Quoi de neuf ?

Entretien avec Alexandre Cavalcante

October 20, 2021 Les cafés du CREFO Season 2 Episode 11
Quoi de neuf ?
Entretien avec Alexandre Cavalcante
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Alexandre Cavalcante, professeur adjoint à l'Université de Toronto

Joey [00:00:01] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Alexandre Cavalcante, professeur adjoint à l'Université de Toronto. 

Alexandre [00:00:08] Je suis juste un enseignant de mathématiques qui a décidé de faire de la recherche, de comprendre comment enseigner les mathématiques d'une façon plus juste. 

Joey [00:00:19] Bienvenue à quoi de neuf! 

Emmanuelle [00:00:37] Bonjour tout le monde et bienvenue pour cette saison des balades du CREFO dans laquelle nous nous intéressons plus particulièrement aux pratiques pédagogiques que nous appelons inclusives, inclusives parce qu'elles sont bonnes pour tous les élèves de la classe. Aujourd'hui, j'ai le grand honneur de recevoir le professeur Alexandre Cavalcante. Bonjour Alexandre! 

Alexandre [00:01:01] Bonjour!

Emmanuelle [00:01:02] Alors Alexandre, tu as obtenu un Ph.D. en sciences de l'éducation avec une concentration en enseignement des sciences et des mathématiques à l'Université de McGill en 2020. Ta thèse portait sur la numératie financière offerte en mathématiques au secondaire et s'intitulait Une étude sur les manuels et perceptions et les pratiques des enseignants au Québec, Canada. Tu as fait aussi une maîtrise en sciences humaines et sociales à Sao Paulo, au Brésil. Et puis, tu as étudié à Séoul, en Corée. Tu as étudié à nouveau au Brésil, mais aussi en Chine et en Roumanie. Tu parles portugais, c'est ta langue maternelle, l'anglais, le français, l'espagnol couramment. Tu parles aussi un peu de coréen, je crois, et je t'ai entendu baragouiner quelques mots en chinois. Enfin, en fait, tu es un vrai globe trotteur, n'est-ce pas? 

Alexandre [00:01:57] Je sais pas si je suis un vrai. Mais oui, je parle quelques langues et j'ai eu des expériences dans d'autres pays, oui c'est vrai. 

Emmanuelle [00:02:06] Alors, ton programme de recherche il est centré sur l'enseignement de la numératie et la manière dont la numératie peut répondre aux exigences de ce que tu appelles une société en transition. Alors on va voir pourquoi tout à l'heure ensemble. Alors la numératie, en fait, tu expliques que ça fait référence à la manière dont les mathématiques sont produites, elles sont utilisées et perçues, c'est important, perçues dans des contextes de vie quotidienne par différents groupes socioculturels. Tu expliques que c'est un concept qui est particulièrement important au vu des changements rapides que connaissent les différentes sociétés dans le monde. Tu parles de l'intensification des progrès technologiques, de la modification des relations sociales, de la mondialisation des systèmes de production, de l'immigration et des changements démographiques. Tout un programme! Alors des phénomènes qui imposent de nouvelles exigences, de nouvelles compétences pour naviguer dans un monde marqué par cette diversité culturelle et tu ajoutes les inégalités sociales. Donc, tes recherches visent à comprendre comment la numératie peut favoriser le développement de ces compétences, en particulier dans le contexte scolaire, de l'école primaire jusqu'à l'éducation, tu le dis toi-même, des adultes. Alors Alexandre nous nous sommes rencontrés l'année dernière. C'est une collègue commune qui nous a mis en contact parce que je l'avais embarquée dans mon projet de recherche et elle avait plus le temps. Et puis, elle a dit mais j'ai un super collègue, tu vas voir, ça va l'intéresser. Alors, c'est comme ça qu'on a commencé ensemble à travailler sur ce projet CRSH. Donc depuis, nous essayons de comprendre ensemble comment nous pouvons aider les enseignants de ce que nous appelons les STEM, les sciences, technologies, ingénierie, mathématiques et leurs étudiants plurilingues parce qu'en fait, on s'aperçoit que les STEM sont souvent passés à la trappe en matière de langues. On les considérait comme des matières non verbales. Et en fait, on s'est aperçu que c'était vraiment une erreur, un tort. Donc, merci Alexandre d'avoir accepté mon invitation. Et d'abord, je voudrais te poser ma première question. Alors si j'avais été chargée de te recruter, franchement, je me serais inquiétée, car tu sembles avoir une passion pour le voyage. Alors, d'où te vient cette passion pour le voyage? 

