Quoi de neuf ?
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Insécurité linguistique : écrire au « je » sur le silence d'hier et d'aujourd'hui ? : entretien avec Annette Boudreau
Dans cet épisode, Laura Bisaillon, membre du CREFO, rencontre Annette Boudreau, professeure émérite à l'Université de Moncton
Madame Annette Boudreau est sociolinguiste critique et professeure émérite en études françaises à l’Université de Moncton au Nouveau Brunswick. Depuis les années 1990, elle mène des recherches sur le rapport entre idéologies linguistiques, pratiques linguistiques et construction identitaire des francophones acadiens dits en milieu minoritaire, c’est à dire en Acadie. En 2015, elle a été récipiendaire de l’Ordre des francophones d’Amérique pour ses contributions à l’ouverture de la langue française et la réduction des stéréotypes sur les pratiques langagières des Acadiens. Elle est l’auteure des livres intitulés À l’ombre de la langue légitime : L’Acadie dans la francophonie publié chez Classiques Garnier en 2016 et Dire le silence : Insécurité linguistique en Acadie 1867 à 1970 paru chez les éditions Prise de parole en 2021.
Joey [00:00:00] Dans cette troisième saison, Laura Bisaillon, membre du CREFO et ses invités discuteront du thème de la production et de la diffusion des connaissances sur les mobilités, les francophonies, la minorisation, le corps et l'État dans ces divers contextes du monde. Dans cet épisode, elle rencontre Annette Boudreau, professeure émérite à l'Université de Moncton.
Annette [00:00:22] Le silence, c'est la forme la plus aiguisée de l'insécurité linguistique. C'est la forme la plus avancée de l'insécurité linguistique.
Joey [00:00:30] Bienvenue à Quoi de neuf?
Laura [00:00:47] Alors bonjour Annette Boudreau!
Annette [00:00:49] Bonjour!
Laura [00:00:50] Bonjour et bienvenue au café CREFO Quoi de neuf et merci d'avoir accepté l'invitation de nous parler aujourd'hui. Nous sommes très reconnaissants et contents. Alors, Mme Boudreau est sociolinguiste et professeure émérite du langage à l'Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick, depuis les années 90. Elle mène des recherches sur le rapport entre idéologie linguistique, pratique linguistique et construction identitaire des francophones acadiens dites en milieu minoritaire, c'est à dire en Acadie. En 2015, elle a été récipiendaire de l'Ordre des francophones d'Amérique pour ses contributions à l'ouverture de la langue française et à la réduction des stéréotypes sur les pratiques langagières des Acadiens. Elle est l'auteure de l'essai À l'ombre de la langue légitime. L'Acadie dans la francophonie publié chez Classiques Garnier Paris en 2016. Alors, Annette, tu viens de publier un livre, Dire le silence. Insécurité linguistique en Acadie, 1867 à 1970. Alors raconte-moi, s'il te plaît, il a commencé où et comment ce livre? Et il parle de quoi?
Annette [00:02:11] Merci beaucoup de l'invitation. Je suis ravie d'être avec vous par le web. En fait, ce livre Dire le silence, le titre en lui-même, je pense est évocateur parce que le silence est la forme la plus aiguisée de l'insécurité linguistique. C'est la forme la plus avancée de l'insécurité linguistique et j'ai...pour l'écrire...j'ai dépouillé les journaux qui étaient parus en Acadie de 1867 jusqu'en 1970 parce que je voulais essayer de voir d'où venait l'insécurité linguistique ou la peur de dire que j'avais constatée chez les personnes que j'avais interviewées pendant ma carrière et à partir de mon expérience comme enseignante de français à l'Université de Moncton. Donc, je vais revenir en arrière un petit peu pour montrer un petit peu le processus qui a mené à ce livre-là. J'ai commencé à l'Université de Moncton et on a des parcours un peu hétéroclites, parfois parce que moi j'étais diplômée en littérature. J'avais une maîtrise en littérature que j'avais acquise en France, à Aix-en-Provence. Et puis j'ai commencé par enseigner le français aux Acadiennes et aux Acadiens qui arrivaient. Et dès le début de mon enseignement, j'ai constaté qu'il y avait des étudiants parmi les plus forts qui prenaient rarement la parole quand c'était le temps de poser des questions ou même faire des exposés. Et puis, ma collègue Lise Dubois, qui était, elle, en traduction et les langues et qui enseignait la traduction et on sait que les étudiants qui sont forts en français vont en traduction, avait constaté le même phénomène. Et là on s'était dit, il faut essayer de voir qu'est-ce qu'il y a derrière. Et vraiment, on ne connaissait pas du tout le concept de l'insécurité linguistique. C'est parti vraiment d'une recherche de terrain, c'est-à-dire à partir de ce qu'on voyait sous nos yeux et moi-même qui vient de Moncton, par la suite, j'ai pu comprendre que cette problématique m'atteignait dans ma chair, si je puis dire. Je l'ai compris beaucoup plus tard, mais ça a été comme le début d'une aventure qui a commencé donc à la fin des années 80. Et là, à partir des années 80, donc, on a fait une petite enquête. On a été mis en contact avec Michel Francoeur qui est Belge et qui étudiait un peu les complexes qu'avaient les Belges à l'égard des Français