Quoi de neuf ?
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Contrôle médical des candidats à l’immigration : défis pour le recrutement des francophones en milieu minoritaire ? : entretien avec Laura Bisaillon
Dans cet épisode, Monica Heller, membre du CREFO, rencontre Laura Bisaillon, professeure agrégée à l'Université de Toronto
Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Monica Heller, membre du CREFO, rencontre Laura Bisaillon, professeure agrégée à l'Université de Toronto.
Laura [00:00:07] Mais en fait, dans un premier temps, ça c'est une prise de conscience qu'il existe des barrières sociosanitaires qui empêchent l'immigration de certaines tranches de personnes. Donc, c'est des pertes.
Joey [00:00:20] Bienvenue à Quoi de neuf?
Monica [00:00:37] Bonjour, aujourd'hui...je m'appelle Monica Heller, je vais avoir une conversation avec ma collègue Laura Bisaillon. Laura est sociologue et elle est professeure agrégée au département de Health & Society de l'Université de Toronto à Scarborough. Elle détient également une nomination conjointe au Département de justice sociale en éducation à l'Institut d'études pédagogiques de l'Ontario. Et elle est membre du CREFO et donc quelqu'un que j'ai l'honneur et le plaisir de côtoyer régulièrement. Alors, la chose la plus importante peut-être à lancer et à discuter, Laura tu viens de publier un livre. Ça s'appelle Screening Out. HIV Testing and the Canadian Immigration Experience. Ça vient de paraître chez les Presses de l'Université de la Colombie-Britannique, University of British Columbia Press. Alors, raconte-moi. Ce livre, ça parle de quoi?
Laura [00:01:38] Mais d'abord, merci Monica de me recevoir. Et en fait, le livre en question ne sortira qu'au mois d'avril, mais sortira prochainement. C'est ça. C'est un travail ethnographique. C'est un livre basé sur mon terrain, mes recherches ethnographiques qui se sont étalées sur dix ans. Et là, le livre consiste d'une grande analyse. C'est une analyse du système fédéral d'immigration canadien. C'est une analyse du fonctionnement de ce système avec emphase sur son programme médical, c'est-à-dire d'examiner chaque demandeur de résidence permanente. Chaque personne est appelée à se faire examiner par des médecins qui sont à l'extérieur du pays comme à l'intérieur du pays. Et je mets de la lumière sur le fonctionnement de ce système médical et c'est du point de vue des personnes vivant avec le VIH et donc c'est la première fois, finalement, qu'on met la lumière sur le fonctionnement de ce système très particulier avec le VIH. Donc, depuis 2002, il existe une politique de dépistage obligatoire au VIH, c'est-à-dire que chaque personne qui voudrait s'installer de façon permanente au Canada et à certaines tranches de personnes qui voudraient s'installer temporairement pour une durée de six mois, ces personnes-là devront se faire dépister pour le VIH et c'est obligatoire. Donc c'était le point de départ de mon étude, à me demander, dans un premier temps, comment se fait-il qu'au Canada, nous avons ce système de dépistage obligatoire au VIH.
Monica [00:03:51] Est-ce que c'est non habituel? Est-ce qu'il n'y a pas d'autres pays qui font la même chose?
Laura [00:03:57] Non, c'est très peu courant, c'est-à-dire que la plupart des pays occidentaux, mais de façon générale, la plupart des pays dans le monde entier ne dépistent pas de façon obligatoire pour le VIH. Il y a quelques exceptions près, mais disons que la plupart des pays à travers le monde ont un système d'examination médicale, c'est-à-dire les immigrants vont se faire contrôler pour que le gouvernement ait une idée de leur santé. Mais ce qui est propre au Canada, c'est qu'on contrôle pour exclure. Lorsque la personne se trouve être séropositive, alors les chances sont minimes. Moins de chance que la personne pourrait éventuellement s'installer au Canada.
Monica [00:04:46] Comment tu expliques ça? Pourquoi est-ce que le Canada a adopté et maintient cette politique-là?