Alexandre [00:04:37] C'est une bonne question. Merci Emmanuelle de m'inviter à participer au podcast. C'est curieux d'écouter une autre personne en lisant mon programme de recherche parce que le registre de langue écrite et le registre verbal de langue sont complètement différents. Donc j'imagine que pour les auditeurs du podcast, il s'agit d'un professeur très expérimenté, très, très cool, très, très important. Mais ce n'est pas le cas. Donc je suis une simple personne. Je suis juste un enseignant de mathématiques qui a décidé de faire de la recherche, de comprendre comment il enseignait les mathématiques d'une façon plus juste pour le monde. Alors la passion du voyage. Donc c'est une bonne question parce que je ne sais pas comment répondre concrètement. En fait, je ne dirais pas qu'il s'agit d'une passion pour le voyage spécifiquement. Il me semble que j'ai voyagé beaucoup dans mon parcours académique à cause de deux facteurs distincts. Le premier facteur, c'est que je suis passionné par de nouveaux défis. J'aime bien, par exemple, connaître d'autres milieux et d'autres façons de vivre. En fait, je dirais que j'ai une passion de vivre dans d'autres pays. Je n'ai pas une passion de voyager comme un touriste. Je veux connaître les autres pays, connaître d'autres façons de vivre. J'ai eu la chance de vivre en Corée du Sud comme t'avais dit, en Chine, ici au Canada, en Roumanie, un peu moins. Bien sûr que j'aime voyager comme un touriste, mais ma curiosité ou ma passion est de vivre dans d'autres pays. C'est pour ça que en Chine ou en Corée du Sud, ou ici au Canada, je vis pendant quelques mois, quelques années, des choses comme ça. Le deuxième facteur vient de mon enfance. Je suis grandi dans un milieu très pauvre où les gens n'avaient pas souvent des opportunités de connaître le monde ou de vivre d'autres façons. Donc, il y avait une limitation dans mon milieu. En fait, ça fait trois ans que j'ai calculé le salaire avec lequel ma mère nous soutenait et c'était surprenant parce que j'ai découvert que officiellement, nous étions en dessous du seuil de pauvreté selon les standards internationaux. Heureusement, j'étais chanceux parce que j'ai été sélectionné pour étudier dans une école militaire au Brésil. Grâce à cette école, j'ai eu l'opportunité d'avancer dans mes études universitaires. Donc, en répondant à ta question, je dirais que ma passion est aussi d'apprécier les opportunités qui apparaissent comme l'opportunité de collaborer avec toi dans le projet ESCAPE. La majorité des voyages donc que j'ai faits ont été financés par des bourses ou des projets de recherche que j'ai reçus. Donc ma passion n'est pas nécessairement le voyage, mais le défi et la vie dans d'autres milieux culturels. 

Emmanuelle [00:08:29] C'est passionnant et j'imagine que ces expériences ont dû avoir une influence énorme sur toi. 

Alexandre [00:08:36] Oui, oui, c'est vrai. 

Emmanuelle [00:08:39] Est ce que tu peux...comment elles ont aménagé ton parcours, changé le cours de ton histoire, on va dire. 

Alexandre [00:08:49] Donc, quand j'ai grandi, j'avais une passion très grande pour les mathématiques. J'aimais beaucoup faire des problèmes mathématiques et à mon avis, à ce moment-là, les mathématiques, c'était comme une langue universelle. Donc, à mon avis, à ce moment-là, les mathématiques, c'était le même dans n'importe quoi...le pays, le contexte culturel ou d'autres choses. En voyageant, en connaissant des gens, en connaissant d'autres milieux culturels, j'ai noté que les gens produisent, comprennent et communiquent les mathématiques et perçoivent les mathématiques de façon complètement différente. Parfois, les mathématiques, c'était comme un outil pour comprendre le monde, pour faire des décisions personnelles dans des contextes financiers ou professionnels. Parfois, les mathématiques, c'était comme les arts, donc les gens avaient des passions ou une appréciation esthétique par rapport aux mathématiques,  les concepts mathématiques ou l'histoire des mathématiques. Donc, c'est pour ça que en voyageant dans d'autres pays, j'ai construit mon programme de recherche, ma passion de chercher d'autres façons d'enseigner les mathématiques. 