qui parlaient le français, donc en France, et qui se comparaient souvent négativement par rapport aux Français. Et donc, je l'ai rencontré grâce au Centre de recherche en linguistique appliquée, une institution qui est vraiment très importante. On voit l'importance des institutions et qui était dirigée à l'époque par Louise Péronnet. Le Centre de recherche en linguistique appliquée venait juste d'être créé en 1987 et son objectif c'était aménager le français en Acadie. Et donc Michel Francoeur, sociolinguiste, est venu à Moncton, dans ce cadre-là, a parlé à Louise Péronnet, qui savait que Lise Dubois et moi on travaillait sur cette petite recherche et on s'est rendu compte qu'on avait en fait des objectifs communs et de là est parti vraiment, pour moi, 30 ans de recherches sur ces questions-là. Donc, ça a commencé comme ça. Plus tard, on a fait ensemble des enquêtes dans toutes les écoles de la province. On s'est rendu compte que les gens des milieux minoritaires surtout avait hérité d'un sentiment vraiment très profond d'avoir l'impression de parler mal. C'était vraiment très viscéral et souvent, dans les entretiens, c'est eux-mêmes qui abordaient la question. Et on a constaté ça, j'ai pu le constater moi-même ensuite, quand j'ai fait des entrevues avec l'équipe du CREFO où on a fait des entrevues avec des adultes du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île du Prince Edward, mais pour moi, surtout au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Et comme j'avais toujours un petit peu en tête cet élément-là ou cette voix-là vers laquelle je voulais me diriger, ça m'intéressait beaucoup cette question. Et je voyais quand même ce malaise ou cette insécurité, vraiment, même chez les adultes. Et donc bon, avec le CREFO on a fait beaucoup d'entretiens, moi-même j'en ai fait avec d'autres projets de recherche. Et j'ai écrit le premier livre À l'ombre de la langue légitime. Au départ, je voulais juste faire un livre vraiment à la troisième personne, décrire un peu les recherches que j'avais réalisées. J'avais beaucoup de mal à y arriver jusqu'à ce que je me donne la permission d'écrire au « Je ». En 2013, j'ai commencé à l'écrire et je me suis dit je l'écris à la première personne, c'est-à-dire que c'était tellement fort et quand j'ai commencé à écrire à la première personne, ça a été tellement facile d'écrire ce livre-là et c'était comme si je l'avais vraiment en moi et d'écrire ma propre expérience mais c'était pas de moi que je voulais parler en fait. C'était vraiment de toute une collectivité et de d'autres personnes qui pouvaient peut-être ressentir les mêmes choses que j'avais ressenties parce que je savais que je voulais pas raconter mon histoire. Je voulais raconter une histoire intellectuelle, sociale et humaine et qui s'inscrivait dans ces différents rapports de pouvoir dans la langue, parce que j'avais constaté que la langue était vraiment un lieu d'inclusion ou d'exclusion. Soit tu inclus, soit tu exclus pour toutes sortes de raisons. Et donc, j'ai écrit ce livre-là vraiment avec un grand bonheur et vraiment une forme de libération. Je savais que ce que j'écrivais là, c'était mon histoire. C'était l'histoire d'autres aussi. Et par les témoignages que j'ai reçus par la suite, d'Européens et de gens qui vivent en Afrique, je savais qu'ils vivaient la même chose et que finalement, ce n'est pas parce qu'on habite un lieu très périphérique qu'on ne peut pas rejoindre les gens parce que je pense que moi-même, j'avais intériorisé cette idée de petitesse en me disant que est-ce qu'on a quelque chose à dire quand on vient vraiment des marges? Est-ce qu'on peut vraiment...est-ce que notre message peut être entendu? C'est vraiment une question que j'ai portée en moi pendant toute ma carrière. Est-ce que je peux être légitime ou non? Et j'avais même une impression au début que...qu'en Acadie, où on ne pouvait pas même être des théoriciens je veux dire, on était des praticiens, c'est tout. Je veux dire, c'était clair. Et ça me causait pas vraiment de problème, je veux dire, bon c'était un peu ça....
Laura [00:09:38] Est-ce que tu pourrais peut-être préciser, donner un exemple de ce dont tu parles. Par exemple, tu as évoqué cette amorce de conversation qu'on entend souvent chez des gens, dans les marges, soi-disant en périphérie linguistique, « Je parle mal » ou se faire dire « Ah oui, tu parles différemment », ou bien « Tu as un accent » ou « Ah, ton accent est joyeux, joli, tu viens d'où », par exemple? Est-ce que...parce que tout ça, ça nous impacte, donc ça a un effet. Tu as réussi à écrire ton premier livre, À l'ombre de la langue légitime, dans 'je', c'est-à-dire dans le 'je', ce qui est très puissant, c'est touchant, c'est émouvant, c'est à la fois...et je te cite justement dans ce livre-là, À l'ombre de la langue légitime, tu dis que « écrire au 'je' m'est apparu à la fois comme une nécessité et une libération ». Est-ce que tu pourrais nous donner un exemple d'un échange lors des enquêtes ou de par ton vécu, d'un échange, d'une interaction qui a eu cet effet de disons provoquer peut-être une prise de conscience dans le bon ou le mauvais sens?
