Quoi de neuf ?

Entretien avec Amal Madibbo

December 14, 2021 Season 2 Episode 13
Quoi de neuf ?
Entretien avec Amal Madibbo
Show Notes Transcript

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Amal Madibbo , professeure agrégée à l'Université de Toronto

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Amal Madibbo, professeure agrégée à l'Université de Toronto. 

Amal [00:00:08] Et on sait que la pandémie a servi de marginaliser davantage des communautés qui étaient déjà marginalisées, y compris les communautés sur lesquelles je me penche. 

Joey [00:00:21] Bienvenue à Quoi de neuf!

Emmanuelle [00:00:38] Alors aujourd'hui, j'ai le grand honneur de recevoir la professeure Amal Madibbo. Bonjour Amal!

Amal [00:00:45] Bonjour Emmanuelle! 

Emmanuelle [00:00:48] Alors, Amal tu as commencé tes études universitaires à la Faculté des arts de l'Université de Khartoum au Soudan, et tu les as terminées à l'Université Lumière Lyon 2 à Lyon, en France, avec une spécialisation en langue et littérature françaises, c'est ça? 

Amal [00:01:07] C'est exact, oui. 

Emmanuelle [00:01:09] Ensuite, tu as immigré au Canada, toujours pour y poursuivre tes études, et tu a obtenu un Master of Arts de l'Université Carleton à Ottawa, avec une spécialisation en sociolinguistique française et en littérature noire francophone. Et puis, en 2004, tu as obtenu un doctorat du Département de sociologie et d'études sur l'équité en éducation de notre cher Institut d'études pédagogiques de l'Ontario de l'Université de Toronto et tu t'es spécialisée sur l'immigration des Noirs francophones au Canada. Tu as obtenu ton diplôme, tu as enseigné à OISE, tu as enseigné au Glendon College de l'Université de York à Toronto. Ensuite, tu as rejoint le Département de sociologie de l'Université de Calgary en 2007 et enfin, tu viens tout juste de nous rejoindre. Retour aux sources comme professeure agrégée au Département de justice sociale en éducation et je dois dire qu'on en est très heureux, d'autant plus que tu viens d'accepter de devenir membre à part entière de notre cher Centre de recherches en éducation franco-ontarienne. Donc triplement bienvenue Amal. 

Amal [00:02:29] Merci beaucoup. Je suis semblablement ravie de me joindre à vous. 

Emmanuelle [00:02:35] Alors tu es l'auteur et l'éditeur de plusieurs livres, tu as tissé de nombreux liens avec les universités soudanaises et tu as reçu en 2018 un prix de reconnaissance de l'ambassade du Soudan au Canada. Alors aujourd'hui, tu vas nous parler de ton tout dernier ouvrage qui est paru en 2021 et qui s'intitule Blackness and la Francophonie: Anti-Black Racism, Linguicism and the Construction and Negotiation of Multiple Minority Identities. Alors merci beaucoup Amal d'avoir accepté mon invitation. Mais d'abord, je voudrais te poser une question que je pose souvent et qui paraît tout à fait bien avec le temps qu'il fait, on est au mois de décembre, il fait froid, on est fatigué. Amal, qu'est-ce qui te fait rêver? 

Amal [00:03:30] Merci beaucoup de m'inviter de participer à ces entretiens qui sont très intrigants et importants.  Ce qui me fait rêver, en fait, c'est la jeunesse. À l'heure actuelle, dans cette étape de ma vie et aussi cette étape de notre société contemporaine, la jeunesse c'est la résilience. Et pourquoi? Justement parce que, comme vous savez, à l'heure actuelle, les jeunes partout dans le monde sont en train de produire des changements sociaux positifs, politiques, économiques très importants, très productifs, que ce soit dans le cadre du Printemps arabe ou dans la révolution soudanaise, donc dans mon pays, ou le cadre des mouvements environnementalistes partout dans le monde. Donc je suis fière de la jeunesse pour des raisons qu'on connaît bien, parce que en fait ce sont des futurs leaders, mais ils assument déjà ce rôle de façon très efficace. Encore bravo à la jeunesse du monde. 