Emmanuelle [00:10:18] Et est-ce que tu as un souvenir mémorable d'un de ces voyages que tu voudrais nous partager? Quelque chose qui t'a ouvert les yeux sur cet interculturel en mathématiques? 

Alexandre [00:10:29] Oui, effectivement. Je vais vous donner des exemples français parce que les auditeurs j'imagine qu'ils parlent français ou comme la langue maternelle. Et un autre exemple, c'était en Chine. Donc, pour l'exemple en français, j'ai reçu une subvention de recherche du ministère des Finances du Québec avec ma collaboratrice de Québec, la docteure Annie Savard. Dans le cadre de ce projet de recherche, on devait trouver comment les mathématiques sont conceptualisés dans certains programmes d'enseignement. Donc, on va dire le programme de Singapore, le programme de la Californie aux États-Unis, le programme des différentes provinces au Canada et le programme français aussi. Une chose qu'on avait notée très intéressante c'est que en France, l'histoire des mathématiques font partie de concepts mathématiques à être enseignés. Donc, on doit enseigner...les élèves doivent apprendre l'algèbre, l'arithmétique, la géométrie et l'histoire des mathématiques. Donc, c'était surprenant pour moi de voir pourquoi le gouvernement français pense que l'histoire des mathématiques est importante ou est pertinente dans la classe de mathématiques, pas dans la classe d'histoire. Et une chose qu'on avait notée et une conclusion qu'on avait faite, c'est que la France a une tradition très forte dans les mathématiques universitaires. Donc toutes les mathématiques, comme on conceptualise aujourd'hui l'algèbre, la géométrie, la trigonométrie ont été développées majoritairement en France. Donc, on a beaucoup de mathématiciens qui viennent de France. Beaucoup de concepts mathématiques ont été développés en France et les musées, les musées français, les musées d'histoire, les musées de l'histoire des mathématiques ou de sciences en France ont beaucoup d'outils, ont beaucoup de ressources pour montrer comment les mathématiques ont été développées. Ça veut dire que comme la France est un pays très pertinent, très important dans l'histoire des mathématiques formelles, l'histoire des mathématiques universitaires, pour eux l'identité française est connectée avec les mathématiques aussi. Donc ça nous montre que pour un pays qui a une culture mathématique forte et connu dans tout le monde, l'histoire des mathématiques est utilisée d'une façon pour développer l'identité française. Ça ne veut pas dire que d'autres pays n'ont pas une culture mathématique. Mais ça veut dire que le système d'éducation contemporain, le système d'éducation dans tout le monde reconnaît les mathématiques comme un développement européen. Ça veut dire que on a un grand travail, un gros travail à faire pour montrer que d'autres pays, d'autres cultures ont aussi 100 façons de développer et communiquer mathématiquement. Ça, c'est le premier exemple. Le deuxième exemple provient de Chine. Quand j'ai eu l'opportunité de vivre en Chine, j'ai collaboré avec une compagnie, je sais pas comment dire en français, une compagnie startup. 

Emmanuelle [00:14:25] Oui, une start-up on dit.

Alexandre [00:14:29] Ok, c'est bon. C'est un anglicisme, je comprends bien ça. Donc, j'ai travaillé et j'ai collaboré avec cette compagnie start-up et j'ai visité beaucoup des écoles de l'éducation primaire en STIM. Ça veut dire que les écoles avaient un programme pour enseigner les sciences, les technologies, l'ingénierie et les mathématiques d'une façon plus concrète, plus expérimentale. Dans ces écoles-là, ce que j'ai noté c'est que dans les classes STIM, les enseignants chinois ont mis l'accent sur le développement scientifique et technologique chinois. Donc, en Chine, ce que je notais c'est que les écoles primaires ont une tradition de maths en axant le développement scientifique et technologique chinois. Ça veut dire qu'il y a trois développements technologiques qui ont une place en Chine et sont mises en accent dans les classes de primaire. Ça veut dire la presse, le développement de la presse pour des journaux, pour des magasins. La boussole, pour la navigation, pour savoir comment arriver à d'autres pays dans le monde. Et la poudre à canon, ça veut dire pour la guerre, pour le développement militaire, d'autres choses comme ça. Donc, dans ces écoles-là, les enseignants chinois mettent en accent ce développement pour aussi, comme en France, développer une identité où les Chinois pensent que la science, la technologie sont aussi une chose chinoise. Ça veut dire que les élèves développent une idée que ils peuvent devenir scientifiques. Ils peuvent devenir ingénieurs. Ils peuvent devenir mathématiciens parce que ça fait partie de l'histoire du pays. Donc, on voit que dans des pays où on met l'accent sur l'identité, en connexion avec les mathématiques ou les sciences, les élèves développent une compréhension des mathématiques de sciences plus...comment je peux dire... 