Annette [00:11:07] Oui, j'ai eu beaucoup d'exemples. Le premier exemple, c'est donc une de mes meilleurs étudiantes qui, lorsqu'est venu le temps de faire un exposé en classe, elle a commencé par s'excuser de sa manière de parler. Elle était la meilleure de classe. Et là, j'ai vu qu'il n'y avait pas de lien entre représentation et compétence, ou pas nécessairement de lien. Ça c'était vraiment la première fois. Ensuite, pendant les enquêtes, je l'ai entendu souvent et surtout, une histoire que je trouve encore vraiment touchante. On faisait des enquêtes dans un centre d'appels à Moncton. C'est un centre d'appels qui...où les gens...c'était un centre qui recevait des appels pour des réservations d'hôtels de luxe et donc c'était des appels qui venaient de toute la francophonie. Et donc, les gens bilingues doivent répondre au téléphone, en français et en anglais. Et donc, ils doivent faire le switch très, très vite et il faut voir...on avait fait cette recherche avec Monica Heller et Normand Labrie et on s'est installés dans des cabines avec eux et il faut voir le travail qu'ils font. Je pense qu'une fois qu'on a fait ce travail-là, on est vraiment beaucoup plus sympathique avec les gens qui nous appellent peu importe l'heure du jour. Donc, ils ont à manier vraiment des outils incroyables. Et dans ce centre d'appels-là, l'information qui venait, qui était une information routinière, défilait en anglais devant l'écran des gens. Donc, quand ils avaient un appel en français, c'était immédiatement après et il fallait qu'ils traduisent et ils n'avaient pas d'outils pour traduire. Donc, si c'était toujours les mêmes questions ben, passablement ils pouvaient se débrouiller. Il y a une fois, il y a une personne qui nous a raconté qu'elle s'était trompée dans le vouvoiement et elle avait tutoyé une personne qui l'avait mal prise à l'autre bout du fil et qui lui avait dit « Passez-moi une vraie francophone ». Et ça l'avait tellement blessée. Quand elle nous racontait ça, c'était tellement senti. Elle avait utilisé la stratégie suivante : elle s'était donné un nom anglophone, elle avait changé son nom et ça je le raconte dans mon livre, je me rappelle plus le nom qu'elle s'était donné, mais disons que « Hello, my name is Betty. How can I help you ». Puis là, elle allait dire « I'm sorry I can't speak the French that you want, I'm learning French ». Et donc les gens lui disaient « Oh, mais vous parlez très bien pour une anglophone ». Quand elle parlait anglais, elle n'avait pas de problème, donc c'était une manière de se protéger. Et cet exemple-là, il me vient souvent à l'esprit, à quel point elle avait ressenti cette blessure dans son corps. Parce que pour changer d'identité, ça veut dire que ce n'était pas tout simplement quelque chose que bon comme ça, il y a une personne qui est impoli, qui est au téléphone. Pour elle, en tout cas, c'était quelque chose qu'il l'avait marquée profondément. Alors, il y a eu des tas d'exemples comme ça et ça m'a ramené moi-même quand j'ai écrit À l'ombre de la langue légitime, à revenir sur mon propre parcours. Et de voir aussi que j'avais eu ce genre d'expérience. D'ailleurs, je raconte aussi des anecdotes dans Dire le silence. Dans Dire le silence, je raconte par exemple que quand j'étais étudiante à Aix-en-Provence, donc dans les années 70, j'ai rencontré un étudiant à l'Université. Et je venais d'arriver, puis je lui ai dit « Est-ce que vous avez du change? » Et il m'a dit « Je n'ai pas de change, mais j'ai de la monnaie ». Mais sur un ton des plus méprisants. Si ça avait été seulement, je n'ai pas change, j'ai de la monnaie. Mais ce souvenir-là, m'est remonté à la surface parce que à ce moment-là, je crois que j'ai senti une honte. J'avais honte de moi parce que je l'ai jamais oublié. Si ça avait été anodin, il n'y a rien là, de dire bon ben...parce que ça dépend justement du regard de l'autre. Et ça revient à ce que je disais tout à l'heure, pour les rapports de pouvoir, des rapports d'inclusion ou d'exclusion, des rapports de domination que l'on peut exercer sur l'autre ou non, parce qu'il aurait pu me dire « Ah vous dites ça au Canada. Nous, on dit ça ici ». Ça aurait changé complètement le rapport. Mais c'est pas ça qui s'est passé. Il me l'a dit sur un ton tellement méprisant que c'est revenu 40 ans plus tard et j'ai pu faire le lien avec ce que des gens ont pu ressentir. Sauf que moi, à ce moment-là non plus, comme la fille dans le centre d'appels, je n'avais pas les moyens pour analyser ce qui m'était dit parce que je n'avais jamais suivi de cours de linguistique, je n'avais aucune idée de ce que c'était que la variation. On nous parlait que du standard à ce moment-là, c'était le standard qui était valorisé. Je savais qu'on parlait différemment, tout le monde le savait, mais pas que ce soit valable ou légitime de parler autrement. Je n'avais pas les outils pour le faire. Et quand j'ai commencé à enseigner, puis que j'ai eu plusieurs étudiantes qui sont parties étudier en France parce que j'en ai plusieurs qui sont parties. Je parle au féminin parce que c'était presque toutes des femmes. Elles étaient outillées pour faire face à ce genre de discours si elles le rencontraient parce qu'elles avaient justement entendu parler des différentes théories de la variation. Moi, je suis vraiment très, très fan de Bourdieu, de Pierre Bourdieu que j'ai enseigné dès le baccalauréat et qui montre vraiment ces phénomènes en action. Et elles avaient, je pense, des manières d'y répondre parce que quand elles revenaient de France, on en parlait immédiatement, comment ça s'était passé ce lien avec les Français et même, je suis rentrée dans une boutique à Moncton et la personne qui m'a accueillie elle m'a dit « Ah, vous m'avez enseigné, vous rappelez vous? ». Je me rappelais pas trop parce que j'ai enseigné quand même le cours d'introduction des fois à des grands groupes de 100-120 personnes. Elle m'a dit « Vous savez maintenant quand il y a des gens du Québec qui arrivent, qui me disent qu'ils aiment mon accent, je leur dis toujours j'aime bien le vôtre aussi » parce que...