Emmanuelle [00:04:52] Merci de le dire Amal. Et c'est vrai, tu as raison, ce sont eux les futurs leaders. Alors, tu viens d'évoquer ton pays, le Soudan, où tu es née et où tu as grandi. Est-ce que tu peux me parler un peu de ton enfance, nous emmener dans la chaleur du Soudan alors qu'il fait si froid à Toronto aujourd'hui? 

Amal [00:05:13] Ah oui, bien sûr. Là, c'est une chaleur climatique, mais aussi chaleur humaine donc. Moi, j'aimerais dire qu'à l'instar des féministes, la troisième vague féministe, y compris le féminisme noir, le personnel est politique et vice versa. Donc mon enfance dans ce sens, mon enfance au Soudan était très riche et enrichissante et influencée par deux aspects donc d'une part le savoir indigène qui, comme on savait donc, optimise l'identité collective humaine dans le cadre de respect et de la fidélité. Et d'autre part, l'activisme politique, surtout des femmes soudanaises. On avait, on a toujours un mouvement féministe très puissant, très fort. En effet, j'ai participé à ma première manif à l'âge de 5 ans, une manif que ma mère et ses compatriotes ont organisée. Et comme ça, dès l'école, dès la maternelle, donc à la maternelle, j'ai appris bien sûr l'alphabet mais aussi les chansons de liberté ainsi que les principes de la justice sociale. Donc comme un enfant, dans cette belle enfance, que j'ai eu la chance d'avoir joui, je jouais, je riais, je dansais mais j'ai appris et j'ai acquis un savoir aussi très riche qui a bâti ma vie suivante. C'était une très bonne et une belle fondation pour ma vie. 

Emmanuelle [00:07:18] C'est beau, merci. Alors quand tu penses au Soudan aujourd'hui, à quoi tu penses ou à qui tu penses peut-être? 

Amal [00:07:25] Je pense justement à la jeunesse soudanaise. Encore une fois pour le changement crucial qui nous ont abouti par l'entremise de la révolution soudanaise qu'ils ont dirigée. Je pense aussi aux pêcheurs parce que justement j'ai grandi au Soudan, donc auprès du Nil. Donc on allait au Nil presque tous les jours pendant le coucher de soleil et c'est le moment où les pêcheurs pêchaient sur le Nil. C'était un moment pour moi éternel auquel je pense souvent, qui me fait rêver et qui me rend très contente. Ce sont ces moments des pêcheurs sur le Nil, les couchers de soleil et puis le Nil est lié aux civilisations soudanaises, africaines, noires...comme vous le savez, dans des siècles et là des civilisations humaines. 

Emmanuelle [00:08:44] C'est vrai. Moi, quand je pense au Nil je pense à la fertilité de ce fleuve, n'est-ce pas? 

Amal [00:08:49] Oui, exactement. Oui, oui, et je pense également, si je peux me permettre, je peux? 

Emmanuelle [00:08:54] Mais oui, bien sûr. 

Amal [00:08:56] Aux femmes. Parce que j'ai dit que je pense aux hommes donc les pêcheurs pour l'équité du genre, je pense aussi aux groupes de femmes qu'on appelle au Soudan les femmes du thé. Ce sont des femmes qui n'ont pas assez de moyens pour subvenir à leurs besoins. Donc qu'est-ce qu'elles font? Elles font du thé et puis elles vendent du thé dans les rues comme ça partout au Soudan. Donc, ce sont des cafés, donc elles font du café, des cafés indigènes, avec les saveurs indigènes que j'ai mentionnées. Et surtout, pendant la journée, mais surtout le soir, les gens donc hommes et femmes, les Soudanais ont l'habitude, donc ça fait partie importante de notre culture d'aller au café des femmes, des femmes du thé et donc de prendre du thé, mais aussi de parler et de reproduire le savoir comme ça. 

Emmanuelle [00:09:55] C'est magnifique. Merci tu me fais penser à une recherche que j'avais faite aux Pays-Bas. Et puis j'étais dans une classe avec des petits enfants de 4 ans. Il y avait un petit garçon comme ça qui m'avait servi le thé en me parlant dans sa langue, en faisant semblant. Oui, le thé c'est vrai que ça a une place particulièrement importante. Le service du thé ou du café dans ces pays. Merci de nous le rappeler. Alors bien sûr, tu le sais, je suis linguiste et je m'intéresse aux langues. Donc je me demande dans quelles langues est-ce que tu as baigné? Quelle langue on parlait à la maison? Peut-être on en parlait plusieurs. Ou peut-être...je ne sais pas si tu as vécu dans un village ou dans une ville. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ça? 