Laura [00:04:53] En fait, c'est curieux. Comme j'ai dit, bon il y a très peu de pays. Il y a l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, autrefois la Grande-Bretagne qui avaient cette politique de dépistage au VIH. Plusieurs pays, de ces pays l'ont enlevée. Le Canada le maintient comme dépistage, comme pratique. On devrait bien se poser la question à savoir comment se fait-il que la politique existe. Ce que j'ai trouvé à travers mes recherches historiques aussi, c'est que le Canada rentre, en étant disons une ancienne colonie britannique, a comme héritage une grande préoccupation pour l'état de santé de ses immigrants et donc la politique du VIH mise en place en 2002, rentre dans ce courant historique.
Monica [00:05:52] Donc, est-ce que tu es en train de suggérer que dans le passé, lorsque le Canada, en tant que colonie de...d'obligation de prise de territoire, cherchait des gens avec la santé nécessaire pour pouvoir extraire les ressources, s'emparer du territoire et que ça vient finalement, cette préoccupation avec la santé, vient de l'histoire du recrutement de corps nécessaires pour la colonisation, finalement.
Laura [00:06:36] Oui, oui, oui, c'est en plein ça. Et il y a toujours, il y a toujours eu, voilà, à partir du 19e siècle et toujours est-il qu'il y a une préoccupation disons centrale relative à la santé. Autrefois, les gens qui arrivaient au Canada plus disons par bateau, par la voie maritime. De ces temps-ci beaucoup plus, plus courant par avion ou bien au sol, les frontières terrestres. Mais voilà, la préoccupation socio-sanitaire est toujours aussi, disons, importante aujourd'hui qu'elle était autrefois.
Monica [00:07:22] Et que donc, en fait, on doit utiliser...on doit pas faire une distinction entre un cadre de l'interprétation de colonialisme et un cadre d'interprétation d'immigration. On est dans le même cadre, quoi?
Laura [00:07:35] On est toujours dans le même cadre. Et puis, ce n'est pas forcément ce qu'on aurait tendance à croire non plus. On se considère peut-être postcolonial ou loin de ces antécédents, mais non. La preuve contraire, c'est en fait les résultats de mon étude. Je pense qu’aujourd'hui ça devrait nous interpeller ou devrais nous concerner.
Monica [00:08:02] Donc c'est une préoccupation pour nous. Justement, j'allais en fait te poser la question à savoir quelle conclusion devrions-nous en tirer pour les politiques actuelles? Est-ce que pour toi, dans ce que tu as vu dans le fonctionnement du système, dans les continuités historiques, peut-être dans la manière dont c'est vécu par les candidats, les candidates à l'immigration, ça te fait dire quoi par rapport au système de recrutement que nous avons actuellement?
Laura [00:08:39] En fait, ce que j'aimerais dire dans un premier temps, c'est que si j'ai mis la lumière sur le VIH dans ce livre et ce que je voulais faire dans ce livre, c'est vraiment, disons, donner la place aux personnes séropositives qui vivent parmi nous. J'ai enquêté parmi des personnes qui sont venues au Canada, comme des personnes réfugiées qui étaient déjà installées à Ottawa, à Toronto, à Montréal et dans la région de Gatineau. Je voulais vraiment...ce livre-là c'est une analyse avec cœur, c'est-à-dire que je l'ai écrit en format ethnographique, tiré des travaux ethnographiques. C'est en format histoire, c'est en format récit. Je l'ai formulé dans son format disons c'est l'histoire entre une personne, une femme réfugiée dont j'ai nommé Marta et son médecin d'immigration, pas son médecin traitant pour le VIH, mais vraiment l'interaction dans le contexte de son examination médicale pour le VIH, là où il découvre son VIH et tout son parcours de poser une demande d'immigration. Parce que normalement, si une personne est dépistée en dehors du pays s'avère être séropositive, alors elle sera exclue de la possibilité de s'installer au Canada. Ce que j'ai j'ai voulu faire dans ce livre, c'est de donner une voix et donner un visage humanisant aussi à ce travail considérable qui est le travail de poser une demande d'immigration qui se passe à travers beaucoup, beaucoup de temps. Très souvent, ça prend beaucoup de temps, plusieurs années avant qu'une application aboutisse. Donc on suit le processus de dépôt de dossier et les événements que cette femme-là vit en raison de la découverte du VIH. Donc voilà, on la suit et donc le mystère de si oui ou non elle est acceptée au Canada est dévoilé à la fin. Donc c'est en même temps, c'est une analyse académique, bien sûr, sociologique, anthropologique, mais de façon très humanisante. J'ai vraiment voulu écrire ça pour un grand public, pour les scientifiques, mais pour un grand public et pour différentes tranches d'âge aussi.