Emmanuelle [00:17:03] ...ancrée socio-culturellement, c'est ça? 

Alexandre [00:17:04] Oui, exactement, merci. Donc, il y a une force qui les amène à étudier les mathématiques ou les sciences. 

Emmanuelle [00:17:14] Est-ce que ça expliquerait...oui, non c'est très intéressant. Est-ce que ça expliquerait pourquoi, au-delà de la Chine, par exemple, on voit souvent...il y a ce stéréotype qui est souvent reproduit dans les écoles où on dit ah si c'est un enfant chinois, il serait certainement bon en sciences et en mathématiques. Mais en fait, c'est plus un désir, ce que tu es en train de nous dire, que c'est peut-être lié à une culture des maths et des sciences qui leur est inculquée par le biais de cette fierté historique et...pourtant on dit pas tellement ça des enfants français, mais bon. Est-ce que tu peux nous expliquer pourquoi c'est si important de considérer les maths et les finances ici, maintenant aujourd'hui, du point de vue des langues et des cultures. Alors on comprend déjà un petit peu qu'il y a des accents, des identités parfois vis-à-vis de ces matières. 

Alexandre [00:18:19] Pour répondre à ta question, je dois montrer aux auditeurs que j'ai un regard de la langue comme une expression de la culture. Donc à mon avis, il n'y a pas...ce n'est pas possible de découper la langue et la culture. Ça veut dire que le français est tel qu'il est parlé en France, c'est différent au Québec, donc la culture peut-être aussi différente. Donc, dans ma recherche, j'ai conceptualisé trois dimensions pour l'enseignement des mathématiques et des finances de façon connectée. La première dimension qui s'appelle la dimension contextuelle, elle nous montre que on peut utiliser des contextes financiers, des contextes de la vie réelle, des contextes culturels en finance pour développer des concepts mathématiques formels. Ça veut dire, par exemple, le pourcentage ou la fonction exponentielle, ou même les opérations arithmétiques. Dans cette dimension-là, les finances ne sont que un contexte pour appliquer les mathématiques. Donc, dans ce contexte-là, c'est important, c'est pertinent pour les enseignants de savoir que chaque élève a une expérience différente avec la finance. Donc, si on utilise par exemple les nombres décimaux dans notre pays, il est possible pour les enseignants de mathématiques de développer le sens, le sens des nombres décimaux dans un contexte financier. Si l'élève n'a pas d'expérience avec ce type d'argent, c'est possible que les élèves vont avoir un obstacle didactique pour comprendre les nombres décimaux. Donc ça, c'est la dimension contextuelle. Les mathématiques sont mises en accent et les finances ne sont qu'un contexte pour les enseigner. La deuxième dimension s'appelle la dimension conceptuelle. Donc, dans cette dimension-là, les concepts financiers se matérialisent de façon différente dans chaque pays. Donc, la conception qu'on a des concepts financiers sont différents. Donc, les mathématiques peuvent nous aider en créant des modèles mathématiques pour comprendre ces pratiques financières. Je vais vous donner un exemple avec des budgets. Dans un budget, nous avons les catégories de dépense qui sont des dépenses fixes ou des dépenses variables. Par exemple un loyer ou l'hypothèque, c'est une dépense fixe parce que tous les mois, la même valeur est payée dans l'hypothèque. La nourriture, par contre, c'est une dépense variable parce que chaque mois, on achète des choses différentes. Par contre, même un budget qui a des dépenses fixes ou des dépenses variables dépend du contexte socioculturel. Une dépense peut être fixe pour certains groupes sociaux et variable pour d'autres groupes sociaux. La même chose arrive avec le revenu. Dans certains cas le revenu est fixe, dans d'autres cas, le revenu est variable. Et ces différences suscitent différentes relations avec des contextes financiers comme l'épargne, la dette, le placement ou même la charité. Donc dans la dimension conceptuelle de l'éducation financière avec les mathématiques, on voit que si notre relation avec des pratiques financières ou avec des concepts financiers est différente à cause de notre groupe socioculturel, donc le modèle mathématique qu'on va utiliser pour conceptualiser ces pratiques doit être différent aussi. La troisième dimension de l'éducation financière en mathématique s'appelle la dimension systémique. Et ça veut dire que toutes les pratiques ou toutes les décisions financières qu'on prend et tous les concepts mathématiques qu'on utilise sont toujours connectés avec d'autres épistémologies. Ça veut dire l'épistémologie religieuse, l'épistémologie culturelle, l'épistémologie pour l'éthique, éthique morale, économique, environnementale. Donc toutes les décisions ou toutes les pratiques qu'on utilise avec l'argent et les mathématiques, on doit prendre en considération aussi les autres dimensions ou les autres systèmes dans notre vie. C'est pas possible de faire une décision financière sans considérer notre valeur morale, notre valeur religieuse pour les gens qui ont une religion, le système pour l'éthique, toutes les règles, tous les produits financiers qui existent doivent être d'accord avec les politiques du pays ou de la province. Donc, pour un enseignant des mathématiques, évidemment, enseigner les concepts financiers et enseigner les mathématiques, ça prend aussi de considérer les autres systèmes d'épistémologie, culturelle ou religieuse ou d'autres choses. C'est difficile. Je comprends que pour les enseignants de mathématiques, c'est un défi. Mais c'est avec ce regard-là qu'on peut être plus authentique avec nos étudiants, nos élèves. 

