois, j'ai deux élèves qui parlent la même langue, mais même si ils parlaient pas la même langue, même s'il y en avait qui étaient moins bons en anglais, on fait beaucoup de...donc maintenant, on s'est mis surtout avec les petits, on fait des affiches plurilingues. Alors ils écrivent des idiomes dans leur langue et puis ils expliquent ce que ça veut dire et pourquoi quand on traduit en anglais c'est ridicule. On fait beaucoup de choses comme ça. Ils sont passionnés par ça. J'avais une petite qui faisait du géorgien. Elle a commencé à apprendre l'alphabet aux autres, alors je disais bon, les parents vont m'embêter là parce que ça fait 20 minutes qu'on fait du géorgien alors qu'ils ont inscrit leurs enfants pour qu'ils fassent du russe ou du néerlandais. Mais bon, ça, c'est organique. Ça s'est fait naturellement. Ils ont trouvé ça beau, ils se sont dit ah comment j'écris mon nom? C'est quelque chose vraiment important. 

Emmanuelle [00:23:52] C'est ça et c'est tout à fait, je dirais, tout à fait caractéristique de ce qu'on sait de l'enfant plurilingue, c'est-à-dire cette ouverture naturelle envers ce qui est différent, ce qu'on ne comprend pas, qui est chez les autres souvent une peur, la peur de l'autre et chez eux, très souvent, une curiosité qu'il suffit de stimuler finalement, et qui se traduit dans un contexte scolaire en curiosité intellectuelle. Alors, j'ai vu que vous faisiez un très grand travail aussi sur le genre, c'est-à-dire ce qu'on appellerait la structure, la structure du texte ou la structure par exemple, j'ai vu un exercice aussi que vous aviez créé, où les élèves devaient faire une recette et puis de choisir pourquoi était leur recette. Alors c'était pour être heureux ou je ne sais quoi. Est-ce que vous voulez en parler un petit peu? 

Edith [00:24:51] Oui, c'est une manière pour moi d'essayer de contourner...bon déjà, j'aime beaucoup ce genre d'activité créatrice à partir des textes. On avait lu Harry Potter parce que le choix des livres je suis un peu limitée. Il faut que ce soit traduit dans tout, y compris le géorgian. Donc, j'ai ma liste des livres les plus traduits enfin bref, mais donc on a tous lu ça et on a commenté d'ailleurs les noms parce que c'est marrant comme ils sont traduits. Tous les noms, c'est extraordinaire. Et donc l'idée était que les élèves revoient des certains points de langue dans leur langue aussi, notamment l'impératif, les mots pour la cuisine. Donc, ça a occasionné une recherche aussi linguistique on va dire. Ils ont adoré parce que c'est une vidéo donc, c'est aussi travailler la terminologie. Ils adorent ça. 

Emmanuelle [00:25:39] C'est dans leur domaine. Mais c'est ça, la littératie nous on dit les littératies c'est-à-dire c'est l'usage de toute forme de littératie, de tout ce qui nous aide à comprendre le réel, qui est aussi bien visuel, qu'oral, textuel, littéraire, voilà. Et je trouve extraordinaire comment vous mettez ça, vous donnez naissance à ce type de tâche...vous devez être une personne très artiste ou créative. 

Edith [00:26:11] J'essaie, mais malheureusement je ne dessine pas comme ma fille. J'aimerais...je ne sais pas d'où ça lui vient, parce que ni mon mari ni moi nous pouvons dessiner. Mais ma créativité c'est plus la musique, l'écriture et elle, elle dessine extraordinairement bien. Donc quand elle était là, je la recrutais parfois pour faire des dessins, maintenant je peux plus. Elle est partie.

Emmanuelle [00:26:31] Alors il y a....ah nos enfants! Alors, il y a un aspect qui m'intéresse beaucoup, à la fois pour des raisons de logistique ou de management que pour des raisons pédagogiques. C'est la question de l'évaluation. Donc vous avez mentionné que vous êtes en lien avec des enseignants de ces langues. Chaque fois il faut les trouver. Comment ça se passe? Est-ce que vous pouvez nous dire à la fois concrètement et puis ensuite sur le plan de la communication? 