Monica [00:11:19] Je ne te demanderai pas de dévoiler le résultat de son processus. Mais à ton avis, Marta voudrait qu'on comprenne quoi nous, nous je veux dire nous les gens qui sont...oui c'est vrai différents publics pourraient être concernés. Mais mettons, dans un premier temps, ça pourrait être les gens qui vivent au Canada à la limite qui n'ont jamais vécu un processus d'immigration, d'autres qui l'ont peut-être, qui l'ont vécu d'une manière ou d'une autre. Nous avons, plusieurs d'entre nous, c'est certainement mon cas, tu sais des parents ont vécu différentes formes de ça. Mais qu'est-ce qu'on devrait apprendre de Marta? Qu'est-ce que peut-être le gouvernement fédéral devrait apprendre de Marta? Qu'est-ce qu'elle voudrait qu'on comprenne?
Laura [00:12:19] Oui, Marta voudrait qu'on réalise que le public canadien est très peu informé finalement sur ce système fédéral d'immigration, en quoi il consiste. C'est une des institutions clés au Canada et pourtant, on en sait et je me mets dans le bain aussi, peut-être toi aussi, même chez les gens qui ont immigré ou par exemple, je pense à mes étudiants dont les parents sont nés à l'extérieur du pays, ils savent très peu sur le fonctionnement, disons son fonctionnement à petite échelle, toutes les pratiques au quotidien. Que font les gens, que font les fonctionnaires, que font les administrateurs qui sont embauchés, qui travaillent dans cette immense machine qui est le système d'immigration? Alors le public nous semble très peu informé et c'est surprenant. Par exemple, je pense à la formation en sciences politiques, par exemple, où on apprend aux jeunes Canadiens qui sont à l'université par exemple, on leur apprend l'administration publique, le Sénat, le Parlement, le fonctionnement de la Cour suprême, tout ça, mais on fait très peu et on fait mal l'éducation en ce qui est le système d'immigration.
Monica [00:13:49] Et si on le comprenait mieux, est-ce qu'on se sentirait différent? Est-ce que c'est juste une question de l'information ou est-ce qu'on se dirait wow...il y a des affaires que...
Laura [00:14:02] Non, non, ce n'est pas une question de formation...non, non.
Monica [00:14:06] Information.
Laura [00:14:09] Oui, oui d'information. Non, je pense...Ce que mon analyse me permet de dire, c'est qu'il existe des problèmes concrets. Il existe des problèmes qui relèvent du travail du médecin, des avocats, des consultants en immigration qui sont dans le privé. Il y a des problèmes qui existent, qui sont des problèmes qui sont imposés aux gens vivant avec le VIH et d'autres, disons, soi-disant problèmes de santé ou avec des différentes constitutions génétiques ou qui sont atteints de différentes conditions de la santé diabète, cancer.
Monica [00:14:57] Pourrais-tu me donner un exemple concret d'un problème de...?
Laura [00:15:02] Oui, alors là, comme j'ai dit, la manière dont j'ai structuré le livre. Donc, une interaction entre Marta et son médecin d'immigration en dehors du pays. Voilà ce que mon analyse me permet de dire c'est que dans le travail qu'on demande aux médecins de faire auprès des...ce ne sont pas des personnes qui sont déjà immigrantes, mais des personnes qui sont...
Monica [00:15:28] C'est des demandeurs.