Amal [00:10:37] C'est ça, merci. Comme vous le savez le Soudan, comme plusieurs pays africains est multilingue et plurilingue donc on peut compter des centaines de langues. Moi j'ai grandi dans une grande ville, en effet dans notre capitale et à la maison, on parlait dans mon cas ce qu'on appelle la langue soudanaise, mais il y a plusieurs langues soudanaises. Mais ça, c'est une langue soudanaise, un autre medium de communication à travers le pays. Donc, on l'appelle en arabe, l'arabe soudanais. Mais moi, je dirais que, comme une ancienne sociolinguiste, c'est plutôt un créole, parce que c'est un mélange d'arabe et aussi des langues africaines vous voyez un peu comme le swahili. Donc, c'est comme ça que moi je l'appelle le soudanais plus que l'arabe, l'arabe soudanais. À l'école, l'arabe classique était notre medium, outil d'enseignement, d'apprentissage. Donc, comme ça, on apprenait d'abord l'arabe classique. Et après ça, on apprenait dans l'arabe classique. Et donc naturellement, dans le contexte soudanais, ma mère avait sa langue, mon père avait sa langue. Donc on entendait, on comprenait les langues des parents. Et il y avait toujours, on entendait, on comprenait au moins d'autres langues dans notre entourage. Et moi je dirais, je parle couramment, bien sûr, le soudanais et l'arabe classique. Après cela un peu de swahili aussi et donc après cela, à l'école secondaire, comme première étape de l'école secondaire, on apprend l'anglais. Et dans la deuxième étape de l'école secondaire, on apprend le français. Après, à l'université, notre système éducatif mise vraiment sur les langues. Donc à l'université, on apprenait d'autres langues aussi une langue africaine et puis une autre langue internationale. 

Emmanuelle [00:12:54] C'est incroyable. Le Canada a beaucoup à apprendre du Soudan en matière de langues. 

Amal [00:12:59] Pour ça, oui. En fait c'est ça qui aide les soudanais à s'intégrer relativement facilement au Canada, justement parce qu'en arrivant au Canada, on parle au moins une des langues officielles du Canada, mais sinon les deux langues officielles. 

Emmanuelle [00:13:20] Incroyable. Mais alors, très vite, tu t'es spécialisée dans le français. Pourquoi? 

Amal [00:13:25] Pourquoi? Parce que à l'époque, j'étais dans la Faculté des sciences, on dit la Faculté des arts, donc faculté nous on appelle aussi ça comme arts libéraux ici, en Amérique, en Amérique du Nord. Et d'une part on apprenait toutes sortes d'art, de sujets : philosophie, archéologie et histoire. Mais en même temps, on devait choisir une spécialisation. Donc, pour moi, j'ai choisi le français parce que c'était une nouvelle spécialisation à l'époque. Et puis, j'ai aimé le côté mondial et cosmopolite de ce programme-là parce qu'il misait sur la francophonie mondiale en effet, en Afrique, dans les Amériques, en France, en Europe ou ainsi de suite.

Emmanuelle [00:14:19] D'accord. Incroyable. Alors, quel genre d'élève? J'imagine que tu étais un élève modèle. 

Amal [00:14:28] Bon disons quand même merci. Je dirais que j'étais un élève qui pratiquait... ma famille, surtout ma mère nous a appris à la maison. Et aussi, nos enseignants et enseignantes nous ont appris à l'école dès la maternelle. Donc une élève qui faisait ses devoirs, sérieuse élève. Mais en même temps une élève qui était très impliquée vraiment au niveau de la participation civique. J'ai participé à beaucoup, à plusieurs au moins activités culturelles, sociales et aussi académiques à l'école, mais aussi dans notre quartier, dans notre ville et à l'échelle nationale aussi. J'aimais toujours m'impliquer dans des activités. D'abord c'était comme ça des activités socioculturelles, éventuellement car je suis devenue une jeune adolescente d'abord puis jeune, je me suis impliquée aux activités politiques, davantage. 

Emmanuelle [00:15:29] Une vraie citoyenne. On voit comment ta carrière s'est dessinée. Mais est-ce que tu as toujours su que tu voulais devenir enseignante? 

Amal [00:15:38] Moi, je dirais que j'ai toujours su que je voulais me baigner dans le domaine du savoir, donc faire la lecture, lire, réfléchir, faire la recherche. Donc, dans ce sens-là, oui, ça signifie que oui, j'aurais voulu être enseignante aussi et surtout chercheuse. 

Emmanuelle [00:16:05] Donc ton parcours scientifique, finalement, si je t'écoute, il a commencé chez toi à Khartoum, n'est-ce pas? 

Amal [00:16:12] Exactement. Oui, ça c'est à Omdourman parce que, parlons encore du Nil, le Nil divise notre capitale en trois parties donc il y a Khartoum, Khartoum Nord et Omdourman. Donc Omdourman on l'appelle la capitale patriotique, c'est là où j'ai grandi. Puis Khartoum, c'est la capitale politique et ainsi de suite. Mais proprement dit j'ai grandi à Omdourman et c'est là, oui, exactement dans le contexte de savoir Indigène et l'activisme politique que j'ai mentionné que j'ai débuté je dirais ma carrière scientifique, dans des contextes formels et informels à la fois. 

Emmanuelle [00:17:00] C'est ça, mais alors assez vite, tu as quand même passé la frontière. Alors je crois que ta première destination, c'était la France, n'est-ce pas? 

Amal [00:17:07] Oui, si, c'est ça, oui.

Emmanuelle [00:17:09] Est-ce que tu as des souvenirs particuliers de la France? Dans quelle mesure est-ce que ça t'a influencée? Et pourquoi ensuite ce passage vers le Canada? 

Amal [00:17:20] Donc, ma vie en France était une belle époque de ma vie. À ce moment-là, j'étais une jeune très curieuse, très enthousiaste, et donc c'était une époque qui m'a beaucoup marquée en fait. J'ai pu faire des études intéressantes en France. J'ai rencontré des gens de partout dans le monde, ce qui m'a été aussi très enrichissant. J'ai pu voyager dans des pays européens, plusieurs pays européens, ce qui était enrichissant aussi. Aussi, j'ai pu m'impliquer dans des organismes comme Amnistie internationale et ainsi de suite. Donc une époque très enrichissante en France sur tous ces plans intellectuel, académique, socioculturel, culturel également. Donc pourquoi le Canada? C'était ça? 

 Emmanuelle [00:18:16] Ouais et ensuite tu es partie au Canada.

Amal [00:18:20] De la France en fait, je suis rentrée au Soudan pour réfléchir, voir ce que je voulais faire après. Et donc j'ai décidé de repartir encore pendant plusieurs années. Plusieurs années à mon avis, c'était à ce moment-là, mon plan était comme au maximum cinq ans, 2 à 5 ans. Après ça, c'est devenu, c'est continuel. Alors, j'aurais pu rentrer en Europe oui, mais...en France, y compris, par exemple. Mais c'est ça, j'avais de la famille en Amérique du Nord. C'était aux États-Unis à ce moment-là, donc je voulais quand même...je me disais ok comme ça, je découvre maintenant l'Amérique du Nord. En effet, d'abord, je me suis dirigée vers les États-Unis et c'est là où j'ai appris la beauté du Canada. Et de fait, c'est surtout le bilinguisme du Canada qui m'a attirée au Canada. Et comme ça donc, j'ai décidé de laisser, de déménager des États-Unis pour venir au Canada. Donc c'était la combinaison en fait du multiculturalisme et bilinguisme du Canada et l'aspect, la tradition d'immigration au Canada qui m'a attirée à ce beau pays. 

Emmanuelle [00:19:47] Alors tu es arrivée ici. Et puis, tu t'es très vite intéressée à la place de la minorité en provenance d'Afrique, en particulier au sein de la minorité francophone au Canada. Donc, voilà doublement minorisée, si ce n'est triplement. Pourquoi est-ce que cette situation elle est très différente de la situation de cette minorité africaine en France, par exemple? 

Amal [00:20:16] Je dois souligner que j'ai toujours été...j'avais toujours une passion pour l'Afrique, donc, y compris les Africains et puis le croisement de la francophonie et de la noirceur, les études noires, y compris tout le côté africain. Depuis le Soudan, depuis en effet mon adolescence, je lisais beaucoup sur l'Afrique et la diaspora, la diaspora africaine. Donc, je voulais toujours étudier ou faire des études qui misent sur les Africains, que ce soit en Afrique ou dans la diaspora. Et donc, pendant mes études, disons même depuis l'Université, je mettais l'accent sur l'Afrique et les Africains peu importe les disciplines que j'ai faites. Mais en arrivant au Canada, je me suis intéressée à la diaspora africaine au Canada et à la francophonie et le fait que la francophonie est minoritaire au Canada, j'avoue que ça m'a interpellée parce qu'en Afrique, le français est une langue privilégiée, est une langue prestigieuse. En France, le français est aussi une langue prestigieuse. C'est la langue de la beauté, c'est la langue de la lumière. En arrivant au Canada, du coup je m'aperçois que c'est une langue minoritaire. 

Emmanuelle [00:21:46] Tu sais que j'ai eu le même choc. 

Amal [00:21:48] Oui. Ah oui, c'est ça? Alors je me suis dit ok, tiens, ça c'est intéressant, problématique, mais aussi intéressant. Alors oui et donc je voulais explorer cette situation minoritaire en lien aux sujets qui m'ont intéressée toujours donc les Africains, les Africains et la diaspora africaine et noire au Canada. 

Emmanuelle [00:22:20] Alors, tu t'intéresses à ces questions d'un point de vue de l'identité, de la citoyenneté et alors de cette identité noire on passe assez vite par le prisme du racisme, n'est-ce pas? C'est vraiment quelque chose sur lequel tu as travaillé. Comment est-ce que tu en es venue de cette identité noire à la question du racisme? 

Amal [00:22:49] Merci. Parce que, en effet, le racisme anti-noir a malheureusement fait partie intégrante de l'histoire des Noirs et l'identité des Noirs n'est-ce pas, l'identité noire enracinée dans disons la traite transatlantique des esclaves noirs et du colonialisme et ce qui continue à l'heure actuelle sous forme de post-colonialisme. Donc le racisme noir, à l'instar des intellectuels noirs, que ce soit Senghor, Franz Fanon ou Patricia Collins Hill donc encore une fois, malheureusement, le racisme anti-noir nous a impactés, nous les Noirs, depuis très longtemps et ça continue jusqu'à présent. Donc moi, dans ce sens je me consacre au racisme anti-noir pour analyser davantage comment le racisme anti-noir persiste dans nos sociétés contemporaines. Et donc, ça persiste sous plusieurs formes, y compris dans le contexte de l'identité et de l'immigration. Mais je mise davantage l'antiracisme parce que mon projet, en effet, a antiraciste. Plus que le racisme comme tel, je me consacre sur l'antiracisme donc comment, ensemble, nous pouvons combattre le racisme pour que les Noirs aient ce qu'ils méritent, donc une vie de dignité, une vie comme citoyens à part entière. 

Emmanuelle [00:24:54] Donc tu viens de nous parler d'un projet. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu ce projet plus en détail? 

Amal [00:25:00] Donc, pour moi, la notion de projet, c'est un processus, n'est-ce pas. Un processus dont le but est crucial et auquel je consacre disons ma vie, ma carrière et ma vie. Donc le projet, c'est la justice, la justice sociale. Je trouve que, à l'heure actuelle, donc on est au 21e siècle, on a déjà vécu des siècles très difficiles, n'est-ce pas. Des génocides, des guerres au niveau mondial et régional aussi, y compris au Soudan. Et je trouve que le 21e siècle devrait être vraiment le siècle de l'équité et de la justice sociale. Et donc, ça, c'est la responsabilité de ma génération de contribuer, de bâtir. Non, je ne dirais pas bâtir. Les anciennes générations l'ont bâti mais de continuer à renforcer ce projet mais aussi j'aimerais voir des résultats positifs pendant la vie de notre génération disons parce que là, j'ai dit tout à l'heure que la jeunesse fait sa part donc moi aussi j'aimerais faire ma part présentement surtout dans le cadre des mouvements de Black Lives Matter qui, à mon avis, est un mouvement de justice sociale mondial très important. Donc, j'aimerais ancrer ce projet dans le cadre de ce projet global, encore pour combattre le racisme anti-noir et renforcer la justice sociale. 

Emmanuelle [00:27:03] C'est ça, c'est ça. Alors peut-être, pour en revenir à la situation actuelle et à cette pandémie qui n'en finit pas, je me demandais pour toi quel est l'impact de la pandémie pour l'éducation et en particulier pour les populations avec lesquelles tu travailles. 

Amal [00:27:22] La crise sanitaire donc la pandémie est également une crise sociale, n'est-ce pas. Et comme toute crise sociale, elle engendre et est influencée par des sous-crises socioéconomiques, y compris les crises éducationnelles. Mais on sait que la pandémie a servi de marginaliser davantage des communautés qui étaient déjà marginalisées, y compris les communautés sur lesquelles je me penche. Je pourrais dire qu'en ce qui a trait aux populations, aux francophones noirs par exemple au Canada, on sait qu'il y a des lacunes dans le sens de l'accès aux technologies de l'information et même des outils technologiques pendant les mois, tous les mois même plus d'une année. Donc la période pendant laquelle l'enseignement, l'apprentissage se faisait virtuellement, il y a eu des lacunes au niveau de l'accès même aux ordinateurs, par exemple. Il y a eu des cas, il y a toujours des cas d'isolement et l'isolement social, comme on le sait, engendre aussi un isolement éducationnel. On ne peut pas se concentrer quand on se sent isolé parce que l'isolement, dans un sens, est une marginalisation identitaire, alors que la raison d'être de l'éducation, comme vous le savez, c'est de tout miser sur l'appartenance et donc l'identité. Et moi, je dirais, je penserais également au continu éducationnel en tant que quel. Par exemple, on sait que le mouvement Black Lives Matter est devenu très fort pendant justement la pandémie, n'est-ce pas. Et donc pour moi, c'était une occasion de miser sur la lutte antiraciste dans le cadre de mon enseignement, dans le cadre de mes recherches aussi. Ça aurait pu donc...c'était une opportunité alors. Crise, mais également opportunité qu'on aura pour tirer pour, en fait, pour miser sur l'antiracisme dans le cadre de notre système éducatif et comment le rendre encore plus inclusif par exemple. En ce qui a trait aux populations en Afrique, par exemple au Soudan où je fais mes recherches, on aura peut-être tendance à penser que avant en tant que pays en Afrique, comme tout pays en Afrique, il y a certainement des crises. Certes, oui, bien sûr, la pandémie a causé certains problèmes en Afrique, y compris au Soudan, mais au niveau de comment gérer la pandémie comme telle, en effet la pandémie a été gérée au Soudan et dans d'autres pays africains mieux qu'en occident. Je peux par exemple dire que la génération de mes neveux ou ma nièce ont reçu leur vaccin avant moi. Et il y a eu beaucoup moins de cas et de cas d'infection et également de décès. Ce qui renvoie d'une part à la population, la jeune population. Les jeunes au Soudan sont entre 65 et 70 pour cent de la population. C'est une jeune population. Donc ce qui a fait que ça, ça a aidé à éviter la pandémie et aussi à cause de la culture, la culture qui est ouverte, les gens ouvrent les portes et tout ça tout le temps. Bref, ça a été géré là-bas plus qu'ici, mais donc comme ça aussi, c'est aussi une opportunité éducationnelle, donc, pour le système éducatif au Soudan, de voir comment continuer à gérer des...pour commencer, éviter des pandémies de ce genre de pandémie quand elles sont tellement mondiales. Maintenant, tout le monde parle de ce virus qu'on a. En attendant c'est un virus associé à l'Afrique du Sud, sud de l'Afrique. Mais moi, je dirais que oui, j'ai lu un article, mais les gens ne font pas attention qui dit que le virus est d'abord apparu en Europe, surtout aux Pays-Bas. A mon avis, c'est pas où le lieu géographique où le virus est d'abord apparu mais il ne faut pas stigmatiser les pays déjà et faire toutes sortes comme ça, se précipiter pour fermer les frontières et tout ça. Il faut pas lier le racisme, le virus, la pandémie au racisme de cette façon explicite. Donc on a beaucoup de leçons à tirer de cette pandémie, leçon éducationnelle pour disons éviter des problèmes semblables dans l'avenir. 

Emmanuelle [00:33:14] Merci, merci de nous rappeler ça. Alors Amal si on devait lire un ou deux alors j'ai mis de tes articles, mais en fait, il y a ton dernier livre, donc tu as peut-être envie de nous en parler pour comprendre mieux ton travail. Alors tu peux nous en parler un petit peu? 

Amal [00:33:31] Oui, je vous invite à lire mon nouveau livre et je peux que dire brièvement, le livre est le fruit des recherches que j'ai entamées en Alberta pendant presque une décennie, de 2007 à 2016 et ça mise donc sur le croisement, donc les sujets, donc le sujet qui m'intéresse donc le croisement de la francophonie et des études noires dans le contexte de l'Alberta. Mais je l'ai lié également au contexte macro donc ce qui se passe au reste du Canada et aussi dans le monde, mais pour nous spécifiquement en Afrique et en France, parce que les participants de recherche appartiennent à la première génération d'immigrants au Canada et donc, ils ont grandi en Afrique et ils passaient par la France et d'autres pays européens et d'autres pays aussi du monde, on est vraiment dans l'ère de l'immigration mondiale et en fin de compte donc ils sont arrivés au Canada. Donc le croisement de la francophonie, des études noires dans le cadre des identités, donc l'identité immigration aussi, identité, les identités multiples et il s'avère que les identités multiples que les participants ont soulignées trois identités : canadienne, francophone et noire. Donc pour les participants, pour ces populations, les francophones noirs, il s'agit des identités minoritaires à cause du poids historique que j'ai enseigné donc l'esclavage, le colonialisme et le post-colonialisme. Les Noirs francophones sont exclus à la fois de ce qui s'est écrit, de la définition et imagination dominante, de ce qu'est l'identité canadienne et l'identité francophone. Donc ils ne sont pas perçus en tant que citoyens à part entière. Cette exclusion idéologique donne lieu à une exclusion socioéconomique. Il y a aussi l'exclusion, ils subissent également l'exclusion au niveau de l'identité noire à cause des stéréotypes qui sont liés à l'identité, l'identité noire étant...reflétant les Noirs comme...disons associant les Noirs à toutes sortes de stéréotypes, stéréotypes négatifs. Donc il y a cette multiple exclusion identitaire qui renvoie à l'histoire coloniale et le contexte contemporain post-colonial. Mais en même temps, il y a le côté positif qui est le côté de l'agence, le pouvoir que les participants ou les Noirs francophones, les francophones noirs ont qui est donc où ils mobilisent les ressources identitaires, leur savoir, leur vécu qu'ils ont acquis en Afrique ou pendant les trajectoires, la trajectoire migratoire, donc, pour produire une résilience très forte dont ils bénéficient pour reconstruire, renégocier ces identités pour que les identités donc canadiennes dans ce sens francophones noires se perçoivent de façon inclusive, de façon antiraciste, de façon antiraciale, de façon féministe, de façon en fait qui reflète la réalité démographique de notre siècle, de notre société qui est la diversité raciale, sociale, et ainsi de suite. Donc le livre mise sur cette marginalisation, mais également l'inclusion. Donc comment achever l'inclusion sociale en lien à ce que j'ai dit, ce que je viens de mentionner, donc comment acquérir la justice sociale et la justice raciale par le biais de l'inclusion identitaire. Donc, le livre a été écrit en français, mais on est en train d'explorer la possibilité de le faire traduire. Pardons, le livre a été écrit en anglais. On est en train d'explorer la possibilité de le faire en français. J'espère que ce sera fait bientôt. L'article qu'on pourrait lire aussi que j'ai écrit en français, qui s'intitule Les migrations transnationales africaines francophones en milieu minoritaire et son impact sur l'intégration dans la société canadienne. Donc un article qui met l'accent sur un certain type d'immigration, mettons l'immigration transnationale, dans le sens où comment les immigrants francophones noirs au Canada développent des liens et quelle sorte de liens développent-ils, que ce soit des liens et activités économiques, politiques, socio-culturels, éducationnels, donc avec des communautés dans leur pays d'origine et puis d'autres dans le reste de la diaspora. Et donc quelle est cette identité transnationale qui se construit dans le processus? Et comment est-ce que cette identité est négociée et pourquoi? Donc la raison d'être de cette identité, c'est de renforcer le développement durable. Dans les pays d'origine, il y a tout un discours et les participants ont indiqué comme ils ont eu une bonne éducation dans leur pays d'origine qu'ils ont quitté, ils aimeraient quand même que leur pays profite toujours des ressources et des efforts qu'ils ont déployés. Mais donc l'immigration transnationale se fait également pour coller le Canada dans ce cadre, le Canada comme pays d'accueil, société d'accueil, bénéficie également de l'immigration. Prévoyons l'immigration comme un projet qui devrait être bénéfique à la fois à la société d'accueil, le pays d'origine et aux immigrants eux-mêmes.

Emmanuelle [00:40:49] Et ben écoute, je lirai ça avec beaucoup d'intérêt. Merci de partager. Je voulais te poser une des dernières questions. Si tu pouvais rêver d'un système éducatif idéal, à quoi il ressemblerait? 

Amal [00:41:03] Ce sera un système éducatif toujours en lien avec ce que j'ai mentionné qui tient compte des savoirs indigènes, que ce soit en Afrique, au Canada ou ailleurs, qui tient compte des inégalités sociales, donc la justice sociale et la justice raciale du point de vue de l'antiracisme, du point de vue de l'intersectionnalité des identités par exemple, à l'instar des travaux des féministes, troisième vague des féministes et du féminisme noir, donc un système qui mise sur l'inclusion sociale, mais de façon vraiment équitable, au niveau des programmes, le curriculum, au niveau du personnel aussi, des enseignants et les administrateurs donc à toutes les échelles du système éducatif, système éducatif oui, qui s'en inspire par la citoyenneté, l'éducation à la citoyenneté, mais également l'antiracisme et la justice sociale. Et je pense qu'on est très bien situé à OISE nous pour... 

Emmanuelle [00:42:38] C'est sûr. Merci Amal. Alors est-ce qu'il y a des personnes que tu voudrais remercier qui ont peut-être influencé particulièrement ton parcours scientifique ou autre? 

Amal [00:42:48] Il y a toujours beaucoup de personnes à remercier parce que moi, je trouve que j'ai toujours été très chanceuse, j'ai eu une très belle vie, très fructueuse. Il y a beaucoup, des centaines de personnes à remercier. On n'a pas le temps de les remercier, mais j'aimerais toujours remercier les gens qui m'ont élevée et qui m'ont éduquée depuis le Soudan donc ma famille, tous mes enseignants, enseignantes, professeurs en France, au Canada. Et comme j'ai vécu plus de la moitié de ma vie au Canada j'aimerais également remercier, donc je remercie mes éducateurs, éducatrices, mais également les communautés qui m'ont beaucoup soutenue et qui me soutiennent toujours et qui m'enrichissent beaucoup. Et j'aimerais te remercier certainement, toi, pour cette opportunité et Joey aussi. Merci Joey.

Emmanuelle [00:43:47] Merci Amal. Alors tu nous as parlé de voyage, d'enrichissement, d'engagement civique international, de la beauté du Canada, de bilinguisme, de multiculturalisme, de l'Afrique, de l'antiracisme, des savoirs indigènes et de la justice sociale. C'est vraiment tout un programme et je te remercie pour ce beau programme qui va nous aider, je pense, à réaliser ce système éducatif idéal dont tu rêves et dont j'ose rêver avec toi. Merci Amal. 

Amal [00:44:23] Merci beaucoup. On travaillera ensemble, merci! 

Emmanuelle [00:44:26] C'est sûr. Au plaisir! 

Joey [00:44:31] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.