Laura [00:17:44] Chacun a son accent.
Annette [00:17:44] Oui, parce que je leur avais donné ça comme un exemple que j'avais, parce que je l'avais vécu en France. À la fin quand je me sentais très à l'aise, je leur avais raconté que j'étais à Rennes et qu'il y a un commis qui m'avait dit « Ah, j'adore votre accent » j'étais en train de payer et moi, j'avais dit « Ah moi aussi, j'adore le vôtre ». Et là, il avait dit « Hein j'ai un accent moi? ». Puis là, j'avais dit « Mais oui », puis il y avait plein de gens dans le magasin qui étaient venus, on avait fait une conversation en linguistique pendant au moins 15 minutes. Mais c'est des petits outils, mais qui aident à faire face à certaines situations qui peuvent vraiment blesser au tout début, quand on n'a pas...on ne sait pas comment répondre. Donc c'est ça, donc je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais donc À l'ombre de la langue légitime, c'est tout autour de ces questions-là.
Laura [00:18:36] Tout à fait. Et puis un courant de pensée dans ce livre-là qui m'a beaucoup touchée et grandement marquée pourquoi tant par sa forme, parce que c'est quand même écrit au je, que son contenu, c'est comme tu l'as dit, c'est de l'auto-analyse, mais c'est en même temps...
Annette [00:18:58] Une socio-analyse.
Laura [00:19:00] Une socio-analyse.... C'est à la fois, tu parles du vécu, du vécu individuel de familles, de communautés, de régions et tu parviens à analyser les structures qui nous gouvernent auxquelles nous sommes sujets...enfin une analyse de pouvoir assez...très poussée, quoi.
Annette [00:19:26] Oui, les idéologies cachées aussi. Ces idéologies-là qui sont tellement répandues et intériorisées chez les individus eux-mêmes que c'est très difficile de démasquer des discours qui excluent. Et oui, c'est ça. J'ai essayé d'analyser tout ça d'une façon théorique, dans un sens.
Laura [00:19:56] En le lisant, en fait, c'est un peu les réflexions que j'ai eues en lisant ce livre, comme je ne suis pas sociolinguiste non plus, mais ça m'a permis aussi une réflexion sur mon entourage, donc je tiens à te remercier aussi pour ça.
Annette [00:20:15] Parce que la question, juste en lien avec ce que tu viens de dire, c'est ça, c'est la question comment est-ce qu'on peut être francophone? C'est un peu ça la grande question. Qui est-ce qui définit si on l'est ou non. Et en tout cas c'est pour ça que je ne sais pas si on est prêt à passer au récent. Mais ce que je voulais dire, c'est que quand...une fois que j'ai fini, je voulais trouver les causes. Quelles sont les sources? Pourquoi est-ce que l'on retrouve ce sentiment-là d'une forme d'illégitimité? Où est-ce qu'elle trouve sa source? J'ai voulu le faire à partir des articles de journaux parce que des journaux, c'est fixe. Et puis, les personnes qui écrivent dans les journaux souvent, ce sont les fabricants d'opinion parce que c'est eux qui pouvaient écrire à partir de 1867, parce que le journal était fondé. Mais ce que j'ai trouvé, c'est vraiment intéressant, parce que c'est pas seulement l'Acadie, c'est le Canada français en entier. Parce que quand je me suis beaucoup inspirée du livre de Chantal Bouchard, Chantal Bouchard qui est une sociolinguistique montréalaise, qui a essayé de voir aussi l'analyse des discours à partir des journaux et d'autres documents pour le Québec. Mais finalement, quand on parle de Québécois à l'époque, au 19e siècle, on parle de Canadiens français et à peu près tous les Canadiens français, cette nomination-là, couvrait tout le monde peut-être sauf l'Acadie, pour toutes sortes de raisons, parce que les Acadiens sont toujours nommés des Acadiens depuis le 18e siècle donc j'ai regardé. Mais j'ai vu que justement, je suis partie de 1867, mais si je saute un tout petit peu pour sortir de l'Acadie à partir de 1910 jusqu'en 1950, il y a eu une forme d'insécurité linguistique qui était vraiment très répandue chez les francophones au Canada en général, parce que c'était aussi le début de l'urbanisation au Canada français. Et quand on dit urbanisation, on dit aussi mélanges parce que les postes étaient surtout occupés par des anglophones. C'était des francophones qui travaillaient pour des anglophones au Québec, dans la région de Montréal. Ici, bien sûr aussi. Mais il y a donc commencé à avoir beaucoup d'anglicismes, qui étaient beaucoup plus...qui étaient peut-être là avant, mais qu'on a commencé à nommer. Et donc, les francophones eux-mêmes estimaient parler un mauvais français et les anglophones parlaient du lousy French des Canadiens Français. Donc, c'était comme une double dévalorisation qui existait à ce moment-là partout. Et c'est là qu'on voit dans les journaux, par exemple, j'ai trouvé beaucoup de chroniques, c'était marqué « Corrigeons-nous » avec des expressions à corriger. Et en Acadie, c'était des longs articles, vraiment avec des explications et tout ça. Ça c'est vraiment intéressant. Il y avait la même chose au Québec. Donc j'ai vu beaucoup, beaucoup de similitudes avec le Québec à ce moment-là et ensuite autour des années 50 jusqu'en 1970, c'est les débats sur le bilinguisme qui commencent. Parce que pour les francophones, c'est le bilinguisme francophone à l'extérieur du Québec. En fait, ça concernait tous les francophones, mais il commençait à y avoir une volonté d'indépendance