Emmanuelle [00:24:20] Mais c'est passionnant parce que finalement, c'est quelque chose qu'on a introduit dans l'enseignement des langues depuis un certain temps déjà. La prise en compte de ces contextes, de ces concepts, la systémique dont tu parles, c'est-à-dire le rapport au religieux, au moral, au politique, etc. Et puis, finalement, on a l'impression que les maths et les sciences ils viennent un peu plus tard mais tel que tu l'expliques, ça paraît absolument évident. Alors, la question que je voudrais te poser après cette explication qui est vraiment très éclairante, c'est de savoir tu es très impliqué dans la formation des enseignants. Est-ce que les enseignants ils te suivent dans tes démarches parce que comme tu le dis, c'est facile à expliquer, mais ce n'est pas si facile à appliquer.

Alexandre [00:25:04] C'est une bonne question parce que au moment où j'ai vu cette question, je ne l'ai pas comprise tout à fait parce que je pensais : est-ce que les enseignants me suivent dans mes démarches? Non, parce que quand je voyage, les enseignants ne sont pas avec moi. Mais j'ai commencé à penser d'une façon plus complexe, peut-être. Et oui, c'est vrai que mes étudiants ou mes enseignants me suivent dans mes démarches parce que la recherche informe mon enseignement. Donc toujours quand je fais un développement professionnel avec les enseignants ou quand je prépare mes cours à l'université pour les étudiants à l'enseignement, j'utilise les exemples, j'utilise les apprentissages que j'ai vus dans la recherche dans d'autres pays. Donc, ça veut dire que quand j'ai commencé à travailler avec toi dans le projet ESCAPE, j'ai commencé à penser comment est-ce que les langues influencent notre compréhension des mathématiques. Je savais que les différentes cultures ont un regard différent pour les mathématiques, mais la langue spécifiquement n'était pas une chose que j'avais pensé à ce moment-là. Donc, en faisant des connexions entre ton travail et les recherches que j'ai faites moi-même, j'ai commencé à penser « Ok, est-ce que les langues nous montrent un regard différent dans les mathématiques? Est-ce qu'on peut utiliser les langues comme un outil pour comprendre les mathématiques? » Oui, oui, il existe ce regard, Il existe. On peut comprendre les mathématiques de façon plus complexe, plus profonde, en analysant les différentes langues et comment les langues régissent les mathématiques.

Emmanuelle [00:27:08] Oui, c'est ça tu nous avais fait une démonstration brillante dans l'un de nos labs. Alors peut-être tu peux nous donner un exemple. 

Alexandre [00:27:17] Oui, évidemment,. 

Emmanuelle [00:27:19] Moi qui n'étais pas très douée en maths et en sciences, je me dis que si je t'avais eu comme enseignant, j'aurais probablement choisi cette carrière. 

Alexandre [00:27:29] Donc, je vais vous donner un certain exemple, un exemple très intéressant pour les mathématiques au secondaire juste parce que j'ai vu dans des papiers, dans les recherches, dans les pratiques que les enseignants toujours pensent que l'aspect culturel des mathématiques a une place juste au primaire. Donc ils pensent que au secondaire, c'est juste les mathématiques forts ou les mathématiques académiques. Donc je vais vous donner un exemple provenant de l'algèbre. Donc, en algèbre les élèves du secondaire étudient une chose qui s'appelle fonction et particulièrement une fonction qui s'appelle la fonction de premier degré. Je sais que les auditeurs du podcast peut-être ne sont pas familiarisés avec les mathématiques. Ne vous inquiétez pas, c'est pas difficile ce que je vais vous expliquer. Donc, en algèbre les fonctions de premier degré sont caractérisées par une chose, un concept qui, en français, s'appelle la pente, ok et la pente, ça veut dire l'inclinaison de la droite, de la fonction. Donc, si on construit un graphe de la fonction de premier degré, ça, c'est une droite et l'inclinaison de la droite entre la droite et l'axe X, ça veut dire la pente, ok? En portugais, par contre, ce concept est traduit comme coeficiente angular, ok? Coeficiente angular. Si on traduit directement en français, ce concept s'appelle l'angle de la fonction. L'angle de la fonction qui est calculé par la tangente de l'angle entre la droite et l'axe X. Donc le registre français du concept pente, le registre portugais angle de la fonction. Qu'est-ce que l'analyse plurilingue nous montre sur les mathématiques ici? En français, nous parlons de l'inclinaison, en portugais nous parlons de la tangente avec le même concept mathématique. On peut donc conclure que la tangente d'un angle signifie son inclinaison. Donc, quand on emprunte la tangente avec le triangle, on peut voir que le calcul de la tangente est juste l'inclinaison entre la variation verticale et la variation horizontale. Ça n'est pas toujours clair pour les enseignants de mathématiques ou pour les élèves que la tangente c'est l'inclinaison. Mais avec un regard linguistique, un regard plurilingue, on peut concourir ça. Je laisse aux auditeurs du podcast de voir qu'est-ce qui serait possible si on a plusieurs langues dans la classe de mathématiques. Ici, avec ce petit exemple, j'ai développé une conclusion juste avec deux langues le portugais et le français. Si on avait l'arabe, le chinois, le coréen, le japonais, les langues autochtones ici au Canada, les différentes langues européennes, les langues africaines. Qu'est-ce qui serait possible? C'est une chose à rêver. 

Emmanuelle [00:31:02] Oui, mais on ne fait pas qu'en rêver parce qu'on y travaille avec toi. 

Alexandre [00:31:05] Oui, exactement. 

Emmanuelle [00:31:05] On est en train de traduire. Et pas forcément. Alors j'ai du mal avec le concept de traduction, parce qu'en fait, ce n'est pas vraiment de la traduction, c'est plutôt aller au-delà de la traduction, c'est à se dire de comprendre comment le concept est encadré par la langue et comment il révèle un sens ou un autre en fonction de la langue en question. C'est super passionnant et c'est ce que fait aussi, en un sens, l'application Binogi avec laquelle on travaille toi et moi. Qu'est-ce qui t'a amené à accepter ce projet et quelles sont tes impressions pour le moment? 

Alexandre [00:31:40] Ok, c'est une question très intéressante parce que j'ai dû prendre du temps pour penser. Qu'est-ce qui m'a amené à accepter le projet? Comme t'avais dit au début du podcast on a une collègue en commun qui nous a introduits...

Emmanuelle [00:32:01] Mary Reid, elle est formidable. 

Alexandre [00:32:03] Mary Reid, oui. Thank you Mary if you are reading this. Donc, quand Mary m'a mentionné les travaux que tu fais maintenant avec le regard plurilinguistique dans l'éducation, j'ai noté que le but de la recherche, c'était très aligné avec mon épistémologie des mathématiques. Donc, dans un premier moment, je pensais pas à mon programme de recherche, les grants, les bourses ou les publications. J'ai noté que l'épistémologie c'était la même, qu'on était d'accord que les mathématiques sont toujours connectées avec la culture, la langue, les pratiques culturelles, les pratiques de la vie quotidienne. Je savais que j'avais encore beaucoup à apprendre, je ne suis pas un linguiste. Je n'ai jamais étudié les langues de façon scientifique. J'ai appris des langues, mais je n'ai pas étudié ou fait des recherches. Mais je savais que les didactiques des mathématiques sont toujours connectées ou sont inspirées par le regard culturel et linguistique. Pour vous donner un exemple en recherche, en didactique des mathématiques en France il y a un concept qui s'appelle transposition didactique, qui est très proche avec ce que tu avais mentionné Emmanuelle avec la traduction. Tu avais du mal à comprendre les traductions parce que ce n'est pas toujours la traduction directe, il y a toujours une adaptation et le concept de transposition didactique, ça veut dire exactement ça. Quand un concept mathématique est utilisé dans un contexte comme le contexte financier, ça n'est pas possible de seulement traduire le concept d'un contexte, par exemple le contexte scientifique. Il y a toujours une adaptation et une mobilisation qu'on doit faire dans notre cognition pour comprendre comment les mathématiques sont représentées dans différents contextes. Donc, on voit ici que un regard linguistique ou un regard mathématique sont proches quand l'épistémologie est la même. Donc, c'est pour ça que j'ai accepté de collaborer avec toi dans le projet parce que j'ai noté que oui, la numératie ou les mathématiques dans la vie réelle sont comme les langues. On a toujours une adaptation qu'on fait dans la langue ou dans les mathématiques, dans chaque contexte culturel différent. Alors, quelles sont mes impressions du projet? C'est un travail très gros. C'est un travail qui ne termine jamais. Pour quelques gens ça peut être...comment est-ce que je peux dire...frustrant parce que ça ne termine jamais. Mais pour moi, c'est intéressant parce qu'il y a toujours des choses à apprendre. Donc, comme j'avais dit, j'ai beaucoup encore à apprendre, mais c'est un défi passionnant et j'ai appris beaucoup déjà avec la collaboration pas seulement avec toi, mais avec les étudiants, avec les collaborateurs, d'autres personnes aussi. 

Emmanuelle [00:35:44] Et nous de toi... 

Alexandre [00:35:46] Il y a une autre chose que j'ai eu comme impression, c'est que les enseignants ont beaucoup besoin d'aide pour mieux comprendre la pédagogie plurilingue, mais aussi les mathématiques. Même s'ils sont déjà enseignants de mathématiques, j'ai noté qu'il y a un gros travail à faire pour les amener à comprendre comment est-ce que les mathématiques peuvent être connectées avec les langues et comment est-ce que les mathématiques sont diversifiées dans différents contextes socioculturels. Ce n'est pas une chose qu'ils apprennent dans l'université ou dans la pratique professionnelle, malheureusement. 

Emmanuelle [00:36:33] Oui, c'est ça. Comment manipuler les langues à travers les mathématiques ou comment travailler avec cet objet langue par les mathématiques. C'est vrai et c'est compliqué même pour nous, même pour nous, c'est pas facile de prendre cette distance et puis de devoir y travailler et ensuite le ramener à ce que t'es appliqué. Oui, c'est vrai, c'est un grand défi et en même temps tellement de plaisir de travailler parce que, comme tu le dis, c'est une découverte continue. Alors si on devait lire un ou deux de tes articles pour mieux comprendre ton travail, qu'est-ce que tu nous inviterais à lire? 