Edith [00:27:06] En effet, c'est moi qui dois trouver ces...ça c'est le premier défi de l'année, d'autant plus que j'ai souvent des élèves qui arrivent tard. Heureusement, maintenant je commence à avoir ma liste de professeurs, alors je commence par recruter localement, on va dire. Donc je cherche dans l'école, je cherche...on a un programme aussi dans le primaire, alors je ne veux pas m'écarter trop mais qui est de langue...on appelle ça langue d'héritage. C'est un peu différent, c'est après l'école et c'est...il n'y a pas vraiment nécessité de maîtriser la langue mais il y a des profs qui viennent et qui offrent des cours dans plusieurs langues. Donc, si on a de l'intérêt, on a du farsi, on a du russe. Donc voilà, donc c'est...il y a des professeurs qui sont là et qui viennent simplement une ou deux fois par semaine. Donc, il m'arrive de les contacter, de leur demander est-ce que ça vous intéresse aussi d'être correcteur pour le secondaire. Il y a des écoles comme l'école russe dont je vous parlais. On a pas mal d'écoles à Atlanta qui sont quand même des écoles du week end. Donc je vois avec ça. Je vois si c'est des gens qui ont de l'expérience et il y a les écoles, le réseau des écoles internationales. Donc, j'écris à droite, à gauche. Je connais des gens qui étaient chez nous et qui sont partis. Donc je leur dis est-ce que tu connais un bon prof de coréen....

Emmanuelle [00:28:22] Un petit clin d'œil au réseau des écoles internationales qui est vraiment...on entend par la voix d'Edith...un réseau extrêmement créatif et ouvert au plurilinguisme et à la diversité. Donc, vous recrutez ces enseignants et ensuite? 

Edith [00:28:43] Donc, une fois que je les ai recrutés sauf bon, il y a des enseignants qui enseignent aussi dans le même programme, par exemple le professeur de coréen, elle enseigne dans un programme équivalent coréen. Donc, il n'y a pas trop de problèmes de formation on va dire. Mais je fais des vidéos, j'essaie d'expliquer comment, quels sont les critères, comment on les utilise dans des exemples de tâches, tous ça en anglais bien sûr qui est la langue de communication et je l'envoie. Et puis, il y a une communication constante, c'est-à-dire que quand j'ai fait une tâche, je l'envoie à l'avance et je leur dis voilà quel va être ce que vous allez corriger dans trois semaines. Voilà ce sur quoi on est en train de travailler. Et puis après, je leur envoie, je leur demande....j'ai un formulaire quand même, je suis assez contraignante. Je leur dis voilà ce qu'il faut remplir. Et puis, si je trouve que le retour n'est pas suffisant, parfois je leur demande un peu plus de détails. La langue est-ce que vous pouvez ajouter des détails, c'est d'autant plus important que les enfants, ce retour ils l'ont quatre fois par semestre, ce qui n'est peut-être pas énorme même s'ils en ont avec moi sur le contenu, c'est-à-dire on est toujours en train de discuter sur ce qu'ils font, ce qu'ils écrivent. Je leur dis « Est-ce que tu as vraiment fait ça? Est-ce que tu as des mots qui parlent de ça? ». Donc j'essaie, mais je peux pas évidemment vérifier la correction grammaticale lorsqu'ils écrivent...

Emmanuelle [00:30:09] C'est noté ou c'est juste une évaluation formative?

Edith [00:30:11]  Il y a les deux. Je fais les deux, c'est-à-dire que là, je fais souvent en début de semestre.... là, j'ai envoyé quelque chose qui n'était pas noté et j'ai vraiment insisté pour qu'il y ait des commentaires qualitatifs et pas de notes sinon les élèves regardent que la note, ils lisent pas. Donc, il y a les deux. Et même quand il y a une note, il y a vraiment beaucoup de commentaires. Donc ça c'est extrêmement important. Évidemment, les correcteurs sont rétribués. C'est un travail, donc on les rétribue. On a un budget pour ça.

Emmanuelle [00:30:42] D'accord, c'est une chance. Est-ce que les parents s'en mêlent, est-ce qu'ils aident leurs enfants, est-ce qu'ils ont été vexés par des retours sur la langue? Parce que par exemple, les anglais, il y a plein d'anglais différent, les français, il y a plein de français différents. Donc j'imagine que si moi j'envoyais ma copie à un correcteur francophone ontarien, il pourrait corriger des choses et moi je dirais « Eh non, c'est correct! ». 