Laura [00:15:29] C'est des demandeurs, oui. Demandeurs qu'ils soient demandeurs d'asile ou demandeurs d'immigration. Et en parenthèse, il y a environ 900 000 de ces examinations, de ces examens qui se font annuellement à travers le monde. Donc, il y a des problèmes pratico pratiques dans le travail du médecin. Il y a des problèmes d'ordre éthique ou déontologique. Des problèmes, donc par exemple, ce qu'on demande aux médecins de faire, c'est d'être d'abord dans sa consultation avec celui ou celle qui demande l'immigration. On lui demande d'être d'abord administrateur. Sa mission, c'est de trouver un pépin chez le postulant et de le dénoncer, de l'inscrire dans son dossier, de faire acheminer ce dossier bon à Ottawa ou à Londres, selon son contexte dans le monde. Donc, c'est en même temps un problème d'ordre professionnel. Le médecin est appelé bon en temps normal, il est appelé, elle est appelée à travailler avec nous pour notre bien être, pour la santé, pour voilà, voilà. Dans ce cas-là, lorsque le médecin d'immigration interagit avec l'immigrant, bon il est là, non en tant que traitant, non en tant que soignant, mais en tant qu'administrateur qui va à la recherche, il est enquêteur finalement, il va à la recherche...
Monica [00:17:07] Donc c'est peut-être un peu aussi, comme les médecins qui travaillent pour donner un avis pour l'assurance des accidents de travail, par exemple.
Laura [00:17:16] Oui, tout à fait, tout à fait.
Monica [00:17:18] En tout cas, c'est relié à tout le système de santé et sécurité, quoi?
Laura [00:17:21] Oui, oui, et on peut aussi parler...en anglais, il y a une littérature qui... et moi aussi j'ai contribué dans cette lignée aussi le Dual Loyalty, lorsque le médecin, par exemple, un médecin qui travaille dans une prison ou une infirmière qui travaille dans une prison. Ou bien voilà donc ces conflits d'intérêts.
Monica [00:17:45] Donc tu es prix entre le patient, la patiente et l'institution.
Laura [00:17:51] Oui. Donc, ce que j'appelle...parce que j'arrive à pouvoir faire des recommandations pour la pratique, c'est-à-dire que d'abord il faudrait, une fois pour toutes, enlever cette exigence de faire passer tout le monde un test VIH pour des raisons d'exclusion.
Monica [00:18:12] Parce que c'est quelque chose qui se soigne et ce n'est pas...Il n'y a pas raison à exclure.
Laura [00:18:21] C'est quelque chose...oui, disons c'est quelque chose qui se soigne, mais aussi, c'est que si on voudrait que le médecin revienne à sa fonction de base, qui est de prendre soin des gens, de les soigner, de faire du caring, obliger une certaine batterie de tests, il y a tout un corpus d'écrits sur le fait que obliger un test au VIH est problématique en soi. Je me souviens, dans mon terrain, c'était à Montréal. J'avais interviewé une Brésilienne qui était arrivée au Canada dans le contexte de son travail postdoctoral. Et puisqu'elle était issue du Brésil et que le Brésil fait partie des pays que le Canada oblige un test obligatoire au VIH, tandis que ce test obligatoire au VIH ne s'applique pas à l'ensemble des ressortissants de l'ensemble des pays du monde. Elle se retrouvait en tant que lauréate d'une bourse du gouvernement canadien, elle se retrouvait côte à côte avec bon Norvégiens, avec Danois, avec Finlandais, avec Australiens, avec des ressortissants de plusieurs pays. Et puis, les Brésiliens se sont regardés, ils se sont dit Ah, mais nous, les ressortissants brésiliens, sommes les seuls à avoir été obligés de faire un test au VIH et si on avait été trouvés séropositifs, on aurait été exclus. Alors elle m'a dit Ecoute, alors le VIH brésilien dérange plus le gouvernement canadien qu'un VIH de bon allemand ou autrichien. Bon, ils ont fini pour en rire mais...
Monica [00:20:16] Donc en fait, c'est un système en plus complètement discriminatoire.
Laura [00:20:20] Oui.