vers la fin des années 50 au Québec, en disant Bon, on ne peut pas vivre dans cette fédération ici, on n'a pas notre place. Mais pour les francophones ailleurs, c'était la seule voie. C'était de se faire reconnaître comme francophone dans un pays bilingue parce que sinon, tu n'existes pas du tout. Donc commencer à avoir une rupture, commencer à avoir des discours très différents. Mais on voit toute cette ambivalence par rapport aux rapports sur le bilinguisme. Donc les gens, par exemple, en Acadie voulaient le bilinguisme institutionnel mais avaient peur de ses effets sur la langue. Qu'est-ce qu'on fait des anglicismes? C'est vraiment le bilinguisme qui est responsable de la corruption du français etc. Donc on voit tout ça émerger d'une forme d'ambivalence constante. On voit que le Québec commence à se détacher et en passant, je voulais dire que j'ai fait la même chose dans ce livre-là que dans mon premier. C'est-à-dire que quand je l'ai écrit, je l'ai aussi écrit à la première personne. Il y a peut-être beaucoup plus de... c'est plus technique dans le deuxième. Mais j'ai quand même essayé de voir comment avaient vécu mes grands-parents au début du vingtième. Mes parents, comment est-ce qu'ils ont vécu ces périodes-là où, par exemple, ils devaient toujours s'exprimer en anglais quand ils arrivaient en ville. Et c'était donc le français à la maison. Mes parents étaient militants francophones. Comment est-ce qu'ils ont navigué à travers tout ça. Et ensuite moi, quand j'arrive dans les années 70 à l'université, là il y a un renversement, parce que nous, les étudiants, on est contre le bilinguisme. On est vraiment habité par l'idéologie du standard. Et moi aussi parce que moi j'étais...je faisais des études en lettres et la Faculté des arts et des sciences sociales à ce moment-là, surtout la Faculté des arts, on ne voulait pas d'anglicismes. On voulait en finir avec cette culture qu'on considérait une culture de pauvre dans le sens qu'on se disait « Eh, on fait partie des bâtards linguistiques » parce que c'est comme ça que les gens nous appelaient des bâtards linguistiques. D'ailleurs, j'ai essayé de filer cette idée de bâtard, je la trouve vraiment intéressante puisque je la vois pendant très longtemps, bâtard, donc, le mélange. Et donc nous qui venions du Sud-Est, on voulait se débarrasser de nos anglicismes et je me rappelle qu'un groupe d'entre nous, on avait décidé d'apprendre le Robert. On s'était mis, on se disait faut qu'on apprenne le Robert par cœur et on essayait vraiment d'éliminer tout ce qu'il y avait dans nos pratiques quotidiennes. Évidemment, on n'a pas réussi, mais c'était pour dire à quel point cette idée de la variation n'existait pas quand je suis arrivée en France et donc moi-même, qui avait été régi par l'idéologie du standard, j'arrive en Europe, je suis très contente d'arriver là et en même temps, je me sens mal parce que j'ai vraiment intériorisé cette idée qu'il y a une telle façon de parler. Donc, j'essaie de montrer un tout petit peu jusqu'en 70 comment ça s'est fait. Ensuite, la dernière période, je passe très vite, mais je montre très bien qu'il y a une remise en question de cette vision fermée et uniforme de la langue et qu'elle est passée beaucoup par les artistes déjà au Québec, si on pense à Robert Charlebois, ses premières chansons sont en joual. Et ça a été la même chose pour le groupe 1755 en Acadie. Je pense, c'était dans les années 80. Il y a eu Les belles sœurs de Michel Tremblay en même temps que La Sagouine d'Antonine Maillet, qui mettait de l'avant le vernaculaire donc il y a comme une vraiment une rupture d'avec le discours d'avant. Et il y a vraiment, on commence à ouvrir sur la variation et je pense pour exister en fait. Finalement, c'est tout ce qui commence aussi au Québec sur le français d'ici. On commence à dire il nous faut une norme endogène. On veut plus de norme exogène. C'était la norme exogène qui était la norme du Québec, donc une norme venue de France. Tout ça, ça fait partie de l'histoire de l'insécurité linguistique, l'idée d'avoir une norme à soi ou des normes à soi, de briser ce discours-là qui était vraiment très prégnant, vraiment quand j'y pense maintenant, c'est...et même quand on regarde les archives de Radio-Canada, c'est fascinant. On entend les annonceurs des années 50. Ils sont vraiment alignés...leur accent est vraiment aligné sur celui de la France. Alors qu'aujourd'hui, on entend une multitude d'accents qui montrent la diversité des francophones un peu partout. Donc, c'est ça, donc dans Dire le silence, c'est ça que j'ai voulu faire, c'est trouver les sources ou des sources, pas les sources, mais des sources parce qu'il y en a sûrement d'autres. Et puis, c'est sûr que je l'ai dit dans mon livre, ça, j'ai beaucoup, beaucoup de textes. J'ai trouvé beaucoup de textes j'imaginais jamais trouver autant de textes que ça. Il y a beaucoup d'étudiants qui ont travaillé, dépouillé ces textes-là pendant plusieurs années. C'est vraiment un travail de longue haleine qui s'est déroulé sur une dizaine d'années. Et c'est sûr que moi j'ai voulu quand même examiner davantage les discours dévalorisants. Mais il n’y en avait pas tant que ça non plus qui valorisait parce que je veux dire, c'était beaucoup plus dans le sens de dire ben, il faut absolument qu'on