Edith [00:31:13] Alors j'ai peut-être pas assez d'experts. Ça fait trois ans que je fais ce programme...jusqu'à présent, non, je n'ai pas eu vraiment ce problème là. Il y avait parfois des parents qui disaient qu'il fallait plus d'evaluation, qu'ils aimeraient qu'il y en ait plus, mais bon, on a aussi des contraintes de temps et de budget. Et puis, je ne veux pas que les élèves soient sans cesse évalués non plus. Je crois qu'un des grands plaisirs de cette classe, justement, c'est qu'on est pas tout le temps évalué. C'est bien, c'est libérateur, finalement. Donc, pas tellement. Il n'y a pas eu de reproches sur la qualité. Mais bon, je fais quand même assez attention, justement, avant de partager. Je relis attentivement les commentaires, je vous avais dit je ne parle pas les langues, mais je suis comme vous, parfois, je vais sur Google Translate! 

Emmanuelle [00:31:57] Ha! Ha! Ben moi, c'est mon meilleur ami. 

Edith [00:31:59] Il m'est arrivé d'ailleurs de renvoyer quelque chose et de dire la note n'est pas vraiment cohérente avec le commentaire. Revoyez la copie, donc je fais quand même...je fais mon travail pour vérifier, pour m'assurer que c'est de qualité, que le retour est de qualité. Ça veut pas dire que c'est parfait, mais...

 Emmanuelle [00:32:21] Alors, vous avez aussi des élèves qui n'ont pas une langue mais déjà deux quand ils arrivent chez vous, vous m'avez parlé d'élèves trilingues. Comment se passe le choix des langues pour ces élèves-là? C'est eux qui choisissent?

Edith [00:32:33] Oui, alors c'est assez compliqué d'ailleurs. Une élève dont je parle, elle était, elle voulait deux classes comme la mienne, elle voulait ça pour le chinois et pour le néerlandais. On lui a dit c'est pas possible quand même, il faut choisir. Donc on ne peut pas en même temps faire les deux dans la même classe. Enfin, c'est un peu vertigineux. Ce qui est un peu vertigineux, c'est comme il y a d'autres élèves en chinois, mais si les parents ne disent rien, on verra bien, c'est qu'elle communique tout le temps en chinois avec les autres, au lieu de communiquer en anglais quand on partage en petits groupes. J'ai rien contre d'ailleurs, puisque elle est à l'aise avec cette langue-là. Mais elle communique...alors c'est extraordinaire parce qu'elle écrit en néerlandais et puis, elle parle aux autres en chinois de ses idées. Alors moi je dis bon, fais ce que tu veux. Et cette élève-là, elle a une classe de chinois aussi. Donc, il y a des élèves qui ont la possibilité d'avoir 3 langues. Mais c'est une classe, alors là, de langue étrangère, mais le plus avancé possible. Donc elle a choisi, elle a un peu opté pour ça.

Emmanuelle [00:33:34] On est émerveillé par la capacité de nos élèves. À partir du moment où on les soutient et où on les aide, il font des merveilles, n'est-ce-pas? 

Edith [00:33:46] Oui, c'est très impressionnant. 

Emmanuelle [00:33:48] Alors moi, je suis très impressionnée par ce programme, je trouve que c'est un très, très beau programme qui devrait démarrer partout et je me demande s'il y a des inconvénients. Alors je vais vous donner un exemple. J'ai une amie dont les enfants ont été élevés dans aussi un certain nombre de langues en Allemagne et elle me dit maintenant, le problème de ma fille, c'est qu'elle arrive pas à choisir, il y a trop d'options. Alors vous me direz que ce n'est pas un problème très grave mais est-ce qu'il y a des inconvénients à la mise en place d'un programme comme celui là?

Edith [00:34:25] Alors, je n'ai pas énormément de recul, mais je pense qu'il doit y en avoir. L'inconvénient pourrait être que on n'arrive pas à se servir autant de cas de figure différents. Moi, j'essaie, mais c'est vrai que le profil des élèves étant si différent, ce n'est pas toujours facile de s'assurer que tu vois...il y a des classes où je me dis ce que j'ai donné en anglais que j'ai partagé était trop difficile pour les élèves qui apprennent l'anglais. Parfois, je me dis c'était trop facile pour ceux qui...donc je différencie énormément, mais c'est quand même très difficile. L'apprentissage de la langue, alors ça, c'est une question que me posent tout le temps les parents, la langue, on va dire la grammaire, la langue. Comment vous faites puisque vous parlez pas les langues? Donc là, je dis je fais confiance et je suis obligée de faire confiance à l'autonomie de l'enfant qui veut progresser. Ces enfants sont souvent très motivés quand ils ont choisi cette option. La plupart... la plupart sont très motivés, donc je fais confiance. Ils ont un retour, ils veulent s'améliorer. Ils savent que c'est sur ce domaine-là qu'ils doivent s'améliorer. Ils cherchent la ressource et ils essaient de pallier certains manques. Mais je peux reconnaître que pour des parents, c'est peut-être quelque chose de difficile à accepter cet aspect-là.  

Emmanuelle [00:35:49] C'est-à-dire que c'est aussi une situation dans laquelle ils n'ont pas été parce que très souvent, eux, les parents, ont été élevés dans une langue pas dans deux ou trois ans. C'est quand même quelque chose de cette génération-là donc pour comprendre le plurilinguisme, c'est pas forcément facile. Je trouve ça extraordinaire et je pense, vous disiez, c'est un programme qui existe depuis des décennies et qui a évolué dans le temps. Donc je me dis qu'il y a une certaine sagesse qui a dû se mettre en place. Je me demande...la question que je me pose tout le temps c'est au niveau de l'examen final donc du bac. Quelles sont les...parce que là, le bac ne fait pas de différence entre les enfants, donc quels sont les... 

Edith [00:36:36] Donc le programme qui existe depuis des décennies c'est le programme du bac exclusivement les deux dernières années. Le programme qu'on a commencé là, il est très jeune. Donc pour les plus jeunes on va dire. Au niveau du bac nos élèves réussissent bien. On n'a pas énormément d'élèves qui prennent cette option, mais d'une manière générale, ils réussissent bien. On n'a pas vraiment eu d'échec. C'est plus ou moins bien, mais ils réussissent tout...les dernières années, enfin depuis que je suis à l'école, c'est un programme qui a du succès et qui réussit bien. Mais les élèves qui choisissent ça, qui optent pour ça, sont soit des élèves assez autonomes déjà, qui ont l'habitude de travailler tout seuls, ça leur fait pas peur. Ou des élèves ou parfois des élèves qui viennent d'arriver. Et c'est très, très, très important pour leur identité, pour plein de raisons, parce qu'ils veulent rentrer dans leur pays. Et c'est très important pour la famille aussi, qu'ils prennent cette option littérature au bac international. Et là, il y a quand même le soutien de la famille en général. Il y a des ressources à la maison. Je dirais que ce programme du bac, au fond, ça roule assez bien. On a un professeur qui a l'habitude de le faire. Mon...ce n'est pas une inquiétude, mais ce qui est nouveau et ce qui demanderait à être observé avec du recul, c'est les classes plus jeunes. C'est comment ça marche, comment ils progressent. Alors j'ai des succès, je suis très fière. J'ai des élèves...une petite en lituanien et les parents m'ont dit c'est extraordinaire, elle parlait pas lituanien à la maison, maintenant, elle parle. Donc c'est qualitatif. Je ne peux pas vous donner des pourcentages, mais j'ai des histoires comme ça de succès. Donc j'ai elle au moins. Maintenant, j'ai aussi une instabilité du programme, alors c'est peut-être l'inconvénient parce qu'on est des écoles internationales, donc il y a des enfants qui vont, qui viennent. Des enfants qui ont suivi le programme sur plusieurs années, là j'en ai quatre pour l'instant dont c'est la troisième année. Donc là, je regarde vraiment, je me dis j'ai fait un portfolio avec ce qu'elles font. Je me dis là ça serait intéressant de voir la progression. 