Monica [00:20:21] Bon, j'aimerais peut-être juste te lancer sur un peu d'autres questions, surtout comme...pour notre public, comme tu sais, j'imagine, il y a un effort très, très ciblé du côté de la francophonie canadienne, que ce soit le Québec, que ce soit le soit disant milieu minoritaire pour recruter des immigrés francophones et aussi, en fait, des étudiants au niveau post-secondaire, avec l'idée que les gens qui font leurs études ici, ça va faciliter éventuellement leur intégration et leur immigration. Je ne suis pas très impliquée dans ce processus-là, mais je me dis que j'ai jamais entendu parler, justement de l'aspect santé. Ça ne semble pas avoir été une énorme préoccupation pour tout cet effort-là qui est quand même énorme. Il y a beaucoup de gens qui sont appliqués, il y a beaucoup d'efforts institutionnalisés de recrutement et d'intégration. Ton livre, qu'est-ce que les expériences des gens que tu as rencontrés...Dans cet effort-là, on devrait tenir compte de quoi, de mieux nous informer sur les aspects de la politique à l'égard de la santé, mieux prévoir ce que ça pourrait vouloir dire pour les candidats que nous essayons de recruter pour pas que ce soit une surprise pour tout le monde. Ou est-ce qu'il y a d'autres choses qu'on devrait vraiment mettre en place?
Laura [00:21:58] Mais en fait, dans un premier temps, ça c'est une prise de conscience qu'il existe des barrières sociosanitaires qui empêchent l'immigration de certaines tranches de personnes. Donc, c'est des effets pratiques, c'est des pertes. Un économiste...je parlais de mon livre, de mon étude à un ami, une connaissance, collègue économiste. Il m'a dit bon comment dire des gens qui sont bloqués avant même d'arriver à la frontière, mais qui sont bloqués pour des raisons sociosanitaires, pourquoi penser à ceci comme étant une perte? Parce que pour chaque personne, pour chaque famille qui est refusée pour des raisons sociosanitaires, pour la logique d'exclusion médicale, il y aurait toujours une grande demande pour accéder au pays. Alors ce que je dirais, c'est la prise de connaissance quand même qu'il existe ces barrières disons sociosanitaires qui, quand même, empêchent non seulement l'immigration de certaines tranches de personnes, mais, disons le libre accès et la libre circulation de certaines personnes, certaines tranches de la population, c'est-à-dire que les personnes qui sont diagnostiquées avec disons des problèmes de santé mentale, dépression, par exemple si on est...si le médecin d'immigration prend connaissance, découvre ou sait que la personne face à lui est atteinte d'une dépression, alors ça va poser problème dans le dossier de cette personne-là ou parlons même pas de maladie disons chronique. Pour revenir au VIH, ce qui est particulier chez ceux qui sont séropositifs, c'est qu'il existe un test de dépistage au VIH. Et pour le cancer, non et pour l'épilepsie, non. Ça peut se disons, ça peut se cacher, ça peut être masqué alors que pour les séropositifs non, le VIH va toujours se présenter, va toujours manifester en étant problématique. Donc, je pense qu'il existe de telles barrières au niveau du système qui font profondément partie du système et de la logique de gouvernance et de la mise en place des politiques et des pratiques au jour le jour des médecins et des administrateurs.
Monica [00:24:45] Est-ce que j'ai bien compris qu'il y a certains pays qui sont davantage ciblés que d'autres? C'est-à-dire que si tu es ressortissant de pays X, du Brésil, les exigences sont différentes que si tu es français ou russe ou ukrainien ou philippinien.
Laura [00:25:06] Oui, disons qu'il existe différentes catégories d'immigrants et de réfugiés. Voilà, dans la loi, il y a toutes sortes de catégories, de stratagèmes, de classification et tout et tout. Mais pour faire un court résumé, pour quelqu'un qui voudrait venir comme étudiant, qui voudrait venir comme travailleur à long terme, c'est-à-dire en haut de six mois, tous ceux qui vont vouloir s'installer ici au-delà de 6 mois auront à passer un test donc VIH et autres, selon le médecin. Finalement, il y a une batterie de tests obligatoires, notamment le VIH, et le médecin peut demander... réquisitionner d'autres tests s'il veut, si elle veut. Pour ceux qui voudraient venir à court terme, c'est-à-dire en bas de 6 mois, lorsque les personnes sont ressortissantes des pays du Sud, le test au VIH s'applique.