apprenne le standard et c'était bien intentionné parce que finalement, l'idée, c'était de donner les outils aux personnes pour se sortir de leur situation, de scolariser le plus de gens possible dans les années 50. Il y a une émission qui était diffusée en Acadie, puis j'en parle un petit peu dans À l'ombre de la langue légitime mais je n'en parle plus dans l'autre, qui s'appelait Parlons mieux. Et ça, c'est une histoire que j'aime raconter parce que c'est un archiviste de l'Université de Moncton qui m'a téléphonée pendant que j'enseignais, il y a une vingtaine d'années et qui m'a dit « j'ai trouvé une boîte d'archives qui sont des bandes sonores d'une émission qui s'appelle Parlons mieux, est-ce que ça t'intéresse? ». J'ai dit oui, donc je suis allée aux archives. J'ai regardé ça. J'ai ouvert la boîte, j'ai mis des écouteurs comme ça, je me suis assise dans la salle où est-ce qu'on peut écouter les émissions. Et là, le générique, la musique et là, j'ai été fouillée et j'ai vu qu'elle avait été diffusée dans les écoles de 1954 je pense jusqu'en 1968 et qu'elle avait été diffusée dans toutes les écoles de la province et donc sans doute que je l'avais entendue. Mais on oublie rarement la musique et que je l'écoutais en salle de classe. Je n'ai pas de souvenir précis, mais quand j'ai commencé à écouter ça, je connaissais la personne et c'est une personne qui s'est vraiment dévouée pour le développement du français, mais avec son idéologie du standard très ancrée. Alors c'était vraiment l'idée de corriger deux choses : les accents et ensuite de corriger les expressions régionales. Et elle-même, elle est devenue professeure de phonétique après à l'université et elle racontait elle-même et j'ai toujours toujours trouvé ça intéressant qu'elle essayait de faire prononcer les -ar comme des -ar. Donc, les gens suivaient des cours de phonétique dans les années 70 et 80 à l'université pour corriger leur accent et puis elle nous disait ça ne marche pas et elle ne comprenait pas pourquoi. Parce qu'elle disait j'ai fait répéter le -a ouvert pendant toute la demi-heure et à la fin j'ai demandé aux étudiants de se prononcer. Puis il y en a un qui dit « moi, je suis un Allard dans leur ville ». Puis elle venait de faire pratiquer le -a. Et là, et donc, il y a toutes ces forces communautaires qui jouent, qui sont vraiment tellement fortes que finalement, c'est pas parce qu'on va répéter un -a comme ça qu'on va l'adopter. Et ça remet en cause, en fait, toutes ces méthodes qu'on avait à l'époque et qui m'ont fait aussi aller de ce côté-là pour voir quelles sont les forces qui font que l'on maintient des formes, des pratiques de langue qui sont dévalorisées parce qu’il y a vraiment des valeurs qui sont rattachées selon les milieux à ces langues-là. Donc, c'est un peu...c'est un peu, ce livre-là, Dire le silence, ça devait être un chapitre de À l'ombre de la langue légitime.
Laura [00:32:32] Ah bon!
Annette [00:32:32] Ouais, c'était ça. Quand j'avais fait mon plan, c'était ça. Mais après, quand j'ai vu que j'avais assez de matière pour le premier et que c'était beaucoup trop gros pour faire un chapitre, j'ai décidé d'en faire un livre.
Laura [00:32:43] Et le public est chanceux, car deux livres sont sortis de cette belle pensée de ces années de recherche.
Annette [00:32:53] Et je pense...justement, j'ai essayé de dire comment cette question d'insécurité, elle est vraiment ancrée dans le corps. Pierre Bourdieu dit que le monde social est dans le corps ou quelque chose du genre et j'ai tellement trouvé que c'était vrai au fur et à mesure que j'avançais en âge dans le sens que, on a beau vivre n'importe où, avoir les théories qu'on peut avoir pour tenter de sortir un peu de certaines situations qu'on trouve un peu inconfortables, on en sort un peu, mais on reste ancré avec des habitudes qui sont héritées de notre milieu, de notre famille, de notre façon de voir. Et toute cette question-là de...comme il donne un exemple que j'ai trouvé très frappant, il dit par exemple dans une communication : il y a des gens qui prennent le temps qui leur est imparti, il y en a d'autres qui vont prendre plus de temps et il y en a qui vont prendre moins de temps. Qu'est-ce qui fait qu'une personne va oser prendre plus de temps? C'est juste un petit exemple, mais je trouve qu'il est très parlant et ça transparaît dans le corps, dans l'aisance du corps ou non. En tout cas, c'est des questions que j'aimerais explorer plus avant parce que je trouve...je donne l'idée de la tête penchée comme...il y a des choses que je revois dans des photos. On voit des gens qui sont assurés dans leur manière d'être, mais qui se transposent en plein de la parole, en tout cas bref...
Laura [00:34:45] Juste une question qui m'était venue à l'esprit de l'émotion, donc de l'humiliation, de honte. Mais le...disons le revers de la médaille, c'est la conscientisation, c'est le fait de se prendre en charge ou aider les autres à se prendre en charge, ce que ton travail fait finalement. Mais il y a toute une jeunesse, si j'ai bien compris en Acadie, qui semble être vraiment...vivement dans le processus de conscientisation qui agit contre toutes ces forces-là qui sont très réelles, ces forces de vouloir créer la différence. Tu pourras peut-être nous parler un peu de ce podcast Parler mal.
Annette [00:35:40] Oui, c'est un podcast qui a été réalisé par Gabriel Robichaud, qui est un poète et écrivain de plus en plus connu à Moncton, et Bianca Richard, qui est comédienne. Et ils ont fait un podcast de cinq émissions. Je pense que c'est sur Radio-Canada là, mais je ne suis pas trop certaine mais en tout cas on peut les trouver en cherchant sur le web. Et ce podcast-là est vraiment intéressant parce que ça retrace un tout petit peu l'insécurité linguistique et il y a différentes personnes qui sont interviewées. Mais en plus de ça, ils ont monté une pièce de théâtre qui s'appelle Parler mal, une pièce qu'ils ont présentée déjà à Moncton et à Montréal, dans les premières lectures qu'on appelle les mises en voix où je me souviens plus. Puis là, ça va vraiment devenir une pièce. Et l'histoire de cette pièce-là, elle remonte à il y a trois ans, à peu près. Bianca Richard, apparemment qu'elle avait eu une bourse, un stage d'artiste dans l'Ouest canadien et il fallait qu'elle fasse une présentation. Et quand c'est venu le temps de faire sa présentation, elle s'est mise en scène et elle a parlé de sa langue. Et apparemment que ça a vraiment touché l'auditoire. Et Gabriel Robichaud, que je ne connaissais pas à ce moment-là, avait lu mon livre. Donc mon livre se retrouve dans la pièce parce qu'il est allé voir Bianca, puis il lui a dit « Il faut que tu lises À l'ombre de la langue légitime ». Et elle raconte qu'elle était pas prête pour recevoir ça tout de suite. Mais ce que j'ai trouvé intéressant, c'est que à quel point ce message-là, en fait, est repris. Et on voit aussi que ce qui est décrit comme un phénomène d'insécurité est encore très présent parce que Bianca Richard maintenant elle anime une émission nationale, mais elle se sentait tellement insécure dans sa langue. Et après, on a beaucoup discuté ensemble parce que finalement, je les ai rencontrés. Ils ont fait ce podcast-là, mais ça montre que pour revenir à quelque chose qu'on disait plus tôt, qu'à partir du moment où on peut mettre un mot dessus, que c'est le premier pas vers une forme nommée, donc vous allez voir peut-être qu'ils vont se produire à travers le Canada, si ce n'était pas dû à la covid, ça serait déjà fait.
Laura [00:38:18] Tu peux être juste une dernière question qui m'était venue à l'esprit en vous écoutant lors du colloque, hier à l'Université de Moncton. Parce qu'il y avait toi, Lise Dubois et des questions de l'auditoire, dont une dame qui participait de Dieppe. Et elle voulait savoir quelles seraient les actions à prendre suite à vos travaux, Mme Dubois et Mme Boudreau, suite à votre Ombre de la langue légitime et là Dire le silence, quelles seraient les conclusions à en tirer? Ou bien qu'est-ce qu'on pourrait ensuite penser de telles choses, la mémoire collective ou bien l'ouverture à la langue française, réduction des stéréotypes ou politiques publiques ou pratiques en ce qui est le domaine de la langue au Nouveau-Brunswick? Parce qu'ils cherchaient peut-être des actions ou des stratégies aussi au niveau communautaire, sur le plan public, dans les écoles, tout ça,
Annette [00:39:24] Oui, en fait, c'est ça. C'est que souvent, les gens nous posent la question qu'est-ce qu'on fait après? Pour moi, c'est déjà une première étape de pouvoir nommer un phénomène. Le fait de pouvoir dire, donner un nom à l'insécurité, de pouvoir...oui, la nomination, c'est super important. On n'existe pas sans nomination. C'est un peu comme un groupe, je dirais. Si le chiac n'existait pas, s'il n'y avait pas un nom donné aux pratiques linguistiques qui sont parlées dans le sud du Nouveau-Brunswick, on parlerait de franglais. Mais le franglais, c'est partout, je dirais. Ça, c'est pas un groupe. Le nom, ça permet d'exister avec les avantages et les désavantages parce que les avantages c'est que les gens existent et peuvent se reconnaître dans ce nom-là. Mais le désavantage, c'est qu'à chaque fois qu'on veut parler d'assimilation, on va donner le chiac comme exemple. Et là, les gens vont se sentir vraiment stéréotypés, pointés du doigt. Et ça aussi, ça fait mal parce que c'est justement parce qu’un nom donc...cette nomination-là, elle joue...elle peut jouer de différentes façons. Pour revenir à ta question qui est vraiment clé, comme je le disais au début, Lise et moi, quand on a commencé à travailler sur l'insécurité linguistique ou sur les discours, c'était en lien avec un projet d'aménagement du français en Acadie. Quand on parle d'aménagement du français, on parle à la fois d'agir sur la langue comme telle, d'essayer d'instrumentaliser, de la moderniser pour que les gens puissent répondre aux différentes situations de communication avec un français qui convient. Et l'autre, c'est les lois, les statuts et les statuts ben il y a beaucoup de juristes qui travaillent sur le statut. Il y a aussi l'affichage parce que ça, c'est super important aussi l'idée de se voir dans l'affichage. Mais nous après c'est un peu de travailler sur les discours parce qu'on se disait au départ si on veut que les gens adoptent le français, parce que la plupart des francophones sont bilingues, donc ils vont pouvoir dire toujours... d'ailleurs, c'est ce qu'on nous dit dans la province maintenant, les gens sont bilingues, donc pourquoi vous avez besoin de plus de services en français. Alors si on veut que les gens puissent vouloir s'améliorer en français, il faut aussi travailler sur les discours. Donc, je le disais hier, donc moi, au cours de ma carrière, j'ai rencontré beaucoup d'enseignants pour essayer de leur faire part de ce qui se passait. Et ça semblait toujours toucher aussi à quel point ils étaient réceptifs. Et je me rappelle encore de ce cri du cœur d'une personne alors qu'on avait été parlé d'un...il y avait à peu près 200 enseignants dans la salle. Et il y a un gars qui avait levé la main à la fin, puis il avait dit « oh je vous remercie tellement », j'étais avec Lise à ce moment-là, il avait dit « ça veut dire que je peux parler comme je parle ». Et j'avais ressenti son cri du cœur, puis en même temps, ce n'est pas vraiment le message qu'on voulait envoyer et je lui ai dit, dans le sens qu'on voulait quand même dire c'était son désarroi, on voulait dire qu'il y avait plusieurs façons...mais on ne pouvait pas briser ce cri de joie-là. J'ai été lui parler après puis j'ai essayé de lui dire « tu sais, c'est quand même plus compliqué, il faut quand même des fois…», mais il avait déjà...je me dis c'est le premier pas. Après, il faut agir sur plusieurs fronts. Il y a quand même des associations et des organismes qui travaillent, on en a quand même beaucoup, beaucoup en Acadie qui luttent. Les gens ont très peur maintenant parce qu'il y a beaucoup moins de natalité. Mais là, par exemple, dans un tout petit village qui a à peu près 1 000 personnes, à Saint-Sauveur, ils vont accueillir combien...80 Marocains dans trois mois. Donc, ce sont des trentaines d'ouvriers, mais avec des enfants. Ils ont voulu des gens qui avaient des enfants. Donc, ils vont construire des habitats et tout. Alors ça crée des changements radicaux. Ça veut dire qu'un quart de la population du jour au lendemain, qui était habituée avec des populations tissées serrées, mais j'ai écouté le reportage hier et j'ai trouvé ça quand même assez inspirant. Il y a vraiment comme des comités d'accueil multiples qui sont là pour travailler non pas seulement auprès des gens qui arrivent, mais auprès de la population pour leur dire, il faut qu'on s'enrichisse à partir de la culture des gens qui s'en viennent. Il y a toutes sortes de mesures en place et ce soir Radio-Canada...on va interviewer des gens qui sont installés ici depuis quelques années, qui sont arrivés aussi dans des petits villages. Donc forcément, l'immigration, c'est une manière. Et ça va avoir des effets incroyables.
Laura [00:44:52] Moi, je trouve c'est intéressant, ben l'immigration. Est-ce qu'on prend en compte les pratiques langagières parce que si on parle, en effet, si on parle de l'Africain, il est très souvent trilingue. Donc, l'Algérien, le Marocain, le Tunisien, donc, peut-être une langue locale, l'arabe, le français et l'anglais. Si on parle de rapports de force et de rapports de pouvoir, tout ça, ça va être intéressant d'ici je ne sais pas, 5 ans, 10 ans, 15 ans en Acadie, ça va donner quoi? Un Acadien de parents marocains, par exemple.
Annette [00:45:28] Tellement intéressant, tellement. Puis ça va changer, puis ça va tout faire revoir les rapports de colonisation, qui sont les colonisés, les colonisateurs, les francophones? Qui est-ce qu'ils vont adopter? C'est vraiment...il faut que vous veniez faire des enquêtes en Acadie après. Non, c'est vrai que... donc c'est en plein changement, donc je ne sais pas du tout comment répondre à cette question-là. J'y ai pensé hier soir aussi, puis à partir du moment...puis je reviens à mon exemple du chiac. Maintenant, le terme lui-même d'insécurité linguistique, il est repris par beaucoup de monde. Et des fois, il est utilisé à mauvais escient dans le sens que les gens vont dire OK, on est insécure, mais bon, on va parler comme on veut n'importe où. Mais finalement, on ne veut pas créer d'autres inégalités sociales parce que les inégalités sociales sont encore liées à l'usage de la langue, et c'est d'ailleurs cela qu'il faut montrer que c'est...c'est important pour l'école d'élargir le répertoire, puis de donner aux enfants les outils qu'il faut pour qu'ils puissent vraiment naviguer sur différents marchés linguistiques.
Laura [00:46:37] Mais je pense que c'est là la force de ce concept-là que j'ai appris grâce à tes travaux. C'est ça de l'insécurité linguistique ou la sécurité linguistique, c'est un prisme sur les inégalités sociales. Donc, oui, c'est toujours de l'actualité. Ça nous permet un point d'entrée, un point d'ancrage et un point d'entrée.
Annette [00:46:57] Oui, c'est ça. Absolument.
Laura [00:47:00] Alors je pense qu'on est arrivé au bout de notre conversation et j'aimerais, oui, j'aimerais beaucoup, beaucoup te remercier, Annette. Ce fut un très grand honneur et un plaisir de m'asseoir virtuellement. Une conversation très enrichissante donc je te remercie.
Annette [00:47:19] C'est moi qui te remercie vraiment. Merci beaucoup de l'invitation.
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