Alexandre [00:37:10] OK, merci pour la question. Donc j'ai un livre qui vient de sortir, publié par Springer Nature. Le livre est écrit en anglais et s'appelle Numeracy Education in Mathematics. Financial Numeracy Education in Mathematics. Le livre est intéressant pour les chercheurs et les enseignants parce que quand j'ai écrit avec ma collaboratrice, on avait un regard théorique et pratique dans le livre. Donc la première partie du livre montre ma conceptualisation de la numératie et ses implications pour l'enseignement des mathématiques ou de l'éducation financière. La deuxième partie du livre donne aux enseignants beaucoup des idées, des leçons ou des tâches mathématiques pour implémenter cette conceptualisation. Comment est-ce qu'on peut développer des concepts mathématiques ou des concepts financiers dans des tâches qui sont complexes, dans des tâches qui sont authentiques. Nous avons beaucoup de collaborateurs dans le livre, dans chaque chapitre. Des étudiants de deuxième ou troisième cycle universitaire, ça veut dire la maîtrise ou le doctorat ou de conseillers pédagogiques du Québec. Donc, je suis très fier du livre parce que c'était presque une synthèse des travaux de six ans qu'on avait faits. Et ça montre concrètement ce que je considère comme la numératie et comment l'éducation ou les mathématiques de l'école devraient être implémentées. Le deuxième, c'est un article plus théorique je dirais. Il s'appelle Epistemological Considerations towards the Concept of Money. Money as a Measurement. Ça montre une conceptualisation de l'argent d'une façon complètement différente par rapport aux programmes internationaux en éducation. Ça veut dire que l'argent, il peut être intégré dans la partie mesure des mathématiques. Ça veut dire que beaucoup de programmes aujourd'hui considèrent l'argent comme un contenu arithmétique. Donc, les élèves apprennent comment faire des calculs avec l'argent, avec la monnaie, avec des banknotes. Mais en fait, l'argent, c'est une unité de mesure des valeurs économiques dans la société. Donc, quand on emprunte les unités de mesure comme la température, le temps ou la longueur ou l'aire, le volume, on pourrait intégrer l'argent telle comme les autres unités. Ça montre une épistémologie de l'argent complètement différente, plus complexe, plus profonde. Donc, j'invite nos auditeurs à lire le papier s'ils sont intéressés d'un côté plus recherche, particulièrement dans la didactique des mathématiques. J'ai un autre papier, en fait un chapitre de livre que j'ai collaboré avec toi, notre collègue Jim Cummins. 

Emmanuelle [00:40:49] Oui, ce chapitre L'apport de la technologie pour l'enseignement des mathématiques en contexte plurilingue canadien. Une pédagogie revisitée. 

Alexandre [00:40:58] Dans ce chapitre, on partage quelques idées sur la pédagogie plurilingue et comment les mathématiques peuvent être regardées dans cette pédagogie. Et une chose que j'ai réfléchi il y a deux ou trois ans c'est que beaucoup de gens pensent que la langue ou la culture sont intégrés dans les mathématiques, juste pour la justice sociale. Donc, donner accès aux élèves, aux mathématiques ou intégrer des contextes comme des contextes socioculturels dans les problèmes mathématiques. Mais tous ces regards-là, ne montrent pas une modification dans l'épistémologie des mathématiques. Dans ce chapitre de livre, on partage quelques réflexions sur comment est-ce que les mathématiques peuvent être développées par l'analyse plurilingue, donc je trouve que c'est un regard très innovateur. Je ne suis pas un expert en linguistique, mais dans le côté de la didactique des mathématiques, c'est très innovateur et on partage aussi nos expériences avec la plateforme Binogi que tu avais mentionnée. Donc, si nos auditeurs sont intéressés aux pédagogies des langues, ou si ils ou elles sont intéressées à la plateforme particulièrement, je vous invite à lire ce chapitre de livre. Il va sortir dans quelques mois, j'imagine ou l'année prochaine, donc c'est très intéressant. C'est très exciting. 

Emmanuelle [00:42:45] On l'attend avec impatience. 

Alexandre [00:42:48] Oui, oui, on l'attend avec impatience. Si je suis correct, le chapitre va être dans un livre publié par une communauté de didacticiens des mathématiques qui se sont intéressés au plurilinguisme. Est-ce que c'est correct? 

Emmanuelle [00:43:07] Oui, tout à fait, tout à fait. Le nom du livre sera Plurilinguisme et enseignement des mathématiques. Oui, tout à fait. 

Alexandre [00:43:15] Je vous invite à lire si vous êtes intéressé aux sujets qu'on a discutés ici. 

Emmanuelle [00:43:24] Merci beaucoup, Alexandre. Alors tu as parlé de plaisir d'apprendre, tu as parlé de faire aimer et découvrir les mathématiques dans une approche interculturelle qui est, je pense, quelque chose qui motive chacun d'entre nous. Merci de nous avoir ouvert les yeux sur ce paysage des sciences et des mathématiques qu'on a un peu peur d'aborder. Ça fait un peu peur pour les linguistes ou tous ceux qui sont pas dans ce domaine directement. Merci de l'avoir rendu abordable pour nous. Et puis je te dis à bientôt, au plaisir! 

Alexandre [00:44:06] Merci à vous, à bientôt. 

Joey [00:44:10] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.