Emmanuelle [00:38:42] C'est passionnant. Absolument passionnant. Et en fait, vous disiez c'est qualitatif mais en fait c'est énorme pour les parents. Le fait qu'un enfant se mette à parler leur langue avec eux, c'est comme réinstituer une communication dans laquelle ils sont à l'aise, 100% à l'aise et c'est extraordinaire. Donc, je pense que ça fait partie, ça fera partie de vos souvenirs mémorables. Est-ce que vous en avez un ou deux autres que vous souhaiteriez partager avec nous? 

Edith [00:39:12] J'ai déjà partagé l'histoire du géorgien, là ce cours improvisé géorgien. Mais ça m'est resté quand même parce que c'était vraiment un moment de bonheur où tous les élèves étaient penchés sur la feuille et essayaient d'écrire. Donc je me suis dit j'ai laissé. C'est là aussi que moi, en tant qu'enseignante, je dois apprendre parfois à lâcher prise parce que je suis très organisée, je suis très méthodique et là, je me dis il faut laisser ce moment arriver et les laisser dans ce moment de plaisir. Je crois que mes souvenirs positifs sont beaucoup comme ça dans des moments d'échanges entre les langues. On a fait aussi une pratique je crois qui se fait...il y a une association qui s'appelle DULALA, je ne sais pas si vous connaissez en France. 

Emmanuelle [00:39:59] Oui, bien sûr. 

Edith [00:40:00] Et donc on a fait un kamishibaï aussi parce que j'avais un élève japonais, il nous a expliqué ce que c'était. On a un petit théâtre et donc on en a fait un plurilingue. Mais c'était en anglais, une petite histoire en anglais puis, avec plein de mots, dans toutes les langues et les élèves ont pris un énorme plaisir à faire ça. 

Emmanuelle [00:40:16] Je suis très, très heureuse que vous mentionnez ça parce que pour le Canada, c'est notre collègue Marie-Paule Lory qui organise le grand concours Kamishibaï pour toutes les écoles de l'Ontario et au-delà je pense. Donc c'est super que vous le mentionniez voilà elle va l'entendre et ça lui fera plaisir. S'il y avait un collègue qui souhaitait démarrer un programme similaire dans son école, qu'est-ce que vous lui conseilleriez ou quels conseils vous lui donneriez? 

Edith [00:40:53] Peut-être plus que ce que j'ai fait, c'est communiquer, communiquer beaucoup, beaucoup, expliquer ce que c'est, éduquer les gens, mais pas seulement les parents, aussi les collègues, parce que je crois que je suis toujours en train d'expliquer. On est un peu à défendre notre pré carré parfois. Essayer de réexpliquer ce que c'est, pourquoi c'est quelque chose de vraiment valable, même si moi, je ne parle pas les langues. Communiquer beaucoup sur ce programme, faire énormément de recherches sur les littératures existantes en traduction, enfin être curieux, même sur les langues, même si on ne les parle pas, se renseigner sur la culture et étendre sa compétence interculturelle. Parce que moi, j'apprends des choses progressivement, mais j'étais très très ignorante du coréen. J'ai appris récemment quelque chose sur l'humour. C'est une de mes élèves qui disait faire des jeux de mots en coréen, ce n'est pas poli. On se disait « Ah bon? » Elle dit oui, oui parce que la communication doit être très claire en fonction de qui on parle. Donc, l'humour coréen, c'est beaucoup un humour de geste, c'est soit du comique de situation, soit du comique de geste. Mais on fait attention à la langue. J'ai trouvé ça très intéressant...j'ai dit ah bon! Fascinant! 

Emmanuelle [00:42:05] C'est passionnant...oui, c'est passionnant et puis de voir que ce sont des élèves de 12 -13 ans qui nous introduisent à ça. 

Edith [00:42:13] C'est exactement ça 12 ans. 

Emmanuelle [00:42:15] Je demande toujours à mes invités s'il y avait quelqu'un qu'ils voulaient remercier, qui avait particulièrement influencé leur parcours, qui ce serait. 