Monica [00:26:13] Donc, c'est plus à court terme qu'à long terme que la différence se fait selon la région du monde. D'accord. Et justement, on parlait un petit peu de la circulation pour les études, c'est aussi un domaine très important, notamment pour la francophonie canadienne. J'aimerais que tu nous en parles un petit peu, surtout que, il me semble, que tu as un projet, que tu mènes aussi un peu en parallèle avec tes intérêts pour le système d'immigration canadien, c'est-à-dire la mobilité des étudiants africains pour les études postsecondaires dans le passé et aujourd'hui vers l'Europe de l'Est et plus particulièrement vers la Roumanie. Donc une enquête que tu mènes avec ta collègue Lorena Anton. Pourrais-tu nous en parler un petit peu?
Laura [00:27:04] Oui, avec grand plaisir. C'est un travail effectivement que je mène depuis quelques années avec ma collègue anthropologue Lorena Anton de Bucarest. Nous nous sommes rencontrées il y a plusieurs années lorsqu'on était boursières en Suisse, et finalement, on s'est mises d'accord pour regarder dans les archives et faire une...mener une étude ethnographique, donc sociologique, anthropologique. On interroge les années 70 et 80 dans le contexte roumain et on met l'emphase sur la circulation et l'arrivée des étudiants venus de la Corne d'Afrique, c'est-à-dire surtout de l'Érythrée et de l'Éthiopie. Pendant les années 70 et 80, en Éthiopie comme en Roumanie, en Éthiopie c'était la fin du royaume. C'était le début du communisme en Éthiopie et durant cette même époque, en Roumanie, c'était le socialisme sous le régime de Ceausescu et nous nous interrogeons sur la vie politique, la vie intellectuelle, la vie affective des Éthiopiens et des Roumains durant ces années-là, donc des étudiants éthiopiens qui sont venus faire des études, surtout dans les sciences pures, dans les sciences appliquées, car il y avait des échanges très...bon, c'était des échanges très vifs et très disons, de solidarité socialiste entre les pays soi-disant de l'axe de l'Est, de l'URSS, l'ancienne URSS des pays socialistes, donc un grand intérêt pour l'Afrique de la part de l'URSS et des pays de l'Est parce que, parce que quoi? Parce que l'Afrique est très riche, toujours est-il qu'elle est très riche en ressources naturelles. Donc l'Europe de l'Est, la Roumanie qui avait des grandes ambitions, qui était à ce moment-là, durant ces années très prospère, aussi, justement en raison de l'arrivée d'un grand nombre d'étudiants étrangers venus d'Afrique et d'ailleurs. Et en même temps, la Roumanie faisait importer, faisait venir ses ressources premières et les transformer. Donc, il y avait une industrie de manufacture très, très développée en Roumanie à ce moment-là. Donc des échanges d'idées, des échanges de personnel, d'échanges au niveau du corpus enseignant aussi. En même temps, en Roumanie, à cette époque-là, il y a.…il existait une politique reproductive et démographique très sévère, donc, qui visait à faire croître la population roumaine. Et son outil premier à Ceausescu c'était l'interdiction à l'avortement. Donc aucun choix, on devait enfanter, la femme devait enfanter. Et en même temps, on décourageait vivement, et ça on le sait parce qu'on a quand même entamé notre travail d'archives et aussi d'ethnographie disons avec des interviews. Mais on sait très bien, parce que c'est écrit qu'on décourageait les échanges, disons intimes, entre étrangers, étrangers noirs et Roumains. Donc on déconseillait et en fait interdiction un peu...
Monica [00:31:03] Donc, c'est une forme de construction eugénique de la population roumaine, en même temps, parce qu'on est en pleine guerre froide à ce moment-là...
Laura [00:31:13] Tout à fait.
Monica [00:31:13] …n'est-ce pas? Donc une manière d'une part, exploiter les possibilités dans une forme...dans la mesure où il y avait cette concurrence entre l'Est et l'Ouest, ce que moi, en tout cas, j'appellerais une sorte de néocolonialisme. Mais en même temps, qui côtoie un nationalisme très fort du côté roumain et donc une tentative de garder les deux choses bien séparées. C'est fascinant.