Edith [00:42:30] On peut dire mes parents, je sais que c'est bête mais il faut que je le dise surtout si ma maman va écouter. Alors mes parents qui étaient très monolingues, extrêmement monolingues, c'est-à-dire vraiment ces parents qui font très attention à comment on écrit...enfin Français très éduqués, des livres partout, mais on fait attention à la manière dont on parle. Mais l'amour des livres, vraiment. Et la curiosité parce que j'ai quand même mon parcours et...j'ai pas parlé de mon parcours géographique. Mais je suis née en Algérie, je suis partie à 5 mois parce que c'était en 67, il y avait la guerre avec Israël. Ma mère était juive. Elle a eu des menaces de mort alors mes parents ont pris armes et bagages et sont repartis. Mais ils étaient quand même venus en Algérie à l'époque où tout le monde en partait dans l'Algérie indépendante. Donc, ça c'est mes parents. Et ensuite, on est partis en Martinique aussi. Donc, j'ai quand même passé mon adolescence en Martinique, où je me suis retrouvée aussi à pas comprendre le créole et être la personne qui comprend rien. Donc j'ai cette expérience un peu d'être l'étrangère, enfin pas à cinq mois, je ne le savais pas. Mais quand je suis arrivée...après, on est arrivé en Provence et j'étais toujours l'étrangère. 10 ans en Provence et j'étais toujours l'étrangère parce que je n'avais pas à l'accent. Mes parents étaient pas de là. Donc j'ai vraiment cet...je crois que c'est ça, ils m'ont appris à être étrangère un peu partout. Je leur en voulais un peu parfois, mais maintenant, je suis reconnaissante. 

Emmanuelle [00:44:00] De nulle part, mais à l'aise partout. 

Edith [00:44:02] Voilà! Et des profs de littérature...je n'ose pas dire des noms parce qu'après, je vais oublier quelqu'un. Beaucoup de profs de littérature au secondaire, c'est important les profs du secondaire. Je pense justement à mon professeur de littérature en Martinique, qui était formidable en seconde. Donc ça m'a frappée parce que c'est là que je me suis dit c'est vraiment formidable la littérature. J'ai des collègues aussi qui sont vraiment incroyables parce qu'ils sont toujours en train de chercher et d'innover. Des collègues de langue qui m'ont introduit à tout, toute la pédagogie du projet zéro, des routines de pensée enfin tout ça. Je suis dans un milieu très stimulant du point de vue pédagogique et je suis très reconnaissante. C'est épuisant le rythme mais je suis vraiment reconnaissante parce qu'on ne s'ennuie pas, je suis dans la même école depuis, je vous l'ai dit très, très longtemps. Je fais presque partie des meubles, mais j'ai toujours l'impression de changer. 

Emmanuelle [00:45:02] Alors, on a parlé de beaucoup de choses. On a parlé de bien-être émotionnel, d'identité réaffirmée, surtout pour les nouveaux arrivants. On a parlé de compétences langagières,  d'autonomie. Beaucoup. Vous avez parlé beaucoup d'autonomie, de compétences transférables d'une langue à une autre, d'ouverture interculturelle. Tout ça, ce sont des...c'est vraiment le rêve de l'enseignement. Et puis, du côté de l'enseignant, vous avez parlé d'apprendre à lâcher prise. Ça, ça m'a beaucoup marquée dans ce que vous dites parce que finalement, accueillir un enfant plurilingue, quel que soit ce que l'on enseigne, c'est aussi accepter de ne pas avoir cette connaissance qu'il a, avec laquelle il arrive et puis accepter d'apprendre de cet enfant. Et puis, vous avez parlé d'échange entre les langues et ça j'aime beaucoup. Moi, je travaille pas mal sur cette idée de connaissance réciproque et ça me touche beaucoup cette idée de rencontre et de connaissances réciproques. Voilà, je pense qu'on aurait pu en parler encore très longtemps, mais pour aujourd'hui, ce sera tout. Est-ce que vous avez un mot de la fin? 

Edith [00:46:23] Oh là un mot de la fin? Alors je reprendrai ce que vous avez dit, c'est-à-dire que c'est un défi et une richesse ce cours. Donc pour moi, c'est vraiment un défi tous les jours, mais une extraordinaire richesse.

Emmanuelle [00:46:36] C'est noble la notion de défi, alors on va le prendre en main et s'engager à fond dans ces nouvelles pratiques plurilingues qui changent l'école et qui en font un lieu d'apprentissage plus inclusif. Merci Edith Aubin. 

Joey [00:46:56] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.