Laura [00:31:41] Oui, oui, tout à fait. Et puis, ça rentre dans le créneau de recherche qui est... qui j'allais dire à la mode, ce n'est pas le bon terme, mais...c'est une ligne d'enquête qui est de plus en plus exploitée disons, disons, beaucoup par les ressortissants des anciens pays de l'Est qui sont bon nombre. Mais cette idée rétrospective des années de la guerre froide, justement. Et donc...
Monica [00:32:17] Donc est-ce que, sur cette question de la gestion du corps, parce que je pense que vraiment ça réunit tes travaux d'une manière très intéressante, est-ce qu'il y a une dernière chose que tu aimerais partager avec nous sur ce qu'on devrait retenir ou est-ce qu'on peut vraiment se laisser en disant, si on a tendance à oublier que les corps c'est des êtres humains, c'est pas juste des pions ou des ressources à déplacer d'une place à l'autre selon les relations de pouvoir, mais qu'il y a...que c'est la vie des gens quoi.
Laura [00:32:53] Oui, c'est la vie des gens. C'est peut-être nous. Nous sommes peut-être atteints de quoi? Nous sommes tous, de toute façon, atteints de quelque chose. Je pense qu'on vit à l'époque de la COVID et puis ça nous touche tous. Mais on sera tous, nous sommes tous mourants, n'est-ce pas? Nous sommes tous atteints de quelque chose, qu'on soit diagnostiqués ou non, mais de toute façon, nous vieillissons, nous serons malades, nous aurons besoin de soins. Donc, je pense que ces deux études-là sont bon, je pense que le pont, c'est non seulement le corps, mais l'empathie. Et dans notre société actuelle, notre société canadienne, ce qui est troublant, c'est qu'on valorise et en valorisant certains corps, on dévalorise d'autres tranches de corps. Pourquoi nous priver de personnes qui ont des capacités et des connaissances, des parcours de vie qui sont autres. Une personne vivant avec le VIH, une personne vivant avec l'Alzheimer, une personne vivant avec des difficultés de, je sais pas, d'attention ou d'autisme ou d'asthme ou de dépression. Je veux dire c'est nous, c'est le voisin, c'est la maman, c'est le papa, c'est le cousin, c'est tout le monde. Et nos sociétés sont davantage plus intéressantes et plus riches plus c'est hétérogène, n'est-ce pas? Pourquoi vouloir nous priver, le revers de la médaille, c'est de les dévaloriser, de les stigmatiser. On n'a même pas évoqué le fait que tout ce système-là de VIH, de dépistage, d'exclusion pour des logiques sociosanitaires, c'est quand même discriminatoire aussi. Donc, c'est-à-dire le Canada ne respecte pas ses propres lois, disons ses devoirs vers l'international. Mais étant...il n'est pas en règle avec ses politiques et ses lois et tout ça à l'échelle des territoires et des provinces.
Monica [00:35:09] Donc, en fait, on est un peu en contradiction, on a une vision très étroite, très limitative de la santé du corps individuel et du corps social qui nous empêche en fait de vivre pleinement. Laura Bisaillon, je te remercie infiniment. Je pense que ça, c'est vraiment une lumière importante que ton travail jette sur un thème qui est quand même central dans la construction de ce qui...ce que peut devenir le Canada. Merci beaucoup et j'espère qu'on aura l'occasion d'en reparler et de toute manière, félicitations pour le livre!
Laura [00:35:48] Merci beaucoup. Je donne une conférence...bon, il y a quelques années j'avais donné une conférence sur le travail qu'on fait en Roumanie. J'avais donné une conférence au CREFO. Et puis, au mois d'avril, à la mi-avril, je donnerai une conférence sur ce sujet-là. Donc c'est à suivre.
Monica [00:36:07] Absolument. À retenir dans le calendrier. Merci beaucoup et à la prochaine!
Laura [00:36:12] Merci à toi, Monica.
Joey [00:36:15] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca.